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L’automne de mes 12 ans a changé de quelques degrés ce que je deviendrai dans le futur.

J’étais dans un appartement avec ma meilleure amie. Son père était parti faire des commissions. Nous étions assises sur le divan en regardant un film. Elle s’est tournée vers moi, s’est rapprochée lentement, pour ensuite me donner un baiser sur la joue. Mon coeur a chatouillé, mon ventre était rempli de papillons, mes pensées étaient paralysées. Je me suis tournée vers elle et j’ai dit : « Moi aussi. »

Le lendemain matin, main dans la main, nous marchions avec confiance dans les corridors qui comptaient des centaines et des centaines de casiers. Elle m’aide à sortir mes cartables et m’accompagne jusqu’à ma salle de classe.

À la première récréation de la journée, il y avait déjà des regards, des chuchotements, des rires, des doigts qui nous pointaient. J’ai entendu pour la première fois de ma vie le mot « lesbienne », accompagnée de « sorcière », « bizarre », « loser », « reject ». Je n’y comprenais rien. J’étais une personne qui aimait une autre personne.

C’est ainsi que l’intimidation a commencé. Cinq années d’enfer à l’école secondaire : insultes, moqueries, menaces, vandalisme, poussage, jambettes, couper mes cheveux, me lancer des oeufs, me suivre jusqu’à la maison, etc., etc., etc. Une chance qu’il n’y avait pas Facebook dans mon temps.

Des années de tentatives de suicide, de relations abusives, d’abus d’alcool et de pilules m’ont fait oublier que j’avais une attirance envers des femmes. L’automne de mes 12 ans avait été effacé de ma mémoire

Chantal Thanh Laplante[1]

Introduction

La vie dans les corridors d’écoles n’est pas du tout rose pour ces jeunes qui, comme Chantal, subissent une marginalisation ou une exclusion par leurs pairs. Ce sont des jeunes LGBTQ[2] qui sont confrontés aux conséquences parfois dévastatrices d’une réalité de terrain qui reflète de sérieuses lacunes et retards dans la mise en application de mesures aptes à promouvoir la diversité sexuelle au sein du milieu scolaire. Nous savons qu’il y a eu, pour trop longtemps d’ailleurs, un manque de volonté de discuter de questions touchant les personnes LGBTQ ou même, dans certain cas, une hésitation à reconnaitre l’existence de jeunes LGBTQ au sein de la communauté scolaire[3]. Pour ne nommer qu’un exemple anecdotique rapporté en 2016, un directeur d’école aurait déclaré qu’un comité de la diversité sexuelle et de genre[4] n’était pas nécessaire puisque, selon lui, il n’y avait pas d’élèves LGBTQ à son école de toute façon[5].

L’objectif de cet article est d’introduire les questions juridiques soulevées par le droit des enfants et des jeunes personnes d’être exempts de discrimination – sur la base de l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre et de l’expression du genre – au sein d’une école publique canadienne. La question de recherche est notamment orientée par l’oeuvre des droits de la personne : comment les droits à la non-discrimination, à la fois des droits constitutionnels et quasi constitutionnels, ont-ils contribué à faire des écoles des lieux d’apprentissage plus sécuritaires, inclusifs et respectueux? Nous y répondrons d’abord en examinant le cheminement historique vers la constitutionnalisation des droits à l’égalité et à la non-discrimination des personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles par la Cour suprême du Canada. Ensuite, nous examinerons d’une perspective juridique l’intérêt impérieux de l’État en matière d’éducation et le rôle des écoles publiques dans la promotion de certaines valeurs sociétales. Nous aborderons enfin l’obligation d’agir de la part des autorités scolaires afin de protéger les jeunes contre l’intimidation et la violence transphobe et homophobe. Nous verrons que les mesures préventives exigées des autorités scolaires furent d’abord établies par les tribunaux des droits de la personne du Québec et de la Colombie-Britannique, pour ensuite être confirmées par les cours supérieures. La promulgation récente, en Ontario, d’un encadrement législatif portant le nom de la Loi pour des écoles tolérantes, que nous examinerons en dernier lieu, s’inscrit précisément dans les efforts d’imposer aux autorités scolaires la responsabilité de prendre des mesures qui visent la valorisation et la sécurité des élèves au sein d’un milieu scolaire non discriminatoire et propice à l’apprentissage. 

1. Les effets néfastes de l’homophobie et de la transphobie sur la santé des jeunes LGBTQ et les répercussions positives sur le climat scolaire des mesures promouvant le respect de la diversité sexuelle et de genre

Le suicide est la deuxième forme la plus fréquente de décès prématuré chez les jeunes de 15-24 ans au Canada[6] et les jeunes LGBTQ comptent pour un nombre important et disproportionné de ces décès (Ann P. Haas et al., 2011, p. 22). Combien de jeunes avons-nous perdus à cause de l’homophobie? Trop, confirme le sociologue des sexualités Michel Dorais dans son ouvrage Mort ou fif : homophobie, intimidation et suicide (Dorais, 2014).

