Abstracts
Résumé
Si l’on veut échapper au rationalisme, on peut comprendre que l’évolution des démons, de leur crédibilité et de leur statut est significative de celle de notre culture, de son rapport au réel, et de sa façon de traiter le mal qui affecte l’existence humaine. Par-delà la relation entre théologie et anthropologie, elle traduit la question récurrente de l’alternative entre finitude et culpabilité. Dans une perspective de foi en une histoire du salut elle met en jeu l’ambivalence du rapport au divin.
Abstract
If we want to escape rationalism, we can understand that the evolution of demons, their credibility and their status is significant to that of our culture, its relationship to reality, and its way of dealing with the evil that affects human existence. Beyond the relationship between theology and anthropology, it expresses the recurring question of the alternative between finitude and guilt. From a perspective of faith in a history of salvation, it brings into play the ambivalence of the relationship to the divine.
Article body
Le rapport aux démons tient peu de place dans la théologie chrétienne. Il est corrélé à la pratique de l’exorcisme qui remonte à l’Antiquité et se rencontre dans la Bible[1]. Cette pratique a été progressivement encadrée par les institutions ecclésiales qui, prudentes sur le discernement à opérer quant à l’interprétation des phénomènes, ont néanmoins rappelé leur attachement à la croyance au diable. Ce rappel est motivé par la perte de crédibilité du démoniaque[2] dans les mentalités contemporaines, influencées par le développement des sciences naturelles et humaines. Il adopte la formulation d’une alternative : a-t-on affaire à un mythe, ou une réalité[3] ?
Que désigne donc ce démoniaque, dans quel contexte s’avère-t-il pertinent, quelle évolution l’affecte, et que devient-il dans notre monde moderne ? Dès lors, peut-on le soumettre à l’alternative entre mythe et réalité ?
Le démoniaque et l’ambivalence du sacré
Si le rapport des démons à la réalité a profondément changé, cela peut être compris dans le cadre plus large de l’évolution culturelle et de la conception du monde. Les démons trouvaient un sens dans un certain type de culture et en rapport avec une cosmologie. À la différence de leur signification actuelle, il étaient à l’origine ambivalents, pouvant être bénéfiques ou maléfiques. Les daimones désignaient des puissances intermédiaires entre les dieux et les humains, pas toujours différentes des génies, des anges ou des esprits, ni même des divinités en contexte polythéiste. Elles étaient mises en relation avec ce qui dans leur existence échappe aux humains, leur semble venir d’une force supérieure, et ainsi les posséder, ou les lier. Aussi fournissaient-elles une explication quand défaillait le recours aux lois habituelles, à la causalité évidente connue, à l’efficience normale de la volonté. Leur pluralité traduisait la vanité de chercher une cohérence là où régnaient désordre, division et hétérogénéité. Leur action troublait l’ordre familier, le sens commun[4]. Elle s’exerçait de façon invisible, mystérieuse, occulte, extraordinaire, paranormale, « surnaturelle », pouvant déboucher sur le chaotique, le monstrueux, l’impur. Elle développait ainsi l’ambivalence du sacré, à la fois fascinant et terrifiant[5], en excès par rapport aux mesures humaines. Elle s’inscrivait dans une logique qui ne séparait pas le physique et le mental, le matériel et le spirituel[6], d’où la croyance que tout ce qui arrive est intentionnel, objet d’une volonté, d’une vengeance, voire d’un complot, le mal étant interprété comme un message : pas de hasard mais un sort[7], fixé ou jeté, allant à l’encontre de nos projets et idéaux et qui, échappant à notre propre volonté[8], se voit attribué à une intention malveillante.
Les démons sont mauvais mais participent à la défense de la culture contre le mal qui menace son ordre. Ils sont des figures mobilisées au service de différentes stratégies d’explication[9] dans les scénarios qui les mettent en scène : stratégie de destin, où ils échappent, dépossèdent et imposent un sort, stratégie de malveillance où ils terrorisent, stratégie de combat où ils sont des ennemis, forces du mal ou comploteurs, stratégie de chute où ils animent un monde de désordre, stratégie de rétribution où ils punissent les transgressions. À ces explications s’ajoutent des possibilités d’action, par rite, magie ou technique, serment ou voeu. L’exorcisme[10] éloigne par la prière, la ruse, la menace, le rituel ou la sorcellerie.
La naissance du tentateur
Si l’ambivalence du daimôn est particulièrement dangereuse, c’est parce qu’elle menace la frontière entre bien et mal, vrai et faux : cela aussi échappe. Aussi peut-elle se caractériser par la tromperie, celle du serpent de la Genèse (Gn 3), celle du malin génie de Descartes[11]. Elle tient à l’interprétation de la Parole divine, où ce qu’on croit évident est faux. Pour en sortir, il faut travailler à une polarisation qui sépare bien et mal, ordre et chaos, dieux et démons, bon Dieu et Diable.
L’ambivalence divine[12] va être progressivement levée dans la Bible, qui exonère Dieu des actions malfaisantes en les attribuant à un subalterne, ange ou satan[13]. Quand la monolâtrie devient monothéisme strict, les autres dieux sont réduits au rang de démons, puissances surhumaines mais incapables de sauver, et donc idolâtriques (Is 44,6). En parallèle avec l’unification du divin, celle des démons fait émerger la figure du satan comme l’adversaire de Dieu (Za 3,1-2). Désigné en grec par diabolos, il est celui qui divise et écarte de la foi, le tentateur (Mc 1,13). Le mal polymorphe se trouve ainsi paradoxalement unifié et mis au service d’une logique morale de rétribution qui oppose deux royaumes et pour chaque personne humaine deux destinées possibles selon son comportement. Alors que l’étymologie du mot daimôn évoquait le partage des destinées qui à la fois divise et s’impose inexorablement, l’évolution du démoniaque a valorisé la responsabilité de chacun au détriment d’une malédiction qui serait fatale et inhérente à la condition humaine, même si, dans la théologie chrétienne, la théorie du péché originel a gardé quelque chose de cette dimension de destin partagé. Les humains étant créés bons, le péché est accidentel : il survient dans l’espace d’une liberté qui défatalise et d’une confiance en Dieu et en l’être humain. C’est parce que les démons sont des idoles et que le mal n’a pas d’origine divine qu’il vient des humains.
