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Introduction

Dès sa naissance, le développement de l’enfant est affecté par les stimulations que lui procure son entourage. Cet entourage, qui constitue son environnement social, se compose de plusieurs personnes. On y retrouve sa famille immédiate, ses parents et sa fratrie, ainsi que les autres adultes qui prennent soin de lui. L’enfant ne se contente pas de recevoir de façon passive les stimulations de son entourage, il participe activement aux échanges. Les modèles théoriques sur le développement du nourrisson, dont les modèles écologique de Bronfenbrenner (1986, 2000) et transactionnel de Sameroff (1993), invoquent un processus dynamique des multiples interactions de l’enfant avec son environnement. Les caractéristiques de l’enfant, telles son tempérament, ses forces et ses vulnérabilités biologiques, entrent en interaction avec les divers systèmes de son environnement. Ceux-ci renvoient à l’environnement proximal, impliquant les échanges réciproques de l’enfant avec ses proches, et à l’environnement distal, comprenant le réseau communautaire et la société dans laquelle évolue sa famille. Les services de garde, tels les Centres de la petite enfance (CPE) que l’on retrouve au Québec, représentent un élément du contexte de vie proximal de nombreux enfants. L’analyse des interactions qui s’y produisent permet de mieux comprendre leurs contextes de vie et les conditions favorables à leur développement. De l’ensemble des interactions avec les divers environnements qu’ils fréquentent résultent les différences individuelles que l’on observe dans le développement des enfants.

L’apparition et l’augmentation des modes de garde extra-familiaux dans les pays occidentaux constituent un phénomène relativement récent. La fin du XXième siècle voit apparaître un changement dans la forme des unités familiales. Les femmes occupent de plus en plus un emploi à l’extérieur du domicile (1976 : 29 %; 1997 : 63 %, Ministère de la famille et de l’enfance [MFE], Conseil de la famille et de l’enfance [CFE] et Bureau de la statistique du Québec [BSQ], 1999). De surcroît, les mères retournent au travail dès les premiers mois de vie de leur enfant. On constate également que le nombre de familles monoparentales augmente (1981 : 17,6 %; 1996 : 24,1 %, MFE, CFE et BSQ, 1999). Enfin, et surtout, le gouvernement du Québec a mis en place un réseau de services de garde public en invoquant des effets favorables pour le développement global des enfants (MFE, 1997).

Au Québec, en 1999, 41,2 % des enfants de moins d’un an se font garder de façon régulière par une personne autre que leurs parents (MFE, 1999). De ce nombre, 14 % fréquentent une garderie (MFE, 1999). Également, en 2001, parmi les enfants qui fréquentent un service de garde reconnu (CPE en installation et en milieu familial), 8,9 % (12 228 enfants) sont âgés de moins d’un an (MFE, 2002). De ceux-ci, 30,2 % fréquentent un CPE en installation, 10 % une garderie privée et 59,7 % un milieu familial affilié à un CPE (MFE, 2000). Le gouvernement planifie d’augmenter à 200 000 les places en CPE (installation et milieu familial) d’ici 2006 (MFE, 2002). Compte tenu de l’importance que prend déjà et que prendra encore la garde des enfants en CPE, il devient crucial de décrire ce qu’expérimentent ceux-ci et d’en identifier les éventuels effets sur leur développement.

Les études sur les relations entre la fréquentation de la garderie dans la première année de vie et le développement cognitif des enfants montrent que le développement de ceux qui ont fréquenté la garderie est souvent supérieur à celui des enfants qui ne l’ont pas fait, lorsqu’on les évalue à l’âge préscolaire (entre 18 mois et cinq ans) (Andersson, 1989; Belsky, 1984; Burchinal, Lee et Ramey, 1989; Clarke-Stewart et Fein, 1983; Clarke-Stewart, Gruber et Fitzgerald, 1994; Garber et Hodge, 1989; Hayes, Palmer et Zazlow, 1990; Larsen et Robinson, 1989; NICHD Early Child Care Network, 1998a; Osborn et Millbank, 1987; Robinson et Corley, 1989; Scarr, 1989; Sternberg et al., 1991; Thornburg, Pearl, Crompton et Ispa, 1990). Cependant, les enfants qui ont toujours été gardés à la maison par leur mère rattrapent rapidement le niveau des enfants ayant une expérience prolongée de garde lorsqu’ils se retrouvent plus tard à la garderie, à la pré-maternelle, à la maternelle ou à l’école primaire (Clarke-Stewart et Fein, 1983; Clarke-Stewart, Allhusen et Clements, 1995). La fréquentation de la garderie durant la première année de vie procurerait un avantage transitoire au cours de la période préscolaire. Ces résultats, presque toujours corrélationnels, ne nous renseignent pas cependant sur les mécanismes à la base des premiers gains cognitifs. L’identification et la description des stimulations sociales et non sociales expérimentées en garderie au cours de la première année qui sont associées à de tels gains nous permettraient de mieux comprendre les composantes essentielles de cet environnement et d’en justifier l’implantation.