Outre les suicides, nous ne pouvons faire fi de la panoplie des difficultés vécues par les jeunes LGBT. Des recherches effectuées au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni ont identifié les facteurs troubles de l’intimidation sur la santé physique et mentale des jeunes LGBTQ[7], parmi lesquels on retrouve une augmentation des idées suicidaires et des tentatives de suicide, l’augmentation des taux de dépression et d’anxiété, ainsi qu’une incidence négative sur la performance académique et l’estime de soi[8]. Les causes premières de ces troubles sont le harcèlement psychologique, l’intimidation verbale et la violence physique[9]. Selon les recherches empiriques récentes, les jeunes personnes LGBTQ subissent disproportionnellement, voire plus fréquemment que leurs pairs hétérosexuels, de la violence et de l’intimidation[10].

Des recherches sur le climat scolaire nous indiquent que, dans les écoles où des programmes, des politiques ou des comités scolaires sont mis en oeuvre pour contrer l’homophobie et la transphobie, les jeunes LGBTQ enregistrent de meilleurs indicateurs de santé physique et mentale (Taylor et Peter, 2011; Kosciw et al., 2010; Ruth et Jensen, 2007). Par exemple, au Canada, nous pouvons constater que les effets correctifs de ces mesures ne sont pas négligeables : « LGBTQ students who come from schools with anti-homophobia policies were significantly less likely to report feeling unsafe in general at school (61.4 % compared to 75.8 % of LGBTQ students at schools without anti-homophobia policies) or feeling unsafe due to their sexual orientation (41.4 % compared to 56.6 %) » (Taylor et Peter, 2011, p. 119). Entre autres, la création et la mise en oeuvre d’un comité de la diversité sexuelle, de genre et leurs personnes alliées fait partie des mesures prônées par ceux qui comprennent le mieux la réalité du terrain[11]. Il s’agit d’un moyen relativement simple et peu coûteux de renforcer, chez les jeunes, « un sentiment d’appartenance, la valorisation de soi et de sécurité » (FJFNB, 2016, p. 6).

Les données empiriques récentes semblent tangiblement appuyer la mise en oeuvre de politiques générales et de mesures préventives pour assainir l’hostilité envers les différentes manifestations de la diversité sexuelle et de genre. En revanche, dans la sphère judiciaire, a-t-on interprété la portée des droits de la personne de façon à protéger la dignité et le respect des jeunes LGBT à l’école?

2. De la discrimination légitime vers l’égalité formelle des lesbiennes et des gais : la constitutionnalisation du droit à l’égalité et son application aux lois provinciales quasi constitutionnelles en matière des droits de la personne

Comme la race, l’origine ethnique, la liberté religieuse, et le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre[12] sont protégées par des lois sur les droits de la personne au Canada[13]. Les droits de la personne ont été inscrits dans la Loi constitutionnelle de 1982[14] au moyen de la Charte canadienne des droits et libertés[15]. L’adoption de la Charte n’a pas eu d’impact significatif sur la fonction des lois provinciales relatives aux droits de la personne, mais elle a plutôt servi à leur donner un caractère dit « quasi constitutionnel »[16]. Aujourd’hui, l’intimidation scolaire sur la base de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre peut effectivement constituer une violation des droits de la personne.

L’idée que la diversité LGBTQ soit socialement et juridiquement acceptée et acceptable dans le milieu scolaire est toutefois une idée plutôt récente. La tolérance de la diversité sexuelle à l’école s’inscrit dans une histoire à plusieurs chapitres, dont la décriminalisation de l’homosexualité en 1969, la dépathologisation de l’homosexualité par la Canadian Psychiatric Association en 1982 et, comme il est ici question, l’inclusion de l’orientation sexuelle comme motif illicite de discrimination[17].

Les architectes législatifs de la Charte, dont le premier ministre Pierre Elliot Trudeau, choisirent de ne pas expressément nommer l’orientation sexuelle (ou l’identité et l’expression du genre) dans l’énumération des motifs de protection de son article 15[18], ce qui aurait eu comme effet de constitutionnaliser, dès 1985, le droit à l’égalité formelle des minorités sexuelles et de genre. C’est plutôt la branche judiciaire du gouvernement à qui est revenue la tâche de proscrire la discrimination de ces personnes dans de nombreuses sphères de la société.

En 1998, treize ans après l’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte, la Cour suprême du Canada entendait l’histoire de Delwin Vriend[19], plus précisément de son congédiement d’un collège albertain du seul fait d’être un homme gai. Le conseil des gouverneurs du collège avait adopté, en 1991, un « énoncé de principe sur l’homosexualité » et, peu après, le président du collège a demandé à monsieur Vriend de démissionner. En réponse à son refus de démissionner, le collège a décidé de le congédier de son poste de coordonnateur de laboratoire. Le seul motif donné pour justifier le congédiement était le non-respect de la politique en matière d’homosexualité. Notons que la loi albertaine sur les droits de la personne de l’époque[20], à laquelle était assujetti le collège qui employait monsieur Vriend, ne protégeait toujours pas expressément contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

Monsieur Vriend a voulu saisir la Commission des droits de la personne de l’Alberta d’une plainte, dans laquelle il soutenait que son employeur avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de son orientation sexuelle, mais la commission lui a informé que cette plainte ne ne pouvait être formulée parce que l’orientation sexuelle ne figurait pas au nombre des motifs de distinction interdite de discrimination. Il a donc présenté une requête à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en vue d’obtenir un jugement déclaratoire à l’effet que « l’orientation sexuelle » soit tenue pour un motif de distinction illicite pour l’application des articles portant sur le droit à la non-discrimination de la loi albertaine sur les droits de la personne[21].

