Abstracts
Résumé
Nous cherchons à montrer, en procédant à une lecture narrative de deux récits bibliques, le contraste entre deux personnages féminins. Tamar (Genèse 38) et la femme de Potiphar (Genèse 39) se trouvent dans une situation de grande fragilité. La première est renvoyée de sa belle-famille avec une fausse promesse qui pourrait faire disparaître le nom de son mari. La deuxième est frustrée de voir son désir éconduit par un serviteur devenu assistant de son mari. Mais leurs comportements sont tout à fait différents. Tamar est allée jusqu’au bout de sa fragilité afin d’aider Juda, son beau-père, à assumer la sienne. Quant à la femme de Potiphar, étant vulnérable après l’échec de sa tentative de séduction, elle est allée jusqu’au bout de sa méchanceté pour accuser Joseph de son propre désir. Les deux manières de réagir donnent deux résultats différents. La conduite de Tamar est reconnue comme juste par Juda. Par contre, la fausse accusation de la femme de Potiphar enferme une personne innocente en prison. De ces deux histoires, nous apprenons que, selon notre réaction, la vulnérabilité peut avoir un effet positif ou négatif.
Abstract
Through a narrative reading of two biblical stories, we seek to show the contrast between two female characters. Tamar (Genesis 38) and Potiphar’s wife (Genesis 39) are both in a very fragile situation. The first is sent away from her in-laws with a false promise that could make her husband’s name disappear from the face of the earth. The second is frustrated to have her desire spurned by a servant who has become her husband’s assistant. The reactions of the two women, however, are quite different. Tamar follows through with her frailty in order to help Judah, her father-in-law, to assume his own. As for Potiphar’s wife, being vulnerable after a failed attempt at seduction, she goes through with her wickedness to accuse Joseph of her own desire. The two ways of responding give two different results. Tamar’s conduct is recognized as just by Judah. In contrast, the false accusation of Potiphar’s wife locks an innocent person in prison. From these two stories, we learn that, depending on our reaction, vulnerability can have a positive or negative effect.
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La Bible a été écrite par des hommes et très souvent interprétée dans une optique masculine. Cette tendance interprétative domine même les récits dans lesquels des femmes sont personnellement impliquées. Or, une telle approche ne permet pas d’exploiter la richesse des récits bibliques puisque ceux-ci sont examinés d’une manière partielle et partiale. C’est la raison pour laquelle une lecture attentive aux figures féminines de la Bible s’avère pertinente. Prenant comme exemple Genèse 38 et Genèse 39, nous chercherons à comparer les deux personnages féminins que sont Tamar et la femme de Potiphar en prêtant une attention particulière à la thématique de vulnérabilité.
Gn 38 et Gn 39 peuvent être lus en parallèle à partir d’une perspective masculine[1]. Ces deux chapitres parlent de deux hommes qui font face à un tournant décisif dans leur vie, en dehors de leur pays natal. Dans les deux cas, un fils de Jacob, par suite d’une « descente »[2], est personnellement impliqué dans une affaire avec une femme étrangère et est profondément transformé par une rencontre peu conventionnelle. L’expérience avec la femme aidera chacun à devenir les protagonistes de la réconciliation familiale (Gn 43-45)[3]. En succombant à la séduction de Tamar, Juda apprend qu’il faut être courageux pour surmonter la peur de la mort afin de réaliser le désir de vie. Il apprend aussi à assumer sa responsabilité personnelle même dans la situation où l’honneur est remis en question. Quant à Joseph, en résistant à la séduction de la femme de son maître, il apprend à renoncer à la première place. En effet, au début du récit, lorsque Joseph est encore dans sa famille, il raconte son rêve à ses frères qui l’interprètent comme la prédiction d’un pouvoir futur (37,6-8). Par la suite, il fait connaître son deuxième rêve aussi bien à ses frères qu’à son père. Celui-ci comprend le rêve comme un désir de domination de la part de Joseph (37,9-10). Les deux rêves que Joseph raconte laissent entendre qu’il est supérieur à tous les membres de la famille patriarcale. Toutefois, après s’être perdu sur la route alors qu’il est à la recherche de ses frères, Joseph, à la suite de l’intervention de l’homme mystérieux, sait où se trouve sa juste place : il « alla derrière ses frères » (37,17). Il prend donc la place qui est la sienne puisqu’il est plus jeune qu’eux[4]. Ensuite, Joseph fait l’expérience d’être rejeté par les siens quand les frères enlèvent sa tunique, une marque de l’amour préférentiel que lui voue leur père, avant de le jeter dans une citerne au désert. De la fosse, Joseph est hissé et vendu en Égypte comme un esclave. Il est possible que l’expérience du rejet change la perception de Joseph quant à sa place parmi les personnes qui sont autour de lui. Lorsqu’il est dans la maison de Potiphar, un fonctionnaire de Pharaon, c’est la femme qui lui offre la première place ; mais Joseph n’en veut pas. Il refuse de dormir avec la femme de son maître, donc de prendre la place de celui-ci[5]. Dans son intervention, il encourage la conjointe à renoncer à la convoitise en montrant son respect pour le maître et son désir d’entretenir une juste relation avec lui[6].
