Comptes rendus

France Martineau, Annette Boudreau, Yves Frenette, Françoise Gadet (dir.) (2019). Francophonies nord-américaines. Langues, frontières et idéologies. Québec : Presses de l’Université Laval. XIII + 540 pages. [coll. Les Voies du français][Record]

  • Karine Gauvin

…more information

  • Karine Gauvin
    Université de Moncton

Cet ouvrage collectif est issu des travaux des collaboratrices et des collaborateurs au projet international Le français à la mesure d’un continent : un patrimoine en partage dirigé par France Martineau. Unique par sa portée à la fois historique et panlectale du français en Amérique, ce projet se distingue en outre par la volonté de poser l’individu au centre de ces dimensions, à la fois en termes de sa représentativité d’une communauté et du rôle de la langue dans sa trajectoire identitaire. L’ouvrage illustre de façon convaincante la nécessité de revoir les cadres conceptuels usuels mobilisés dans les études sur les français d’Amérique du Nord tant sur le plan des usages linguistiques que sur le plan macro-social. Les composantes « migrations » (« et les contacts entre populations de diverses origines qu’elles engendrent » [p. 13]) et « représentations linguistiques des locuteurs » sont ici privilégiées. L’organisation de l’ouvrage est originale : outre les parties attendues, l’ensemble est ponctué de 24 portraits de francophones « qui reflètent la complexité des francophonies nord-américaines » (p. 14). Ces récits attachants d’acteurs sociaux donnent corps aux concepts théoriques et surtout, permettent d’entendre les voix des locuteurs dont il est ici question. Quatre articles de fond rédigés par les directeurs de l’ouvrage mettent de l’avant les approches et les concepts liés aux thématiques centrales (langues, frontières et idéologies), alors que sept articles se consacrent à des questions relevant de terrains différents, dans une perspective comparative. Figurant en tête de l’ouvrage, l’article d’Annette Boudreau propose une synthèse des concepts d’« idéologies linguistiques » et de « représentations » afin d’illustrer les différences de perspectives de ces notions dans le monde anglo-saxon d’une part et franco-canadien d’autre part. Le corps du texte porte sur les idéologies dominantes dans la francophonie canadienne, soit l’idéologie du bilinguisme – bien vivante auprès des locutrices et locuteurs francophones –; l’idéologie du monolinguisme, surtout mise de l’avant par les « dominants », c’est-à-dire les anglophones; l’idéologie du standard qui s’implante fermement en Amérique à partir du 19e siècle; l’idéologie de l’authentique qui, au cours des années 1990, tend « à spectaculariser les particularités régionales [en] Acadie surtout » (p. 38). Bien qu’ils ne soient pas ici présentés en ordre chronologique, deux autres textes mobilisent la notion d’« idéologie » pour proposer une analyse comparative de terrains. Intitulé « Langues, idéologie et politiques : regards croisés sur les discours de presse au Québec et en Acadie (1867-1912) », cet article signé Mourad Ali-Khodja, Boudreau et Wim Remysen compare les nationalismes canadien-français et acadien à partir de la création de la Confédération canadienne en 1867 jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. À partir d’un corpus de presse, les auteurs montrent comment les idéologies linguistiques de cette période se croisent et circulent d’un milieu à l’autre. L’article « Une analyse du discours des élites sur les langues : les cas de l’Acadie du Nouveau-Brunswick et de la Louisiane » (Ali-Khodja, Boudreau, Sylvie Dubois et Marguerite Perkins) met lui aussi en lumière les différences fondamentales entre deux terrains apparentés. Les élites acadiennes sont davantage préoccupées par la sauvegarde et l’amélioration des droits linguistiques institutionnels, alors que la réalité louisianaise impose, selon les auteurs, une réflexion sur l’identité franco-louisianaise, « c’est-à-dire une identité francophone avec la langue française en option » (p. 508). Ils concluent en affirmant que les locuteurs acadiens comme louisianais « n’habitent pas une langue et une seule, mais bien plusieurs langues à la fois, de sorte qu’on ne peut prendre la mesure des identités de ces communautés et de leurs revendications en ignorant les tensions induites par cette pluralité …