Ces stimulations issues de l’environnement de la garderie surviennent au cours d’une étape de maturation rapide (Wachs, 2000). Pendant les 18 premiers mois de vie, la croissance du cerveau se déroule à un rythme qui ne se retrouvera plus jamais par la suite. Aussi, pendant cette période, la variété et la quantité des stimulations fournies par l’environnement physique et social seraient cruciales pour le développement de l’enfant. L’environnement de la garderie offre des stimulations qui diffèrent de celles de l’environnement familial. Selon Clarke-Stewart (1990), leur variété, leurs caractéristiques particulières et leur quantité pourraient être favorables au développement de l’enfant. De telles stimulations survenant au cours de cette période rapide de développement expliqueraient, du moins en partie, les effets positifs observés chez les enfants ayant fréquenté une garderie lorsqu’ils étaient nourrissons.

En plus de connaître la nature des stimulations en garderie, il importe d’en évaluer la constance, c’est-à-dire leur permanence dans le temps. En effet, on tient facilement pour acquis une constance des stimulations et du cadre environnemental, sans vraiment le vérifier (Pomerleau et Malcuit, 1983; Wachs, 1999, 2000). Pour y parvenir, il convient de mesurer de façon répétée dans le temps ce qu’offrent à l’enfant les divers milieux qu’il fréquente. Wachs (1999) souligne que les indices de développement de l’enfant sont stables si l’environnement le demeure. Les recherches montrent que si les stimulations paraissent avoir des effets probants à court terme, ces effets sont moins évidents quand les stimulations fluctuent (Ramey et Ramey, 1998). La continuité des capacités développementales serait donc aussi fonction de la constance des expériences et stimulations que l’environnement offre (Bronfenbrenner, 1999; Rutter et al., 1999).

Les effets des stimulations semblent également liés à leur durée, c’est-à-dire à l’ampleur de leur maintien dans le temps. Quand elles sont de courte durée, leurs effets sont moindres (Bronfenbrenner, 1999; Ramey et Ramey, 1998). Certains auteurs parlent de quantité minimale, ou critique, nécessaire pour avoir des effets durables sur le développement de l’enfant (Hart et Risley, 1995). Selon Bronfenbrenner (1999), l’une des explications de ce phénomène est que les stimulations, pour être efficaces, doivent se produire suffisamment longtemps pour devenir de plus en plus complexes. La seule répétition des stimulations ne suffirait pas. Une longue durée des stimulations assure que celles-ci s’accumulent et que des stimulations nouvelles s’incorporent aux anciennes, modifiant ainsi progressivement leur niveau de complexité (Hart et Risley, 1995; Wachs, 1999).

Peu de chercheurs se sont intéressés aux caractéristiques de quantité et de durée des stimulations provenant de l’environnement de garde susceptibles d’entraîner des effets positifs sur le développement au cours de la première année. Shuetze, Lewis et DiMartino (1999) mentionnent que la longueur du temps passé dans des garderies de bonne qualité prédirait des comportements d’exploration et de résolution de problèmes plus fréquents chez les enfants à l’âge de neuf mois. Chez des enfants fréquentant un service de garde à des âges plus avancés (entre trois et cinq ans), un cumul de six mois pourrait être suffisant pour favoriser le développement cognitif (Clarke-Stewart, 1991).

Bates et al. (1994) soulignent que la majorité des études sur les effets cumulatifs des expériences de garde confondent souvent l’âge d’entrée en garderie et la durée des stimulations provenant de l’environnement. Un nourrisson qui débute la fréquentation de la garderie au cours de sa première année aura accumulé une plus longue et une plus grande quantité d’expériences en garderie qu’un enfant qui ne débuterait qu’à l’âge de 18 mois, quand on les compare à un même âge ultérieur. Il est donc possible que le gain cognitif chez le premier soit attribuable à cette plus longue durée de stimulation plutôt qu’au fait qu’il débute la fréquentation de la garderie au cours de sa première année. Pour départager ces variables, il convient de comparer, à des âges similaires, au cours de la première année de vie, des nourrissons cumulant des durées de fréquentation de garde différentes. De plus, la mesure de la variété et de la quantité des stimulations expérimentées par le nourrisson en garderie au cours de cette période permet de cerner la nature des conditions particulières de cet environnement et leur stabilité dans le temps.

Pour décrire les stimulations expérimentées par le nourrisson dans son contexte quotidien, Friedman et Amadeo (1999) proposent de mesurer les composantes proximales et distales de cet environnement. Les composantes proximales se retrouvent dans les stimulations associées aux soins reçus, ainsi que dans celles qui se produisent lors d’interactions verbales et ludiques avec un adulte ou avec d’autres enfants. Les composantes distales sont toutes formes de stimulations qui ne sont pas en relation directe avec l’enfant. Par exemple, l’enfant voit ou entend l’adulte qui parle à une autre personne. L’importance de ces stimulations, en durée et en quantité, décrit ses expériences interactives quotidiennes. Celles-ci sont associées à la qualité de son développement (Leroux, Malcuit et Pomerleau, 1999). L’environnement de la garderie que fréquente un enfant diffèrerait de celui de la maison. Clarke-Stewart (1991) suggère que des différences seraient présentes en terme de quantité et de qualité d’attention et de stimulation accordées à l’enfant. Les enfants fréquentant une garderie auraient des contacts avec un plus grand nombre d’adultes et de pairs que les enfants à la maison avec leurs parents, ce qui modifierait les stimulations expérimentées quotidiennement. Ces différences seraient susceptibles d’affecter leur développement.

