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Introduction

Dans le cadre de nos recherches doctorales sur la problématique de l’éducation au pluralisme religieux en milieu scolaire catholique, nous avons mené une enquête auprès de onze acteurs de premier plan dans deux écoles catholiques, le Collège Bourget de Rigaud et celui de Saint-Viateur de Ouagadougou. La majorité des acteurs interviewés a relevé le besoin d’outils théologiques afin d’éduquer les jeunes au dialogue interreligieux[1].

Leur préoccupation est d’abord liée au contexte socioculturel marqué par une diversité religieuse[2], presque tranquille au Québec, et un contexte socioreligieux qui, en une vingtaine d’années, est passé d’une « religiosité tranquille »[3] à une religiosité houleuse au Burkina Faso en raison des vagues d’attentats terroristes (djihadistes) qui secouent le pays depuis janvier 2016. Ces deux écoles sont ainsi situées dans des contextes de questionnement ou de contestation face au pluralisme religieux. Leur préoccupation est par ailleurs liée au regard positif [4] que l’Église catholique porte, depuis le concile Vatican II, sur les autres confessions chrétiennes[5], les autres traditions religieuses et les religions traditionnelles[6] : un changement paradigmatique reconnu et apprécié positivement par des juifs[7], des musulmans[8] et des bouddhistes[9]. Les besoins et préoccupations ressentis sont enfin liés à l’orientation actuelle de l’éducation catholique, soucieuse de tenir compte de la diversité tant religieuse que culturelle dans la formation des jeunes[10].

De cette préoccupation légitime émerge la question : comment, dans ce contexte scolaire catholique, la théologie peut-elle éclairer l’éducation des jeunes au dialogue interreligieux ? Selon la piste que nous entendons explorer, la théologie interreligieuse pourrait effectivement contribuer à l’apprentissage du dialogue interreligieux dans ces deux cadres éducatifs. Cette théologie se voulant dialogique, nous procéderons d’abord à un croisement de regards de trois théologiens qui l’ont préconisée ; nous mettrons ensuite sa dimension dialogique en rapport avec l’annonce explicite de Jésus Christ ; enfin, nous dégagerons l’apport spécifique de cette théologie à l’éducation au dialogue interreligieux. Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous situerons cette démarche dans le cadre de la théologie des religions, appelée à devenir avec Jacques Dupuis une théologie chrétienne du pluralisme religieux.

1. Croisement des trois regards théologiques

Commençons donc par quelques précisions concernant la théologie des religions, la théologie chrétienne du pluralisme religieux et la théologie dialogique.

1.1 Précisions concernant la théologie des religions

D’abord, d’un point de vue chrétien, si la théologie est fides quaerens intellectum, la théologie des religions peut se définir comme l’étude, selon des critères rigoureux, des religions concrètes et de leurs contenus à la lumière des contenus de la foi chrétienne. Sa finalité est la recherche du sens, de la fonction et de la valeur propre de la pluralité des religions dans l’histoire du salut. Dans cette perspective, sa méthode se veut herméneutique[11].

Pour Jacques Dupuis[12], « la théologie chrétienne des religions étudie les diverses traditions religieuses dans le contexte de l’histoire du salut, ainsi que dans leur rapport avec le mystère de Jésus Christ et avec l’Église chrétienne »[13]. De ce fait, son objet est le salut des êtres humains dans les autres traditions religieuses[14]. En considérant la Révélation chrétienne, la tradition vivante de l’Église et les grands dogmes chrétiens, elle se veut déductive. Elle est aussi inductive, car elle part de l’expérience des croyants dans leur propre tradition religieuse, qu’elle interprète ensuite à la lumière de la Révélation divine et de la tradition vivante de l’Église[15].

Quant à la théologie du pluralisme religieux, elle est celle qui « cherche plus en profondeur, à la lumière de la foi chrétienne, ce que signifie dans le dessein de Dieu pour le genre humain, la pluralité des fois vécues et des traditions religieuses dont nous sommes entourés »[16]. Son objet consiste en la recherche de la signification de la pluralité des traditions religieuses dans le plan de Dieu et sur le déploiement de celui-ci dans l’histoire du salut. Donc, elle s’interroge tant sur la signification de cette pluralité que sur la possibilité que les grandes religions du monde aient un rapport positif à l’Absolu[17]. L’élaboration de cette théologie se fait selon une méthode herméneutico-déductive. En effet, son point de départ est la praxis du dialogue interreligieux et celle de la libération. Elle procède ensuite à une herméneutique en tenant compte d’une christologie trinitaire et de l’apport théologique des autres traditions religieuses dans une perspective de pluralisme inclusif.

Le pluralisme inclusif, selon la perspective de Dupuis, se propose de montrer comment la foi et la doctrine chrétienne peuvent associer l’affirmation de foi en l’unicité de Jésus Christ comme Sauveur universel et la conception théologique d’une signification et d’un rôle positifs des autres traditions religieuses selon le plan divin pour l’humanité[18]. Il considère donc la pluralité des religions comme un facteur positif, une richesse. Raison pour laquelle Dupuis a articulé sa théologie non pas autour d’un pluralisme religieux de fait, considéré comme un accident historique, mais d’un pluralisme religieux de principe. Car, selon ce concept, la pluralité des religions « témoigne de la surabondante générosité avec laquelle Dieu s’est manifesté au genre humain d’une multitude de manières, et de la réponse plurielle que les êtres humains, dans les diverses cultures, ont donnée à l’autorévélation divine »[19]. En d’autres termes, elle découle du vouloir mystérieux de Dieu qui cherche à sauver les humains à partir des valeurs positives des religions du monde[20].