Certaines des questions constitutionnelles que soulevait l’affaire Vriend furent débattues devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire Egan c. Canada[22], où une majorité de juges a conclu que l’omission de protéger les personnes contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle constituait une violation injustifiée de l’article 15 de la Charte[23]. Dans l’arrêt Egan, la Cour suprême a examiné la question de savoir si les homosexuels constituaient une minorité distincte et isolée ayant droit à la protection de la Charte. L’exclusion des couples de même sexe de l’admissibilité à l’allocation de conjoint viole l’article 15 de la Charte puisque la négation du bénéfice est fondée sur une distinction non pertinente fondée sur l’orientation sexuelle, qui constitue dès lors un motif analogue de discrimination.

La Cour suprême, dans l’arrêt Egan, continua l’élan qu’elle avait entamé dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia[24], où la plus haute cour de justice du pays reconnaissait, pour la première fois, que les motifs de discrimination énumérés ne sont pas exhaustifs. Ces motifs comprennent aussi des motifs analogues afin de protéger des groupes dont la caractéristique personnelle n’est pas explicitement énumérée au paragraphe 15(1) de la Charte[25]. Dans Andrews, des juges de la Cour suprême ont aussi conclu que l’article 15 a pour objet principal de « favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération »[26]. La juge L’Heureux-Dubé, dissidente dans l’arrêt Egan, ajoute d’autres précisions quant à la façon dont il convient d’aborder l’égalité :

[A]u coeur de l’art. 15 se situe la promotion d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît en tant qu’êtres humains égaux, tous aussi capables et méritants les uns que les autres. Une personne ou un groupe de personnes est victime de discrimination au sens de l’art. 15 de la Charte si, du fait de la distinction législative contestée, les membres de ce groupe ont l’impression d’être moins capables ou de moins mériter d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération. Ce sont là les éléments essentiels de la définition de la « discrimination » – une définition qui insiste davantage sur l’impact (c’est-à-dire l’effet discriminatoire) que sur les éléments constitutifs (c’est-à-dire les motifs de la distinction)[27].

Dans l’arrêt Vriend, la loi sur les droits de la personne de l’Alberta, de par sa portée trop limitative, créait des distinctions incompatibles avec l’article 15 de la Charte. Premièrement, les juges majoritaires soulignent la distinction créée par la portée trop limitative de la loi entre les personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles, d’une part, et les autres groupes défavorisés qui bénéficient de la protection contre la discrimination, d’autre part. En effet, les hommes gais, les lesbiennes et les personnes bisexuelles ne jouissaient pas, à cette époque, d’une égalité formelle par rapport aux autres groupes protégés par la loi albertaine : la race, les croyances religieuses, la couleur, le sexe, la déficience physique ou mentale, l’âge, l’ascendance et le lieu d’origine, l’état matrimonial, la source de revenu et la situation familiale. Deuxièmement, on a fait remarquer que l’omission crée aussi une distinction fondamentale entre les personnes hétérosexuelles et celles qui ne le sont pas. Compte tenu de la réalité sociale de la discrimination exercée contre les minorités sexuelles, l’exclusion de l’orientation sexuelle avait des répercussions particulièrement préjudiciables envers ces personnes dont la protection est rendue nécessaire en raison des « désavantages sociaux, politiques et économiques »[28]. La juge L’Heureux-Dubé souligne d’ailleurs les stéréotypes, la marginalisation et la stigmatisation historiques considérables dans la société canadienne de ces personnes[29]. Selon elle, l’exclusion de la protection de la loi sur les droits de la personne « envoie à tous les Albertains le message qu’il est permis et, peut-être même acceptable, d’exercer une discrimination à l’égard d’une personne sur le fondement de son orientation sexuelle »[30] et « [u]n tel message, même s’il n’est que tacite, ne peut que violer le paragraphe 15(1) »[31].

Depuis les arrêts Egan et Vriend, l’orientation sexuelle constitue alors un motif analogue de distinction illicite qui ne peut être omis des lois sur les droits de la personne. La loi albertaine devait être interprétée de façon large afin de corriger la portée limitative du texte de loi et d’inclure le motif de l’orientation sexuelle qui avait été omis. En raison de sa portée trop limitative, la loi albertaine niait aux personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles le droit à l’égalité réelle. Monsieur Vriend, congédié injustement de son poste d’enseignement, avait été victime de discrimination au travail sur la base de son orientation sexuelle.