Comme nous le voyons, le lien entre le chapitre 38 et le chapitre 39 peut être établi à travers l’observation des personnages masculins. Il peut aussi être examiné via les initiatives menées par les femmes concernées. C’est l’objectif de notre contribution. Dans les pages qui suivent, nous chercherons à montrer le contraste entre Tamar et la femme de Potiphar. Par une lecture narrative, nous dégagerons 1) la similitude et la dissimilitude entre les deux femmes et 2) leur réaction à la vulnérabilité. Notons ici que le terme « vulnérabilité » peut être compris à la fois comme une faiblesse intrinsèque et un risque au niveau relationnel ou situationnel[7]. La première signification « correspond à un manque, à une absence de solidité, quelles que soient les circonstances ». Quant à la deuxième, elle renvoie au fait d’être susceptible d’être blessé parce que nous nous trouvons « dans une situation qui nous expose à un risque »[8]. À notre avis, c’est le deuxième sens qui correspond le mieux à l’état de vie de Tamar et de la femme de Potiphar.
Au fil du récit, nous constatons que les deux personnages féminins se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité. La première femme est chassée de sa belle-famille avec une fausse promesse qui pourrait entraîner la disparition du nom de son mari sur la terre. La deuxième est frustrée de voir son désir éconduit par un serviteur devenu assistant de son mari. Mais leurs comportements sont tout à fait différents. Tamar est allée jusqu’au bout de sa fragilité afin d’aider Juda, son beau-père, à assumer la sienne. Quant à la femme de Potiphar, devenue vulnérable après l’échec d’une tentative de séduction, elle est allée jusqu’au bout de sa méchanceté pour accuser Joseph de son propre désir. Les deux manières de réagir donnent deux résultats différents. La conduite de Tamar est reconnue comme juste par Juda. Par contre, la fausse accusation de la femme de Potiphar enferme une personne innocente en prison. En examinant les différences entre ces deux attitudes, nous espérons pouvoir montrer que, selon notre réaction, la vulnérabilité peut avoir un effet positif ou négatif. Elle peut être force de vie et source de compassion si nous sommes attentifs à la souffrance et à la peur des autres en vue de les aider à s’en sortir ; elle peut aussi être cause de méchanceté si nous cherchons à accuser les autres de notre propre faute pour écarter notre responsabilité[9].
Avant d’analyser le contenu de Gn 38 et de Gn 39, considérons leur structure respective. Ainsi se présente celle de Genèse 38 :
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A. Le mariage de Juda et la naissance de ses fils (38,1-5)[10]
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B. Le mal est puni
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a. Le mariage de Er avec Tamar, sa mauvaise action et sa mort (38,6-7)
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b. Le contact entre Onân et Tamar, sa mauvaise action et sa mort (38,8-10)
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C. L’expulsion de Tamar (38,11)
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D. La mort de la femme de Juda et le déplacement de celui-ci (38,12)
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X. L’action de Tamar (38,13-14)
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D’. Juda couche avec Tamar qui est enceinte de lui (38,15-18)
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C’. Le retrait de Tamar (38,19)
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B’. La justice est faite
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a. Juda cherche à payer la prostituée pour reprendre les gages (38,20-23)
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b. Juda confesse son péché et reconnaît l’innocence de Tamar (38,24-26)
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A’. La fécondité de Tamar et la naissance de ses fils (38,27-30)
Comme il ressort de ce schéma, l’action de Tamar se situe au centre de Gn 38 : « Elle enleva ses vêtements de veuve de sur elle, se couvrit avec un voile, s’enveloppa et s’assit à l’entrée d’Énaïm. » (v. 14) Cette action est précédée par l’expulsion de Tamar (C) et la mort de la femme de Juda ainsi que le déplacement de ce dernier (D). Si la mort de la femme de Juda annule la possibilité d’avoir un nouveau membre pour la famille, les relations entre Juda et Tamar ouvrent une nouvelle porte à la vie (D’). Le retrait de Tamar (C’) correspond à son expulsion bien que, la seconde fois, son action soit volontaire. Quant à l’innocence de Tamar, reconnue par Juda (B’), elle s’oppose aux actions mauvaises commises par Er et Onân et que leur père ignore (B). À la fin du récit, deux fils naissent pour Juda (A’), qui remplacent les deux qu’il a perdus au début du récit (A). Gn 38 est donc structuré de manière à mettre en relief l’action d’un personnage féminin. Il en va ainsi pour Gn 39.
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A. La présence divine comme cause de la réussite de Joseph dans la maison de Potiphar (39,1-3)
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a. Le Seigneur fut avec Joseph (39,2a)
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b. Le Seigneur faisait réussir tout ce que Joseph entreprenait (39,2bc-3)
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B. La confiance du maître et sa non-action (39,4-6ab)
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C. Joseph face aux tentations persistantes de la femme (39,6c-10)
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X. La convoitise de la femme de Potiphar en action (39,11-12)
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C’. Joseph face aux accusations pernicieuses de la femme (39,13-18)
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B’. La colère du maître et son action (39,19-20)
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A’. La présence divine comme cause de la réussite de Joseph dans la maison de la rotonde (39,21-23)
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a. Le Seigneur fut avec Joseph (39,21)
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b. Le Seigneur faisait réussir tout ce que Joseph entreprenait (39,23)[11]
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Comme on peut le constater, le tournant de Gn 39 implique l’action de la femme de Potiphar. Face au refus catégorique et répétitif de Joseph, la femme joint le geste à la parole : « elle l’agrippa par son vêtement en disant : “Couche avec moi !” » (v. 12). Cette action est précédée par des sollicitations persistantes de la part de la femme, sollicitations auxquelles Joseph fait la sourde oreille (C), et elle est suivie par deux fausses accusations portées par la femme devant les hommes de la maison et devant le mari (C’). La séduction de la femme se situe également entre les deux moments où est souligné le rôle de son mari. Il est question en premier de la confiance aveugle de ce dernier envers Joseph, un esclave devenu son assistant, à qui il confie la gestion de sa maison (B). Il est ensuite question de son jugement, à la suite duquel Joseph est mis en prison (B’). Bien qu’emprisonné, Joseph redevient l’homme de confiance dans la maison de la rotonde (A’) comme il l’était dans la maison de Potiphar (A) parce que le Seigneur est toujours avec lui.