Cette théologie chrétienne du pluralisme religieux (inclusif), d’après Geffré, « maintient bien l’unicité singulière du christianisme dans la mesure où il témoigne de la révélation définitive sur Dieu, mais en même temps elle porte un jugement positif sur les autres religions qui chacune à sa manière peut être porteuse de semences de vérité et de bonté »[21]. Néanmoins, cette volonté de maintenir une christologie constitutive tout en reconnaissant les autres religions comme voies possibles et convergentes de salut a conduit Paul Knitter à affirmer que Dupuis n’a jamais pu dépasser le paradigme inclusiviste[22].

1.2 Une « vraie théologie dialogique » interreligieuse

Que faut-il entendre par théologie dialogique ? Dupuis emploie l’expression comme synonyme de théologie du pluralisme religieux. Dans la présentation de son ouvrage majeur Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, il souligne en effet que la théologie chrétienne du pluralisme religieux doit devenir une vraie théologie dialogique ou interreligieuse afin de promouvoir le dialogue interreligieux[23].

La méthode de cette théologie est à la fois déductive et inductive. Déductive, car elle ne saurait se passer des données de la tradition chrétienne ; inductive, car elle partirait de la praxis du dialogue interreligieux. L’introduction de cette méthode en théologie des religions signifie que « l’acte premier de faire de la théologie doit être une praxis consciencieuse du dialogue interreligieux et une prise au sérieux de l’expérience religieuse rencontrée personnellement dans la vie des « autres » avec lesquels on entre en contact par ce dialogue interreligieux »[24]. Il précisera que « adopter une méthode inductive signifie partir de la réalité historique vécue, en nous laissant interpeller par celle-ci, et chercher à l’éclairer à la lumière de la Parole révélée »[25].

Cette théologie part du dialogue interreligieux pour conduire à une interprétation chrétienne de la pluralité des religions. Ainsi, elle va plus loin que le fait de considérer la praxis comme une condition ou une prémisse. Elle en fait la manière même de se réaliser en adoptant une attitude dialogique dans son élaboration pour devenir une réflexion théologique sur et dans le dialogue[26]. Pour Dupuis, il s’agit d’une « théologie dialogique interreligieuse »[27].

Celle-ci se propose de mettre en oeuvre une nouvelle méthode en théologie des religions, caractérisée par Dupuis comme théologie chrétienne du pluralisme religieux. La théologie dialogique apparaît ainsi comme un moyen permettant à la théologie chrétienne des religions de se renouveler par le contact avec les théologies des autres religions. Dupuis reconnaît néanmoins un certain nombre de problèmes qu’une théologie dialogique ne saurait ignorer[28], notamment le choix des éléments de fond et des intuitions religieuses à partager, la signification des symboles religieux là où l’expérience de la Réalité ultime n’est pas la même d’une tradition à l’autre.

1.3 Une vraie théologie interreligieuse selon Claude Geffré[29]

Se situant dans la ligne du paradigme de pluralisme inclusif de Dupuis pour ce qui a trait à l’intelligence des rapports entre le christianisme et les autres religions, Claude Geffré a développé une théologie interreligieuse dans son ouvrage De Babel à Pentecôte. Essais de théologie interreligieuse.

Cette théologie envisage de « réinterpréter la singularité chrétienne en fonction des richesses d’ordre religieux dont les autres religions peuvent témoigner »[30]. Ce faisant, elle compte enrichir l’intelligence du Mystère de Dieu et de la relation à Dieu à partir des rayons de lumière jaillissant des diverses traditions religieuses de l’humanité. Par conséquent, sa tâche consiste en « la recherche non seulement du Dieu inconnu que toute religion désigne à sa manière maladroite et provisoire, mais aussi du Christ inconnu qui nous attend dans toute religion, voire dans tout être humain »[31].

Pour que cette recherche soit fructueuse, Geffré en appelle au comparatisme, afin de « comparer la manière dont chaque religion se rapporte à cet Absolu que la foi chrétienne désigne comme le Christ et qui réalise l’union paradoxale de l’absolument universel et de l’absolument particulier »[32]. La méthode comparative permet ainsi de « partager le regard de l’autre sur son propre univers de croyances sans renoncer pour autant à sa propre capacité de discernement et de jugement »[33]. Elle permet en bout de ligne de mettre en lumière des aspects enrichissants ou des éléments structurants des traditions religieuses qui, autrement, resteraient dans l’ombre. En un mot, l’originalité de la théologie interreligieuse découle de sa capacité d’intégrer dans sa réflexion la foi de chacun des partenaires en dialogue.

Fidèle à sa méthode, l’auteur a choisi de faire l’effort de considérer d’autres points de vue théologiques afin de parvenir à des éclairages réciproques et à un enrichissement mutuel. Par exemple, de l’application de la méthode comparative à l’islam et au christianisme catholique découlent des éclairages comme les suivants : l’islam enraciné dans l’adoration du Dieu unique pourrait empêcher les chrétiens catholiques de devenir idolâtres dans leurs relations à la Sainte Trinité ; ceux-ci, par ailleurs, pourraient attirer l’attention de l’islam sur le risque du fondamentalisme dans sa manière de lire le Coran. Tout compte fait, les deux pourront comprendre que la vocation de toutes les religions consiste à maintenir le sens sacré de l’homme ou encore l’authenticité de l’humain véritable[34].