Peu de chercheurs ont tenté de décrire les événements et stimulations expérimentés au quotidien par l’enfant comme, par exemple, le temps passé en contact avec quelqu’un, à jouer, être pris dans les bras et recevoir des soins. Pour évaluer ces événements et stimulations, certains ont utilisé un instrument de type journal, inspiré des grilles de Bailey (1987) et de Linn et Horowitz (1983). Leroux et al. (1999) demandent aux parents de bébés prématurés et nés à terme de noter dans un journal de bord le temps passé à diverses activités, telles dormir, jouer seul, recevoir des soins, être pris dans les bras, jouer avec quelqu’un, jouer en présence de quelqu’un et pleurer. Durant trois jours consécutifs, les parents inscrivent le temps passé à chaque activité en noircissant la grille de notation divisée en intervalles de 15 minutes sur une période de 24 heures. Avec le même instrument, Nantel (1992) décrit la vie quotidienne de nourrissons de milieux favorisés et défavorisés. Ces études montrent que les durées de stimulations proximales (activités de jeux et de soins, et moments où le bébé est dans les bras d’un parent) diffèrent dans les populations étudiées. Ce mode d’observation des stimulations quotidiennes permet une description continue et suffisamment exhaustive des expériences et événements de la vie du nourrisson. À notre connaissance, une telle mesure des stimulations quotidiennes n’a jamais été réalisée en garderie.

La présente étude vise à examiner la relation entre l’expérience cumulée de la garderie avant l’âge d’un an et le développement cognitif et moteur du nourrisson à un an. Pour ce faire, nous mesurons le développement de trois groupes de nourrissons à trois âges différents (cinq, sept et neuf mois), au moment de leur entrée en garderie, puis à l’âge d’un an. Les trois groupes expérimentent une durée différente de fréquentation de la garderie. L’évolution des mesures de développement entre le début de la fréquentation de la garderie et après des durées variables, quand les enfants sont tous âgés de douze mois, permet d’examiner et de comparer la présence et l’ampleur des éventuels gains cognitifs et moteurs.

L’étude vise aussi à décrire de la façon la plus exhaustive possible le contexte de vie du nourrisson en garderie. Elle examine, de plus, la relation entre l’expérience cumulée de la garderie avant l’âge d’un an et les stimulations qui y sont expérimentées. À cette fin, nous comparons les événements vécus par les enfants après des durées de fréquentation différentes en garderie au cours de la première année. Ces données sont colligées lors de l’entrée des enfants en garderie et lorsqu’ils sont tous âgés de dix et douze mois.

Méthodologie

1. Participants et participantes

L’échantillon comprend 43 nourrissons (23 garçons et 20 filles) répartis en trois groupes selon leur âge d’entrée à la garderie (groupe 1, n = 14; groupe 2, n = 17; groupe 3, n = 12). Le groupe 1 a débuté la fréquentation de la garderie à l’âge moyen de cinq mois (plus ou moins un mois), le groupe 2 à sept mois et le groupe 3 à neuf mois. Nous avons observé les stimulations sociales et non sociales reçues par les nourrissons en garderie un mois après leur entrée et quand ils étaient âgés de dix et douze mois (soit à six, dix et douze mois pour le groupe 1, à huit, dix et douze mois pour le groupe 2, et à dix et douze mois pour le groupe 3).

Le recrutement s’est fait par l’intermédiaire des regroupements des garderies des régions de la Montérégie et du Montréal Métropolitain. Pour la Montérégie, la responsable de la recherche a rencontré les coordonnatrices des garderies afin de leur présenter le protocole de recherche. Pour la région de Montréal, nous avons envoyé des lettres de sollicitation, par l’intermédiaire du regroupement, à toutes les garderies membres. Pour participer, les garderies devaient accueillir des enfants âgés de moins d’un an. Lors de la sollicitation, nous expliquions les critères de sélection des enfants : gestation de 37 semaines et plus, poids à la naissance supérieur à 2 500 grammes, absence de soins intensifs à la naissance, score Apgar de 7 et plus. Les enfants devaient entrer à la garderie dans les jours suivant le recrutement pour une fréquentation d’au moins cinq heures par jour, trois jours par semaine. La lettre précisait aussi le mode de recrutement et le déroulement de la recherche. Au total, 65 garderies (20 CPE en installation en Montérégie et 45 CPE en installation à Montréal) ont été sollicitées. Treize garderies de la Montérégie et quatre de Montréal ont accepté de participer à l’étude. Deux garderies de la Montérégie ont été exclues parce que les bébés participants ont quitté le projet avant la fin de la recherche. Les garderies ont invoqué deux raisons pour justifier leur refus de participer : l’absence de clientèle de moins d’un an au moment du recrutement (35 garderies) et une réticence à participer à une étude impliquant plusieurs séances d’observation directes de plus de six heures chacune (13 garderies). Les éducatrices ont aussi exprimé leur crainte que la présence d’une personne étrangère ne perturbe la routine des enfants.

