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C’est dès l’ère victorienne qu’est mise de l’avant l’élimination de mesures de contrôle telles l’isolement et la contention en milieu psychiatrique (Suzuki, 1995). Force est toutefois de constater que ces moyens de contrôle ont perduré et ce n’est que depuis les vingt dernières années que les pratiques sont timidement remises en question au Canada (A.H.Q., 2000, 13). Pourtant ces pratiques constituent encore aujourd’hui un enjeu de société étant donné qu’elles portent atteintes à l’intégrité et à la dignité de la personne en limitant leur liberté. Depuis quelques années au Québec, elles ont fait l’objet d’intenses débats favorisés par les discussions autour des concepts et des pratiques d’appropriation de pouvoir et de rétablissement. Ces concepts s’opposent à la médicalisation de la violence et de l’agression qui leur enlève toute compréhension sociale en restreignant l’analyse à la psychopathologie (Morrison, 1990 ; Mason et Chandley, 1999). Par ailleurs, les standards d’utilisation de l’isolement et de la contention sont plutôt régis sur la base du consensus que sur celle de la recherche (Mohr, 1997). Entre l’objectif thérapeutique et l’abus, la marge devient donc singulièrement étroite, d’autant plus qu’il s’agit d’une intervention complexe impliquant fortement les intervenants et pour laquelle Friard et Leyreloup (1996) ont constaté un manque de formation.

Le mouvement de défense des droits et le mouvement des personnes usagères ont incité les responsables politiques et les professionnels en santé mentale à appliquer et à évaluer de nouveaux savoirs ainsi qu’à promouvoir le traitement et la réhabilitation dans un environnement le moins restrictif possible (Rogers et al., 1997). Ce changement constitue une transformation qui passe nécessairement par une remise en question des pratiques professionnelles au profit d’une connaissance expérientielle, c’est-à-dire la reconnaissance de l’expérience de vie et du potentiel des personnes usagères. Cette reconnaissance permet de mettre en valeur l’expérience des personnes, de leur donner une voix, un choix mais aussi de mettre l’accent non plus sur leurs limites, mais sur leurs forces (Davidson, 1997).

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur le 1er juin 1998 de l’article 118.1 de la Loi sur les services de santé et de services sociaux, il existe, au Québec, une définition générale de ces mesures de contrôle qui campe leur finalité :

La force, l’isolement, tout moyen mécanique ou toute substance chimique ne peuvent être utilisés, comme mesure de contrôle d’une personne dans une installation maintenue par un établissement, que pour l’empêcher de s’infliger ou d’infliger à autrui des lésions. L’utilisation d’une telle mesure doit être minimale et exceptionnelle et doit tenir compte de l’état physique et mental de la personne. Lorsqu’une mesure visée au premier alinéa est prise à l’égard d’une personne elle doit faire l’objet d’une mention détaillée dans son dossier. Doivent notamment être consignées une prescription des moyens utilisés, la période pendant laquelle ils ont été utilisés et une description du comportement qui a motivé la prise ou le maintien de cette mesure. Tout établissement doit adopter un protocole d’application de ces mesures en tenant compte des orientations ministérielles, le diffuser auprès de ses usagers et procéder à une évaluation annuelle de l’application de ces mesures.

Deux colloques, l’un issu des milieux associatifs (A.G.I.D.D.-S.M.Q., 1999), l’autre des établissements publics (A.H.Q., 2000) témoignent de son impact et de l’urgente nécessité de développer tout un nouveau corpus de connaissances. L’Association des hôpitaux du Québec a publié en ce sens un document de formation quant à « l’utilisation judicieuse et sécuritaire de la contention et de la contention en milieu psychiatrique » (A.H.Q., 2001). En regard des orientations prévues par l’article de loi, le Ministère de la santé et des services sociaux, a finalement dévoilé, en décembre 2002, ses « Orientations ministérielles relatives à l’utilisation exceptionnelle des mesures de contrôle : contention, isolement et substances chimiques », accompagnées d’un plan d’action (2002-2005).

Cette recension des écrits vise d’abord à présenter le contexte dans lequel se situent les orientations ministérielles en matière de mesures de contrôles en psychiatrie. Par la suite, elle souhaite exposer les connaissances concernant l’utilisation et la réduction des mesures de contrôle. Comme les connaissances scientifiques peuvent être classées selon des approches qui s’opposent, soit l’objectivité et la subjectivité (Caplan et Holland, 1990), nous proposons deux perspectives qui tiennent compte de cette classification, soit le contrôle de l’agir violent et la compréhension de l’expérience vécue par les acteurs. Finalement, nous proposons une troisième perspective qui prend en compte les différentes dimensions du cycle de la violence auquel contribuent les mesures de contrôle : l’intégration du traumatisme comme expérience antérieure et la concertation, c’est-à-dire l’engagement des acteurs dans et hors de l’établissement en regard du traumatisme comme expérience antérieure. Nous conclurons sur des pistes d’interventions prometteuses pour réduire, voire éliminer, les mesures de contrôle en psychiatrie.

