Comptes rendus

Wim Remysen et Sandrine Tailleur (dir.) (2020). L’individu et sa langue. Hommages à France Martineau. Québec : Presses de l’Université Laval. 287 pages. [coll. Les Voies du français][Record]

  • Sandrine Hallion

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  • Sandrine Hallion
    Université de Saint-Boniface

Comme le soulignent Wim Remysen et Sandrine Tailleur, codirecteurs de ce volume en hommage à France Martineau, cette dernière a su, en trente ans de carrière, laisser sa marque dans le domaine de la linguistique francophone. France Martineau a aussi largement contribué à développer le champ de la sociolinguistique historique. Ce qui caractérise également l’approche de la chercheuse, c’est la place privilégiée qu’elle donne aux comportements et aux pratiques linguistiques de l’individu, scripteur ou scriptrice, locuteur ou locutrice, dans la variation et dans l’évolution de la langue au fil du temps. Le titre du volume, L’individu et sa langue, est donc particulièrement bien choisi et laisse présager une mise en valeur de l’individu dans les études qui seront présentées dans l’ouvrage. Le volume compte dix contributions qui s’organisent en quatre sections. La première partie, qui réunit deux contributions, vise à introduire des réflexions théoriques et méthodologiques autour du rôle de l’individu en sociolinguistique et en histoire de la langue. Dans le premier texte, Hélène Blondeau aborde les questions de la variation intra-individuelle et du cheminement sociolinguistique des individus au cours de leur vie. La chercheuse rappelle d’abord la distinction entre études transversales et longitudinales en sciences sociales, qui, dans l’étude du changement linguistique en sociolinguistique, recoupe les approches en temps apparent et en temps réel. L’exemple des études sur le français parlé à Montréal selon ces deux approches lui permet d’en montrer la complémentarité. La cueillette de données à intervalles réguliers – les corpus présentés ont été collectés en 1971, 1984 et 1995 – rend possible l’étude de la variation et des tendances évolutives du français parlé à Montréal, au niveau communautaire. En présentant l’étude des parcours sociolinguistiques des 12 locuteurs et locutrices ayant participé aux trois périodes d’enquêtes, Blondeau propose des résultats originaux qui illustrent la pertinence du suivi de cohorte et l’apport de cette perspective longitudinale aux recherches sur la variabilité et le changement linguistiques. Placer l’individu au coeur de l’analyse met en évidence l’effet des parcours de vie sur les comportements langagiers. Dans le deuxième texte de cette section, Gilles Siouffi propose une réflexion au sujet de l’évolution diachronique de la notion d’usage qui le conduit à examiner la place que cette notion pourrait aujourd’hui occuper en sociolinguistique. À partir de la définition que Vaugelas donne de l’usage au milieu du XVIIe siècle, le chercheur montre que cette notion s’est, au fil des siècles, confondue avec celle de « bon usage », renvoyant ainsi à la dimension normative de la langue. Selon lui, cette confusion a contribué au flou et à la polysémie de la notion, ce qui peut expliquer l’abandon de la réflexion linguistique sur sa définition. Le chercheur suit la piste de la réhabilitation de cette notion, qui pourrait devenir opérationnelle en sociolinguistique, en revenant aux sources de sa conception : l’usage est à rapprocher de la notion de faits de langue et doit être considéré dans une dimension situationnelle dynamique. Siouffi souligne enfin l’intérêt de placer l’usager au centre de la production de l’usage : l’individu est alors conçu comme « un acteur doté de ses spécificités dans le lieu et dans le temps » (p. 57) qui exploite les ressources de son répertoire linguistique selon la situation de communication. Tout en tenant compte des limites que l’examen des productions individuelles peut représenter pour la généralisation, cette définition de l’usage permet de voir dans les productions langagières « ce que les usagers font à leur langue » (p. 58). Les trois contributions de la deuxième partie du volume sont consacrées au médium écrit et les productions de scripteurs ou scriptrices peu lettrées, …