Aux premiers siècles de notre ère, on croyait aux démons et aux anges comme à des créatures responsables. C’était un progrès dans la désacralisation. L’autre étape sera le statut de tentateur qui donne responsabilité à l’homme. La tentation exprime et conserve l’ambivalence[14] : nous sommes tentés, comme passivement et de l’extérieur.
L’énigmatique figure du serpent traduit le fait que l’explication échappe. Or cette extériorisation du mal peut se révéler être de notre fait tentation de défaussement (Gn 3,12-13), diabolisation. Cependant les évangiles racontent comment Jésus lui-même fut tenté : la tentation n’est pas le mal, elle ne le devient que par le choix humain. Le démon ne montre plus qu’un mal virtuel. L’existence du diable n’est pas un alibi valable.
De la cosmologie à la psychologie
L’enjeu de cette évolution touchait la relation entre la conception du monde et celle du salut. Intermédiaires entre les dieux et les humains, les démons et les anges occupaient dans la vision antique du cosmos une place correspondante, entre ciel et terre. Le schéma néoplatonicien de la hiérarchie céleste permettait d’intégrer les dieux de la tradition gréco-romaine dans la conception rationnelle du monde. Pourtant la théologie chrétienne était portée à contester ce schéma par l’accentuation du monothéisme[15], la désacralisation des forces naturelles du fait de la création, et l’érection du Christ comme seul médiateur. L’inspiration augustinienne pour dissocier définitivement cosmologie et sotériologie[16] ne produisit toutefois son plein effet qu’avec Galilée : les deux ne parlaient pas du même ciel[17]. Parallèlement, la rationalité moderne appuyée sur l’observation ruinait la représentation hiérarchique et axiologique du monde. Celui-ci ne pouvait plus faire à des démons une quelconque place dès lors que passions et intentionnalités étaient mises de côté et qu’étaient reconnus dans la marche du monde le fortuit, le contingent, l’accidentel. Les faits devaient être considérés indépendamment de tout jugement de valeur, et les causes finales réservées à l’activité consciente[18].
Dans ce contexte, le démoniaque, décosmologisé, se trouve cantonné à la sphère humaine, et plus particulièrement psychique. À partir du XVIIe siècle en Europe les démons deviennent intérieurs[19], ils donneront naissance aux « obsessions » – sièges subis par l’âme. Après avoir fait des dieux des démons, le monothéisme a transformé les démons en pulsions : peut-être sommes-nous ainsi « vraiment devenus chrétiens, au sens où Jésus dit : « Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. » (Mc 7,15)[20] » L’inversion peut être telle que ce sont désormais les humains qui, dit-on, « tentent le diable »… Mais, dans une culture qui promeut l’autocontrôle de chacun[21], le recours au démoniaque devient l’expression de ce qui résiste à ce contrôle, le chtonien en révolte contre la répression du sur-moi.
La modernité a-t-elle éliminé le démoniaque ?
La modernité a poursuivi le travail de purification et désensorcellement[22], pourchassant les sorcières avant de rendre ce combat même sans objet. En bonne voie d’éviction dans un monde en progrès, le mal n’est plus lisible en termes de démons, mais de simple inertie du fait d’un déterminisme normal et d’un retard de l’action humaine. Nous ne voyons plus les maladies comme l’effet d’esprits mauvais, mais comme des phénomènes naturels explicables par la biologie, et pour les combattre la prophylaxie remplace avantageusement les rassemblements rituels dans les églises[23]. Alors qu’il hantait le cosmos, le démoniaque déserte la nature qui obéit à ses seules lois propres, gérant une heureuse biodiversité où cohabitent pour le meilleur loups, vipères, requins, et même moustiques, tous dignes de protection. Alors qu’il détruisait le tissu social, il disparaît au profit des conflits légitimes dont la régulation institutionnelle fait la trame d’une société pluraliste. Et même quand il dépossédait les individus de leur droiture et de leur raison, il se révèle maintenant être la résultante d’une histoire relationnelle complexe où le sujet est plus victime que coupable.
Dès lors que prétendent suffire la remédiation technologique, la gouvernance politique et l’accompagnement personnalisé, le démoniaque est virtuellement éliminé, vaincu par la toute-puissance du Bien, héritée d’un Dieu si bon qu’il en a perdu toute ambivalence[24] et que la notion de péché elle-même s’est trouvée discréditée par l’optimisme hérité des Lumières[25]. L’idéal d’un pardon généralisé et d’une abstention de jugement est-il en voie de mise en oeuvre ?
Cependant ce que le démoniaque désignait a-t-il vraiment disparu, l’effacement de la figure du diable en étant le signe ? Les moyens que la modernité a mobilisés pour le combattre sont maintenant soupçonnés de causer eux-mêmes des maux : la technologie qui devait améliorer la nature la détruit, la politique censée construire une société parfaite suscite indifférence ou méfiance, l’apprentissage de l’autonomie dégénère en individualisme. À chaque fois des effets inattendus et pervers d’un prétendu progrès se retournent contre lui et portent atteinte à sa légitimité. La recherche d’ordre produit du désordre, et du mal arrive tragiquement par le bien[26]. Même quand déception, frustration, ressentiment n’inspirent pas de nouvelles diabolisations, ils s’affrontent à l’énigmatique adversité de ce qui contrarie la réalisation des idéaux. La promotion de toute valeur conduit à en blesser d’autres, rappelant ainsi la division polythéiste et la guerre des dieux[27].