Après ce bref examen des deux schémas, il devient clair qu’au niveau de la structure, le déroulement de Gn 38 et de Gn 39 tourne autour de l’action de Tamar et de celle de la femme de Potiphar. Quant au contenu, il révèle plusieurs points de convergence et de divergence entre l’expérience des deux femmes.
1. La similitude et la dissimilitude entre les deux femmes
Voyons d’abord les nuances entre le choix de Tamar et celui de la femme de Potiphar. Les deux histoires ont pour sujet la tentation sexuelle pour l’homme et la déception de la part de la femme[12]. Tamar est trompée par son beau-père à propos de son futur mari[13]. La femme de Potiphar cherche à tromper son mari avec l’assistant de celui-ci. Quand Tamar comprend qu’elle a été trompée, elle se déguise en prostituée cherchant à nouer des relations sexuelles avec celui qui l’a trompée. Comme dans le cas de la femme de Potiphar, la proposition sexuelle est faite d’une manière très directe. Mais il y a une différence : la femme de Potiphar exprime elle-même son désir (« couche avec moi »), alors que Tamar suscite le désir de Juda en lui laissant le soin de l’exprimer (« permets, je te prie, que je vienne vers toi[14] »). La plus importante différence réside dans le motif de l’action : la femme de Potiphar cherche à satisfaire son propre désir alors que l’intention de Tamar est de préserver la continuité de la famille[15].
Dans les deux récits, les verbes renvoient à l’action des deux femmes, ce qui n’est pas très courant dans la Bible[16]. Quand Tamar apprit le passage de son beau-père dans la région, « elle enleva ses vêtements de veuve […], se couvrit d’un voile, s’enveloppa et s’assit à l’entrée d’Énaïm » (38,14). Durant la conversation avec Juda au bord de la route, elle se montre une partenaire égale dans le dialogue : à l’expression « et il dit » (trois fois) correspond l’expression « et elle dit » (trois fois)[17]. Et après avoir eu des relations avec Juda, « elle se leva et s’en alla et elle enleva son voile de sur elle et revêtit ses vêtements de veuve » (38,19). Quand Juda la condamne à mort, Tamar envoie quelqu’un à Juda lui demandant d’identifier le propriétaire des gages qu’elle retient.
Quant à la femme de Potiphar, elle lève les yeux vers Joseph, le séduit, lui parle tous les jours. Un jour, elle l’agrippe par son vêtement[18] en répétant la même invitation. Quand Joseph la refuse, elle appelle les hommes de la maison, leur raconte sa version de l’histoire. En attendant le retour de son mari, elle dépose le vêtement de Joseph à son côté. Devant son mari, elle raconte une autre version de l’histoire. Nous y reviendrons. Pour l’instant, nous devons noter que les vêtements assument la même fonction chez Tamar et chez la femme de Potiphar[19]. En effet, en Genèse, les vêtements ont une signification claire et précise pour les hommes. La tunique colorée de Joseph est le signe d’un amour possessif et excessif de Jacob. Elle est aussi un signe d’honneur puisqu’elle « n’exprime pas seulement la préférence que lui accordait son père, mais surtout sa place privilégiée par rapport aux autres frères »[20]. Le geste de déchirer les vêtements est une expression de deuil et de regret pour Ruben (37,29), pour Jacob (37,34) et pour tous les frères de Joseph (44,13). Alors que les vêtements, remplaçables et pouvant prêter à plusieurs interprétations, sont un moyen de manipulation de la part des femmes. Face à une impasse, les femmes de la Genèse doivent utiliser les vêtements avec ruse pour s’intégrer dans un système dont elles sont exclues. Depuis son départ de sa belle-famille, Tamar est négligée en tant que veuve de la maison de Juda. C’est la raison pour laquelle elle enlève le vêtement de veuve en portant un voile, à la manière de Rébecca (Gn 24,65), pour rappeler à Juda qu’il a toujours envers elle l’obligation de lui accorder un époux en vue d’obtenir pour son mari défunt une descendance, selon l’exigence de la loi du lévirat[21]. Cette lecture est possible dans la mesure où la voix anonyme précise justement que Juda est toujours le beau-père de Tamar[22]. Quant à la femme de Potiphar, elle utilise le vêtement de Joseph pour cacher son propre désir et sa propre faute. Elle le montre aux hommes de la maison et puis à son mari pour qui le lien entre le vêtement retenu et l’agression sexuelle s’avère clair et évident dans un contexte donné. Au lieu d’avouer sa faute et d’être renvoyée de la maison, le vêtement lui sert de manipulation, pour que Joseph soit expulsé à sa place. Ainsi, la femme de Potiphar maltraite Joseph afin d’éviter d’être exposée comme vulnérable[23].
