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En raison de l’ampleur internationale du réseau éducatif de la Compagnie de Jésus et de sa longue tradition d’enseignement, la pédagogie ignatienne suscite beaucoup d’intérêt. Dans la foulée du Concile Vatican II, puis de la 32e congrégation générale de la Compagnie de Jésus (1974-1975), qui a placé la promotion de la justice au coeur de la mission du service de la foi, une réflexion intense s’est développée visant à actualiser cette pédagogie pour un contexte social et ecclésial nouveau. Deux documents importants sur la pédagogie jésuite ont offert une réflexion renouvelée des pratiques pédagogiques ignatiennes : les Caractéristiques de l’éducation jésuite (1986) et Pédagogie ignatienne : Approches concrètes (1993). Au-delà de la grande tradition de la Ratio Studiorum (1599) qui avait guidé pendant des siècles l’activité éducative des jésuites, ces documents exposaient les principes, souvent de nature spirituelle, orientant la vision jésuite de l’éducation. Plus récemment, le document Les écoles jésuites : Une tradition vivante au 21ème siècle. Un exercice continu de discernement (2019) poursuivait le chantier de réflexion, l’inscrivant à la lumière des Préférence apostoliques universelles de la Compagnie de Jésus annoncées en 2019, après la publication de l’ouvrage qui nous intéresse.
La pédagogie jésuite est un livre pluriel, publié dans la « Petite Bibliothèque Jésuite », une collection qui offre depuis quelques années des ouvrages accessibles et instructifs sur des thématiques historiques ou spirituelles liées à la Compagnie de Jésus. Les 140 premières pages du présent ouvrage constituent la traduction française d’un livre du père Margenat sur la pédagogie ignatienne, initialement publié en 2010. Les 90 pages suivantes présentent quatre annexes distinctes.
La section principale se veut clairement une introduction. L’auteur ne prétend pas renouveler les perspectives. Les deux premiers chapitres, à saveur historique, présentent d’abord la logique de l’engagement des premiers jésuites dans le domaine de l’éducation. Un tel choix, bien qu’il se soit réalisé du vivant du fondateur, Ignace de Loyola (1491-1556), n’allait pas de soi, puisque l’intention initiale était que l’ordre soit marqué par la mobilité, ce qui est contraire à l’investissement en une tâche et un lieu que l’éducation suppose. S’appuyant entre autres sur les travaux de l’historien américain John O’Malley, Margenat dresse un portrait cohérent de l’évolution qui mène à la création du premier collège jésuite à Messine (1548) – remplacé par la suite dans son rôle de fleuron de la couronne par le collège romain (devenu l’Université Grégorienne). Par la suite, l’auteur présente les traditions pédagogiques qui influencèrent les jésuites éducateurs (par exemple le modus parisensis, l’influence humaniste de la devotio moderna ou la tradition scolastique) et une généalogie des réflexions pédagogiques des jésuites au 16e siècle, qui aboutit à la Ratio Studiorum en 1599. D’autre part, l’auteur présente le modèle du collège jésuite comme lieu d’apostolat et centre de culture, dans la foulée des travaux de Luce Giard. Les caractéristiques du modèle traditionnel de l’enseignement jésuite (globalité, progressivité, intégralité, sécularité, unité, gratuité) expliquent les raisons de son succès à l’époque moderne, alors qu’il marquait justement une transition entre une pédagogie médiévale axée sur la lectio et une approche plus intégrale inspirée de la Renaissance.
Les trois autres chapitres prennent la forme d’essais. S’y dégagent le thème de la justice, intégrée fermement à l’orientation pédagogique ignatienne, et celui de l’humanisme. Après une présentation de la pédagogie intégrale qui se déploie dans les documents fondamentaux de 1986 et 1993 cités plus haut, Margenat lance un vibrant plaidoyer en faveur d’une éducation à la citoyenneté responsable.
Les annexes sont d’un intérêt variable. La première reprend une allocution du père Arturo Sosa, préposé général de la Compagnie de Jésus, prononcée en 2017. Le père Sosa y relit l’apostolat éducatif à la lumière d’une triple réconciliation – avec Dieu, les uns avec les autres, avec la création – qui est au coeur de la définition de la mission jésuite depuis la 35e Congrégation générale (2008). Cette triple réconciliation couvre la transcendance, la justice, et le soin de notre « maison commune », pour reprendre l’expression de l’encyclique Laudato Si (2015). Sosa y insiste en particulier sur l’importance de l’ouverture au monde, en plus de développer une réflexion intéressante sur l’universalité interculturelle – en réponse, positive, à la mondialisation.
Les contributions de Pascal Sevez et Arlette Dister-Jacquemotte offrent un panorama du réseau éducatif jésuite en France et en Belgique dans leur contexte historique d’après-guerre et dans leurs structures. L’intérêt est moindre pour un lecteur étranger.
La dernière annexe, par Bernard Paulet, est un « Vocabulaire jésuite de l’éducation » qui présente des termes importants de l’univers ignatien, en bonne partie enracinés dans la spiritualité. Cette annexe fournit des clefs de lecture essentielles pour entrer dans la dynamique ignatienne (par exemple : accompagnement, cura personalis, indifférence), fournissant quelques pistes bibliographiques pour aller plus loin à chaque instance. Le jargon jésuite y est intelligemment démystifié !
En somme, La pédagogie jésuite se veut une introduction à la pratique éducative jésuite contemporaine, vécue en particulier au niveau de l’enseignement secondaire. Rien de révolutionnaire dans l’approche, mais un traitement clair, concis, et suggestif. Le livre présente un instantané des axes forts de la réflexion pédagogique ignatienne des dernières décennies, tout en offrant des perspectives historiques sur le développement de cet apostolat dans la Compagnie de Jésus.