Les coordonnatrices des garderies ont communiqué avec la responsable de l’étude et lui ont transmis le nom des enfants remplissant les critères d’inclusion. Cette dernière contactait ensuite les parents par téléphone pour solliciter leur participation et celle de leur enfant. S’ils acceptaient, elle leur faisait parvenir un formulaire de consentement précisant les règles de confidentialité et leur droit de se retirer de l’étude en tout temps, sans préjudice. Tous les parents dont les enfants répondaient aux critères de sélection ont accepté de participer à l’étude. Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des parents recueillies au moyen d’un questionnaire complété au moment de l’appel téléphonique. Les parents des trois groupes diffèrent peu au niveau de l’âge, de la scolarité, du revenu et de l’état civil. Le nombre moyen d’enfants dans les familles est équivalent dans les trois groupes.

À la fin de l’étude, nous remettions un cadeau à chaque enfant et aux éducatrices comme témoignage de reconnaissance pour leur participation.

2. Déroulement et mesures

Pour les groupes 1 et 2, les données ont été recueillies un mois après l’entrée des enfants en garderie et lorsqu’ils étaient âgés de dix et douze mois. Les enfants du groupe 3 n’ont été évalués qu’à dix et douze mois (voir le calendrier des rencontres pour les trois groupes au tableau 2). Les mesures ont été faites à l’aide de questionnaires, d’observations systématiques et de tests standardisés. Elles portaient sur l’enfant, les parents et les garderies. Certaines étaient recueillies à la maison, d’autres à la garderie.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des parents des nourrissons des trois groupes

Caractéristiques sociodémographiques des parents des nourrissons des trois groupes

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Tableau 2

Instruments de mesure et calendrier des rencontres pour les trois groupes

Instruments de mesure et calendrier des rencontres pour les trois groupes

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3. Questionnaires complétés par téléphone ou à la maison

La chercheure complétait avec les parents, au téléphone, les questionnaires sur le profil sociodémographique de la famille et sur l’état de santé de l’enfant à la naissance. Ce dernier questionnaire a permis de recueillir des informations sur les caractéristiques physiques de l’enfant à la naissance : âge gestationnel, poids, périmètre crânien, taille, score Apgar et présence (ou non) de problèmes médicaux. Des analyses de la variance univariées indiquent que les bébés des trois groupes ne présentent pas de différences à ces mesures. La répartition des sexes dans les trois groupes diffère peu (voir tableau 3).

Tableau 3

Moyennes et écarts types des caractéristiques staturopondérales des nourrissons des trois groupes à la naissance

Moyennes et écarts types des caractéristiques staturopondérales des nourrissons des trois groupes à la naissance

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4. Données recueillies à la garderie : enfants

Nous avons observé les enfants en milieu de garde un mois après leur entrée en garderie et quand ils étaient âgés de dix et douze mois. À l’aide d’une grille d’observation (journal bébé : mesure de l’écologie quotidienne), nous notions les stimulations expérimentées par l’enfant pendant six heures consécutives au cours de la matinée et de l’après-midi, entre 9h30 et 15h30. Avant le début des observations, une période de familiarisation permettait d’habituer les bébés à la présence de l’observatrice. On s’assurait également que la journée d’observation constitue une journée typique de l’enfant. Par exemple, nous reportions la journée d’observation si l’enfant était malade ou si des activités inhabituelles étaient prévues à l’horaire de la journée (présence d’un invité, sortie ou fête particulière). Le journal vise à décrire, en durée et en fréquence, les stimulations sociales et non sociales expérimentées par le bébé au cours d’une journée.

L’instrument de type journal est inspiré du journal-bébé de Leroux et al. (1993), adapté par Bonin, Pomerleau et Malcuit (1994) pour l’observation en garderie. Il comporte neuf catégories d’activité : 1) dormir; 2) recevoir des soins; 3) être pris dans les bras; 4) jouer seul; 5) jouer en présence de quelqu’un; 6) jouer avec bébé(s); 7) jouer avec adulte(s); 8) jouer avec bébé(s) et adulte(s); 9) pleurer[1]. La grille comporte 360 intervalles d’observation d’une minute chacun. Nous calculons la durée et la fréquence de chaque catégorie d’activité pour chaque journée d’observation (six heures). Les catégories ne sont pas mutuellement exclusives. Pour les analyses, les catégories 4 (jouer seul), 6 (jouer avec bébé(s)) et 8 (jouer avec bébé (s) et adulte (s)) sont exclues étant donné la petite quantité de comportements observés. Des accords interobservatrices (accords / accords + désaccords x 100) calculés sur 11 % des mesures donnent un taux moyen de 80 %.

Lors de la seconde visite à la garderie, une agente de recherche entraînée évaluait le développement psychomoteur de l’enfant, à l’aide des échelles mentale et motrice de Bayley (1969). Ces échelles, reconnues pour leurs propriétés psychométriques (Brooks-Gunn et Weinraub, 1983), fournissent des scores standardisés en fonction de l’âge. L’évaluation était réalisée à deux reprises : un mois après l’entrée à la garderie (l’enfant avait six, huit ou dix mois selon son groupe) et à l’âge de douze mois. L’éducatrice de l’enfant (ou la directrice) accompagnait celui-ci pendant l’évaluation. Pour le calcul des accords, une seconde personne entraînée était présente à 19 % des évaluations. Nous obtenons un taux moyen d’accord de 95 %.