Cette manière de procéder et les résultats obtenus laissent entrevoir la fécondité d’une telle théologie interreligieuse. Peut-on en attendre autant de celle de Perry Schmidt-Leukel ?

1.4 Une théologie interreligieuse comme production conjointe, selon Schmidt-Leukel[35]

Perry Schmidt-Leukel conçoit la théologie interreligieuse comme une production conjointe des religions différentes inscrites dans une forme d’échange dialogique[36]. Elle consiste pour lui en l’adoption d’une synthèse de théologies de diverses religions ou dans la référence à diverses théologies dans la réflexion sur des questions ou des thèmes communs. Son objet est double : la foi et le vécu religieux des croyants. Cette théologie doit alors être comprise au sens d’une autoréflexion disciplinée, présente dans chacune des grandes traditions religieuses, qu’elles soient essentiellement théistes ou non-théistes[37].

Cette théologie interreligieuse se base sur quatre principes clés : le crédit théologique de confiance, ou l’existence de la vérité théologique dans d’autres religions que la sienne ; l’unité de la réalité, ou la conviction qu’ultimement toute vérité théologique doit être compatible ; le lien au discours interreligieux, ou la nécessité que toute contribution théologique en appelle à la réaction des théologiens d’autres traditions religieuses ; enfin, un processus ouvert, selon lequel la théologie interreligieuse reste un processus dialogique et familier, jamais achevé[38].

Elle est, dans sa méthode, intégrative (perspectival), imaginative, comparative et constructive. Intégrative, au sens qu’elle veut intégrer plusieurs perspectives théologiques ; imaginative, au sens qu’elle cherche à voir avec les yeux de l’autre et à se mettre dans sa situation pour mieux comprendre sa foi et son vécu de croyant ; comparative, au sens qu’elle est en quête d’éclairage réciproque dans sa façon de considérer sa propre tradition à travers les yeux d’une autre tradition et vice versa ; constructive, au sens que son effort de pensée ou de réflexion vise à une transformation mutuelle des partenaires du dialogue[39].

L’auteur a appliqué cette méthode en étudiant par exemple le thème de la création. Dans une dynamique constructive, il aborde ce thème du point de vue chrétien et il considère celui du bouddhisme. Si, pour les religions monothéistes, la création renvoie à un créateur, comporte un début et une fin, il n’en est pas de même pour le bouddhisme qui considère que « l’univers n’a ni cause première et ni créateur » et qu’« il ne peut exister d’être permanent, d’une pureté primordiale »[40]. Apparemment, ces deux positions s’excluent l’une l’autre. Aussi l’accent est-il mis plutôt sur les compatibilités, tout en essayant de tirer profit des incompatibilités apparentes. L’auteur s’inspire de la recommandation de Wilfred Cantwell Smith, selon laquelle il faut savoir faire une synthèse des deux positions apparemment contradictoires : le refus bouddhiste et l’affirmation chrétienne de la création comme une oeuvre divine. Ce faisant, le dialogue interreligieux peut devenir une véritable opportunité d’apprentissage théologique[41]. En guise de synthèse, Schmidt-Leukel a dégagé les quatre éléments suivants : la possibilité pour les chrétiens d’accepter une création sans la main divine, tout en maintenant l’existence de Dieu ; un accord sur le fait que l’acte de création et l’acte de sa libération ont la même source divine ; une entente sur le principe fondamental de la création, selon lequel Dieu a le pouvoir de créer ou non un monde sans commencement et sans fin ; enfin, la possibilité d’une vérité relative permettant d’admettre l’origine karmique de la création, afin de garder à l’esprit l’impossibilité de la confusion de celle-ci avec le Créateur et d’orienter l’existence humaine de manière valable vers l’Ultime.

Il s’ensuit qu’il existe une complémentarité entre les manières bouddhistes et chrétiennes de parler de l’Ultime et de sa relation avec la création. Car le discours chrétien sur le monde en tant que création bonne de Dieu pourrait rappeler aux bouddhistes ce qu’ils savent déjà, à savoir : le monde n’est pas simplement un lieu de malice, mais aussi la véritable « Terre Pure », un environnement où la liberté et la responsabilité humaines sont possibles et significatives, et où le chemin et l’objectif du salut sont expérimentés. Le concept bouddhiste de la création karmique peut rappeler aux chrétiens ce qu’ils savent déjà, que la « bonté » de la création de Dieu ne doit pas, dans un sens sentimental ou kitsch, être confondue avec le monde. Sa bonté ne repose pas sur elle-même, mais sur la bonté de l’Ultime[42]. In fine, les deux compréhensions s’éclairent mutuellement.

1.5 L’essentiel se dégageant du croisement des trois regards théologiques

De ces différents regards théologiques, nous pouvons retenir que Dupuis, le premier qui ait pensé une théologie dialogique interreligieuse, l’a conçue comme une manière nouvelle de faire de la théologie des religions, dont le point de départ est le dialogue interreligieux et l’expérience de foi des croyants. Du coup, cette théologie se veut une méthode empirico-déductive, car elle interprète des données empiriques à la lumière de la révélation chrétienne. Dupuis a appliqué cette méthode à la théologie chrétienne du pluralisme religieux.