Il est aussi à noter que dans les deux histoires, un moment important de l’intrigue survient quand un personnage féminin quitte son statut d’objet pour assumer celui de sujet. Après avoir été un objet transmis de main en main, Tamar devient un sujet lorsqu’elle entre en dialogue avec Juda sur le chemin vers Timna. Quant à la femme de Potiphar, elle est comptée parmi les choses qui appartiennent au maître de maison. En effet, selon Joseph, Potiphar lui donne tout ce qui est à lui, excepté sa femme. Autrement dit, la femme est le seul objet qui n’est pas confié à Joseph. Ainsi, l’incident n’aura pas lieu si la femme se contente de demeurer une possession du maître sans vouloir affirmer son statut de sujet capable de désir[24].
Remarquons aussi que dans les deux histoires, le renversement de situation se passe entre deux personnes : un homme et une femme[25]. Dans les deux cas, c’est la femme qui prend l’initiative, réalise son plan alors que l’homme la quitte en lui laissant des objets qui sont la marque de son identité[26]. Ces objets seront utilisés comme preuves des relations sexuelles[27] et ils vont jouer un rôle très important dans la suite du récit[28]. Tamar garde le sceau, les cordons et le bâton de Juda pour prouver l’identité du géniteur des enfants à naître. La femme de Potiphar garde le vêtement de Joseph pour l’accuser, faussement[29] bien sûr, d’avoir tenté de coucher avec elle. Dans les deux cas, la preuve est présentée par une personne en vue de démontrer la culpabilité d’une autre[30]. Plus précisément, « la pièce de conviction est produite pour démontrer la culpabilité d’un fils de Jacob : celle que Juda reconnaît face à Tamar, et celle que la femme de Potiphar impute faussement à Joseph[31] ».
Comme nous l’avons vu, Tamar et la femme de Potiphar ont leur propre histoire et toutes les deux sont dans une situation vulnérable. Mais leur réaction à la vulnérabilité n’est pas la même. C’est ce que nous allons voir à présent.
2. La réaction des deux femmes à la vulnérabilité
Après la mort de Er et d’Onân, Juda renvoie Tamar à la maison de son père car il pense qu’elle est la cause de la mort de ses deux fils. La peur de perdre le troisième fils empêche Juda de donner Shéla à Tamar. De son propre point de vue, Juda fait face à un dilemme : aimer la vie et garder jalousement son dernier fils signifie la mort de la tribu ; accorder Shéla à Tamar, unique porteuse de vie dans la famille, mais soupçonnée de la mort de deux fils, annonce aussi la fin de la lignée. Quant à Tamar, elle se trouve aussi dans un dilemme de vie et de mort : ne pas agir signifie la fin de la recherche d’une progéniture pour son mari défunt, donc pour toute la famille, tandis que profiter du seul moyen possible à ses yeux, à savoir obtenir un enfant de son beau-père, annonce aussi sa mort, au cas où son beau-père ne reconnaîtrait pas ses actes. Le génie louable de Tamar consiste dans le fait qu’elle implique, dans son propre dilemme, son beau-père, qui est lui-même dans un dilemme identique de vie et de mort[32]. Ici, nous pouvons voir que sa propre vulnérabilité permet à Tamar de comprendre mieux celle de Juda. Elle se met dans la peau de son beau-père pour être plus consciente de la peur qui l’habite afin de trouver une solution. Elle utilise le voile pour tromper davantage la peur de son beau-père que sa personne[33]. Elle prend le risque de mourir plutôt que de laisser la mort envahir la famille tout entière. Même au moment où elle est condamnée à mort par son beau-père, Tamar reste très discrète. Elle envoie quelqu’un apporter à Juda les signes de l’identité du géniteur. Sans obliger son beau-père à reconnaître les gages, Tamar lui présente un choix qu’il peut faire ou pas : « Reconnais, s’il te plaît, à qui sont ce sceau, ces cordons et ce bâton. » (38,25) En prenant sa propre responsabilité et en admettant l’innocence de sa bru, Juda fait rejaillir la vie dans sa famille. Deux enfants lui sont nés. Étonnamment, le Seigneur, qui a rapidement fait mourir Er et Onân à cause de leur mauvaise action, semble approuver le choix de Tamar en lui permettant d’enfanter deux nouveaux membres pour la famille patriarcale[34]. Ainsi, pour Tamar, la vulnérabilité devient force de vie et source de compassion.
Quant à la femme de Potiphar, la vulnérabilité la pousse à aggraver le mal qu’elle commet. En effet, quand Joseph prend la fuite pour éviter le harcèlement de la part de la femme, elle appelle les hommes de la maison pour leur parler de la tentative de viol de Joseph. Il est possible qu’elle compte sur leur témoignage au cas où elle ne pourrait pas convaincre son mari de la culpabilité de Joseph[35]. Et pour avoir en sa faveur les hommes de la maison, la femme suscite la jalousie de leur part. En effet, devant eux, elle dit : « Voyez, il a fait venir vers nous un homme hébreu pour se rire de nous. » (39,14) En utilisant le « nous » et en précisant « un hébreu », la femme laisse entendre que l’hébreu se rit d’eux tous, et pas seulement de la femme. Quelle est son arrière-pensée ? Pour elle, Joseph se rit d’elle quand il tente de coucher avec elle. Mais il se rit aussi des autres Égyptiens parce que, tout hébreu qu’il soit, il surpasse tous les hommes du lieu pour devenir l’assistant de Potiphar[36]. Autrement dit, dans sa version des faits devant les serviteurs, la femme de Potiphar cherche à mettre en évidence la différence entre Joseph, un étranger devenant l’adjoint du chef, et les hommes indigènes qui ne sont que des serviteurs. Une telle différence peut engendrer la jalousie, voire la haine. En passant, la femme évoque la responsabilité de son mari quand elle dit : « Il a fait venir vers nous ». « Ce langage, écrit Alter, est aussi de nature à monter les serviteurs contre le mari qui a introduit parmi eux cette dangereuse présence étrangère[37]. » Ainsi, bien avant le retour de son mari, elle l’accuse d’être responsable de la présence de Joseph qui, selon ce qu’elle invente, cherche à coucher avec elle.