3. L’intérêt impérieux de l’État à l’égard de l’éducation de la jeunesse et la promotion des droits de la personne en milieu scolaire 

Dans l’arrêt R. c. Jones[32], le juge Laforest rappelle qu’« [a]ucune preuve n’est nécessaire pour démontrer l’importance de l’éducation dans notre société ou son importance pour le gouvernement »[33] et que « [t]ous les citoyens informés savent et comprennent que l’État a un intérêt légitime, voire impérieux, à l’égard de l’éducation de la jeunesse »[34]. Qu’en est-il du rôle de l’État dans de promotion des droits de la personne et, de ce fait, du respect de la diversité sexuelle et du genre? L’école constitue-t-elle un milieu particulier en regard des questions liées au respect des droits de la personne? Les cours et les tribunaux ont répondu dans l’affirmative à cette dernière question et nous examinons ici les raisons qu’ils invoquent pour souligner la pertinence de l’enjeu, comme l’âge et la vulnérabilité des élèves, l’intérêt public ainsi que le mandat d’éducation du système scolaire public.

Dans l’arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no15 du Nouveau-Brunswick[35], la Cour suprême du Canada précise le rôle de l’école dans la définition des valeurs sociétales, ainsi que l’obligation des conseils scolaires de maintenir un milieu scolaire positif pour tous les jeunes :

Une école est un centre de communication de toute une gamme de valeurs et d’aspirations sociales. Par l’entremise de l’éducation, elle définit, dans une large mesure, les valeurs qui transcendent la société. Lieu d’échange d’idées, l’école doit reposer sur des principes de tolérance et d’impartialité de sorte que toutes les personnes qui se trouvent en milieu scolaire se sentent également libres de participer. Le conseil scolaire a l’obligation de maintenir un milieu scolaire positif pour toutes les personnes qu’elle sert

paragraphe 42

La Cour suprême du Canada a aussi invoqué le devoir de prendre des moyens appropriés pour aider à développer chez les jeunes le respect des droits de la personne :

Les écoles ont l’obligation d’inculquer à leurs élèves le respect des droits constitutionnels de tous les membres de la société. L’apprentissage du respect de ces droits est essentiel à notre société démocratique et devrait faire partie de l’éducation de tous les élèves. C’est par l’exemple que ces valeurs se transmettent le mieux, et elles peuvent être minées si les personnes en autorité font fi des droits des élèves[36].

Une majorité de juges dans l’arrêt Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers[37] font remarquer que « les écoles sont censées développer le civisme, former des citoyens responsables et offrir un enseignement dans un milieu où les préjugés, le parti pris et l’intolérance n’existent pas » (paragraphe 13). Dans son jugement dissident, la juge L’Heureux-Dubé abonde dans le même sens quand elle réitère les notions de l’intérêt public, la vulnérabilité des jeunes et la promotion de certaines valeurs sociétales à l’école :

Il est d’intérêt public vital de créer et de maintenir un climat favorable dans les salles de classe de notre pays, qui constituent les incubateurs intellectuels des citoyens canadiens les plus vulnérables et les plus impressionnables. L’enseignement éveille les enfants aux valeurs que la société espère promouvoir et développer[38].

La Cour suprême a d’ailleurs déjà soutenu l’idée voulant que l’exposition à certaines dissonances cognitives soit parfois nécessaire pour que les enfants apprennent ce qu’est la tolérance. Dans l’arrêt Chamberlain c. Surrey School District No 36[39] – un contrôle judiciaire issu de la décision d’un conseil scolaire de refuser d’approuver comme ressources d’apprentissage complémentaires des livres pour enfants dans lesquels figurent des familles homoparentales – la juge en chef McLaughlin affirme ce qui suit au sujet des dissonances cognitives que peuvent vivre les enfants qui grandissent dans une société diversifiée :

En tant que membres d’un corps scolaire hétérogène, les enfants y sont exposés tous les jours [à certaines dissonances cognitives] dans le système d’enseignement public. À l’heure des repas, ils voient leurs camarades de classe, et peut-être aussi leurs professeurs, manger des aliments qui leur sont interdits, que ce soit en raison des restrictions religieuses de leurs parents ou d’autres croyances morales. Ils voient leurs camarades porter des vêtements dont leurs parents désapprouvent les caractéristiques ou les marques. Et ils sont également témoins, dans la cour d’école, de comportements que leurs parents désapprouvent. La dissonance cognitive qui en résulte fait simplement partie de la vie dans une société diversifiée. Elle est également inhérente au processus de croissance. C’est à la faveur de telles expériences que les enfants se rendent compte que tous ne partagent pas les mêmes valeurs

paragraphes 65-66

L’idée selon laquelle la tolérance mutuelle constitue l’une des pierres d’assise de toute société démocratique est revenue plus récemment dans l’arrêt Commission scolaire Des Chênes : « La reconnaissance de l’autre s’appuie sur le principe que toutes les personnes sont égales en valeur et en dignité et la poursuite du bien commun renvoie à la valorisation de la tolérance, l’ouverture à la diversité et le respect d’autrui »[40]. Tout en reconnaissant que les parents qui le désirent sont libres de transmettre à leurs enfants leurs croyances personnelles, la juge Deschamps, au nom de la Cour, conclut que « l’exposition précoce des enfants à des réalités autres que celles qu’ils vivent dans leur environnement familial immédiat constitue un fait de la vie en société » (paragraphe 40).