Résultats

Des analyses de la variance à mesures répétées, avec les facteurs « groupe » (3) et « âge » (2), permettent de comparer les groupes et d’examiner l’évolution du développement des enfants entre le moment de leur entrée en garderie et celui où ils atteignent l’âge de douze mois. Pour l’analyse des activités quotidiennes en garderie, nous utilisons deux stratégies. Des analyses univariées comparent d’abord les activités dans les trois groupes lors de l’entrée en garderie. Ensuite, des analyses de la variance à mesures répétées, avec les facteurs « groupe » et « âge », visent à comparer les groupes et à examiner leur évolution entre les âges de dix et douze mois.

1. Développement psychomoteur

Le tableau 4 présente les scores des nourrissons des trois groupes aux échelles mentale et motrice au moment de l’entrée en garderie et à l’âge de douze mois. Les analyses à mesures répétées sur chaque échelle ne révèlent aucun effet principal du facteur « groupe ». Elles indiquent un effet principal de la variable répétée aux deux échelles : mentale, F (1,41) = 18,68, p < 0,001; motrice, F (1,41) = 14,49, p < 0,001, ainsi qu’une interaction des facteurs « temps » et « groupe » à l’échelle mentale, F (2,41) = 3,31, p < 0,05.

De façon générale, les scores augmentent à l’échelle mentale entre la mesure à l’entrée (105,34) et celle à douze mois (113,93), alors qu’ils diminuent à l’échelle motrice (entrée : 105,68; douze mois : 97,25). L’interaction et l’analyse des effets simples à l’échelle mentale montrent que l’augmentation des scores est surtout due au groupe 2. À l’entrée en garderie, les scores des bébés âgés de sept mois sont plus faibles que ceux des bébés âgés de cinq et neuf mois, mais ils ne se différencient plus à l’âge de douze mois.

Tableau 4

Moyennes et écarts types des scores aux échelles mentale et motrice du Bayley à l’entrée en garderie (5, 7 et 9 mois) et à 12 mois dans les trois groupes

Moyennes et écarts types des scores aux échelles mentale et motrice du Bayley à l’entrée en garderie (5, 7 et 9 mois) et à 12 mois dans les trois groupes

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2. Écologie quotidienne (Journal)

La figure 1 présente les durées moyennes de toutes les catégories d’activité de l’écologie quotidienne par âge et par groupe. Ces figures révèlent que la portion de temps vouée aux jeux en présence de quelqu’un est la plus élevée. Elle varie de 60 à 75 % du temps d’éveil. Les portions accordées aux tâches utilitaires (soins), aux contacts physiques (bras), ainsi qu’aux jeux avec adulte sont les plus faibles (variant entre 6 % et 15 %). Les données descriptives complètes des durées et des fréquences moyennes de toutes les activités apparaissent dans Bigras (2001).

En contrepartie, lorsqu’on examine la répartition des activités (leur fréquence), on constate que les activités impliquant des stimulations sociales (soins, bras, jeux avec adultes) sont les plus fréquentes. Les nourrissons passent la majeure partie de leur journée en jeux en présence de quelqu’un, mais ces périodes sont ponctuées de fréquents et brefs épisodes de stimulations sociales au cours desquels ils reçoivent des soins, sont pris dans les bras ou jouent avec leur éducatrice.

Figure 1

Durées moyennes des activités du journal-bébé à l’entrée en garderie, à 10 mois et à 12 mois

Durées moyennes des activités du journal-bébé à l’entrée en garderie, à 10 mois et à 12 mois

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Les analyses univariées des six activités retenues (dormir, recevoir des soins, être pris dans les bras, jouer en présence de quelqu’un, jouer avec adulte et pleurer) révèlent un effet significatif du facteur groupe pour la durée des activités recevoir des soins, F (2,42) = 7,36, p < 0,01; être pris dans les bras, F (2,42) = 10,01, p < 0,001; jouer avec adulte, F (2,42) = 3,53, p < 0,05; jouer en présence de quelqu’un, F (2,42) = 7,85, p < 0,01; et pleurer, F (2,42) = 4,01, p < 0,05 (voir figure 2).

Figure 2

Durées (en minutes) des activités quotidiennes à l’entrée en garderie selon les groupes

Durées (en minutes) des activités quotidiennes à l’entrée en garderie selon les groupes

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À l’entrée en garderie, les bébés du groupe 1, qui ont cinq mois, reçoivent plus de soins, sont davantage pris dans les bras, pleurent plus et jouent moins en présence de quelqu’un que les bébés plus âgés. Les bébés des groupes 1 et 3 (âgés respectivement de cinq et neuf mois à l’entrée) jouent davantage avec les adultes que ceux du groupe 2, âgés de sept mois.

Les analyses révèlent également un effet significatif du facteur « groupe » pour la fréquence des activités jouer avec adulte (F (2,42) = 5,52, p < 0,01) et jouer en présence de quelqu’un (F (2,42) = 6,83, p < 0,01). Les bébés les plus âgés lors de leur entrée en garderie jouent plus souvent avec les adultes et sont plus souvent en présence de quelqu’un que les bébés les plus jeunes (voir figure 3).