Contexte

Au Canada, la fréquence d’utilisation de l’isolement varie de 1.9 % à 66 %, selon le profil de la population psychiatrisée à l’étude et selon la philosophie de traitement des institutions psychiatriques (Legris et al., 1999). Aux États-Unis, la fréquence d’utilisation de l’isolement se situe entre 4 et 44 % chez la population adulte. Quant à la fréquence d’utilisation des mesures de contention, certaines études américaines estiment que 24 % des patients admis dans les salles d’urgences psychiatriques ont nécessité des contentions (Walsh et Randell, 1995). Finalement, l’utilisation des substances chimiques à des fins de contrôle « chemical restraint » est, pour sa part encore moins documentée car fortement controversée (Currier et Allen, 2000 ; Nicholls, 2001) malgré qu’elle soit associée à des effets secondaires majeurs pouvant aller jusqu’au décès (Mason et Chandley, 1999). Kow et Hogan (2000) ont tout de même estimé à 10,3 % (N = 156) sur une période de trois mois, l’utilisation de médicaments à des fins de contrôle dans une unité psychiatrique d’enseignement médical. En définitive, il est légitime de penser que les mesures de contrôle font partie des interventions courantes en psychiatrie.

Orientations ministérielles

Les orientations ministérielles visent à faire coïncider le cadre juridique et les pratiques dans les différents milieux susceptibles d’utiliser ces moyens de contrôle. Ces mesures de contrôles sont définies comme suit : La contention est une mesure de contrôle qui consiste à empêcher ou à limiter la liberté de mouvement d’une personne en utilisant la force humaine, un moyen mécanique ou en la privant d’un moyen qu’elle utilise pour pallier un handicap. L’isolement consiste à confiner une personne dans un lieu, pour un temps déterminé, d’où elle ne peut sortir librement. Les médicaments qui visent à limiter la capacité d’action d’une personne sont classés parmi les mesures de contrôle utilisant les substances chimiques.

Les changements visés par les orientations ministérielles devront s’inscrire dans une démarche systématique qui a comme objectifs de réduire au minimum, voire éliminer, l’utilisation de ces mesures de contrôle ; de développer des mesures de remplacement efficaces, efficientes et respectueuses de la personne, de son environnement et des proches concernés ; finalement, d’assurer le suivi de l’utilisation de ces mêmes mesures.

La recherche d’une limitation minimale et exceptionnelle de la liberté et de l’autonomie de la personne doit guider l’intervention ; celle-ci doit être menée dans une perspective de relation d’aide qui tient compte des caractéristiques de la personne et de l’environnement dans lequel elle évolue. La personne dispose d’un potentiel pouvant être mis à contribution dans la recherche et dans l’application de solutions à ses propres difficultés, l’intervenant ne doit plus assumer le statut de celui qui apporte seul les solutions aux problèmes. Le respect de l’éthique exige que soit rendu obligatoire le recours à diverses mesures de remplacement. Les directions d’établissement doivent donc maintenir actif un processus constant de questionnement des pratiques professionnelles ayant cours dans leur organisation. Six principes directeurs balisent donc l’utilisation de ces mesures de contrôle :

  • Les mesures de sécurité ne s’appliquent que dans un contexte de risque imminent ;

  • Ces mesures ne doivent être envisagées qu’en dernier recours ;

  • Lors de son utilisation, la mesure appliquée doit être la moins contraignante pour la personne ;

  • L’application de ces mesures doit se faire dans le respect, la dignité et la sécurité, en assurant le confort de la personne, et elle doit faire l’objet d’une supervision attentive ;

  • L’utilisation de ces mesures doit, dans chaque établissement, être balisée par des procédures et contrôlée afin d’assurer le respect des protocoles ;

  • L’utilisation de ces mesures doit faire l’objet d’une évaluation et d’un suivi de la part du conseil d’administration de chacun des établissements.

Le document ministériel identifie deux contextes d’application, soit l’intervention planifiée et, soit, dans le cas d’une désorganisation comportementale récente, l’intervention non planifiée.

Les principes directeurs nommés ci-haut s’appliquent dans les deux contextes et leur application est régie en fonction des assises légales qui leur sont propres telles que le consentement libre et éclairé et le consentement substitué.

Une nouvelle loi ou réglementation constitue un point de départ non une fin en soi. L’exemple des lois quant à l’internement involontaire en vertu de la dangerosité de la personne à elle-même ou à autrui illustre ce point. Le psychiatre et juriste américain Paul Appelbaum (1997) a bien analysé cette différence entre ces lois sur papier, souvent très légalistes, et ces lois en pratique. Une variété d’acteurs a le potentiel d’en modifier l’application ; si certains, en position de pouvoir, estiment qu’elles les contraignent démesurément, ils agiront alors à sa marge afin d’en arriver à un résultat plus satisfaisant. Commentant le nouvel article de loi sur l’isolement et la contention, la docteure Suzanne Lamarre a eu des propos du même ordre :

« L’humain ne tolère pas longtemps d’être contrôlé par un autre humain… Des lois ou des directives issues d’un besoin de mettre fin à des habitudes sans la participation de ceux et celles qui les appliqueront risquent de susciter chez ces derniers des techniques de camouflage plus raffinées pour annuler le message disqualifiant de la nouvelle législation » (Lamarre, 2000, 294-295). Il y a donc ici tout un défi à relever qui interpelle l’ensemble du réseau de services. Tout un corpus de pratiques est à changer et cela exigera rigueur, ténacité et cohérence. La première étape consiste sans aucun doute à prendre conscience des perspectives qui guident ces mesures. Trois perspectives sont présentées : la première orientée vers le contrôle de l’agir violent, la seconde, guidée par une meilleure compréhension de l’expérience vécue par les acteurs impliqués dans l’agir violent et finalement, la troisième, dirigée vers l’intégration du traumatisme comme expérience antérieure et vers l’engagement des acteurs dans et hors de l’institution en regard du traumatisme comme expérience antérieure.