Quant à Geffré, il s’est risqué à effectuer à sa façon une théologie interreligieuse. Il a élaboré celle-ci en faisant bon usage du comparatisme comme démarche méthodologique. Il signale l’avantage de mettre en dialogue, sur une même thématique, des théologiens de diverses traditions religieuses, ce qui peut mener chacun à une plus grande conversion personnelle et favoriser l’implication de tous à la promotion de l’humain authentique. Dans cette perspective, il a lui-même fait l’effort de dépasser son préjugé de théologien chrétien pour s’ouvrir aux points de vue de ceux d’autres traditions religieuses et dialoguer ouvertement avec eux.

Enfin, Schmidt-Leukel considère la théologie interreligieuse comme une production résultant d’échanges dialogiques de diverses traditions ou confessions religieuses. Dès lors, les religions en sont les véritables sujets et l’expérience croyante ou l’histoire des croyants en constitue l’objet. D’un point de vue méthodologique, cette théologie est imaginative, intégrative, comparative et constructive. Son application permet entre autres de mieux cerner Jésus, Mahomet, Bouddha comme figures emblématiques des diverses traditions et d’établir des relations entre eux, ou encore de penser théologiquement une thématique commune comme celle de la création. Pour ce faire, le théologien chrétien entre en dialogue avec ceux d’autres religions, en étant conscient de la pesanteur de leurs traditions respectives. Il est ainsi amené à saisir la diversité des traditions religieuses comme une richesse reçue de l’unique Dieu ou de l’Ultime pour le bien de l’humanité.

Dans sa démarche, Schmidt-Leukel rejoint Geffré qui, employant la méthode comparative, aboutit à des résultats comme les suivants : éclairages mutuels, connaissance de la religion de l’autre à partir du regard de l’autre, complémentarité de points de vue, enrichissement mutuel sur le plan théologique.

En terminant, il convient de relever deux éléments. Pour une part, la théologie interreligieuse n’est pas une simple synthèse de deux ou plusieurs théologies religieuses[43], mais vraiment une manière de faire de la théologie en dialogue, afin de favoriser tant la rencontre des théologiens que ce qui constitue la richesse de leurs traditions pour le bien de l’humanité. En outre, une constante se dégage chez les trois auteurs : la dimension dialogique de la théologie interreligieuse. Vu son importance, on peut se demander si elle ne pourrait pas constituer un frein à l’annonce explicite de Jésus Christ.

2. La dimension dialogique et l’annonce explicite de Jésus Christ

Voyons donc, d’une part, ce qu’implique la dimension dialogique de la théologie interreligieuse et, d’autre part, son rapport à l’annonce explicite de Jésus Christ.

2.1 La dimension dialogique de la théologie interreligieuse

Soulignons d’abord qu’au lieu d’opposer les croyances ou les vérités doctrinales comme le voudrait la dialectique, la théologie interreligieuse s’évertue à les mettre en relation, de telle sorte qu’elles puissent enrichir les partenaires du dialogue ou les inscrire dans une dynamique de complémentarité[44]. Dans cette perspective, les différences ne sont pas gommées au profit des ressemblances ; les divergences ne sont pas non plus accentuées au détriment des convergences. Ce qui est tout à l’honneur d’une théologie chrétienne des religions, laquelle « doit être capable d’exposer théologiquement les éléments communs et les différences entre sa propre foi et les convictions des différents groupes religieux »[45]. Les points de divergence et de ressemblance sont plutôt reconnus à leur propre valeur et à leur capacité de contribuer à l’émancipation de l’humain authentique. Cette expression, rappelons-le, désigne celui qui se définit non seulement en termes de besoins et déchanges immanents, mais aussi d’ouverture à l’Altérité transcendante[46]. C’est, disons-le, l’être humain qui a atteint la plénitude, car ayant revêtu pleinement son humanité et sa qualité de capax Dei[47], en assumant ses propres responsabilités, sa participation aux affaires terrestres, sa solidarité avec les autres humains et sa référence à Dieu en prélude de son devenir eschatologique[48].

En outre, la dimension dialogique renvoie à une construction en interaction[49]. Cet usage doit sans doute quelque chose au dialogisme de Bakhtine[50] dont découle le principe dialogique, selon lequel l’oeuvre littéraire se construit avec la contribution de plusieurs consciences ou acteurs. Cette interaction oblige l’observateur à quitter son balcon pour devenir co-constructeur. Cela est possible, car l’être humain est profondément dialogique[51]. Ce principe n’introduit pas à une relation d’antinomie, d’opposition d’idées abstraites, mais d’antagonisme événementiel entre des identités singulières[52].

D’après la logique du principe dialogique, « chaque mot sent le contexte et les contextes dans lesquels il (l’auteur) a vécu sa vie sociale intense »[53]. Dès lors, le dialogue n’est pas un procédé pour découvrir l’autre et ses intentions afin de le contrôler, mais ce par quoi chacun se révèle dans sa vraie nature, se communique et devient ce qu’il est vraiment. Ainsi, dialoguer c’est naître au monde ou encore « Être, c’est communiquer dialogiquement[54]. »