Figure 3

Fréquences des activités « jouer avec adulte » et « jouer en présence de quelqu’un » à l’entrée en garderie selon les groupes

Fréquences des activités « jouer avec adulte » et « jouer en présence de quelqu’un » à l’entrée en garderie selon les groupes

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Les analyses de la variance à mesures répétées des activités du journal bébé à dix et douze mois ne révèlent aucun effet significatif du facteur « groupe » ni d’interaction « groupe » et « temps » pour les durées et les fréquences des six activités. Elles montrent un effet significatif du facteur « temps » pour la durée des activités recevoir des soins (F (1,42) = 18,80, p < 0,001) et jouer en présence de quelqu’un (F (1,42) = 7,10, p < 0,05). De façon générale, les bébés reçoivent davantage de soins et jouent moins en présence de quelqu’un à dix mois qu’à douze mois (voir figure 4).

Figure 4

Durées (en minutes) des activités « recevoir des soins » et « jouer en présence de quelqu’un » à 10 mois et à 12 mois

Durées (en minutes) des activités « recevoir des soins » et « jouer en présence de quelqu’un » à 10 mois et à 12 mois

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Discussion

Les résultats de l’étude permettent d’engager la discussion selon trois axes principaux. D’abord, ils montrent que les scores normalisés de développement cognitif des nourrissons augmentent entre le moment de leur entrée en garderie et l’âge de douze mois, alors que les scores à l’échelle motrice diminuent entre les deux moments de mesure. Si ces résultats sont reliés à la fréquentation de la garderie, il faut alors retracer les éléments susceptibles de l’expliquer parmi les stimulations expérimentées dans ce contexte au cours de cette période. Ensuite, les stimulations procurées par le contexte de la garderie semblent présenter des caractéristiques particulières pouvant expliquer les gains cognitifs et les baisses à l’échelle motrice. Enfin, nous soulignons le peu de différences entre les groupes quant aux changements des scores de développement et aux stimulations procurées par l’environnement de la garderie.

En premier lieu, les trois groupes de bébés obtiennent, aux mesures de douze mois, des scores de développement cognitif supérieurs à ceux qu’ils avaient à leur entrée à la garderie. En moyenne, les trois groupes présentent des gains significatifs de plus de huit points à l’échelle mentale du Bayley. Généralement, quand on retrouve de tels gains, c’est après une durée plus longue de fréquentation de la garderie, entre six et 18 mois (Clarke-Stewart, 1991). De plus, les gains ne deviendraient évidents qu’après l’âge de 18 mois (Andersson, 1989; Belsky, 1984; Burchinal et al., 1989; Clarke-Stewart et Fein, 1983; Clarke-Stewart et al., 1994; Garber et Hodge, 1989; Hayes et al., 1990; Larsen et Robinson, 1989; NICHD Early Child Care Study, 1998b; Osborn et Millbank, 1987; Robinson et Corley, 1989; Scarr, 1989; Thornburg, Pearl, Crompton et Ispa, 1990). Contrairement à ce que les premières études tendaient à montrer (Belsky, 1988, 1990; Belsky et Rovine, 1988), les données obtenues ici semblent plutôt rassurantes; elles pourraient indiquer que le développement cognitif des nourrissons ne serait pas compromis par leur expérience de garde avant l’âge d’un an. Par contre, leurs scores moteurs diminuent entre la mesure prise à l’entrée en garderie et celle prise à l’âge de douze mois, la chute moyenne étant de 8,5 points.

Nos résultats ne permettent pas de conclure à des effets positifs ou négatifs de la fréquentation de la garderie en tant que telle. Les changements de scores pourraient refléter la contribution d’autres variables. Il est possible qu’ils soient un effet de la mesure ou de l’état de l’enfant au moment de l’évaluation. Par exemple, on constate que les gains cognitifs s’expliquent surtout par un groupe dont les mesures sont les plus basses à l’entrée. Il pourrait alors ne s’agir que d’un phénomène de régression vers la moyenne. Cependant, on peut estimer que ce sont les enfants qui partent le plus bas qui sont les plus susceptibles de bénéficier des effets de la garderie (Phillips et al., 1994).

En second lieu, ces résultats peuvent être reliés, du moins en partie, aux particularités des stimulations expérimentées en garderie. Les stimulations directes et proximales, telles que nous les avons mesurées, sont de courte durée, mais se produisent fréquemment au cours d’une journée. La réalité quotidienne des nourrissons pourrait s’illustrer ainsi : les enfants passent le tiers de leur journée à dormir en deux périodes non consécutives. Pendant leurs périodes d’éveil, ils jouent habituellement par terre, dans un parc, ou dans une chaise adaptée à leur âge. Ces périodes de jeux sont ponctuées de fréquentes et brèves stimulations sociales provenant du personnel, sous forme d’interactions de jeux et de soins. Ainsi, contrairement à ce qu’on aurait pu croire, même si les nourrissons reçoivent peu de stimulations sociales en terme de durée, celles-ci sont variées et régulières. Cette régularité et cette variété des expériences quotidiennes maintiendraient un niveau optimal de stimulation, ce qui aurait un effet sur les conduites sociales, cognitives et exploratoires de l’enfant (Tamis-LeMonda et Bornstein, 1993). Plusieurs études indiquent que l’accessibilité et la variété des stimulations sociales et physiques font partie des composantes d’un environnement favorable au développement cognitif (Ceci, 1991; Ramey et Ramey, 1998; Rogoff, 1990, 1998; Wachs, 1992, 1996).