En présence de son mari, la femme continue de parler de sa responsabilité à lui. Cette accusation devient plus claire si nous suivons la ponctuation de la manière suivante : « il est venu vers moi[38], le serviteur que tu as fait venir vers nous pour se rire de moi » (39,17). Comme le texte hébreu ne comporte pas de ponctuation, nous pouvons lire la dernière partie du verset 17 de manière continue[39]. C’est comme si la femme dit à son mari : tu as fait venir le serviteur pour s’amuser de moi. Ainsi, selon la femme, c’est Potiphar qui a fait venir Joseph avec pour objectif de badiner avec elle. Il est donc directement responsable de ce qui s’est passé entre elle et Joseph. De plus, en présence de son mari, la femme ne désigne plus Joseph comme un « homme hébreu », comme elle l’a fait devant les hommes de la maison. Elle parle de Joseph plutôt comme un « esclave hébreu ». Cette nouvelle désignation a pour objectif d’humilier davantage Potiphar. En effet, il est plus humiliant pour un homme de constater que sa femme est violée par un esclave que par un autre homme[40]. C’est ici que la perversité de la femme est à son comble.
Avant de conclure notre travail, reprenons la synthèse dressée par Wénin concernant le contraste entre Tamar et la femme de Potiphar :
Tamar agit pour faire valoir son droit bafoué, et sa séduction, plutôt passive, laisse à Juda une grande marge de liberté (38,14-16). La femme de Putiphar en revanche est mue par sa seule envie ; c’est elle qui mène l’action, ne laissant guère à Joseph que le choix de lui opposer un refus en parole et en acte. Elle ment pour se protéger, et sa supercherie vise à mystifier les autres pour mieux les pousser à l’injustice, mettant son culot au service de sa vengeance. Tamar, au contraire, se dissimule pour tromper les craintes de Juda, et sa duperie vise le rétablissement de la vérité, son audace étant au service de la vie[41].
Conclusion
Tamar et la femme de Potiphar sont donc dans une situation très fragile. Mais leur réaction est différente et la conséquence de leur action ne demeure pas la même. Tamar prend tout le risque sur elle, même le risque de mourir, pour faire naître la vie. Elle est allée jusqu’au bout de la vulnérabilité pour trouver une solution, pas seulement pour elle, mais aussi pour la famille de son mari. Dans sa vulnérabilité, elle pense au bien-être des autres. Plus que jamais, elle cherche à comprendre la cause de la souffrance et de la peur qui paralysent son beau-père. En continuant à respecter sa liberté, elle l’aide à assumer sa responsabilité. Et même au moment où elle est condamnée à mort par son beau-père, elle met sa vie entre ses mains. Avec une parfaite discrétion, elle envoie quelqu’un porter les gages à Juda en lui laissant le choix de les reconnaître ou pas. S’il le veut, Juda pourrait renier les gages et sauver son honneur. Mais la justesse et la justice de Tamar l’emportent. Juda reconnaît qu’elle est plus juste que lui. Il est à noter que la transformation de Juda grâce à la rencontre avec Tamar aura des conséquences dans la suite. Lorsque son père, Jacob, a peur de laisser partir Benjamin en Égypte, Juda fait une intervention salutaire. Plus que quiconque, Juda comprend que la peur peut paralyser tous les désirs de vie. De plus, Juda se trouve dans la même situation que son père lorsque ce dernier refuse de laisser partir Benjamin. En effet, Juda a perdu ses deux fils (Er et Onân) et cherche à tout prix à garder le troisième, précisément le cadet (Shéla). Cela correspond tout à fait à la situation de Jacob puisqu’il perd Siméon et Joseph et a peur de perdre le cadet Benjamin[42]. Grâce à la situation de sa propre famille et étant transformé par sa rencontre avec Tamar, Juda a le courage de parler à son père comme un adulte à un adulte. Contrairement à Ruben qui offre ses deux fils au cas où il ne ramènerait pas Benjamin, Juda est prêt à se porter garant de Benjamin. Cette manière d’assumer la responsabilité personnelle est sans doute une leçon que Juda apprend de sa belle-fille. Cette leçon est encore une fois mise en pratique quand Juda s’offre lui-même à la place de Benjamin. C’est le don de soi de Juda qui pousse Joseph à dévoiler sa vraie identité permettant la réconciliation entre les frères.
Comme Tamar, la femme de Potiphar est dans une situation de vulnérabilité. Toutefois, sa manière d’agir donne lieu à une conséquence différente. Au lieu d’ouvrir par ruse un espace de dialogue, comme l’a fait Tamar, la femme de Potiphar, à cause de son mensonge pernicieux, enferme le monde autour d’elle dans une impasse[43]. Après son échec et afin d’accuser faussement Joseph, elle cherche à semer la discorde dans toute sa maisonnée. Elle dresse les hommes les uns contre les autres. En parlant de Joseph comme d’un étranger devenu l’assistant de son mari, elle suscite la jalousie des hommes de la maison. En désignant Joseph comme un esclave, elle a l’intention d’humilier son mari dont la femme a été violée par quelqu’un de condition inférieure. Au lieu d’assumer sa vulnérabilité en avouant sa faute, la femme crée le désordre dans la famille. À cause de son accusation, un homme innocent est condamné. À la différence de Tamar qui transforme la méfiance en confiance, le mensonge en vérité, la peur de la mort en désir de vie, la femme de Potiphar change la confiance en méfiance, le respect en mépris, la liberté en captivité. Demeurant à jamais anonyme[44], elle est un symbole de trahison, de mensonge et de méchanceté. On se souviendra d’elle seulement dans ce qui est négatif !