Appliqué à la théologie interreligieuse, le principe dialogique en fait une théologie située dans un contexte qui tient compte des réalités de la foi de croyants réels interagissant pour produire du sens. En effet, l’être humain se comprend comme producteur de textes[55]. À ce titre et comme croyant, il est toujours en quête de sens et en mode de production de sens en dialoguant avec les textes ou directement avec l’autre. D’ailleurs, certaines affirmations de Panikkar[56] s’inscrivent dans ce registre. En effet, il affirme que « Le dialogue est une attitude humaine de base[57]. » En outre, il relève que « L’homme est un homo loquens. Le langage nous a été donné, parler est notre tâche ». En effet, il souligne que « Chaque mot porte en lui la « quaternité » de celui qui parle, celui à qui on parle, ce dont on parle et ce à travers quoi on parle, – entendons, l’envoyeur, le destinataire, le message et le medium[58]. » Enfin, selon lui, « Le véritable dialogue porte le poids et la dignité de la tradition de celui qui parle[59]. » S’il en est ainsi du dialogue, la dimension dialogique de la théologie interreligieuse envisagée par Dupuis, Geffré et Schmidt-Leukel a une portée vitale pour l’avenir des religions, des croyants et du dialogue interreligieux : sans cette dimension qui implique rencontre, communication, interprétation et réinterprétation, interaction et interrelation, l’être humain s’effacerait avec tout ce qui le concerne, y compris la religion.

En dernier lieu, la dimension dialogique appelle le théologien, dans ses oeuvres, à demeurer ouvert tout en affirmant une position claire : il est toujours situé et appelé à émettre un jugement sur les valeurs des autres théologies. Donc, il ne peut se contenter d’exposer les idées divergentes et convergentes sans prendre clairement position. En la matière, la neutralité est la posture de l’historien des religions[60].Toutefois, la position finale du théologien consiste à faire une synthèse des points de vue ou à laisser jaillir la lumière émanant de chacune des positions exposées. Cela lui permet en même temps de créer une zone de positions communes ou d’éclairages mutuels, telle que le préfixe inter le suggère. Ainsi se concrétise une idée chère à la dimension dialogique, celle qui appelle à la co-construction du savoir théologique ou à la coopération pour faire naître l’humain authentique. Pour ce faire, elle met inéluctablement les théologiens ou les partenaires du dialogue en interrelation et en interaction ; ce qui constitue un des éléments de base d’un dialogue interreligieux authentique. Mais l’authenticité de la démarche dialogique implique-t-elle la fin de l’annonce explicite de Jésus Christ ?

2.2 L’annonce explicite de Jésus Christ

En contexte de pluralisme religieux, on peut être tenté de taire toute annonce explicite de Jésus Christ au profit du dialogue interreligieux, et ce, au nom du respect de l’autre, de l’honnêteté, de la reconnaissance des autres croyants et de leurs traditions religieuses.

Bien que très séduisant, cet argument n’est pas à toute épreuve. En effet, le dialogue interreligieux et l’annonce explicite de Jésus Christ font partie de la mission évangélisatrice de l’Église[61]. Ce sont deux activités intimement liées, mais qui ne doivent pas être confondues ou considérées comme équivalentes ou interchangeables[62]. En contexte d’hostilité à la proclamation de l’Évangile, le dialogue interreligieux demeure sans doute la meilleure manière de témoigner du Christ, le témoignage étant une préparation évangélique[63], par le dévouement au service des humains et du bien commun. En revanche, lorsque le contexte de pluralisme le permet, ce dialogue doit accompagner l’annonce qui « a pour objet le Christ crucifié, mort et ressuscité » pour conduire les humains à la libération totale et à la vie nouvelle, divine et éternelle[64].

En tout cas, le fait de reconnaître la valeur de l’autre et de sa tradition religieuse n’empêche pas d’annoncer l’Évangile, car c’est aussi une façon sûre de rendre raison de sa foi, de se révéler à l’autre en vue de la reconnaissance mutuelle. Bien qu’il soit déjà une forme d’évangélisation, le dialogue sous ses formes de vie, d’action ou de coopération en vue du bien commun, de discussion théologique et de partage d’expériences spirituelles n’exclut aucunement la proclamation de l’Évangile. Celle-ci est nécessaire pour faire connaître Jésus Christ, qui veut sauver tous les humains et en qui tous peuvent trouver leur plein épanouissement.

En somme, le dialogue interreligieux ne saurait dédouaner le chrétien de la mission d’annoncer l’Évangile, car l’évangélisation complète suppose l’annonce explicite de Jésus Christ et de son Règne. Il y a donc un lien intrinsèque entre le dialogue et l’annonce[65]. Autrement dit, le vrai dialogue interreligieux implique, d’une part, que les chrétiens aient la volonté et la liberté de faire connaître et aimer Jésus Christ, et, d’autre part, que l’annonce de Jésus Christ se fasse dans « l’esprit évangélique du dialogue »[66]. Exprimer librement son amour pour le Christ, sa foi en lui et son adhésion à son évangile ne constitue pas une atteinte à la liberté religieuse de l’autre ni un manque de respect ou de sincérité. Au contraire, c’est une façon de se communiquer, d’enrichir la connaissance que l’autre a de Jésus Christ, en vue de renforcer la compréhension mutuelle. Cet esprit devrait-il trouver sa place dans l’apprentissage du dialogue interreligieux ?

3. L’apport de la théologie interreligieuse à l’éducation au dialogue interreligieux

La théologie interreligieuse peut contribuer beaucoup à l’éducation des jeunes au dialogue interreligieux. Afin de bien comprendre son apport, précisons d’abord ce que nous entendons par cette démarche éducative et, ensuite, son déploiement dans une école catholique.

