Compte rendu

Acerenza, Gerardo (dir.) (2005). Dictionnaires français et littératures québécoise et canadienne-française. Ottawa : Les Éditions David. 270 p.[Record]

  • Jean Morency

…more information

  • Jean Morency
    Université de Moncton, Chaire de recherche du Canada en analyse littéraire interculturelle

Issu d’un colloque international ayant eu lieu à St. Jerome’s University, Waterloo, Ontario, du 11 au 13 novembre 2004, cet ouvrage collectif aborde une problématique extrêmement originale : celle des relations prenant place entre les dictionnaires français et les littératures du Québec et du Canada francophone. Ces relations, on s’en doute, s’inscrivent dans le cadre plus large des rapports, à la fois symboliques et institutionnels, entre le centre et la périphérie, rapports qui ont été bien analysés par les sociologues de la littérature, notamment dans le domaine des études francophones. Or, existe-t-il quelque chose qui incarne mieux le centre que le dictionnaire français, objet de prestige mais aussi instrument associé au pouvoir, notamment pour ces écrivains de la marge que sont les écrivains québécois, acadiens et franco-ontariens? Confrontés inévitablement au problème de la langue d’écriture, ces écrivains ne peuvent manquer, tôt ou tard, de se mesurer aux dictionnaires français et de prendre acte de leur richesse extraordinaire, mais aussi de leur inadéquation à rendre compte de la réalité socioculturelle de la francophonie canadienne. En retour, les rédacteurs de dictionnaires français sont placés dans l’obligation de composer, peu ou prou, avec ces écrivains pas comme les autres, qui manient des mots dotés d’un coefficient d’étrangeté qui bouscule, voire qui ébranle, une langue qui pourrait être considérée autrement comme une langue commune. C’est ce noeud de vipères, où s’entremêlent l’usage et la norme, qui fait l’objet des différents textes réunis dans l’ouvrage dirigé par Gerardo Aceranza. La première partie de l’ouvrage regroupe sept textes qui abordent le rôle accordé aux dictionnaires français par des auteurs québécois, acadiens et franco-ontariens. Dans son texte intitulé « Quand Édouard, Maryse et les autres consultent le dictionnaire… ou Le dictionnaire comme argument narratif », Lise Gauvin dégage d’emblée, au moyen de l’usage que font des dictionnaires les personnages créés par Michel Tremblay et Francine Noël, deux types de pratiques : le respect de la norme, respect incarné, de façon atypique dans l’oeuvre de Tremblay, par le personnage d’Édouard, protagoniste du roman Des nouvelles d’Édouard, et la pratique transgressive, symptomatique du personnage de Maryse, figure centrale du roman éponyme. L’écriture romanesque de Tremblay est ainsi caractérisée par un fort penchant normatif, tandis que celle de Noël, qui s’avère plus ludique, tend à s’éloigner du français normé et codé. Pour sa part, dans « Du mot juste au mot rare. Dictionnaires et glossaires dans l’oeuvre d’Hubert Aquin et Jacques Poulin », Gilles Dupuis montre bien comment l’usage des dictionnaires et des glossaires chez les deux écrivains étudiés, l’un étant à la recherche du mot juste (Poulin), l’autre du mot rare (Aquin), aboutit à un même résultat, soit à l’impossibilité de trouver le mot capable d’adhérer au réel. Ceci définit pourtant l’esthétique de chacun de ces deux écrivains, soit le baroque chez Aquin et le dépouillement chez Poulain. On notera que, par conséquent, chez tous ces écrivains, l’image du dictionnaire s’avère symptomatique du rapport difficile qui est entretenu avec la réalité. Dans cette perspective, le texte de Jacqueline Chammas, « Le dictionnaire, vade-mecum vers l’inceste », traite d’un cas limite, exprimé dans le roman La buse et l’araignée, de Jean-Yves Soucy, qui est consacré au désir incestueux d’une jeune fille pour sa mère, désir alimenté par les mots contenus dans les dictionnaires. Ces derniers ne sont plus des carrefours de la connaissance ni des sources de savoir, mais des outils techniques qui poussent la jeune fille vers une folie toujours plus grande. Cette folie juvénile est aussi présente dans La petite fille qui aimait trop les allumettes, de Gaétan Soucy, comme le montre Emmanuelle Sauvage dans …