Le contrôle de l’agir violent

Ursin et Olff (1995) définissent l’agir violent comme un comportement qui cause ou peut causer des traumatismes à l’intégrité bio-psycho-sociale d’une personne, d’un objet ou d’un environnement. Ils notent que l’agir violent est associé à plusieurs pathologies, telles le retard mental, la schizophrénie ou les troubles de la personnalité limite, sans être un diagnostic per se. Dans les écrits psychodynamiques, l’agir violent est souvent nommé « acting out ». Ursin et Olff témoignent que ces concepts manquent de spécificité ou de précision et qu’ils dépendent surtout des normes sociales de l’observateur.

Cependant, un centre hospitalier est tenu d’offrir un environnement sécuritaire tant auprès des personnes utilisatrices de services que du personnel. En milieu psychiatrique, selon l’Association pour la santé et la sécurité du travail (Pouliot, 1999), il y a recrudescence des agressions sur le personnel. Les infirmières seraient les plus fréquentes victimes de ces agressions (Whittington, 1997). Ainsi lors de la 4e Conférence internationale sur la santé des travailleurs de la CIST tenue à Montréal en octobre 1999, Mme Annalee Yassi, chercheur en santé au travail de l’Université du Manitoba a précisé, sur la base de recherches canadiennes et américaines, qu’« il est admis que la violence perpétrée contre les infirmières et les autres soignants augmente » (Larose et Bigaouette, 1999). Cette vulnérabilité du personnel soignant s’inscrit dans un contexte général de pressions sur le personnel quant à la réduction de la durée de séjour des personnes hospitalisées en milieu psychiatrique ainsi qu’une pénurie de personnel et l’expérience limitée des jeunes qui entrent dans la profession infirmière. L’utilisation de moyens de contrôle doit donc être considérée dans ce climat d’insécurité, d’instabilité des équipes et de pressions administratives.

Savage et Salib (1999) ont décrit le recours à l’isolement dans un centre hospitalier britannique. Elles ont étudié tous les épisodes d’isolement de 1992 à 1997 sur une unité de psychiatrie de 26 lits, dont 6 intensifs en utilisant le formulaire existant. S’y trouvaient des renseignements sur le patient (âge, genre, diagnostic, mandat) ainsi que sur l’isolement (raison, jour, heure, durée) et les conditions associées (médication, thérapie). Par ailleurs, les auteures décrivent de façon exhaustive l’unité de soins afin de bien situer les données recueillies. La durée moyenne maximale de séjour des patients sur ces unités est de 62 jours. Sur 762 admissions, 115 patients ont été placés en isolement, la plupart une fois (67 %), mais plusieurs ont été isolés deux fois (20 %) ou même plus (13 %). Même si les femmes étaient en plus petit nombre, elles ont été isolées plus souvent. La durée de l’isolement était en moyenne de 89 minutes (15 minutes à 12 heures). Les raisons évoquées étaient surtout reliées à la violence (envers le personnel, 23 % ; envers les autres patients, 9 % ou menace, 5 %). Les comportements dérangeants comptent pour 5 % des isolements et le dommage à la propriété, 3 %). Dans 42 % des isolements, plus d’une raison était mentionnée. Le diagnostic primaire de trouble de la personnalité et un diagnostic secondaire de troubles de l’apprentissage comptent pour 41 % des isolements. Il est à noter que les changements de structure (changement de mission, changement de ratio) n’ont eu aucun effet sur le nombre d’isolement.

Bien qu’aucune étude n’ait pu démontrer que les mesures de contrôle sont d’une plus grande efficacité ou sécurité pour les patients (Collège des médecins, 1999 ; Leblanc, 2001), deux motifs thérapeutiques sont souvent invoqués pour justifier l’isolement : la diminution des stimuli et le contrôle dans une situation de danger imminent (Lendemeijer et Shortridge-Bagget, 1997). Cependant, l’isolement est parfois utilisé à des fins punitives lorsque les règles de l’unité sont brisées ou pour décourager des comportements indésirables (AHQ, 2001 ; Lendemeijer et Shortride-Bagget, 1997). À l’occasion, le personnel recourra aussi à l’isolement, pour éviter les risques de fugue ou pour pallier le manque de personnel. (McBride, 1996). Quant à la contention, les critères usuels pour leur utilisation réfèrent à la confusion et à l’agitation sévère dans la phase aiguë de la maladie (A.H.Q., 1987 ; Bégin, 1991 ; Dumont, 1995 ; Smith et Humphreys, 1997). Ces mesures de contrôle doivent être considérées comme un dernier recours qui, après que d’autres moyens aient été jugés inefficaces, permet la communication ou l’implantation d’un plan de soins (Lendemeijer et Shortride-Bagget, 1997 ; McBride, 1996 ; Savage et Salib, 1999).

La réduction des mesures de contrôle dans cette perspective

L’intervention sur l’agir violent représente une approche classique en milieu psychiatrique. Pour diminuer l’utilisation des mesures de contrôle, il est maintenant reconnu que les milieux hospitaliers doivent mettre l’accent sur la prévention. (Chabora et al., 2003). Cette prévention réfère à un type de travail où la personne avec troubles de comportement constitue le centre d’intérêt (A.H.Q., 2001). Ainsi, des formations comme « APIC » ou « Omega » bien connus dans le réseau de la santé et des services sociaux au Québec, visent à développer chez l’intervenant de ce secteur « des habiletés et des modes d’intervention pour assurer sa sécurité et celle des autres en situation d’agressivité » (ASSTSAS, 1999, 9). Axée sur la pacification des états de crise aiguë, la formation « Omega » met de l’avant les principes d’intervention suivant : se protéger, évaluer, prévoir, prendre le temps nécessaire, se centrer sur la personne. Une grille du potentiel de dangerosité vise à mesurer le degré de dangerosité manifesté par le client et cela devrait permettre à l’intervenant de le guider dans le choix de la technique appropriée comme par exemple, le recadrage et ce, toujours dans une optique de conciliation.