La volonté de maîtrise se révèle paradoxalement source de dépossession, le contrôle s’avérant oeuvre d’apprenti sorcier, déclenchant des forces qui lui échappent. Si le démoniaque est imaginaire, son élimination l’est aussi. Elle est en effet trompeuse, dans la mesure où elle nous empêche de percevoir que, si nous entendons vouloir là où nos ancêtres consentaient à subir, nous subissons là où ils voulaient[28]. L’effacement de la figure du diable s’inscrit dans une évolution du religieux qui fait passer du contrôle par un ordre fixé d’en haut dès l’origine au contrôle par la libre action humaine dans l’histoire. Mais celui-ci se paie d’une nouvelle impuissance, qui procède de l’imprévisibilité de l’avenir même qui devait nous appartenir[29]. Le démoniaque figurait un destin inexorable, il persiste par le débridement de la liberté. Dans les deux cas il vient des normes elles-mêmes et de l’altérité qu’elles produisent et qui leur échappe.
Le diabolique n’est plus alors l’expression de notre impuissance vis-à-vis de ce qui nous est extérieur et étranger, dans la nature ou la société, ou vis-à-vis de ce qui est en nous et qui se dérobe à nous, mais il tient plus profondément à ce qui, reliant ces pôles, règle notre culture. Celle-ci, imposant ses critères d’existence et de valeur, règne sur le cosmos, la société et l’individu. Elle régule à la fois notre conception du monde et notre identité personnelle, de façon à endiguer le chaos pour le soumettre à la norme et au jugement : le bien a besoin d’un mal de norme[30] qui lui soit corrélatif et nécessaire pour se fortifier, se démarquer et définir ses frontières ; la figure du diable y joue le rôle du tentateur pour exprimer l’attrait du défendu, baliser l’interdit et, en ritualisant la transgression[31], apprivoiser le périlleux. Celui-ci au contraire, loin de servir la norme, la met en question et déborde le sens et sa prétention quasi divine de maîtrise du bien et du mal (Gn 3,5). Du démoniaque persiste ainsi, irréductible au mal de norme.
Si « les dieux ne sont jamais loin[32] », les démons non plus… Ils sont en effet corrélés : tout désenchantement est un nouvel enchantement, et nous sommes aveugles sur nos dieux ou ce qui en tient lieu. Leur dimension perverse nous échappe. Le démoniaque est dans le divin[33], et l’athéisme en a tiré des conclusions faussement radicales parce qu’elles ignoraient les dieux cachés.
Les démons renaissent au fur et à mesure que s’exercent les normes de la culture, pas seulement comme une résistance que les individus leur opposeraient par intérêt propre, mais comme un mal insidieux qu’elles engendrent et qui se développe si, faute de correction et d’autocritique, elles s’absolutisent. La ruse du démoniaque consiste à agir au nom du bien, et son caractère énigmatique vient du fait que ce qui est créé bon peut se muer en force maléfique. Aussi sa reconnaissance peut-elle contribuer à l’amendement de la culture. Le « malin génie » de Descartes, et les démons de Laplace, Maxwell ou Nietzsche[34] donnent ainsi à penser et, questionnant les critères du bien et du réel, rendent poreuses les frontières de la culture et l’ouvrent à l’inconnu.
Le démoniaque et le combat spirituel
Dans la Bible, le mal a d’abord été localisé au dehors, chez les ennemis du peuple, puis progressivement à l’intérieur des élus, dans leur infidélité et la transgression de la Parole divine. Mais c’est en définitive la foi elle-même qui s’est trouvée soupçonnée d’idolâtrie, dans sa façon de se rapporter au Dieu d’Israël : la royauté, le culte, la loi pouvaient en se prévalant du vrai Dieu devenir des obstacles au salut. Les évangiles font des pharisiens et de leur pureté le symbole de ce qui empêche d’accueillir la Bonne Nouvelle de Jésus. Ils vont jusqu’à démasquer le diabolique qui anime la croyance en la paternité de Dieu (Jn 8,41-44) et en la messianité de son Fils (Lc 4,1-13). Quand la toute-puissance divine prémunit contre la faim, la pauvreté et la mort, elle tente Jésus au désert en citant l’Écriture.
De même que le péché ne prend sens que par rapport à la révélation divine, le diable doit être évoqué seulement comme « l’envers du divin »[35]. Il exprime alors la radicalité de la rupture évangélique[36] : « La lutte contre Satan appartient à l’ordre de la conversion, non à celui de la connaissance ou de l’information[37]. » Elle ressortit au registre de la dramatisation. Si le démoniaque est dans le divin, il est une réalité « spirituelle » en ce sens, c’est-à-dire porteuse d’un enjeu théologique, inséparable d’une interprétation de foi. Il rappelle l’ambivalence du divin, celle de l’esprit qui anime la liberté.
Dans l’économie biblique du salut, la conversion ne s’épuise pas en déplacement cosmique ni en repentance morale, mais elle joue sur des options plus fondamentales. Pas davantage que le divin n’habite un monde préexistant, le démoniaque ne naît dans un monde organisé pour l’accueillir, mais tous deux, à leur façon, instaurent notre condition.
Quand des grands récits explicatifs le situaient à l’extérieur des humains, le mal faisait de ceux-ci des victimes, soit d’une malveillance divine formant un destin tragique, soit d’une faiblesse du Dieu bon abandonnant le monde à des forces adverses : deux expressions d’une finitude inéluctable des normes, dépossédées de leur puissance et réduites à leurs limites humaines.
