Compte rendu

LeBlanc, Jocelyne (2004). L’Archéologie du savoir de Michel Foucault pour penser le corps sexué autrement. Paris : l’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique ». 291 p.[Record]

  • O. Sénamin Amedegnato

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  • O. Sénamin Amedegnato
    University of Calgary

C’est en tant que non-spécialiste, donc simple curieux, que j’entreprends ici ce compte rendu, encouragé dans cette audace par l’exposé même des attendus de la collection « Ouverture philosophie » qui, de l’avis de ses co-directeurs, cherche à « favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu’elles soient le fait de philosophes ‘professionnels’ ou non ». Mais il est vrai également que cette curiosité, Michel Foucault lui-même la souhaitait, en ancrant délibérément sa méthode de travail dans l’expérience littéraire du lecteur. Frédéric Gros décrit ce lecteur avide de lecture, interprète et archéologue du savoir, comme « lecteur improbable, ascétique, qui, renonçant à la logique du commentaire infini ou du partage sélectif, se privant des notions d’oeuvre, d’auteur et de progrès, parviendrait à considérer la masse des ‘choses dites’ à une époque, comme des couches telluriques accidentelles, avec des failles et des ruptures, et à ressaisir les énoncés comme de purs événements stratégiques de sens » (« Michel Foucault », Encyclopaedia Universalis). Le livre de Mme Le Blanc propose de L’Archéologie du savoir de Michel Foucault une lecture psychanalytique et tente d’expliciter le lien épistémologique et « la relation méthodologique » du philosophe à la psychanalyse. Ce lien est réel, mais discret, car « avec l’élaboration de la méthode généalogique, malgré la mise à l’écart de la psychanalyse, Foucault a déjà emprunté épistémo-méthodologiquement à Freud […], il a déjà intégré originalement à son analyse archéologique les dimensions du processus de refoulement que sont le déplacement et la condensation [définis par Freud dans L’Interprétation des rêves (1899)] » (pp. 10-11). C’est ainsi que l’auteure postule une affinité entre les concepts foucaldiens d’inconscient du savoir et de pouvoir avec celui du désir. Idem pour l’épistemé et l’inconscient. C’est précisément ce concept d’inconscient qui sous-tend le propos des quatre chapitres que comporte le volume : il a permis à l’auteure de redéfinir, après les avoir exposés au préalable, les concepts clés de la méthode archéologique de Foucault, pour aboutir en fin de compte à appréhender comment, en s’appuyant sur la théorie du manque présente déjà chez Aristote, le processus d’hystérisation du corps de la femme a pu se développer et perdurer pendant des siècles. Le rapport à la psychanalyse est développé essentiellement dans le premier chapitre intitulé « La méthode archéologique et l’inconscient du savoir »; rapport d’autant plus important qu’on sait grâce à de Gilles Deleuze que pour Foucault, les énoncés sont comme des rêves (parallèlement, pour la psychanalyse, l’inconscient est structuré comme un langage). La prise en compte de la psychanalyse, en ce qui a trait au sujet et au temps, a poussé Foucault à choisir la mémoire comme processus primordial pour comprendre comment le corps a été construit à travers les siècles. « Ce processus de sédimentation me semble impliquer », écrit l’auteure, « l’expérience que l’individu a de son propre corps et, aussi, comment une culture construit sa vision du corps, en nous donnant l’impression qu’elle relève de la nature » (p. 247). Or, de telles constructions passent par le langage, puisque celui-ci est l’outil par excellence de la sémiotisation de la nature. Voilà un aspect qui intéresse tout particulièrement le linguiste que je suis. Il est développé dans le deuxième chapitre. L’auteure y reprend les concepts majeurs de l’archéologie que sont l’énoncé, des formations discursives et les explique. Selon Foucault, en effet, nous avons tendance à considérer les différents domaines du savoir comme une totalité, comme des continuités, des ensembles cohérents, homogènes, continus, déjà constitués (de couches sédimentaires) et anhistoriques, hérités tels quels de la tradition ; alors qu’en fait, ils [les domaines] sont libres de toute activité …