L’expérience de l’isolement et de la contention

Des auteurs se sont intéressés aux conséquences des mesures de contrôle. Ils ont cherché à comprendre l’expérience des mesures de contrôle, d’abord, puis le cycle de la violence auquel contribuent les mesures de contrôle. Pour sa part, l’étude de l’expérience des patients psychiatriques placés en isolement et en contention met en évidence que les aspects négatifs rapportés sont nettement plus fréquents que les aspects positifs (Bégin, 1991 ; Ray et al., 1996, Johnson, 1998).

Dans leur recension des écrits lors de mise en isolement, Lendemeijer et Baggett (1997) rapportent deux types opposés de sentiment. Certains patients éprouvent des sentiments dits « négatifs » (colère, impuissance, deuil, peur, confusion). D’autres ressentent des émotions dites « positives » (sécurité, protection, « bonheur », paix, calme, réassurance). Des études (Browne et Tooke, 1992 ; Meehan et al., C., 2000) mentionnent qu’un sentiment d’injustice prédomine car les personnes usagères estiment avoir été mises en isolement sans motif. « Ce qui est particulièrement frappant, c’est le manque d’empathie et d’accompagnement ressenti dans de nombreux témoignages » (A.H.Q., 2001, 15).

Sagduyu et al. (1995) ont comparé les expériences de 50 personnes avec un diagnostic de schizophrénie ou autres troubles psychotiques qui ont été réparties équitablement entre deux mesures de contrôle. Leurs aspects négatifs sont ressortis clairement : ainsi 89 % des personnes mises sous contention et 71 % des personnes en isolement ont eu le souvenir d’expériences d’enfermement ou d’abus physiques. « La réminiscence de ces traumatismes anciens rend ce type d’intervention particulièrement nocif » (A.H.Q., 2001, 15).

En Ontario, une recherche menée sous les auspices du Bureau des interventions en faveur des patients psychiatriques (P.P.A.O., 2001) impliquant les dossiers de 59 personnes dont 44 interviewées, résumait ainsi les propos des patients :

  • les membres de l’équipe n’étaient pas disponibles pour leur parler quant à leurs peurs ou expériences lorsqu’ils sont sous contention ou isolés ou de leur donner du support émotionnel ;

  • les membres de l’équipe ne leur ont pas offert d’alternatives ;

  • ils ne savaient pas ce que l’on attendait d’eux afin de les libérer.

Particularité significative, les personnes participantes à la recherche devaient avoir été placées sous contention ou isolement, à divers moments, lors de trois journées consécutives. Il s’agit, à notre connaissance, de la seule recherche avec une telle variable de durée.

Récemment, Bonner et al. (2002) ont étudié l’expérience vécue par des patients et des membres de l’équipe soignante lors de six situations au cours desquelles une intervention physique a été appliquée pour contrôler le comportement violent sur des unités de psychiatrie. Les thèmes ont été divisés en trois moments : soit les antécédents à l’intervention, le moment de l’intervention et après l’intervention. Les auteurs soulignent que l’intervention a été ressentie par la moitié des patients, comme un rappel d’événements traumatisants (violence et abus) vécus antérieurement. Ce rappel a aussi été rapporté par Smith (1995) qui a interviewé des femmes souffrant de trouble bipolaire. Ces dernières ont décrit l’intervention de contrôle comme un viol sans pénétration. Gallop (1999, 1999 b) présente les cas de femmes présentant un passé d’abus sexuel pendant l’enfance. Leur vécu d’hospitalisation au cours de laquelle elles sont soumises à des mesures de contrôle provoque chez celles-ci une réactualisation de l’abus dont elles ont été victimes.

Les patients de l’étude de Bonner et al. (2002) ont également témoigné s’être sentis ignorés et incompris avant l’incident alors qu’ils avaient donné des avertissements et après l’incident alors qu’ils éprouvaient encore de la détresse. Les patients et les membres du personnel ont partagé les mêmes émotions : détresse, peur et honte. Les patients ont apprécié la disponibilité et l’ouverture du personnel après l’incident. Pour le personnel, une session de debriefing, même informelle, est considérée aidante. Les mesures de contrôle ont également une fonction de rappel d’événements similaires ou pires chez les membres du personnel soignant (Bonner et al., 2002). Les recherches mettent en évidence toutefois que les professionnels de la santé sont divisés quant à leur utilisation ; si certains éprouvent une nette aversion pour ces interventions et recherchent constamment d’autres stratégies (Holzworth et Wills, 1999), d’autres les voient comme nécessaires et thérapeutiques (Muir, 1996 ; Alty, 1997 ; LeGris et al., 1999)