3.1 L’éducation au dialogue interreligieux

Dans Ecclesia in Africa, il est écrit : « Les écoles catholiques sont à la fois lieux d’évangélisation, d’éducation intégrale, d’inculturation et d’apprentissage du dialogue de vie entre jeunes de religions et de milieux sociaux différents[67]. » Ce type de dialogue fait partie du dialogue interreligieux. Ceci s’entend comme « l’ensemble des rapports interreligieux, positifs et constructifs, avec des personnes et des communautés de diverses croyances, afin d’apprendre à se connaître et à s’enrichir les uns les autres, tout en obéissant à la vérité et en respectant la liberté de chacun »[68]. Ou encore c’est à la fois « échange de paroles et écoute mutuelle sur un pied d’égalité des croyants de chaque tradition religieuse »[69]. De façon plus profonde, « le dialogue interreligieux est une rencontre entre des êtres créés à l’image de Dieu »[70]. Tel que défini, le dialogue interreligieux est plus que jamais nécessaire « pour un éclairage sur le sens de la vie et pour une action commune en faveur de la paix et de la justice dans le monde »[71].

Ainsi, l’éducation au dialogue interreligieux désigne celle qui permet aux jeunes chrétiens d’entrer en relation et d’interagir avec ceux des autres traditions ou confessions religieuses en toute conscience de leur propre foi. Elle vise à développer leurs compétences en vue de l’hospitalité réciproque, de la reconnaissance mutuelle, de la communion-dans-la-différence pour un vivre-ensemble pacifique ; elle entend leur permettre ultimement une meilleure connaissance de Dieu et une meilleure relation personnelle avec lui.

3.2 Déploiement de l’éducation au dialogue interreligieux

Selon la vision éducative chrétienne actuellement en application dans les écoles catholiques, l’éducation au dialogue interreligieux se déploie à l’intérieur d’un projet éducatif chrétien qui s’articule autour de six axes : le critère de l’identité catholique (catholicité), la construction d’un horizon commun, l’ouverture raisonnée à la mondialité, la formation d’identités fortes, le développement de l’autoréflexivité, le respect et la compréhension des valeurs des autres cultures et religions, la formation à la participation et à la responsabilité. Le sixième axe entend faire de l’école catholique un « espace de pluralisme » propice à l’apprentissage du dialogue et au partage des valeurs universelles telles que : la solidarité, la liberté et la tolérance[72].

Pour que cette vision éducative soit vraiment catholique, il nous semble nécessaire d’y intégrer les contributions convictionnelles, sapientielles, spirituelles et religieuses autres que celles de la tradition confessionnelle catholique. Elle doit se fonder sur l’idée théologique selon laquelle l’être humain est un être de communion-dans-la-différence, un être interrelationnel à l’image du Créateur. Comme l’enseigne l’Ubuntu africain[73], cet être existe en lien avec une communauté constituée d’êtres visibles et invisibles[74] qui interagissent en se référant ou non à l’Ultime, Dieu ou Allah. Tout cela le situe dans une relation de réciprocité et le rend digne de reconnaissance, d’amour et de respect dans sa singularité. Dès lors, la tâche de l’éducation au dialogue interreligieux consiste à développer ses aptitudes et ses compétences afin qu’il puisse entrer en inter-relation et en inter-action au sein de la communauté ou de la société.

Dans son déploiement, cette approche éducative tient compte non seulement des valeurs universelles, mais aussi des valeurs du pluralisme religieux négociées avec les différents acteurs d’éducation à l’oeuvre au sein d’un collège catholique. Concrètement, cela se fait à travers le projet d’établissement incluant les activités pédagogiques, un projet pastoral intégratif et à travers des dispositions structurelles permettant aux membres de la communauté éducative d’évoluer en mode dialogique ; un cadre où chacun, chacune, s’épanouit selon ses convictions et dans le respect de celles d’autrui.

L’éducation au dialogue interreligieux entend ainsi mettre les jeunes en interrelation et développer chez eux les dispositions suivantes : le respect mutuel, la reconnaissance réciproque, l’ouverture à l’autre, la compréhension mutuelle, la communion-dans-la-différence et le sens de coopération en vue de la promotion du bien commun. Sa mise en oeuvre se fait en considérant le dialogue de vie, d’action, de théologie et d’expériences spirituelles[75].

Le dialogue de vie concerne les expériences quotidiennes des personnes croyantes, y compris les événements heureux ou pénibles de leur existence humaine et de la société. Ce qui comprend à la fois le fait de constituer ensemble un groupe, de s’amuser, de manger, de marcher ensemble, d’aller saluer son voisin à l’occasion d’un événement touchant sa famille, d’avoir des liens de travail ou d’amitié et d’amour.

Pour sa part, le dialogue d’action se rapporte à l’engagement synergique pour la promotion des valeurs communes dont la paix, la justice, la lutte contre la pauvreté, le respect des droits humains, la protection de l’environnement, bref la coopération en vue de la réalisation du bien commun entendu comme l’ensemble des conditions matérielles, socioéconomiques, spirituelles, psychologiques, nécessaire à l’épanouissement des membres de la société. Éduquer au dialogue d’action permettrait de mettre l’accent sur l’humanisme partagé, car « les grandes religions historiques ont en commun un corps doctrinal bien identifiable centré sur la dignité de la personne, une morale altruiste et une réalité transcendant la finitude humaine »[76].

