Comptes rendus

François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel (2020). L’autre moitié de la modernité. Conversations avec Joseph Yvon Thériault. Québec : Presses de l’Université Laval. 333 pages[Record]

  • Éric Forgues

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  • Éric Forgues
    Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques

Cet ouvrage est le résultat de plusieurs entretiens réalisés avec le sociologue du Canada français Joseph Yvon Thériault par François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel. Ces entretiens permettent de suivre le parcours intellectuel et l’évolution de la pensée de Thériault en la mettant en contexte avec son milieu familial et social d’origine et l’environnement intellectuel de sa carrière universitaire. Le questionnement rigoureux et parfois serré de certains aspects de la pensée de Thériault permet de comprendre comment celle-ci se développe eu égard aux auteurs et auteures qui l’ont inspiré et aux grandes questions qui se posent à nos sociétés, principalement à la société francophone en terre d’Amérique. Car c’est bien dans cette terre que sa pensée prend racine et c’est cette société, de même que son ambition de « faire société », que sa pensée interroge. Même si le milieu familial et social dans lequel il a grandi ne le prédisposait pas à la vie intellectuelle qu’il a connue, Thériault confie qu’il n’a pas vécu le passage de la culture première à la culture seconde comme une émigration, à l’instar de Fernand Dumont qui a lui aussi grandi dans une famille et un milieu ouvrier. Si sa carrière l’amène à quitter son Acadie natale, il conserve toujours un sentiment d’appartenance à l’Acadie. Il n’a d’ailleurs jamais senti l’étouffement de l’Acadie « Je ne suis pas non plus de ceux qui ont pu ressentir que l’Acadie les étouffait… » (p. 55). Il ne vit pas le départ de l’Acadie comme un exil. Celle-ci demeure le lieu d’où il parle; pas toujours de manière explicite, pas toujours l’Acadie comme telle, mais l’Acadie comme cas typique d’une petite société. Il semble important de retenir cet élément, car il sous-tend le développement de sa pensée. « Caraquet, ou plutôt l’Acadie, est longtemps resté le contexte en fonction duquel j’ai interprété le monde. » (p. 111) De fait, une préoccupation ressort de son interrogation des oeuvres théoriques sur la société : quelle place font ces dernières aux « petites sociétés ». L’ouvrage présente le grand intérêt d’offrir une synthèse de l’oeuvre de Thériault tout en explicitant l’arrière-plan, de même que les motivations de certains de ses choix théoriques. Le titre de l’ouvrage souligne la volonté de Thériault de penser la modernité dans ses deux grandes intentions : comme projet rationnel et projet culturel. Dès sa thèse de doctorat, qui portait sur le rôle du modèle coopératif dans le développement de l’Acadie, Thériault propose d’expliquer ce développement en fonction de logiques économiques et culturelles : « Les coopératives serviront, en quelque sorte, d’agents de transformation et de réarticulation à la nouvelle économie qui se mettra en place, tout en conservant les caractéristiques socioculturelles de la communauté » (p. 79). Il refuse d’adopter une grille de lecture économiste qui marginaliserait la dimension culturelle ou identitaire. S’il a des sympathies pour la pensée marxiste et la pensée autogestionnaire dans les années 1980, celles-ci s’estompent à mesure que sa réflexion sur la démocratie gagne en profondeur. Il réalise avec d’autres chercheurs et chercheuses que l’utopie autogestionnaire souffre d’un manque de réalisme politique. Comme il le précise, son ouvrage La société civile ou la chimère insaisissable paru en 1985 marque sa sortie du marxisme. En approfondissant sa pensée politique sur la démocratie, il voit dans le libéralisme quelques avenues prometteuses pour penser les sociétés, car il met l’accent sur leur capacité à s’autodéterminer. Il conserve une perspective qu’il qualifie de sociologie historique, sans toutefois penser l’histoire à l’instar d’un certain déterminisme marxiste qui la conçoit comme le résultat des contradictions sociales ou des conflits entre acteurs. S’inspirant de Lefort, sans pour …