En fait, tout un corpus de recherches a démontré que le comportement des intervenants et les normes institutionnelles influencent le degré de violence des personnes hospitalisées en psychiatrie (Caldwell, 1994 ; Goren et al., 1995) Ainsi, l’utilisation d’une mesure de contrôle comme la contention est beaucoup plus reliée aux traditions de pratiques et aux idées de l’équipe qu’à une nécessité médicale. Dans sa recherche sur les liens entre les facteurs organisationnels et la violence, Morrison (1990) a estimé que le concept qui avait émergé de son travail était celui de la tradition de la dureté : the tradition of toughness. L’accent sur le contrôle et la sécurité aurait pour résultat de privilégier le respect des procédures et un comportement standardisé d’où le cycle de violence. La violence ferait partie intrinsèque du dispositif institutionnel et ce, souvent à l’insu des différents protagonistes puisqu’elle se confond souvent avec le traitement. Cet aspect interactionnel de la violence a été bien identifié par Morisson (1990 b, 1992) :

Morrison found that the psychiatrically ill do learn aggressive and violent behavior and use it to control their environment… When patients who have made a practice of controlling their environment through aggression and violence are placed on a psychiatric unit where staff detain them involuntary, force medication, and/or set limits, it is reasonable to assume that staff/patient conflicts resulting in violence will occur ».

Harris et Morrison, 1995, 203-204

Les infirmières sont donc encouragées par les auteurs à faire de la prévention mais une prévention qui tout en englobant l’aspect de la crise la dépasse : « Ask patients what is important while they are in the hospital and give it to them if possible. Make them true partners in their care. Teach them verbal skills of negotiation and collaboration. Encourage involvement in decision making and show respect when they are able to act independently (Harris et Morrison, 1995, 209).

La réduction des mesures de contrôle dans cette perspective

Issue d’une meilleure compréhension de l’expérience vécue par les acteurs, cette perspective met l’accent sur la rupture du cycle de violence grâce à un engagement ferme de l’institution d’agir sur l’ensemble des facteurs. Afin de réduire et d’éliminer les mesures d’isolement et de contention sans que les intervenant(e)s se sentent démunis quant à leur droit à un environnement sécuritaire, il importe de mettre en place une nouvelle démarche qui soit assez prégnante pour prévenir la violence physique et émotionnelle. Ce changement radical requiert une nouvelle façon de penser. Traditionnellement la question posée est : « Comment pouvons-nous contrôler les personnes sans utiliser la contention et l’isolement ? » Cette question place encore le contrôle du comportement en dehors de la personne et une fois en dehors de l’institution, celle-ci n’a pas encore augmenté ses habiletés à se contrôler. Maintenant, il est suggérer de se demander « Que doivent apprendre les personnes usagères et les intervenant(e)s et que doivent-ils mettre en pratique pour créer un environnement qui supporte les personnes recevant des services afin qu’elles soient capables de se créer une vie qu’elle trouve significative » (Viselli et McNasser, 1997)

Bien que les milieux cliniques peuvent parfois avoir des définitions ou des approches quelque peu différentes lorsqu’ils abordent les questions de prévention, d’intervention de crises et de traitements, il est important de mesurer, d’évaluer et de réévaluer ces patients à chaque étape du processus de soins. L’utilisation de la contention ou de l’isolement n’aide pas les patients à apprendre à gérer leur colère mais sert seulement à contrôler les gens et à provoquer une division entre ceux qui cherchent de l’aide et ceux qui dispensent des soins. Traités avec dignité et respect, les personnes hospitalisées deviennent habituellement moins agressives.

Pour ces intervenant(e)s, gestionnaires et personnes usagères, il s’agit donc de revenir à la juste intuition d’appréhender un lieu hospitalier comme une communauté faite de personnes usagères, d’intervenant(e)s, de médecins, d’employé(e)s de soutien et d’administrateurs (Riffer, 2000). Quand des personnes vivent et travaillent dans un environnement restreint, elles doivent avoir les habiletés requises pour gérer la colère. Les personnes usagères doivent également développer des habiletés d’affirmation de soi, de communication et de résolution de conflits afin d’obtenir ce qu’elles veulent de manière civilisée. Toute personne a besoin d’individus en qui elle peut faire confiance lors de situations difficiles.

L’hôpital psychiatrique Mohawk Valley Psychiatric Center d’Utica dans l’État de New York d’une capacité de 180 lits adultes et de 39 lits pour les enfants et les jeunes, a connu une réduction importante de l’utilisation de l’isolement et de la contention au cours des cinq dernières années (Viselli et McNasser, 1997). Grâce à un leadership organisationnel et à une approche interdisciplinaire dans la dispensation du traitement individuel, une nouvelle culture de soins a émergé, fondée sur une relation de coopération avec les personnes usagères. L’objectif de réduire les pratiques d’isolement et de contention a d’abord été introduit comme indicateur de la qualité des soins au sein du département de nursing. L’administration a ensuite fait de ce programme un objectif de l’hôpital. Administrateurs et gestionnaires consultent cette information de façon quotidienne et la partagent avec les divers comités de contrôle de la qualité de l’hôpital afin d’initier les changements qui s’imposent en ce qui a trait à la gestion des agressions.

Ce changement a toutefois a été vécu difficilement par plusieurs personnes soignées. Ces dernières ne pouvaient concevoir qu’elles puissent regagner du contrôle sur leur vie. En ce sens, les mesures d’isolement et de contention leur apparaissaient non seulement utiles mais indispensables. Cette impuissance apprise (learned helplessness) est d’autant plus forte qu’elle provient d’intervenant(e)s qui ont souvent toute leur confiance.