Quant au dialogue théologique, son apprentissage par le biais d’un enseignement religieux adapté peut être pour les jeunes l’occasion de les éclairer sur leurs traditions religieuses respectives et leurs vérités doctrinales. Cela contribuera à faire dissiper l’ignorance religieuse, une des principales causes du fanatisme religieux caractérisé surtout par le refus de la différence et de l’intolérance religieuse.

Enfin, pour ce qui est du dialogue d’expériences spirituelles, il mérite bien sa place dans l’initiation des jeunes au dialogue interreligieux, car dans son contenu se trouve le nutriment nécessaire à leur croissance comme à leur épanouissement spirituel. Ce dialogue se fait par l’hospitalité sacrée, donnée et reçue, qui se manifeste tant à travers le partage du pain et du sel, par l’ouverture de l’esprit, du coeur et de l’intelligence à tout ce qui est humain et divin[77], ou encore par la communion dans la prière, la contemplation ou la méditation et le partage d’autres expériences spirituelles comme les temps de retraite silencieuse ou de recollection.

Cette hospitalité spirituelle peut s’offrir également en allant saluer l’autre croyant qui célèbrant un événement signifiant, comme une grande fête, un baptême, un mariage, ou des funérailles[78]. Ce pas vers l’autre est à la fois une marque de reconnaissance de son altérité et une expression de la disposition personnelle à entrer en communion-dans-la-différence avec lui. Ce pas marque aussi un changement de regard sur l’autre ; ce qui l’a fait passer du statut d’étranger, de différent menaçant[79], voire ennemi, à celui d’hôte, d’alter ego ou de semblable[80] et de visage de Dieu[81].

Dans son ouvrage Le désert de l’altérité, Fabrice Blée relève le caractère spirituel du dialogue qui résulte de l’unité spirituelle des partenaires de ce dernier. Cette unité essentielle se nourrit de « la prière interreligieuse, qui consiste à se rassembler en un même lieu pour prier ensemble dans le cadre d’un rituel ou bien d’une méditation silencieuse »[82]. « Est spirituel, poursuit-il, le dialogue qui, de ce fait, convie les partenaires à croître ensemble dans l’Esprit et à anticiper le Royaume de Dieu[83]. » Bien qu’elle soit inchoative, la communion spirituelle entre personnes dialoguant au nom de leur foi respective est sans doute la panacée de la compréhension mutuelle et du vivre en harmonie sur cette terre.

C’est, à n’en pas douter, la finalité du fameux Aller saluer de Mgr Sanon T. Anselme[84]. La pratique de salutation entre les croyants en tant qu’elle fait tomber les barrières, les murs de séparation, constitue in fine un signe éloquent d’une reconnaissance mutuelle de l’existence d’une promesse de Dieu pour l’humanité dans les autres confessions religieuses et une façon de renforcer les liens de fraternité humaine ou spirituelle qui les unissent. Pierre-François de Béthune, moine bénédictin, en a fait l’expérience sous couvert de l’hospitalité sacrée dans le bouddhisme. Il témoigne en ces termes : « En définitive, ces rencontres avec le bouddhisme sous différentes formes ont résolument ouvert mon univers[85]. » C’est en effet une des tâches fondamentales de l’éducation que d’ouvrir les esprits à d’autres réalités, de mettre en relation, de construire des ponts entre les jeunes et entre les générations afin de favoriser des rencontres humaines, culturelles, spirituelles et interreligieuses.

Ainsi, l’apprentissage de l’hospitalité réciproque aidera sûrement les jeunes à s’accueillir dans le respect de leurs différences, à approfondir leur foi et à rendre plus intime leur relation personnelle avec Dieu. En outre, comme toute expérience spirituelle authentique engage trois personnes, Dieu, le moi et le prochain en relation avec les autres êtres vivants du biotope, nous pouvons parier qu’en les éduquant au dialogue spirituel, avec l’aide de Dieu, les jeunes se réaliseront personnellement, contribueront à la réalisation de leurs semblables et entretiendront avec les autres éléments de l’univers une relation plus respectueuse.

3.3 Une éducation en mode dialogique comme apport de la théologie interreligieuse

Pour favoriser l’apprentissage du dialogue interreligieux sous les quatre formes retenues, la théologie interreligieuse apportera les idées de construction commune ou d’interaction des acteurs, d’assimilation par analogie et d’acceptation de la différence comme une richesse.

Co-construction

Les auteurs sont unanimes sur un point : la théologie interreligieuse doit se faire en mode dialogique. Cette élaboration suppose donc le dialogue des théologiens de traditions religieuses différentes. Dans cette perspective, la contribution d’un théologien chrétien, par exemple, portera en elle la capacité de susciter implicitement ou explicitement des réactions chez les théologiens des autres traditions religieuses. Appliquée à l’éducation au dialogue interreligieux, cette démarche permettra la mise en commun de la pensée théologique de chacun des acteurs impliqués dans le processus éducatif. Il deviendra alors possible, d’une part, d’impliquer des acteurs d’appartenance religieuse différente dans l’élaboration du projet éducatif, le choix des thématiques en vue de la formation des jeunes au dialogue et, d’autre part, de recourir à des positions théologiques des traditions ou confessions religieuses connues dans le milieu éducatif ou méritant d’y être considérées. Cette implication fait de ces acteurs des partenaires en dialogue. Par conséquent, elle leur accorde une reconnaissance d’être et d’agir en vue de la transformation des mentalités et subséquemment des réalités.