En postulant la fidélité d’un Dieu bon et puissant, la Bible a au contraire intériorisé le mal et situé le démoniaque en chacun, faisant des humains des coupables. La stratégie de rétribution a supplanté celles qui faisaient du mal une fatalité ou un constituant du réel. Est-elle cependant capable d’expliquer tous les malheurs par une faute ? Le livre de Job s’affronte à cette question. Le discours des amis y rejoint celui du satan qui doute de la possibilité d’échapper à la logique du donnant donnant. Pour eux, pas de foi sans rétribution. À l’inverse, Job et son Dieu laissent ouverte la perspective : ce qui arrive est-il enfermé dans un compte de récompense et punition ?
La stratégie de rétribution rencontre elle-même des limites, au risque de faire retourner aux autres stratégies. Elle ne peut pas tout, ni tout gouverner, le réel n’est pas totalement, entièrement mérité, il y a de la démesure, à laquelle ne peut répondre qu’une démesure de la foi, de l’espérance et de l’amour[38].
Le démoniaque n’est plus alors ce qui dans le réel ne nous convient pas, ne correspond pas à nos désirs, nos valeurs, nos idéaux, nos projets. Cela, c’est la finitude, « mal métaphysique »[39], le fait que ce qui existe n’est pas identifiable au bien ou au sacré. Si cela est bon comme il est bon qu’il y ait le serpent dans le monde créé, l’évocation de la finitude, par rapport à laquelle la Bible avait préféré privilégier la culpabilité, revient mais à un autre niveau : elle révèle l’outrance de la stratégie de rétribution et de la toute-puissance du bien quand elles prétendent enfermer l’attitude divine dans leur pensée encore magique. Quelque chose de démoniaque survit aux stratégies, le refus de leur finitude, de celle de la culture[40].
Entre la finitude des humains et leur culpabilité, du démoniaque persiste, comme l’incertitude qui affecte leur frontière : sommes-nous réellement coupables, ou bien tout coupable est-il une victime – de pathologies, déterminismes, héritages et influences, tout ce qui est en nous sans que nous le voulions vraiment ? « Il ne pouvait faire autrement, il n’a pas su, pas pu »… – ou voulu ? Par quelle force ? Et connaissons-nous les effets pervers de nos choix bons ? Sommes-nous réellement finis, limités, et jusqu’à quelle frontière, qui entraverait tout projet transhumaniste ? La théorie du péché originel portait la trace de ce flottement entre culpabilité et finitude[41].
L’indistinction entre finitude et culpabilité empêche le développement de leur prise de conscience. En témoigne l’ambiguïté récurrente des mots « pouvoir » – possibilité ou permission –, « devoir » et « falloir » – par nécessité ou obligation –, « loi » – scientifique ou morale. À cette indistinction correspond un sentiment de honte, d’enfermement par un destin funeste[42]. Dans un contexte de rivalité entre le divin et l’humain, l’interdit qui brise le désir humain légitime pose sur lui la malédiction de ne pouvoir se réaliser. Foncièrement coupable de ne pas être divin, l’homme est alors accablé du poids d’une culpabilité insurmontable, infernale.
La frontière entre finitude et culpabilité flotte aussi en fonction de notre attitude, et la savoir flottante est un gage de notre liberté – « comme ils ne savaient pas que c’était impossible, ils l’ont fait… » La frontière bouge d’autant plus que la liberté est infinie[43], en ce sens qu’elle n’a pas de limites définitivement fixées. Elle est apprentissage de responsabilité. Alors que la loi limite la culpabilité, le pardon la délie. Quand la loi décide à ma place de ce qui est bien, et sanctionne en conséquence mon comportement, l’Évangile ne met de limite ni à la responsabilité ni au pardon.
Cette logique différente est empruntée par la modernité quand elle différencie les faits et les valeurs comme des registres distincts et non concurrents : l’un fait voir la réalité indépendamment de tout jugement, l’autre considère que ce qui vaut en soi et absolument ne peut être invalidé par ce qui est. Finitude et culpabilité sont totales. Elles ne forment pas un jeu à somme nulle, où développer l’une conduirait à nier l’autre. Tout est créé, tout est donné. La liberté étant sans limites, elle n’a plus de frontières : face à un monde entièrement désacralisé, elle ne se situe pas sur le même plan. C’est à elle de déterminer ce qui doit en lui avoir de la valeur.
Mythe ou réalité ?
La perte de crédibilité des démons hérite d’une attitude de penser très ancienne, centrale dans la philosophie grecque, celle qui opposait au mythe la connaissance par la raison comme deux types de langage. Au récit se substituaient le calcul et le raisonnement, à l’image le concept, au particulier et à l’individuel le général, à la croyance et à l’opinion spontanée la réflexion, la critique et la vérification. À ces oppositions la modernité a ajouté celles qui dissocient l’intentionnel et le fortuit, le significatif et le factuel.
Alors que l’histoire et la géographie médiévales montraient leur difficulté à distinguer ce qui relève de l’un et l’autre registres[44], le développement de la science moderne a considérablement réduit les représentations mythiques du monde, et a corrélativement conduit à remplacer l’action magique par la technique dument appuyée sur la vérification expérimentale.
L’essor de la rationalité n’en finit pas de démarquer la connaissance qu’elle produit de celle qu’offre le mythe[45]. Ce rapport au mythe était marqué par sa dimension polémique, une logique de concurrence et remplacement : mythique y est synonyme de faux, tenant à l’apparence et l’illusion, sans validité ni reste dès que s’y substitue ce qui est vraiment découvert réel. D’où la problématique en forme d’alternative : mythe ou réalité ?