De la même manière, Goren et al. (1996) décrivent un processus similaire de changement dans un hôpital psychiatrique pour enfants. Ils concluent que l’usage de l’isolement et de la contention est conditionné par les traditions de pratiques plutôt que par nécessité médicale. En trois années, la pratique des contentions a diminué de 98 % et celle de l’isolement de 50 %.

Chabora et al. (2003) pour leur part, présentent un modèle théoriquenommé les quatre S pour « security, structure, support, symptom management ». Tout en ciblant le « ici et maintenant » dans la gestion des crises, les auteurs présentent une modélisation d’un processus clinique qu’ils estiment généralisable à tous les aspects de l’intervention en milieu psychiatrique. Ce processus est fondé sur la conception que les équipes de travail doivent orienter leurs valeurs et traitement en regard de ce que les patients ont besoin pour organiser une vie satisfaisante et pleine dans la communauté. En 2003, ce modèle sera évalué dans un hôpital du New Jersey afin de vérifier son efficacité dans les interventions visant la pacification des états de crise. L’une des techniques utilisées est une feuille de route où l’intervenant coche les éléments ayant trait aux comportements agressifs, les alternatives utilisées et s’il y a lieu les techniques de contrôle employées.

L’intégration de traumatismes antérieurs et la concertation

Des auteurs se sont intéressés au cycle de violence auquel contribuent les mesures de contrôle. Ils se sont alors situés au-delà de l’événement qui a entraîné des mesures de contrôle, et ont posé un regard à la fois historique et social sur la trajectoire des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Cette perspective prend en compte l’histoire de sévices et d’abus de nombre de personnes hospitalisées en psychiatrie et plus spécifiquement des femmes. Elle permet, en sortant de l’univers de l’institution, une action intersectorielle en ciblant un facteur déterminant de la santé : le sexe. Le contexte d’émergence de cette perspective sera d’abord présenté suivi d’une synthèse des recherches démontrant qu’un nombre significatif de personnes ayant des problèmes majeurs de santé mentale, plus spécifiquement les femmes, ont une histoire de vulnérabilité. D’où l’importance pour les tenants de cette perspective de développer des pratiques qui tiennent compte de cette réalité. Il faut aussi souligner que le fait d’avoir été victime de sévices sexuels dans son enfance est de plus en plus reconnu comme un facteur clef dans le déclenchement de troubles psychiques (Rosenberg et al., 1997).

En 1984, Kempe et Kempe ont constaté que nombre de collègues thérapeutes, influencés par l’approche psychanalytique, ne prêtaient aucune crédibilité aux récits d’inceste de leurs patientes. Ces auteurs, au contraire, les trouvaient dignes d’intérêt et voulaient briser les tabous autour des sévices sexuels commis envers les mineures et ainsi contribuer à protéger leurs droits. C’est toutefois la publication en 1992 des travaux de Herman, Trauma and Recovery qui a fortement contribué au développement de cette perspective dans un contexte où les « trauma studies » prenaient leur essor suite à l’introduction dans le DSM III R en 1980 du diagnostic de syndrome post-traumatique. Herman (1992) y synthétise les résultats de deux décennies de recherches et de travail clinique auprès des femmes victimes de sévices sexuels et de violence domestique. Selon l’auteur, le système de service de santé mentale est rempli de survivantes d’un traumatisme prolongé, survenu dans l’enfance… le témoignage des patientes est éloquent quant à l’importance de la reconnaissance de la centralité du traumatisme dans le processus de rétablissement (122-127). Un traumatisme psychologique est défini comme un sentiment de peur intense, d’impuissance, de perte de contrôle et une menace d’anéantissement. Porté par l’idéologie féministe, ce livre constitue maintenant une référence de base. Mueser et al. (2002) ont d’ailleurs conceptualisé un modèle interactif qui permettrait de comprendre comment chez les personnes ayant des problèmes majeurs de santé mentale, le syndrome post-traumatique, tel que défini dans le DSM IV, exacerbe les symptômes et provoque une plus grande utilisation des services psychiatriques.

Essentiellement anglo-saxonnes, les recherches sur le vécu de sévices sexuels et physiques des personnes ayant des problèmes graves de santé mentale ont pris un essor considérable. Goshn et al. (à paraître) ont recensé 16 recherches quantitatives de ce type depuis 1984 qui sauf trois, sont toutes postérieures à 1992. Il en ressort clairement que la population ciblée, particulièrement des femmes, est hautement vulnérable et l’objet de plusieurs sévices sexuels ou physiques, habituellement de nature interpersonnelle et commençant parfois dès l’enfance pour s’étaler sur toute leur vie. Bloom (2002) va jusqu’à affimer : « Until proven otherwise, we must assume that hospitalized psychiatric patients have had exposures to violence, especially if their are women ». Il s’ensuit que ces personnes peuvent être l’objet d’un processus de victimisation secondaire, causé par l’application de mesures de contrôle : « la victime revit mentalement le traumatisme vécu, par le biais notamment de flash-back ou de cauchemars récurrents ; cela fait aussi référence à la douleur et aux blessures psychologiques de la victime, et en somme, serait les conséquences indirectes du crime vécu » (Gaudrault, à paraître).