Dans l’arrêt Trinity Western, la juge L’Heureux-Dubé se penche tout particulièrement sur le mauvais sort réservé aux jeunes personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles dans le milieu scolaire. Elle soulève la situation de ces jeunes qui subissent l’isolement, le harcèlement, l’intimidation et la violence à l’école. Elle rappelle que ces jeunes personnes sont presque toujours en minorité dans leur propre famille, puisqu’elles ne bénéficient pas, lorsqu’elles commencent l’école, du soutien et de la compréhension dont les membres d’autres groupes minoritaires jouissent de la part de leur famille. Les écoles constituent donc, selon elle, une importante source secondaire de soutien pour les élèves qui sont aux prises avec des problèmes de sexualité; elles peuvent neutraliser l’effet d’un milieu familial hostile. Faisant face à des milieux scolaires hostiles à la diversité sexuelle, ces jeunes sont forcés d’endurer la « spirale du silence », et risquent, de ce fait, l’effacement identitaire (paragraphe 81).

Pour appuyer la conclusion à l’effet qu’il existe un besoin pressant d’améliorer la situation de ces jeunes personnes lesbiennes, bisexuelles et gaies à l’école, la juge L’Heureux-Dubé cite un document de Santé Canada publié en 1996 dans lequel on arrivait aux résultats suivants : « La discrimination implicite et explicite règne dans tout le système scolaire. Les écoles assument rarement leurs responsabilités à l’égard des jeunes lesbiennes, des bisexuels et des gais… » (paragraphe 82)

Dans la prochaine section, nous examinons la norme développée par les tribunaux sur les droits de la personne en matière d’intervention contre la discrimination des autorités scolaires. Nous verrons que l’obligation d’agir pour faire cesser les manifestations de harcèlement peut exiger la mise en oeuvre de mesures préventives pour limiter la portée et les effets de l’intimidation et du harcèlement des élèves LGBTQ et leurs personnes alliées.

4. Les lois sur les droits de la personne et le devoir de maintenir un environnement scolaire non discriminatoire

Au Canada, la gestion des écoles publiques est une compétence constitutionnelle assumée par les provinces[41]. Les mesures prises par les écoles ou par les commissions scolaires sont considérées comme des actions de l’État soumises à l’examen de la Charte et des lois provinciales sur les droits de la personne. C’est au tribunal provincial des droits de la personne au palier provincial à qui il revient d’entendre les plaintes pour harcèlement ou discrimination qui opposent les conseils scolaires. Contrairement aux cours, « les tribunaux des droits de la personne sont des organismes spécialisés qui possèdent des pouvoirs leur permettant de concevoir des remèdes aux problèmes sociaux particuliers qui sous-tendent une plainte de discrimination » (Nancy Holmes, 1997)[42].

Le Tribunal des droits de la personne du Québec fut le premier, en 1993, à examiner si une commission scolaire peut être tenue responsable pour des incidents commis qui constituent du harcèlement. Dans l’affaire Kafé et Commission des droits de la personne du Québec c. Commission scolaire Deux-Montagnes[43], le tribunal québécois était appelé à apprécier la responsabilité d’une commission scolaire pour le harcèlement raciste causé par des élèves du secondaire à un de leur enseignant. Plus précisément, le tribunal était saisi d’une demande, conformément à la loi provinciale nommée la Charte des droits et libertés de la personne[44], dans laquelle la Commission des droits de la personne du Québec alléguait que des atteintes aux droits de William Kafé avaient été commises par la commission scolaire. L’ensemble des actes constituant du harcèlement à l’endroit de monsieur Kafé avait créé un milieu hostile et offensant pour ce dernier.

La Commission des droits de la personne argumenta que la commission scolaire, par ses agissements et sa négligence à prendre les moyens appropriés pour faire cesser les manifestations de harcèlement dans ses établissements d’enseignement, avait, de ce fait, imposé à monsieur Kafé des conditions de travail qui portait atteinte à son droit à la reconnaissance et à l’exercice, en toute égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur ou l’origine nationale[45].

Selon la conclusion du tribunal, face à de sérieuses manifestations de harcèlement racial, la commission scolaire avait l’obligation d’agir avec diligence en prenant des mesures promptes, efficaces et proportionnelles au problème à régler[46]. En s’appuyant sur le précédent jurisprudentiel de l’arrêt Robichaud[47], le tribunal conclut que la commission scolaire avait le fardeau d’établir « un plan destiné à remédier à la situation et à empêcher qu’elle ne se reproduise [...] »[48]. L’invalidité de monsieur Kafé avait été causée par le harcèlement pour lequel la commission scolaire avait engagé sa responsabilité en n’intervenant pas de manière adéquate. Comme mesure de redressement, le Tribunal a ordonné à la commission scolaire de verser à monsieur Kafé, à titre de dommage moral, une somme de 10 000 $, pour atteinte à sa dignité et à sa réputation, et pour injures et humiliation, angoisse morale et mentale[49].