De ces deux histoires, nous apprenons que, selon notre réaction, la vulnérabilité peut avoir un effet positif ou négatif. À nous de choisir : suivre Tamar ou la femme de Potiphar. La vulnérabilité est pour tout le monde, mais c’est notre réaction qui fait la différence.
Appendices
Notes
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[1]
Notons aussi que la situation initiale et finale de Gn 38 ressemble à celle de Gn 39. Dans les deux cas, l’un des fils de Jacob, après avoir subi les épreuves de la vie tout au long du récit, est finalement retombé sur ses pieds. À la fin de l’histoire, Juda reçoit deux fils à la place des deux qu’il a perdus au début. Quant à Joseph, il redevient l’homme de confiance aux yeux du chef de la prison comme il l’était sous le regard de Potiphar. Voir Barbara Green, « What Profit for Us ? » Remembering the Story of Joseph, Lanham MD – New York NY – London, University Press of America, 1996, p. 72.
-
[2]
Juda « descendit de chez ses frères » (38,1) alors que Joseph « avait été descendu en Égypte » (39,1). Dans notre travail, nous utilisons notre propre traduction pour citer la Bible.
-
[3]
Voir André Wénin, « L’aventure de Juda en Genèse 38 et l’histoire de Joseph », Revue Biblique, 111 (2004), p. 5-27 (particulièrement, p. 17-24). On peut consulter également Chi Ai Nguyen, « Le récit spéculaire de Genèse 38. Découverte du lecteur attentif », dans Régis Burnet – Didier Luciani – Geert van Oyen (dir.), Le lecteur. Sixième colloque international du RRENAB, Université catholique de Louvain, 24-26 mai 2012 (BETL, 273), Leuven – Paris – Bristol CT, Peeters, 2015, p. 407-418, ici p. 410-413.
-
[4]
André Wénin, Joseph ou l’invention de la fraternité. Lecture narrative et anthropologique de Genèse 37-50 (Le livre et le rouleau, 21), Bruxelles, Lessius, 2005, p. 54.
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[5]
Mann a magistralement développé cette idée dans son roman. Voir Thomas Mann, Joseph and his Brothers, trad. par John E. Woods, New York NY – London – Toronto, Everyman’s Library, 2005, p. 934 et 954.
-
[6]
Voir André Wénin, « Joseph et la femme de Potiphar. De la Genèse à la réécriture de Thomas Mann », dans Françoise Mies (dir.), Bible et littérature. L’homme et Dieu mis en intrigue (Le livre et le rouleau, 6), Bruxelles, Lessius, 1999, p. 123-167, surtout p. 127.
-
[7]
Annie Hourcade Sciou (« Bientraitance et prise en compte de la vulnérabilité », Les ateliers de l’éthique / The Ethics Forum, 12 [2017], p. 205-220, ici p. 205) fait une distinction entre vulnérabilité et fragilité. Selon l’auteure, la vulnérabilité « revêt une dimension essentiellement relationnelle ». Quant à la fragilité, elle désigne « une faiblesse intrinsèque ». Pour notre part, nous considérons cette double dimension comme les deux facettes de la vulnérabilité ou de la faiblesse. C’est la raison pour laquelle, dans notre travail, les deux termes sont interchangeables.
-
[8]
Annie Hourcade Sciou, « Bientraitance et prise en compte de la vulnérabilité », p. 213.
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[9]
Cette manière de faire va à l’encontre de la suggestion de Paul Ricoeur. « Le fragile, écrit le philosophe, appelle […] à l’action, en vertu d’un lien intrinsèque […] avec l’idée de responsabilité. » Celle-ci « a pour vis-à-vis spécifique le fragile, c’est-à-dire à la fois le périssable par faiblesse naturelle et le menacé sous les coups de la violence historique. » Paul Ricoeur, « Responsabilité et fragilité », Autres temps. Cahiers d’éthique sociale et politique, 76-77 (2003), p. 127-141, ici p. 128. Comme nous le voyons plus haut, ici, dans la pensée de Ricoeur, la fragilité est comprise à la fois comme une faiblesse naturelle et une menace suscitée par un facteur extérieur.
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[10]
Nous reprenons ici, avec modification, le schéma de David W. Cotter, Genesis (Berit Olam), Collegeville MN, Liturgical Press, 2003, p. 279.
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[11]
Sur le modèle terminologique de Gn 39, voir Wilfried Warning, « Terminological Patterns and Genesis 39 », Journal of the Evangelical Theological Society, 44 (2001), p. 409-419.