Assimilation par analogie

Un des avantages de la théologie interreligieuse tient à sa capacité d’accueillir les éclairages émanant de diverses sources théologiques. Pour les obtenir, le théologien en appelle à l’analogie. En éducation, le bon usage de la démarche comparative donnerait lieu à la saine émulation et à la rencontre des témoins. Car les jeunes apprennent mieux des modèles inspirants que des théoriciens ou des donneurs de leçon. Ainsi, il convient de recourir aux témoignages des personnes qui, au nom de leur foi ou de leurs croyances, oeuvrent à l’amélioration de l’existence humaine ou à la protection de la planète. Ces témoins peuvent être aussi bien des vivants d’aujourd’hui, qui se présentent en chair et en os devant les élèves, que ceux d’autrefois, dont les oeuvres continuent d’inspirer l’humanité.

Acceptation des différences

Dialogique, la théologie interreligieuse tient compte de l’apport théologique de différentes traditions religieuses. Elle est ouverte à la différence. Cette ouverture est nécessaire à l’accueil des richesses de l’autre en vue d’un enrichissement mutuel. L’importance fondamentale est alors accordée à l’apport lumineux de l’autre, à la brique qu’il peut ajouter à la construction en marche. Dans le cas de la réalisation de l’humain authentique, par exemple, les idées, d’où qu’elles viennent, qui peuvent y contribuer valent la peine d’être prises en compte. Dans la perspective de l’éducation au dialogue interreligieux, il importe d’éveiller les consciences sur les différences qui fondent la singularité, l’identité de chaque être et de sa confession religieuse, afin qu’ils apprennent à les voir comme une richesse pour toute l’humanité. Ainsi, les jeunes sauront accepter leurs différences et interagir de façon complémentaire en vue de leur accomplissement personnel et de la réalisation du bien commun.

Conclusion

En définitive, tout au long de ces pages, nous portions le souci de répondre à la question de savoir comment la théologie peut éclairer l’éducation des jeunes au dialogue interreligieux en contexte scolaire catholique. Afin d’y répondre, nous avons choisi d’explorer l’idée que cela pourrait se faire par le biais de la théologie interreligieuse. Chemin faisant, nous avons présenté cette théologie comme intégrant des apports théologiques de différentes traditions religieuses à une réflexion sur l’expérience croyante. D’abord, elle a été conçue par Jacques Dupuis, dans l’élaboration de sa théologie chrétienne du pluralisme religieux, comme une méthode féconde en théologie des religions, afin de favoriser le dialogue interreligieux. Ensuite, elle a évolué avec Claude Geffré pour devenir une théologie qui, privilégiant la méthode comparative, s’élabore avec les éclairages théologiques reçus de différentes religions sur des thématiques ou sujets bien précis. Puis, poursuivant son approfondissement, elle s’est enrichie, avec Perry Schmidt-Leukel, d’autres apports méthodologiques pour se définir comme une théologie qui intègre plusieurs perspectives théologiques, commande la créativité et s’élabore en mode dialogique, toujours en vue de promouvoir le dialogue interreligieux.

En approfondissant la dimension dialogique de la théologie interreligieuse, nous avons découvert combien le dialogue est important dans la vie des humains. Dieu, le Créateur, a appelés ceux-ci à l’existence en dialoguant. En dehors du processus dialogique, ils ne peuvent produire le sens tant nécessaire à leur itinéraire terrestre. En un mot, les êtres humains sont intrinsèquement des êtres de dialogue. Les théologiens chrétiens qui s’inscrivent dans la démarche interreligieuse ont choisi de théologiser en dialoguant avec des théologiens d’autres traditions religieuses. Chez les chrétiens, cette ouverture n’altère aucunement la portée de la mission d’annoncer explicitement le Christ. Elle offre plutôt aux autres partenaires du dialogue théologique l’opportunité de mieux connaître le Christ et ses disciples en vue d’une meilleure reconnaissance réciproque et d’une meilleure compréhension mutuelle.

Dans une démarche d’éducation des jeunes au dialogue interreligieux, cette théologie interreligieuse pourrait jouer un rôle prépondérant. Car elle pourrait alimenter chez les croyants le sens de l’hospitalité réciproque et intégrer la différence dans le respect mutuel, les amener à collaborer à la réalisation de l’humain authentique ou à l’édification du bien commun. Sans la perspective de la théologie interreligieuse, un dialogue de sourds prévaudrait tant que chacun chercherait à convaincre l’autre de la supériorité ou du caractère absolu de sa vérité. Animé par elle, chacun s’enrichirait plutôt de l’apport de l’autre tout en cherchant à comprendre sa foi et ses croyances.

Dans cette démarche, la différence est accueillie et considérée comme une richesse en tant qu’elle constitue l’élément de base de toute rencontre interpersonnelle et du processus dialogique. Cette théologie rend ainsi possible la complémentarité des humains-croyants, en partenariat dans le cadre du dialogue interreligieux. En outre, au-delà des préoccupations liées aux réalités terrestres, elle permettra aussi d’apporter une réponse concertée à la quête de sens des jeunes d’aujourd’hui. Et, puisque l’école est un des hauts lieux du donner sens, il y a fort à parier que l’éducation au dialogue interreligieux pourrait grandement profiter du principe dialogique qui anime la théologie interreligieuse. Les acteurs de l’éducation chrétienne et les partenaires du dialogue voudraient-ils l’adopter comme approche dans leurs pratiques éducatives ?