Comme la Cour d’appel de la Colombie-Britannique le confirmera dans Jubran c. North Vancouver School District[50], un cas précis de harcèlement homophobe entre élèves au secondaire, le raisonnement qui suit, tenu à l’égard de la discrimination raciale, est applicable à une situation de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Le Tribunal des droits la personne du Québec s’est ainsi prononcé :

S’il existe un milieu où il faut assumer l’éducation des personnes qui y vivent, c’est bien celui de l’école. Afin de prévenir la discrimination ou le harcèlement, les enseignants et les divers intervenants des commissions scolaires doivent informer les étudiants sur les droits et libertés de la personne et, en plus, ils doivent tout mettre en oeuvre pour que leur école ne permette, sous aucune considération, le déploiement d’attitudes, de paroles ou de gestes discriminatoires.

Kafé, paragraphe 108

[]

En n’indiquant pas clairement le refus catégorique des préjugés sociaux pouvant mener à des comportements discriminatoires et à du harcèlement racial, les autorités de l’école leur laissaient en quelque sorte le champ libre. Or, une classe d’élèves peut devenir un réservoir de préjugés, de comportements discriminatoires et même de harcèlement, se révélant lorsqu’ils trouvent des conditions favorables à leur développement. Les autorités de l’école avaient donc le devoir d’affirmer clairement aux enseignants et aux élèves que les manifestations de discrimination, de harcèlement racial étaient à tous égards inacceptables. Ne pas le faire comportait le trop grand risque de légitimer ce qui évidemment ne peut l’être.

Kafé, paragraphe 110

Soyons clairs : si la commission scolaire ne peut, de manière absolue, empêcher toute manifestation d’attitudes, paroles ou gestes à connotation discriminatoire, elle contrôle cependant la réponse qu’elle doit apporter à ces actes. Elle a donc le devoir, à partir de la connaissance qu’elle a de son milieu, de répondre adéquatement, c’est-à-dire en fonction de la gravité des gestes posés et de la personnalité de celui qui en est la victime, lui indiquant alors clairement que pareil comportement est inacceptable.

Kafé, paragraphe 111

La simple existence d’une politique contre le harcèlement et la discrimination, comme le rappellent les tribunaux, n’est pas en soi suffisante pour répondre adéquatement au harcèlement (...)

Kafé, paragraphe 112

(...) Toute réponse ne suffit pas en elle-même à exonérer l’autorité responsable et qu’à ce titre une réprimande verbale n’est pas nécessairement le remède approprié[51].

Kafé, paragraphe 116

Dans l’affaire Jubran, le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a effectivement cité le raisonnement du tribunal québécois pour appuyer la proposition selon laquelle « les écoles ont le devoir d’éduquer les élèves en matière des droits de la personne et de prendre des démarches pour prévenir le harcèlement et la discrimination »[52]. Un conseil scolaire peut donc être tenu responsable d’avoir violé la législation provinciale en matière de droit de la personne pour son défaut de créer un environnement exempt de discrimination basée sur l’orientation sexuelle. C’est la conclusion de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dont la demande d’autorisation d’appel fut rejetée par la Cour suprême du Canada[53].

Azmi Jubran, un élève dans une école secondaire de la Colombie-Britannique, avait été l’objet d’insultes homophobes et de harcèlement pendant toute la durée de ses études. Le plaignant ne s’identifiait toutefois pas comme une personne homosexuelle. En 1996, il a déposé une plainte au Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique à l’endroit du conseil scolaire de son ancienne école, alléguant qu’il avait été la cible de discrimination en raison de son orientation sexuelle. La commission scolaire argumenta que les commentaires homophobes des élèves dans la cour d’école ne pouvaient pas être considérés comme de la discrimination au sens de la loi, puisque l’accès à l’éducation du jeune homme n’avait pas été limité.

Après avoir conclu que monsieur Jubran avait effectivement le droit d’intenter une poursuite en discrimination, même s’il ne s’identifiait pas en tant qu’homosexuel, le tribunal a accueilli la plainte du jeune homme. Somme toute, le conseil scolaire avait manqué à son devoir de permettre à monsieur Jubran de participer à un environnement exempt de discrimination et de harcèlement :

It is the statutory responsibilities of school boards as well as the compelling state interest in the education of young people (Jones), and the school board's obligation to maintain a non-discriminatory school environment for students (Ross) which gives rise to the School Board's duty respecting student conduct under the Code. As a matter of legislation and case authority, there is a legitimate state interest in the education of the young, that students are especially vulnerable, that the School Board may make rules establishing a code of conduct for students attending those schools as part of its responsibility to manage those schools. Given this, and the quasi-constitutional nature of the Code, I find that the School Board has the duty to provide students with an educational environment that does not expose them to discriminatory harassment[54].

En dépit des efforts importants de la direction d’école, la situation ne s’améliorait pas pour Azmi. De nouveaux élèves, qui n’étaient pas impliqués auparavant, entraient dans le jeu et se prêtaient au comportement intimidant et violent des autres. Les personnes responsables avaient pourtant réagi à chacun des incidents avec des rappels que de tels comportements étaient inacceptables, des rencontres avec les élèves concernés, la menace de suspension en cas de récidive et en menant des discussions avec les parents des élèves qui pratiquaient la discrimination. La direction d’école avait même organisé des rencontres avec la direction d’école, monsieur Jubran et ses parents.