Les pratiques de contention et d’isolement constituent donc des situations particulièrement propices au phénomène de victimisation secondaire (Gallop, 1999). Selon Frueh (2000), les personnes ayant déjà vécu un traumatisme « ont tendance à recevoir des traitements inadéquats par les services de santé mentale (Amaya-Jackson et al., 1999 ; Goodman et al., 1999) et pourraient, en fait, être particulièrement vulnérables à des expériences traumatiques et/ou iatrogéniques additionnelles pouvant avoir lieu régulièrement dans le milieu psychiatrique (Cohen, 1994). Par exemple, l’utilisation régulière d’isolement, de contention, de menottes peut servir à récapituler des expériences traumatiques antérieures, et de cette façon exacerber les symptômes » (Frueh et al., 2000).

Toutefois, comme le souligne Rechtman (2002), la généralisation du diagnostic de PTSD témoigne d’une reconfiguration de la condition de victime fondé sur l’autorité de la clinique. « Dès lors que le PTSD avait fondé les caractéristiques propres et le régime de vérité de la condition de victime, la victimologie naissante pouvait s’écarter du carcan nord-américain, contester la catégorie elle-même, chercher à l’améliorer, voire à rapporter d’autres symptômes à une éventuelle origine traumatique puisque cette dernière, quant à elle, était reconnue. Désormais, ce sont l’événement et le registre de l’énonciation victimaire portée par la clinique psychiatrique qui fondent la condition de victime » (italique dans le texte) (Rechtman, 2002, 793).

La réduction des mesures de contrôle dans cette perspective

Compte tenu de ce processus de victimisation secondaire, des pratiques novatrices qui tiennent compte de ce passé de traumatismes ont été systématisées par des organisations de services aux États-Unis et au Canada. Nous pouvons distinguer deux grandes tendances : l’une visant à intégrer la dimension du traumatisme dans la dispensation de services de santé mentale : « trauma centered services » ou « trauma sensitive culture » alors que l’autre tendance s’adresse spécifiquement à la condition des femmes. Toutefois, elles adhèrent toutes deux à l’idée que l’objectif fondamental du traitement est de prévenir le « sanctuary trauma », défini comme l’attente de trouver un environnement protecteur et ne plus seulement trouver de trauma (Silver, 1986). De plus, cette perspective s’applique autant en milieu hospitalier qu’en dehors de celui-ci.

Aux États-Unis, l’Association nationale des directeurs de programme de santé mentale (NASMHPD, 1998), dans sa position de principes sur les services et les supports qui doivent s’adresser aux personnes survivantes des traumatismes, estiment que ceux-ci doivent être fondés sur des concepts, politiques et procédures articulés autour d’un triptyque exprimé par les personnes usagères : sécurité, voix au chapitre et choix. En 1996, le département de santé mentale du Massachusetts avait adopté des procédures cliniques quant aux personnes ayant un problème de santé mentale. Dès l’admission dans un centre hospitalier, l’évaluation doit inclure l’identification des circonstances pouvant potentiellement provoquer un comportement de crise. La personne a-t-elle un passé présentant des événements d’abus physique, sexuel, verbal et/ou psychologique ? De plus, l’évaluation doit comprendre les réponses pouvant aider la personne à désamorcer sa crise et ainsi éviter l’utilisation des mesures exceptionnelles. Quelle approche ou stratégie particulière sera la plus en mesure de supporter la personne à réduire son agitation ou sa détresse et ainsi, éviter l’utilisation exceptionnelle des mesures de contrôle ? Finalement, l’évaluation doit prévoir un retour avec le personnel afin de le guider et de contribuer à sa formation.

Une quinzaine d’états américains ont présentement des initiatives qui s’articulent autour du concept de traumatisme, l’idée étant que les services de santé mentale intègrent cette dimension dans leur approche d’intervention. Ceci permet de mieux comprendre la personne que l’on veut aider tout en modifiant l’offre de services (Frueh et al., 2001, Harris et Fallt, 2001). Il s’agit toutefois de projets peu financés qui demeurent encore à la marge du système de soins.

Le sexe comme facteur déterminant de la santé mentale est intimement lié à l’approche visant la prise en compte du vécu de violence et de traumatisme chez les femmes. Comme les risques sont sexospéciques, les réponses doivent donc être fondées sur l’analyse différenciée selon les sexes (Atsbury, 2001). Au Québec, « le ministère a clairement reconnu le lien entre les conditions de vie des femmes et leur santé. La situation sociale, économique et politique des femmes et leur réalité physiologique influencent leur rapport à la santé et au bien-être et les différencie de celui des hommes » M.S.S.S., 2002). En Ontario et en Colombie-Britannique, des politiques et programmes tiennent compte de ce vécu pour les femmes ayant des problèmes graves de santé mentale. Ainsi, une politique fondée sur l’analyse différenciée a été adoptée par la région de Vancouver à la suite d’une vaste consultation dans le cadre du projet de planification de la santé des femmes et de l’identification de la violence contre les femmes comme l’une des priorités pour la région (Morrow, 2002). Une formation spécifique a ainsi été élaborée pour les intervenants quant aux enjeux cliniques reliés au traumatisme. Ailleurs, des liens étroits se sont parfois développés entre le réseau de services de santé mentale et le réseau de services pour les femmes victimes de violence. Par exemple, à Victoria, un projet pilote s’est déroulé durant deux années dans un département de psychiatrie visant à faciliter l’identification des femmes victimes de violence conjugale. À Mission, le service de santé mentale a mis sur pied des groupes de support et offre du counseling aux femmes ayant des problèmes de santé mentale et ayant vécu des agressions. Finalement, à l’hôpital psychiatrique de Riverview de Vancouver, un comité sur les patients vulnérables a travaillé à la mise sur pied d’une formation auprès du personnel afin d’éviter le phénomène de la victimisation secondaire ; une formation auprès des personnes usagères a aussi été initiée afin de favoriser chez celles-ci un style de vie sécuritaire tant à l’hôpital que dans la communauté.