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[12]
Aaron Wildavsky, Assimilation versus Separation. Joseph the Administrator and the Politics of Religion in Biblical Israel, New Brunswick – London, Transaction, 1993, p. 47. Selon une interprétation juive, Tamar cherche à enfanter l’ancêtre de la royauté davidique alors que la femme de Potiphar tente sa chance de devenir la mère des descendants de Joseph. Voir Shalom Goldman, The Wiles of Women/the Wiles of Men. Joseph and Potiphar’s Wife in Ancient Near Eastern, Jewish, and Islamic Folklore, Albany NY, State University of New York Press, 1995, p. 100. Pour sa part, André Wénin (« L’aventure de Juda », p. 14) signale un trait commun aux deux femmes : « Toutes deux se livrent à des manoeuvres de séduction en vue d’obtenir du fils de Jacob des relations normalement interdites, inceste ou adultère. »
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[13]
Le fait que Juda renvoie sa bru avec une fausse promesse met Tamar dans une situation de précarité : sans époux, sans héritage, sans protection et sans possibilité d’épouser un autre homme. Voir Canisius Mwandayi – Sophia Chirongoma, « “Suspected Killer” : Tamar’s Plight (Gn 38) as a Lens for Illuminating Women’s Vulnerability in the Legal Codes of Shona and Israelite Societies », HTS Teologiese Studies/Theological Studies, 76 (2020), a5893. https://doi.org/10.4102/hts.v76i3.5893.
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[14]
Pour Laurence A. Turner (Genesis [Readings], Sheffield, Academic Press, 2000, p. 170), l’expression « venir vers » est explicitement utilisée avec une connotation sexuelle en Gn 38 et 39 (38,2.8.9.16.18 et 39,14.17). Selon Victor P. Hamilton (The Book of Genesis. Chapters 18-50 [NICOT], Grand Rapids MI, Eerdmans, 1995, p. 443), comme la femme de Potiphar, Juda va directement au but sans offrir aucune conversation préliminaire.
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[15]
Nous ne suivons pas la lecture faite par Pirson pour qui la femme de Potiphar cherche à avoir un enfant avec Joseph parce que son mari est eunuque. Selon Pirson, en refusant de s’unir à la femme de son maître, Joseph met fin à la tâche qui lui est confiée lors de son achat. C’est la raison pour laquelle Potiphar le renvoie en prison pour un autre travail. À notre avis, une telle interprétation n’est pas basée sur le récit biblique. Voir Ron Pirson, « The Twofold Message of Potiphar’s Wife », Scandinavian Journal of the Old Testament, 18 (2004), p. 248-259. Adoptant la même lecture que Pirson, Heather A. McKay (« Confronting Redundancy as Middle Manager and Wife : The Feisty Woman on Genesis 39 », Semeia, 87 [1999], p. 218) met en évidence le désir commun de deux femmes : chercher à concevoir un descendant pour le mari qui ne peut pas avoir d’enfants.
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[16]
Voir David T. Adamo, « The Nameless African Wife of Potiphar and her Contribution to Ancient Israel », Old Testament Essays, 26 (2013), p. 221-246, ici p. 230.
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[17]
Dans sa réécriture, Mann a transformé ce court dialogue en une conversation plaisante de nature érotique. Voir Chi Ai Nguyen, « L’histoire de Tamar et la réécriture de Thomas Mann », Theoforum, 49 (2019), p. 195-217, ici p. 213-214.
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[18]
Pour Victor Hamilton (The Book of Genesis, p. 465), le même mot a été utilisé pour désigner le vêtement de veuve que Tamar enlève et puis remet.
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[19]
Nous nous inspirons ici de la lecture faite par Furman. Voir Nelly Furman, « His Story versus Her Story : Male Genealogy and Female Strategy in the Jacob Cycle », Semeia, 46 (1989), p. 141-149, particulièrement, p. 147-148.
-
[20]
Aldina da Silva, La symbolique des rêves et des vêtements dans l’histoire de Joseph et de ses frères (Héritage et projet, 52), Montréal, Fides, 1994, p. 40. L’ouvrage comporte une étude sur les fonctions des vêtements en Gn 37-50 : le vêtement comme protection, comme signe de la personnalité et comme signe de la condition sociale ; le manque de vêtement comme signe de non-identité et le changement de vêtement comme signe d’une nouvelle appartenance. Toutefois, son travail ne traite pas de la symbolique des vêtements en Gn 38 et en Gn 39.
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[21]
En ce sens, voir Mary E. Shields, « “More Righteous than I” : The Comeuppance of the Trickster in Genesis 38 », dans Athalya Brenner (dir.), Are We Amused ? Humour about Women in the Biblical World, London – New York NY, T&T Clark International, 2003, p. 31-41, ici p. 40-41. Contre cette lecture, voir Ira Robinson, « bĕpetaḥ ʿênyim in Genesis 38 :14 », Joural of Biblical Literature, 96 (1977), p. 569. Robinson considère que Tamar attend Juda sur la route de Timna dans une attitude provocatrice afin de susciter chez le passant le désir sexuel à la manière d’une prostituée.
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[22]
Voir Chi Ai Nguyen, « Ruser pour obtenir la vie, à l’instar de Tamar dans Genèse 38 », dans Denise Couture – Jean-François Roussel (dir.), Théologies de la vie (Terra Nova, 5), Leuven – Paris – Bristol CT, Peeters, 2018, p. 75-87, ici p. 82.
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[23]
Bien que Hourcade Sciou ne parle pas de la Bible, son idée de traitement peut être appliquée à notre récit : « Quand on traite, au sens que le verbe recouvre dans les notions de maltraitance et de bientraitance, c’est toujours pour réagir ou pour répondre délibérément à la vulnérabilité de l’autre, à ce risque perçu chez l’autre d’être blessé. » Voir Annie Hourcade Sciou, « Bientraitance et prise en compte de la vulnérabilité », p. 209.
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[24]
En ce sens, voir Judith McKinlay, « Potiphar’s Wife in Conversation », Feminist Theology, 10 (1995), p. 72-73.