La décision établit donc une norme exigeante en ce qui concerne la responsabilité d’un conseil scolaire de prévenir la violence et l’intimidation. Les actes du conseil scolaire doivent être évalués à la lumière de l’idéal d’un environnement scolaire libre de discrimination. Dans l’affaire Jubran, on a reproché à la commission scolaire d’avoir omis d’appliquer une stratégie d’éducation efficace pour traiter de l’homophobie, du harcèlement et de la discrimination des élèves. On examina des éléments comme la présence de surveillants et la formation des intervenants et conclut que l’école n’a pas fait appel à des ressources externes spécialisées pour l’aider à résoudre la situation. L’école fut aussi critiquée d’avoir négligé d’aborder le problème de l’homophobie de façon générale avec l’ensemble des étudiants. Bien que des membres de l’administration de l’école s’étaient intéressés à la situation du plaignant et avaient envisagé divers moyens de régler le problème, le conseil scolaire n’avait pris aucune mesure générale à l’égard de l’homophobie ou du harcèlement et n’avait mis en oeuvre aucun programme visant à les combattre. L’administration de l’école n’avait ni les outils, ni une formation ou une éducation suffisante pour faire face au problème du harcèlement. Le tribunal des droits de la personne a donc retenu la responsabilité des autorités scolaires et ordonné un redressement à titre de dommages moraux en faveur de monsieur Jubran.

La commission scolaire a porté en appel la décision du tribunal administratif devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, à la suite duquel le juge de première instance a conclu qu’il n’y avait pas eu discrimination puisque M. Jubran n’était pas homosexuel. Par conséquent, selon lui, le tribunal des droits de la personne n’était pas habilité à juger la cause[55]. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique renversa cette conclusion et rétablit la décision initiale : la plainte était recevable par le tribunal et le conseil scolaire fut tenu responsable du comportement discriminatoire des élèves. Selon une majorité des juges de la Cour d’appel, il était sans importance que monsieur Jubran ne s’identifiait pas comme un homme gai et que ses collègues de classe ne croyaient pas nécessairement qu’il l’était[56].

Le jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, que la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre en appel, apporte une contribution unique à la jurisprudence en matière de discrimination sur la base de l’orientation sexuelle. Il s’agit notamment de la première décision judiciaire à se pencher directement sur la responsabilité d’un conseil scolaire par rapport aux actes de harcèlement homophobe commis à l’école. C’est un précédent important en ce qui concerne la responsabilité des écoles d’assurer un environnement sain et sécuritaire pour les jeunes personnes LGBTQ.

En fixant certaines balises quant à l’étendue de l’obligation des autorités scolaires, l’affaire Jubran apporte aussi des précisions quant à l’application des lois provinciales sur les droits de la personne au sein des écoles. Pour les autorités scolaires, l’affaire Jubran est une première occasion d’examiner, d’une perspective juridique, le devoir d’agir dans le sens d’offrir un environnement d’apprentissage libre de discrimination. Les conclusions du tribunal permettent aussi de mieux comprendre ce qui est exigé par les droits quasi constitutionnels du régime provincial des droits de la personne. Les écoles sont notamment tenues de prendre des démarches pour corriger et, à la fois empêcher les situations d’homophobie et de transphobie. Bref, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a reconnu dans Jubran une responsabilité importante, voire une obligation d’agir, aux autorités scolaires.

Un conseil scolaire qui tarde à mettre en oeuvre des mesures pour contrer l’homophobie et la transphobie pourrait, du seul fait de son inaction, se rendre susceptible d’être tenu responsable de discrimination. En Ontario, au-delà des obligations préconisées par les tribunaux sur les droits de la personne, les autorités scolaires sont aussi soumises aux responsabilités statutaires définies par la Loi pour des écoles tolérantes pour contrer la discrimination et l’intimidation.

5. La Loi de 2012 pour des écoles tolérantes de l’Ontario et les mesures préventives contre la discrimination et l’intimidation des jeunes LGBTQ

Après une lutte politique passionnée avec certains groupes religieux[57], la Loi de 2012 pour des écoles tolérantes[58] fut adoptée à l’Assemblée législative de l’Ontario. Cette loi exige que tous les conseils scolaires prennent des mesures de prévention contre la violence et l’intimidation, envisagent des conséquences plus sévères en cas d’intimidation, et soutiennent les élèves qui veulent encourager la compréhension et le respect par le biais de regroupements étudiants, comme les groupes portant le nom d’alliance gai-hétéro[59]. Ces nouvelles responsabilités statutaires ajoutent certaines précisions quant à l’exigence de prévenir l’homophobie et la transphobie dans les écoles, au-delà de la réaction aux situations sur une base individuelle et disciplinaire.