De surcroît, le contexte de la garderie offre aux nourrissons de nombreuses occasions d’explorer leur environnement physique. En effet, la classe d’activité des nourrissons la plus importante en terme de durée, parmi celles que nous avons observées, est celle où ils jouent librement en présence de personnes, sans qu’il y ait communication ou contacts directs avec elles (jeux en présence). Ils peuvent explorer des objets, leurs vêtements ou la pièce, se déplacer, en rampant ou en marchant, pour attraper un objet ou pour le simple plaisir de se déplacer. Les nourrissons ont l’occasion de s’engager dans de longs et fréquents comportements d’exploration de leur environnement. De telles expériences répétées leur permettraient de se familiariser avec des éléments variés et nouveaux de leur milieu et, ainsi, d’acquérir des habiletés susceptibles de participer à la qualité de leur développement cognitif.

En parallèle, les stimulations des adultes (stimulations proximales qui surviennent régulièrement durant les périodes d’exploration des enfants) pourraient jouer un rôle de médiateur de l’environnement physique, en plus de leurs fonctions de stimulations sociales. Le personnel de la garderie, au cours de tels épisodes de stimulation, s’adresse aux enfants, leur procure du matériel adapté à leurs besoins ou leur indique le fonctionnement d’un objet. Les nourrissons profiteraient ainsi de fréquentes périodes de stimulation pour faire des apprentissages d’ordre cognitif, apprentissages qu’ils mettraient en pratique lors de périodes ultérieures. Ceci confirmerait l’hypothèse de Schuetze et al. (1999) selon laquelle les services de garde de bonne qualité procurent aux nourrissons du matériel de jeu approprié à leur âge et les mettent en présence d’éducatrices qui les encouragent à explorer le milieu. Les enfants y auraient de multiples occasions de développer leurs capacités. Ces caractéristiques du contexte des garderies de l’étude, présentant toutes des niveaux de qualité élevés (Bigras, Pomerleau et Malcuit, 2003a, b), pourraient expliquer une partie des gains cognitifs des nourrissons à la mesure de douze mois. Une analyse des composantes plus fines des stimulations des adultes au cours de ces périodes d’exploration et de leur relation avec le développement permettrait de valider cette interprétation.

Pour expliquer les gains cognitifs des nourrissons, on peut aussi évoquer le fait que les garderies ayant accepté de participer à l’étude seraient de plus grande qualité que celles qui ont refusé. En effet, le niveau de scolarité du personnel de garde et le ratio adulte/enfant sont supérieurs à ceux généralement rapportés et, de plus, le nombre d’enfants par groupe est inférieur (Beller et al., 1996; Deater-Deckard, Pinkerton et Scarr, 1996; Petrogiannis et Melhuish, 1996). Ces éléments positifs de qualité sont aussi imputables à la réglementation du Québec sur les garderies. Ceci expliquerait, en partie, que les garderies de la présente étude obtiennent des scores de qualité relativement plus élevés que ceux des garderies étudiées aux États-Unis.

L’intensité des stimulations expérimentées en garderie par les nourrissons de notre étude pourrait également expliquer les gains cognitifs. Cette intensité des stimulations est une conséquence de la densité de la fréquentation de la garderie, en terme d’heures et de jours, qui s’apparente à celle que l’on retrouve dans les programmes d’intervention intensive tôt dans la vie. Ce sont ces programmes qui entraînent les effets les plus importants (Ramey et Ramey, 1998). La densité de fréquentation de la garderie de nos enfants diffère, sous plusieurs aspects, de celle rapportée dans d’autres études sur les garderies (NICHD Early Child Care Study, 1996, 1997a, 1997b, 1998a, 1998b, 1999, 2000). Ces dernières montrent en effet des temps de fréquentation inégaux en terme de régularité, notamment au niveau du nombre d’heures et de jours de présence par semaine. Des enfants fréquentent la garderie quelques heures, alors que d’autres la fréquentent à temps plein (cinq jours par semaine). De plus, on y retrouve divers modes de garde. Des enfants sont gardés par des membres de leur famille, d’autres par des adultes en milieu familial et d’autres par des éducatrices en garderie. Cette diversité dans la densité de fréquentation et dans le mode de garde est susceptible de modifier la quantité et la qualité des stimulations reçues par les nourrissons et, en conséquence, l’ampleur de leurs effets. Dans notre étude, les enfants fréquentent la garderie de façon régulière, plus de cinq heures par jour et plus de trois jours par semaine. La constance des stimulations procurées par le personnel et leur cumul au cours des mois expliquerait les gains cognitifs plus marqués des nourrissons.

En parallèle à l’augmentation des scores à l’échelle mentale, nous observons, entre l’entrée en garderie et l’âge de douze mois, une diminution des scores à l’échelle motrice. À première vue, ces résultats paraissent contradictoires. Certains éléments de l’expérience de vie en garderie seraient moins favorables au plein épanouissement des habiletés motrices, alors que d’autres semblent soutenir le développement cognitif. S’il a pu paraître relativement aisé d’identifier les éléments favorables à ce dernier, il n’en va pas de même pour le développement moteur. Une première explication se retrouverait au niveau de la mesure même des habiletés motrices avec le Bayley (1969) à l’âge de douze mois. À cet âge, l’échelle motrice comporte peu d’items pour déterminer le niveau de développement moteur des enfants. Ils sont surtout centrés sur la maîtrise de la marche. L’examen des items réussis et échoués montre que peu de nourrissons réussissent ceux reliés à la marche. Ceci contribue à faire diminuer leurs scores. Cette diminution indiquerait que les bébés acquièrent la maîtrise de la marche plus tard que l’évaluation préalable de leurs habiletés motrices le laissait prévoir.