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[25]
Ainsi, Barbara Green, « What Profit for Us ? », p. 71. Nous suivons ici la lecture proposée par Green. Selon Sharon P. Jeansonne (The Women of Genesis. From Sarah to Potiphar’s Wife, Minneapolis MN, Fortress Press, 1990, p. 108), les deux histoires parlent de la rencontre entre un fils de Jacob et une femme étrangère. Dans les deux cas, la relation entre Israël et un pays voisin est abordée.
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[26]
Tamar enlève son vêtement, signe de son statut de veuve, pour forcer Juda à lui laisser les signes de son identité. Voir John R. Huddlestun, « Divestiture, Deception, and Demotion : The Garment Motif in Genesis 37-39 », JSOT, 98 (2002), p. 47-62, ici p. 56-57. Quant à la femme de Potiphar, elle utilise le vêtement de Joseph, signe de son statut privilégié, pour obliger son mari à changer le statut de Joseph en le mettant en prison. Voir Victor H. Matthews, « The Anthropology of Clothing in the Joseph Narrative », JSOT, 65 (1995), p. 25-36, ici p. 32.
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[27]
Peter Bekins, « Tamar and Joseph in Genesis 38 and 39 », Journal for the Study of the Old Testament, 40 (2016), p. 375-397, ici p. 392.
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[28]
Barbara Green, « What Profit for Us ? », p. 72.
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[29]
Comme en Gn 37 où les frères de Joseph trompent leur père en fabriquant une fausse preuve, ici la femme de Potiphar trompe son mari en présentant un faux motif. Alors qu’en Gn 38 Tamar utilise une vraie preuve pour obliger son beau-père à établir la justice. En ce sens, voir Franziska Ede, « The Garment Motif in Gen. 37-39 », dans Christoph Berner al. (éd.), Clothing and Nudity in the Hebrew Bible, London, T & T Clark, p. 389-402, ici p. 400.
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[30]
En ce sens, Victor Hamilton, The Book of Genesis, p. 432.
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[31]
André Wénin, « L’aventure de Juda », p. 10-11.
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[32]
Nous suivons la lecture proposée par Martin O’Callaghan, « The Structure and Meaning of Gn 38 – Judah and Tamar », Proceedings of the Irish Biblical Association, 5 (1981), p. 72-88, ici p. 78-79. Voir aussi Chi Ai Nguyen, « Ruser pour obtenir la vie », p. 84.
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[33]
Ainsi, André Wénin, Joseph ou l’invention de la fraternité, p. 98.
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[34]
Ainsi, Peter Bekins, « Tamar and Joseph in Genesis 38 and 39 », p. 394.
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[35]
Ici, nous pouvons parler d’une vulnérabilité situationnelle. La femme de Potiphar est sous la dépendance des hommes de la maison qui l’aideront, ou pas, au cas où son mari ne croirait pas sa version des faits. Sur la notion de vulnérabilité situationnelle dans un sens large, voir Annie Hourcade Sciou, « Bientraitance et prise en compte de la vulnérabilité », p. 208.
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[36]
Voir Robert Alter, Genesis. Translation and Commentary, New York NY – London, Norton & Company, 1997, p. 226.
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[37]
Robert Alter, L’art du récit biblique (Le livre et le rouleau, 4), Bruxelles, Lessius, 1999 (anglais 1981), p. 151.
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[38]
Devant son mari, la femme commence son accusation d’une manière choquante : « Il est venu vers moi ». En parlant ainsi, elle laisse son mari dans l’incertitude quant à la possibilité d’accomplissement du désir de Joseph. En effet, l’expression « il est venu vers moi » peut aussi signifier « il a eu un rapport sexuel avec moi. » Ce n’est qu’à la fin de la phrase que Potiphar apprend que Joseph n’a pas pu réaliser son dessein à cause du cri de la femme. Voir Robert Alter, L’art du récit biblique, p. 151 ; André Wénin, Joseph ou l’invention de la fraternité, p. 112.
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[39]
Une autre ponctuation est possible : « il est venu vers moi – le serviteur que tu as fait venir vers nous – pour se rire de moi ». Voir Robert Alter, L’art du récit biblique, p. 152.
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[40]
Voir Robert Alter, L’art du récit biblique, p. 152 ; Victor Hamilton, The Book of Genesis, p. 469 ; André Wénin, Joseph ou l’invention de la fraternité, p. 112 ; Chi Ai Nguyen, « Les traces de l’oralité en Genèse 39 », dans Alain Gignac (dir.), Narrativité, oralité et performance. 7e colloque international du Réseau de recherche Narratologie et Bible (RRENAB), 5 au 7 juin 2014, Université de Montréal (Terra Nova, 4), Leuven – Paris – Bristol CT, Peeters, 2018, p. 107-123, ici p. 115-116.
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[41]
André Wénin, L’histoire de Joseph (Genèse 37-50). Quelques clefs pour lire le récit (Cahiers Évangile, 130), Paris, Cerf, 2004, p. 47.
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[42]
Voir André Wénin, « L’aventure de Juda en Genèse 38 », p. 22.
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[43]
Ainsi, Peter Bekins, « Tamar and Joseph in Genesis 38 and 39 », p. 395.
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[44]
Il est étonnant que le narrateur ne donne pas à la femme un nom, même si elle est mentionnée quatorze fois en douze versets. Voir Peter Bekins, « Tamar and Joseph in Genesis 38 and 39 », p. 392. En mettant à l’envers le nom de son mari, Heather McKay (« Confronting Redundancy », p. 216) la nomme « Rahpitop ».