Cependant d’autres conceptions du mythe sont solidaires d’attitudes différentes : on peut ainsi suspendre la question de la vérité pour s’attacher à une étiologie qui recherche les causes du mythe. Celles-ci pouvaient être localisées dans les passions humaines, ou, comme chez Freud, comprises comme l’expression des désirs[46].
On peut aussi adopter une démarche herméneutique, où il s’agit d’interpréter les mythes en y cherchant des significations[47] qui peuvent être exprimées autrement, et en quelque sorte traduites comme dans le procédé de l’allégorie[48] : la démythologisation alors tente de sauver ce que les mythes disaient de vrai dans leur langage, en l’adaptant à notre propre cadre de compréhension. Elle peut éloigner de la polémique pour reconnaître les différences culturelles et respecter des valeurs qu’elles promeuvent[49].
Dans cette perspective, mythe ne s’oppose pas à réalité mais à une approche rationnelle du réel. Est mythique ce qui est jugé par la raison, donc relatif au type de rationalité mis en oeuvre. L’illusion qui consiste à ne retenir qu’un critère unique de réalité produit un aplatissement qui ignore la médiation de la culture et la pluralité de ses langages[50].
La raison a besoin du mythe comme matériau, ce avec quoi elle travaille, ne serait-ce que le langage. Les mots du langage courant sont mythiques, leur sens est socialement façonné par la conversation, leur usage quotidien[51], et contribue à construire la réalité sans qu’on en ait conscience. Ainsi un arbre, une montagne, un serpent, une mouche, et tous les mots du langage commun sont des approximations correspondant à des modes de perception, et disparaissent quand on s’engage dans des analyses scientifiques ; ils sont alors remplacés par d’autres signes plus précis et techniques, correspondant à des observations contrôlées et des vérifications expérimentales. Des termes qui sont scientifiques à un moment sont jugés rétrospectivement mythiques[52].
Parce que le mythique précède, les sciences humaines ont pris au sérieux les mythes comme des réalités culturelles fondatrices, récits englobants qui échappent à la vérification expérimentale et commandent une conception du monde[53] : ils n’obéissent pas à des critères de vérification préexistants mais ils les rendent possibles, ouvrent à des expériences, font habiter, permettent d’investir le réel et de le faire exister dans une culture, où ils exercent une fonction instauratrice[54].
Paul Veyne posait la question : les Grecs croyaient-ils à leurs mythes[55] ? Pas à notre façon, répondait-il : « croire » autorise et même engendre une diversité de modes de réalité et de points de vue. Les Anciens ne confondaient pas ces modes. « Un Romain aurait été stupéfait d’apercevoir Jupiter dans le ciel[56] ! » C’est qu’il y a « des programmes différents de vérité » : « la naissance d’Athéna, la mesure des Pyramides, Narcisse changé en fleur, l’éruption du Vésuve, l’assassinat de César, tout cela n’était pas vrai de la même façon »[57].
La notion de démon et celle de mythe n’appartiennent pas au même monde culturel, elles n’utilisent pas le même critère de vérité. Leur association relève d’une relecture rétrospective et anachronique, et d’une confusion entre plusieurs niveaux de langage : le langage visuel, le langage des noms propres, de tel ou tel démon lié à une expérience particulière et chargée d’affectivité – ce qu’était devenu le Diable –, le langage des noms communs qui désignent des concepts ou des catégories abstraites – un démon –, les langages étiologiques et allégoriques qui s’en tiennent à la causalité et à la signification et parleront plutôt de démoniaque.
On admettra que l’opposition triviale entre mythe et réalité puisse alors être dépassée dès qu’on prend au sérieux la réalité que constitue le monde du mythe dans la culture humaine. S’ouvre là un domaine de recherche et de découverte qui n’est pas dépourvu d’actualité. « En matière de mythe, écrit L. Jerphagnon, le “dernier mot” est un mythe[58] ! »
Les démons animent une épaisseur, une profondeur de champs de réalité, qui inclut les rêves, les rituels, les signes interprétés en tant que messages ou présages. La culture s’y manifeste comme un espace de jeu, d’illusion qui met en relation et en confiance[59]. La science elle-même ne puise-t-elle pas dans un tel espace imaginaire un « génie », une « inspiration », faite de « comme si », d’hypothèses qui peuvent devenir des programmes de vérification[60] ? Elle questionne, tandis que le mythe a réponse à tout ; or il y a toujours déjà des réponses[61]. La raison ne part pas de rien mais de ce qui est présupposé[62]. Aussi doit-elle se faire critique vis-à-vis de ce qui est déjà cru[63]. Mais il lui arrive aussi de se mettre au service du mythe et de rationaliser dans le cadre de son récit, en privilégiant la cohérence à la critique, pour ériger un système clos et unifié de réponses et de justifications, globalisant et dogmatique, et en cela encore mythique.
La rationalité ne fournit pas les critères qui commandent la foi dans la Bible. Celle-ci, à la différence de la pensée grecque, n’utilise pas la notion de mythe, et ne distingue pas entre récit mythique et récit historique : on y passe d’Adam aux Omrides sans solution de continuité. À bien des égards et d’un point de vue philosophique la Bible s’exprime dans un registre mythique et c’est sur ce terrain que le salut se joue[64]. Mais c’est dans une tout autre perspective qu’une rupture s’y effectue, entre l’idolâtrie et la confiance au Dieu qui sauve[65]. La foi est un travail sur l’intention prêtée à Dieu (Gn 3,1-5). Sa dynamique susceptible de desserrer des convictions ou des croyances délivre d’un dieu méchant ou faible ou même prisonnier de notre justice. Être rationnel c’est assumer ses mythes, être fidèle c’est assumer son idolâtrie. Ainsi croît la conscience de la culture parce qu’on peut se reconnaître dans l’erreur et le péché.