À Toronto, le Women’s College Ambulatory Centre a mis sur pied le programme WRAP (women recovering from abuse program) ; il s’agit d’un programme de huit semaines destiné aux femmes victimes de sévices dans leur enfance et ayant des problèmes de santé mentale. Le programme offre des groupes de thérapie et de la psychothérapie individuelle. Un service de suivi individuel est offert après le programme. Il a pour objectif de fournir une communauté de support dans lequel les personnes auront l’opportunité de développer la confiance, d’apprendre de nouvelles habiletés et de faire des changements positifs dans leur vie.

Discussion

Cette recension des écrits sur les pratiques qui visent l’élimination ou la réduction des pratiques d’isolement et de contention a permis d’identifier trois grandes perspectives ; l’une centrée sur l’agir violent en milieu hospitalier, la deuxième sur l’expérience vécue et la troisième fondée sur l’histoire de traumatisme des personnes ayant des problèmes graves de santé mentale.

Les formations pour le personnel axées sur la gestion de l’agressivité des personnes hospitalisées ont indéniablement leur utilité mais nous apparaissent faire porter une responsabilité démesurée sur les épaules des intervenant(e)s, s’il n’y pas un processus structurant au niveau de la culture organisationnelle. Par ailleurs, de telles formations peuvent coexister avec un haut niveau de violence institutionnelle. Ainsi, selon les dires même d’un rapport interne issu du Comité sur l’utilisation et de la contention d’un hôpital psychiatrique montréalais publié en octobre 1999 :

Depuis plusieurs années, l’utilisation des mesures de contention/isolement a fait l’objet de rapports, de comités d’études, de discussions au Comité d’éthique et même d’une conférence scientifique… en 1996… Des sessions de formation de « l’approche préventive et intervention contrôlée (APIC) » sont offertes régulièrement aux nouveaux employés éducateurs et infirmiers, au personnel des équipes volantes et des unités de soins.

CHSPSY, Rivière-des-Prairies, 1999

Il aura fallu l’intervention d’un tiers, le Curateur public du Québec en janvier 1999 avec la divulgation d’un rapport spécial sur les pratiques thérapeutiques dans cet établissement hospitalier pour révéler des pratiques inadmissibles d’isolement et de contention. Lorsque l’approche sur l’agir violent réussit à appréhender la complexité, grâce à une vision globale prenant en compte l’ensemble des acteurs et des facteurs en cause, les possibilités de transformation de l’institution deviennent palpables. Nous assistons alors à une convergence des techniques dites exemplaires.

La personnalisation des soins semble l’avenue la plus prometteuse dans l’optique d’une communauté thérapeutique. Cette personnalisation comprend une meilleure connaissance des antécédents du patient et un contrat de désescalade de comportements violents ou de colère (NTAC, 2002). Ce contrat peut être considéré comme des directives anticipées « advanced directives », une approche fort populaire dans le monde anglo-saxon. Un meilleur ratio intervenant/patient apparaît aussi plus efficace dans la gestion des comportements dérangeants chez des patients qui risquent de se mutiler ou de blesser leurs pairs. Les coûts supplémentaires associés à des soins plus personnalisés sont largement compensés par de plus courtes durées d’hospitalisation (LeGris et al., 1999). Ces soins impliquent également une meilleure communication et une stabilité dans l’équipe (Bonner et al., 2002) Des modifications à l’environnement ont été jugées aussi fort utiles. La NTAC (2002) propose entre autres, la disponibilité d’une « chambre de confort » ou d’une boîte d’objets réconfortants.

Ce processus de transformation doit s’accompagner aussi de procédures d’évaluation lors de l’utilisation de ces mesures de contrôle (PPAO, 2001). Le PPAO cible des moments clefs de ce processus : validation de la mesure par un médecin, la durée maximum de la mesure, la fréquence des entrées cliniques, le support donné durant la mesure, la révision automatique après un nombre d’heures, des audits cliniques après un événement. Il importe absolument d’éviter des automatismes comme les prescriptions PRN, l’antithèse même d’une personnalisation des soins. Un milieu psychiatrique se transformera s’il y a un engagement ferme de la direction, une formation du personnel appropriée, un travail collectif d’intervention auquel sont associées les personnes usagères et des mécanismes d’amélioration continue de la qualité (Crane et Stephan, 1998).

Cette logique demeure cependant institutionnelle et paraît coupée d’une véritable synergie avec les acteurs situés hors de l’établissement hospitalier. Une perspective fondée sur le traumatisme et spécifiquement, l’analyse différenciée selon les sexes en regard de la violence faite aux personnes ayant des problèmes de santé mentale semble prometteuse. Selon nous, elle constitue une pratique d’intersectorialité. Par exemple, la mise en réseau des services pour la santé des femmes et de santé mentale permet en effet de décloisonner les manières de faire et de penser propres à chaque secteur dans un but d’améliorer les conditions de vie des femmes (White et al., 2002). En ce sens, le Ministère devra donc songer à arrimer ses orientations relatives à l’utilisation exceptionnelle des mesures de contrôle telles la contention, l’isolement et les substances chimiques (2002), ses objectifs et ses stratégies d’action en santé et bien-être des femmes (2002), sa politique gouvernementale en matière d’agression sexuelle (2001), à son plan d’action sur la transformation des services de santé mentale (1998).