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La première contribution de ce volume, celle de Vannier, en reprend le titre général, qu’elle illustre par des informations historiques et lexicographiques. Dans la longue citation de Maître Eckhart, qu’elle emprunte à Ancelet-Hustache, elle introduit, entre parenthèses, des phrases qui ne sont pas dans la traduction d’Ancelet-Hustache, sans indiquer, dans une note en bas de page, que ces insertions sont d’elle (c’est-à-dire de Vannier). De même, dans la longue citation de Suso (p. 14), Vannier insère un commentaire sans placer le signe de parenthèse qui aurait pu indiquer où ce commentaire débute (vraisemblablement avec « Ceci peut s’appeler… »).
On remarque bien des problèmes techniques dans cet ouvrage. Harald Schwaetzer s’est probablement traduit lui-même de l’allemand en un anglais souvent incorrect dans sa sémantique, sa grammaire et sa ponctuation. La « Présentation », par la directrice (p. 7-8), n’est pas mentionnée dans la Table des matières. Le livre ne donne pas une liste des abréviations, ce qui rend difficile au non-spécialiste de savoir à quelle édition on renvoie (voir, par exemple, p. 11, note 2). Dans ma recension de Marie-Anne Vannier, Cheminer avec Maître Eckhart, j’avais écrit : « L’auteur ne fournit pas une liste d’abréviations pour les oeuvres d’Eckhart. Ainsi, à la p. 20, note 9, certains lecteurs se demanderont ce que AH signifie ; seulement pour ceux qui s’y connaissent, il s’agit évidemment de la vieille traduction des sermons faite par Ancelet-Hustache ». Et je donnais quelques exemples de citations incomplètes [voir Science et Esprit 69 (2017), p. 141-143]. En outre, il y a bien des coquilles dans ce volume : a-t-il été attentivement relu soit par chaque contributeur, soit par celle qui était chargée de sa direction ?
Parmi les quinze articles de ce volume, j’en signalerai un certain nombre, qui me paraissent être des plus intéressants. Celui d’Éric Mangin, dont j’avais recensé et loué la traduction de Maître Eckhart intitulée La mesure de l’amour. Sermons parisiens, dans Science et Esprit 63 (2011), p. 435-436, détaille, avec clarté, ce que pouvait dire la formule d’Eckhart, « marcher sans chemin ». La contribution de Silvia Bara Bancel sur Henri Suso et celle de Monique Gruber sur Suso et Elsbeth Stagel sont remarquables. Celle de Jean Devriendt explore un terrain nouveau en caractérisant la pensée de Geert Zerbolt van Zutphen, un homme de la fin du XIVe siècle, qui proposa une spiritualité très apparentée à celle de Thomas a Kempis et qui se montra tout à fait opposé à l’enseignement d’Eckhart et de ses disciples. Devriendt souligne que Zerbolt et les juges au procès d’Eckhart à Avignon partageaient les mêmes craintes. Cet apport jette une lumière sur l’aspect négatif de la réception d’Eckhart au XIVe siècle. Jean-Claude Lagarrigue fait des remarques utiles en comparant les commentaires d’Eckhart et de Nicolas de Cues sur le triduum pascal.
Isabelle Raviolo, en particulier dans l’introduction de son chapitre, présente la richesse sémantique et grammaticale de la notion de patience ; le reste de son chapitre fait bien voir les ressemblances et différences entre Eckhart, Tauler et les écrivains de la Devotio moderna ; ses commentaires sur sainte Jeanne de France sont touchants. Malheureusement son chapitre interminable (38 pages) nous éloigne fréquemment des auteurs qu’elle étudie en insérant trop de remarques sur beaucoup d’autres auteurs et trop de réflexions personnelles. En outre, elle ne donne pas le terme médiéval « gelâzenheit », mais elle se réfère à l’allemand moderne « gelassenheit », qu’elle traduit erronément par « pâtir-Dieu » (qui correspond à « got lîden ») alors que le mot, tant dans son acception médiévale que moderne, signifie « délaissement », « abandon ». Il s’agit, en effet, de se délaisser, de s’abandonner.
Enfin, Jean-Louis Sohet nous éclaire sur des auteurs peu connus du XVIIe siècle : deux capucins, Paul de Lagny et Martial d’Étampes, ainsi que Marie-Lorence Le Long, fondatrice des capucines d’Amiens. Sohet s’intéresse particulièrement à de Lagny, ce capucin sympathique à la Devotio moderna et influencé à la fois par la mystique rhéno-flamande et par sa tradition franciscaine telle que réinterprétée et développée par Benoît de Canfield. De Lagny insiste sur la conformité au Christ crucifié et, ce faisant, ne laisse pas en arrière l’humanité concrète de Jésus – ce que faisaient de jeunes capucins de son temps au sujet desquels il exprime son désaccord.
Somme toute, la plupart des études réunies dans ce volume ont été bien pensées, avec mention des mots clés en allemand et en latin (sauf par quelques contributeurs qui ne donnent pas ces mots clés). Les lecteurs seront contents de voir brièvement présentés les collaborateurs du volume, juste avant la Table des matières. On peut cependant regretter l’absence d’un index des noms, qui aurait été utile, quitte à ne pas inclure les mystiques qui sont mentionnés à peu près partout dans le livre, comme par exemple Maître Eckhart.