Conclusion
Assumer la nature mythologique des démons[66], est-ce en nier la réalité ? Mythe ne s’oppose pas à réalité mais à une approche rationnelle du réel. Seul un rationalisme érige l’alternative « mythe ou réalité ». En sortir permet d’entrer dans la compréhension de leur relation. Un mythe est une représentation active, donnant une explication mais aussi une source d’investissement qui commande le rapport au réel. Dans ce cadre les démons jouent leur rôle et rendent compte d’une certaine réalité.
Une réflexion similaire ne se pose-t-elle pas pour Dieu[67] ? L’évolution de sa crédibilité ne suit-elle pas celle des démons et du diable ? Elle n’est pas indépendante du contexte culturel qui régule les critères de l’existence. Or ce contexte n’obéit pas seulement à des normes rationnelles. Celles-ci elles-mêmes évoluent sous l’influence de forces plus profondes, telles celle que la foi biblique a exercée au long des siècles : elle a rabaissé les dieux en démons, puis regroupé ceux-ci sous l’égide d’un diable érigé en adversaire de la foi. Le discrédit de ces figures peut sembler aujourd’hui appeler celui de Dieu. Mais il invite à considérer l’enjeu que constitue l’instauration du monde auquel nous attribuons une réalité. Un tel monde n’est pas l’objet d’une évidence préalable au sein de laquelle nous pourrions ou non poser l’existence d’êtres tels que dieux ou démons[68]. S’il paraît commander la crédibilité des croyances, il est à l’inverse le produit de ce que la raison doit reconnaître comme des mythes parce qu’ils échappent à la démonstration mais orientent notre existence et nos choix les plus fondamentaux. La foi ressortit à ce registre, indissociable de la façon d’habiter le réel dont nous faisons partie, c’est-à-dire de l’économie du salut qui nous fait vivre, aimer, espérer, et penser….
Ce que la raison juge de haut comme langage mythique est à comprendre dans ce rôle fondateur qu’elle a tendance à méconnaître. S’y joue notre appartenance à un monde qui ne dicte pas un destin, et dont les puissances n’ont pas à décider en droit de ce que nous avons à faire, mais qui est tout entier créé bon et confié à notre liberté. Nous l’avons purifié de ces puissances maléfiques. Saurons-nous aussi cesser de projeter sur lui notre intérêt anthropocentré d’individu, groupe ou espèce, et l’accueillir comme un don gratuit, débordant tout régime de stricte rétribution, nos catégories de bien et mal, et nos règles de connaissance et d’action ? Il se pourrait en effet que le démoniaque, s’il a déserté les puissances idolâtrées de nos milieux et la figure hypostasiée d’un alter ego de Dieu, persiste néanmoins au sein de nos normes sacrées, de ce qui est pour nous explicitement ou implicitement divin. Une volonté de justice toute-puissante à l’oeuvre dans la modernité et dans les explications idéologiques du mal entretient la pensée magique qui animait le mythe. La rationalité ne fait pas sortir d’un tel terrain, elle doit seulement prendre conscience qu’elle repose elle-même sur une volonté, une croyance[69]. Le fait de croire être sorti du mythe en ce sens-là est encore mythique. Le dirons-nous démoniaque ?
Appendices
Notes
-
[1]
Tb 6,8 ; 8,2-3 ; Mt 8,28-34 ; 12,27-28 ; 12,43-45 ; Lc 8,26-39 ; 11,24-26.
-
[2]
Ce mot permet de respecter la plasticité et de désigner la variété de ce dont les démons ont représenté des formes dans notre histoire culturelle, au singulier ou au pluriel : démon, démons, diable, satan, Belzébuth, le Malin, etc…
-
[3]
« Les noms de Satan et du diable ne seraient que des personnifications mythiques ou fonctionnelles, n’ayant d’autre sens que de souligner en traits dramatiques l’emprise du mal et du péché sur l’humanité. Pur langage, qu’il appartiendrait à notre époque de décrypter. (…) Pareils propos, répétés à grands frais d’érudition et diffusés par des revues et certains dictionnaires théologiques, ne peuvent manquer de troubler les esprits. (…) Et ceux d’entre eux qui sont informés des sciences bibliques et religieuses se demandent jusqu’où conduira le processus de démythisation ainsi engagé au nom d’une certaine herméneutique. » (Foi chrétienne et démonologie, Rome, Congrégation pour la Doctrine de la Foi, 1975).
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[4]
Le daimôn de Socrate a pu exprimer l’origine mystérieuse de la raison, miraculeuse pour les uns, impie pour d’autres.
-
[5]
Rudolf Otto, Le sacré (Petite bibliothèque Payot), Paris, Payot, 2015 (original allemand Das Heilige. Über das Irrationale in des Idee des Göttlichen un sein Verhältnis zum Rationalen, Breslau, 1917).
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[6]
Cf. Philippe Descola, Par-delà nature et culture (Folio essais), Paris, Gallimard, 2015.
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[7]
« Puissance imaginaire à laquelle est prêtée le pouvoir de présider au destin des hommes et de déterminer le déroulement de leur vie lorsque certains événements semblent dus au hasard. » (CNRTL, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales). Le mot vient du latin sors qui désignait plusieurs procédés de tirage au sort, en particulier pour consulter les dieux, d’où les sens de « oracle, destin, lot, part ».
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[8]
Cette caractéristique est marquante dans la théologie d’Augustin.
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[9]
Ces stratégies sont développées dans mon ouvrage Le mal injuste, Paris, Éditions du Cerf, 2002, Première partie.
-
[10]
Le fait de prêter serment (exorkizein) attache un lien de détermination à une et même deux volontés. En adjurant, il lui donne un caractère sacré : manière d’agir sur un destin, de l’orienter sans tomber dans l’incertitude. Le serment est un acte de la volonté qui combat ce qui échappe, engagement qui lie les deux parties, comme le contrat. Proche du lien que crée la promesse, le sacramentum a été utilisé comme langage de foi.