Plus précisément, la Loi pour des écoles tolérantes est venue modifier la Loi sur l’éducation de l’Ontario pour y ajouter, notamment, une définition d’intimidation[60]; exiger que les conseils scolaires élaborent et mettent en oeuvre des politiques d’équité et d’éducation inclusive; exiger que les conseils scolaires élaborent des politiques et lignes directrices sur la discipline progressive, la prévention de l’intimidation et l’intervention qui comprennent soutiens et ressources pour les élèves; créer une plus grande transparence et plus de responsabilités en exigeant que les conseils scolaires fassent rapport sur les progrès quant aux objectifs pour établir un climat scolaire positif pour tous les élèves; introduire des conséquences plus sévères pour l’intimidation et les actions motivées par la haine, allant jusqu’au renvoi; favoriser un climat scolaire positif et prévenir les comportements inappropriés, notamment l’intimidation, l’agression sexuelle, la violence sexiste et les incidents fondés sur l’homophobie[61].

Conclusion

Les droits de la personne contribuent-ils à rendre le milieu scolaire plus sécuritaire, inclusif et tolérant? Cet article s’est penché sur cette question en abordant la constitutionnalisation du droit à l’égalité formelle des personnes LGBTQ, la nature quasi constitutionnelle du droit à la non-discrimination en vertu des lois provinciales sur les droits de la personne, l’intérêt légitime de l’État en matière d’éducation des jeunes (un groupe de personnes particulièrement vulnérables), ainsi que les obligations statutaires des autorités scolaires concernant le maintien d’un environnement scolaire libre de discrimination à caractère homophobe ou transphobe.

Les obligations des autorités scolaires en matière d’éducation sont mieux comprises à la lumière des droits fondamentaux et des droits quasi constitutionnels en matière des droits de la personne. L’inscription de l’orientation sexuelle comme motif de distinction illicite (et plus récemment, dans certaines provinces, l’identité et l’expression du genre) constitue l’affranchissement d’une étape importante dans la reconnaissance des droits des personnes LGBTQ. Depuis la constitutionnalisation du droit à l’égalité formelle des minorités sexuelles et de genre, par l’oeuvre d’une interprétation large de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, l’intolérance envers les personnes LGBTQ est devenue incompatible avec le droit à la non-discrimination prévu par les régimes provinciaux.

Il ressort de la jurisprudence canadienne que le milieu scolaire est perçu comme un des sites les plus importants dans la socialisation des enfants. Le rôle de l’école dans la promotion de la diversité sexuelle et de genre est une question politique et juridique intimement liée aux préoccupations sociétales actuelles. Plus que jamais, la population canadienne est composée de plusieurs groupes culturels et religieux différents qui détiennent des opinions différentes sur la sexualité, les familles LGBTQ et les communautés trans. L’intérêt impérieux de l’État en matière d’éducation semble justifier la proposition selon laquelle le cheminement scolaire est une tentative ambitieuse de construire un type particulier de citoyen. Si les écoles ont un devoir d’inculquer le respect des droits de la personne de tous les membres de la société, il devient d’autant plus justifié d’exposer les jeunes à des visions du droit et des valeurs humaines qui promeuvent le respect des sexualités humaines, des diversités des sexes et des genres.

Les tribunaux ont reconnu aux autorités scolaires l’obligation de créer et maintenir un environnement d’apprentissage libre de discrimination. Les mesures exigées sont à la fois préventives et correctives. En effet, les droits de la personne ont donné lieu à certaines obligations positives pour assurer que le milieu scolaire soit un lieu d’apprentissage sécuritaire, inclusif et tolérant. À l’égard de l’homophobie et la transphobie ambiantes, on exige des autorités scolaires une réponse plus générale. Ces mesures peuvent prendre la forme d’outils et de formations pédagogiques, ainsi que la mise en oeuvre de programmes pour lutter contre l’homophobie et la transphobie. Parfois, les ressources spécialisées externes peuvent être nécessaires. La jurisprudence que nous avons examinée ne permet toutefois pas d’identifier toutes les pistes de solutions, laissant aux fonctionnaires le soin de développer les mesures qui pourraient être mises en place par les écoles en réponse aux situations d’homophobie ou de transphobie. Certaines provinces ont développé des manuels pédagogiques ou des politiques en matière d’inclusion scolaire[62].

En Ontario, la Loi pour des écoles tolérantes fournit, depuis 2012, un encadrement législatif aux élèves qui souhaitent mener des activités ou créer des groupes qui font la promotion de l’équité entre les sexes, l’antiracisme, la compréhension et le respect des personnes de toutes les orientations sexuelles et les identités de genre et expressions de genre. La mise en oeuvre des comités de la diversité sexuelle, de genre et leurs personnes alliées semble d’ailleurs être une des solutions préconisées par les chercheurs en sciences sociales pour pallier aux lacunes présentes.

Compte tenu des considérations juridiques et sociales, les conseils scolaires ont le devoir de fournir aux jeunes un environnement d’apprentissage libre de la violence et de la discrimination à caractère homophobe et transphobe. Ces constats se présentent comme prolégomènes d’une réflexion plus longue. Outre les obligations en matière des droits de la personne, la responsabilité civile générale des autorités scolaires – en salle de classe, dans la cour d’école et hors des heures normales – mériterait un examen des décisions judiciaires qui ont modulé le droit dans la sphère civile.