-
[11]
Méditations métaphysiques, Méditation première.
-
[12]
Il est possible de rapprocher le démoniaque et le divin par leur commune étymologie – le sanscrit Deva – ou l’appellation Lucifer (Jean-Claude Aguerre, « De l’incertitude du diable », in Le diable, Paris, Dervy, 1998, p. 24).
-
[13]
Jb 1,7-12, et 1 Ch 21,1 en comparaison de 2 S 24,1.
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[14]
Cf. la délicate et polémique traduction du mè eisenegkès hèmas eis peirasmon dans le Notre Père (Lc 11,4). Cette ambivalence renvoie à celle de Dieu lui-même, entre méchanceté et faiblesse (cf. infra).
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[15]
Il est significatif que les formulaires actuels du rite d’exorcisme dans l’Église catholique s’adressent à Dieu, alors que les anciens étaient des adjurations au Démon.
-
[16]
Si Augustin place encore les démons dans une hiérarchie cosmique, il refuse à toute connaissance astrale une portée salvatrice (Confessions, IV,7).
-
[17]
Galilée, Lettre à Christine de Suède (1615), traduction de François Russo, « Lettre de Galilée à Christine de Lorraine, Grande-Duchesse de Toscane », Revue d’histoire des sciences, 17 (1964), p. 338-368 (346).
-
[18]
Dans la scolastique déjà il y a « un déplacement des fins dans l’intention divine (la métaphore de l’archer : l’intention qui dirige la flèche vers le but ne se trouve pas dans la flèche, mais dans l’archer, dit Thomas d’Aquin), puis (chez Ockham et Buridan), il n’y a de finalité que dans le cas d’une action consciente » [Jacques Dewitte, « La vie est sans pourquoi. Redécouverte de la question téléologique », Revue du MAUSS, no 31 (2008), p. 435-464 (453)]. George Wilhelm Leibniz, dans Essai de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal (1710), sépare moyens et fins : le bon n’est que le meilleur possible, compte tenu de ce qu’imposent les lois scientifiques.
-
[19]
Ils traduisent dans la société moderne la difficulté du contrôle de soi : cf. Norbert Elias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991.
-
[20]
Christophe Boureux, « Le combat contre les démons ou la géographie de la foi », Lumière et Vie, 282 (2009) p. 58.
-
[21]
Norbert Elias, La civilisation des moeurs (Pocket – Agora, 49), Paris, Gallimard, 2003.
-
[22]
Le « désenchantement » (Entzauberung) de Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Flammarion, 2001 (original allemand en deux articles publiés en 1904 et 1905).
-
[23]
Et va même jusqu’à les empêcher, comme on le voit dans l’épidémie de COVID en 2020.
-
[24]
Quoique cette ambivalence persiste assez pour justifier la protestation athée au nom d’une bonté supérieure. « Ce qui a vraiment vaincu le Dieu chrétien : la morale chrétienne elle-même. » (Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, § 357)
-
[25]
Hérésie chrétienne du volontarisme humain, le pélagianisme oublie-t-il le démon qui ne peut être vaincu que par la grâce divine ? La toute-puissance de la volonté anime encore nos idéologies, qu’elles soient marxistes ou libérales.
-
[26]
Renversement de la logique traditionnelle de la théodicée qui voit le mal servir au bien.
-
[27]
Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Union Générale d’Éditions, 1974, p. 85.
-
[28]
Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985 p. VII.
-
[29]
Jean-Yves Baziou, Jean-Luc Blaquart, Olivier Bobineau, L’avenir en question. La fin des promesses ? Religion et politique face à l’imprévisible, Paris, Armand Colin, 2013.
-
[30]
Cf. ma distinction entre mal de norme et mal de péril dans Le mal injuste, p. 13-17.
-
[31]
Denis Jeffrey, Jouissance du sacré. Religion et postmodernité, Paris, Armand Colin, 1998.
-
[32]
Lucien Jerphagnon, Les dieux ne sont jamais loin, Paris, Desclée de Brouwer, 2002.
-
[33]
Denis de Rougemont, La part du Diable, New York NY, Brentano’s, 1942, Quatrième partie.
-
[34]
Le gai savoir, § 341.
-
[35]
Christian Duquoc, in Michel Lagrée et al., Figures du démoniaque, hier et aujourd’hui (Théologie), Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1992, p. 135.
-
[36]
Pour Luther, le diable c’est Dieu vu en dehors du Christ (Oeuvres, vol. 6, Genève, Labor et Fides, 1964, p. 235-236. Cf. Gerhard Ebeling, Luther. Introduction à une réflexion théologique (Lieux théologiques, 6), Genève, Labor et Fides, 1983, p. 199.
-
[37]
Christian Duquoc, Figures du démoniaque, hier et aujourd’hui, p. 145.
-
[38]
Jean-Luc Blaquart, Le mal injuste, ch. 10 et 11.
-
[39]
Ainsi mal nommé par Leibniz (Théodicée, § 118).
-
[40]
Notre difficulté avec la finitude, les limites, l’incertitude se projette aujourd’hui dans le scandale de l’État qui ne peut pas tout ou de la science qui ne sait pas tout.
-
[41]
« La théologie judéo-chrétienne du péché oscille ainsi entre l’inculpation totale de l’homme, premier pécheur dans la création, et la construction d’une figure-limite du mal dont l’homme serait la première victime » (Paul Ricoeur, « Culpabilité tragique et culpabilité biblique », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, 1953, 33-4, p. 307).
-
[42]
Oedipe en est l’emblématique figure.
-
[43]
René Descartes, Quatrième méditation.
-
[44]
Encore aujourd’hui, ces disciplines font se côtoyer science et mythe, dans le récit historique (la Révolution française) comme dans la description géographique (le mont Blanc).
-
[45]
Le mythe n’est jamais défini que par la raison comme son autre, et relativement à un certain état de son histoire et de sa pratique. Mais la frontière se révèle fragile et floue : l’opinion n’a-t-elle pas encore tendance à mettre tout sur le même plan, et à prétendre scientifique ce qui ne l’est pas ?
-
[46]
Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, Paris, Presses universitaires de France, 1971, p. 45. Toutefois Freud échoue à distinguer totalement l’illusion de l’erreur [Cf. mon étude « La religion comme illusion », dans Angela Braito et Yves Citton (éd.), Technologies de l’enchantement, Pour une histoire multidisciplinaire de l’illusion, Grenoble, UGA, 2014, p. 143-159].
-
[47]
La psychologie s’attache ainsi au sens sous-jacent.
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[48]
Nous sommes ainsi doublement héritiers de Platon et de la philosophie grecque, pour donner au mythe une valence négative, par l’opposition mythos-logos, et positive, par la pratique de la lecture allégorique.
-
[49]
D’où la réhabilitation officielle des sorcières, en Catalogne ou en Norvège, motivée par la défense des femmes, des cultures et de la liberté d’opinion.
-
[50]
Même en science il y a une pluralité de langages, liés à des procédures différentes selon les disciplines et les méthodes d’expérimentation : oursin, période géologique, atome, champ électrique n’ont pas le même statut, n’existent pas dans le même sens.
-
[51]
Peter Berger et Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 1997.
-
[52]
Pachyderme, singe, microbe… Ce qu’est une planète étant devenu flou, il a fallu que l’Union astronomique internationale adopte par convention une nouvelle définition le 24 août 2006.
-
[53]
« Nous entendons par culture le mythe englobant d’une société à un point donné du temps et de l’espace. Le mythe est cet horizon d’intelligibilité où toutes nos perceptions de la réalité prennent sens. Le mythe nous offre le cadre dans lequel s’inscrit notre vision du monde ; il permet et conditionne toute interprétation de la réalité » (Raimon Panikkar, « Culture et interculturalité », in Forum Universel des Cultures, 2004).
-
[54]
Paul Ricoeur, Encyclopaedia universalis, art. mythe. Aussi toute traduction ou démythologisation laissera subsister un reste correspondant à la créativité propre du mythe, son caractère « tautégorique » (Schelling).
-
[55]
Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Seuil, 1983.
-
[56]
Lucien Jerphagnon, Les dieux ne sont jamais loin, p. 184.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
Lucien Jerphagnon, Les dieux ne sont jamais loin, ch. 1.
-
[59]
Cf. Jean-Luc Blaquart, « La religion comme illusion ».
-
[60]
Cf. l’influence du spiritisme au XVIIe siècle sur l’oeuvre de Newton.
-
[61]
Cf. mon étude « Le ciel est-il habité ? Enjeux d’une hypothèse réactualisée » p. 24, in Anne-Marie Reijnen et Christian Pian (éd.), Habiter d’autres mondes ?, Genève, Labor et Fides, 2021.
-
[62]
Ainsi la théologie trinitaire pour compter trois a besoin de la symbolique du Père, du Fils et de l’Esprit. La démonologie a besoin de la peur des démons, la mariologie a besoin du culte de la Vierge. La grammaire n’explique pas tout, il y a des exceptions à ses lois, qu’elle répertorie et classe, redresse dans la mesure du possible ; mais elle ne peut pas grand-chose contre un usage trop bien établi, comme la théologie catholique contrainte à construire une démonologie ou une mariologie.
-
[63]
« Quand nous nous rendons compte que nous croyons au mythe, nous cessons d’y croire, car le mythe est ce en quoi nous croyons tellement que nous ne croyons pas que nous y croyons. C’est pour ça que c’est un mythe. Les mythes meurent comme les cultures, les hommes. On parle du mythe déjà en le changeant. » [Raimon Panikkar, « Alternatives à la culture moderne », lnterculture, no 77 (1982), p. 5‑25].
-
[64]
Jean-Luc Blaquart, Être sauvés, l’enjeu perdu ?, KDP Universalitor, 2023.
-
[65]
Jean-Luc Blaquart, Dieu bouleversé, Paris, Cerf, 1999, Deuxième partie.
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[66]
Le théologien conjugue le langage mythique et le langage rationnel, et peut entre les deux introduire confusion ou relation féconde. À cet égard les critères de discernement qui prétendent établir pour les exorcismes sur un même plan les frontières entre vraie et fausse possession, comme entre vrais et faux miracles dans les guérisons, méconnaissent les différences de langage et de registre. [Cf. Antoine Vergote, « Exorcismes et prières de délivrance. Point de vue de la psychologie religieuse », La Maison-Dieu, 183/184 (1990), p. 123-137]
-
[67]
Notion mythique s’il en est, enracinée dans les grands récits de l’Antiquité grecque.
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[68]
« Dieu n’est pas un objet pour nous en tant que sujets. Il est ce qui précède toujours cette division. Et pourtant nous parlons de lui et nous agissons en nous fondant sur lui ; nous ne pouvons l’éviter, car tout ce qui est réel pour nous doit entrer dans cette corrélation du sujet et de l’objet. Cette situation paradoxale a produit le concept presque blasphématoire et mythologique de “l’existence de Dieu” et ces tentatives impossibles pour prouver l’existence de cet “objet”. » (Paul Tillich, Théologie de la culture, Paris, Denoël, 1972, p. 35). C’est le fait qu’il soit un être et pas seulement un être exotique qui le rend mythique, en tant qu’acteur dans un scénario.
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[69]
Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, § 344.