Il est aussi possible que le contexte de vie en garderie stimule peu les nourrissons à mettre en pratique les habiletés liées à la marche. Par exemple, le fait de passer la journée avec d’autres nourrissons qui n’ont pas encore acquis la marche ou la station debout inciterait peu à le faire ou ne procurerait pas les modèles adéquats. De plus, on peut supposer que les éducatrices des garderies déplacent les enfants dans leurs bras plus souvent que les parents à la maison, ou encore qu’elles font moins régulièrement les jeux et exercices de marche que la plupart des parents. Les modalités de réalisation de la recherche et ce que nous avons observé ne nous permettent pas d’identifier ces conditions particulières. De plus, comme l’ont mentionné Thornburg, Pearl, Crompton et Ispa (1990), peu d’études portent sur le développement moteur des nourrissons qui fréquentent la garderie. Il est difficile de porter une conclusion définitive, si ce n’est celle plausible reliée à la maîtrise de la marche et aux particularités de l’outil de mesure.

En dernier lieu, on constate que la quantité et la variété des stimulations reçues par les nourrissons ne sont pas différentes quand ils ont les mêmes âges (dix et douze mois) et qu’elles diffèrent quand ils ont des âges différents (à l’entrée : cinq, sept et neuf mois). Ainsi, le fait d’avoir une plus ou moins longue expérience de la garderie ne semble pas modifier la quantité et la variété des stimulations qu’ils expérimentent chaque jour. Les stimulations changent avec l’âge. Ceci refléterait les besoins variables de stimulations à des périodes spécifiques du développement et l’évolution du répertoire de jeu des enfants. La tendance des adultes travaillant en garderie à adapter leurs façons de stimuler les nourrissons selon leur niveau de développement montre leur sensibilité aux besoins des enfants. Une telle sensibilité est généralement associée à de meilleures compétences cognitives chez les nourrissons (Wachs, 1996).

Par ailleurs, les changements des scores de développement, bien qu’ils ne diffèrent pas statistiquement entre les groupes, pourraient tout de même être liés à la durée des expériences en garderie. Lorsque l’on examine les données des trois groupes, on constate que la grandeur des gains à l’échelle mentale et des baisses à l’échelle motrice est moindre chez les nourrissons qui ont la moins longue expérience en garderie. Les nourrissons qui font les gains cognitifs les plus importants sont aussi ceux qui entraient en garderie avec les scores les plus bas (groupe 2). Il est possible que le fait de n’avoir pu mettre en évidence la relation entre la durée de fréquentation et les gains s’explique par trois facteurs. Tout d’abord, une telle relation n’apparaîtrait qu’après une plus longue période de fréquentation de la garderie. Une étude menée au-delà de la première année et avec plus d’enfants permettrait de vérifier cette hypothèse. Il semble également important de prendre en considération le niveau de développement des enfants à l’entrée à la garderie. Ceux ayant les scores les moins élevés pourraient être ceux qui profitent le mieux des expériences en garderie. Enfin, la petite taille de l’échantillon n’offrirait pas la puissance statistique suffisante.

En parallèle, d’autres facteurs sont aussi susceptibles d’interagir avec la qualité du développement des nourrissons. Parmi eux, on retrouve le niveau de qualité des services de garde ainsi que les caractéristiques socio-économiques des familles. Tel qu’évoqué précédemment, les niveaux de qualité des garderies de l’étude ainsi que les caractéristiques des milieux de garde (ratio) et des éducatrices (formation) étaient plus élevés que ce que l’on retrouve habituellement (Bigras, 2001; Bigras et al., 2003a, b). L’étude révèle aussi que la scolarité des mères et le revenu des parents correspondent à des caractéristiques sociodémographiques de milieux plutôt favorisés. Les mères ont en moyenne plus de 15 ans de scolarité et le revenu des deux tiers des familles est supérieur à 60 000 $. Selon plusieurs études, lorsque les niveaux de qualité des garderies et les conditions socio-économiques des familles sont élevés, la qualité des garderies contribue peu, en tant que telle, au développement des enfants (Phillips et al., 1994).

En conclusion, sur le plan des connaissances, les résultats incitent à poursuivre la démarche de recherche. Il faudrait en effet déterminer de façon encore plus fine et spécifique la relation entre la fréquentation de la garderie et le développement. Une étude avec groupes de comparaison, qui suivrait les enfants au-delà de la première année, permettrait de confirmer la relation entre les gains cognitifs obtenus ici et la fréquentation de la garderie. Également, le travail d’identification des éléments spécifiques des stimulations des adultes qui favorisent le développement de l’enfant doit se poursuivre. Il s’agit là d’un vaste champ d’étude. En effet, plusieurs aspects du récent programme éducatif des Centres de la petite enfance (MFE, 1997) n’ont jamais été mesurés. Ils sont susceptibles de participer au développement des enfants qui y participent. Aussi, comme tous les CPE ne mettent pas en pratique de la même façon le programme éducatif proposé, il paraît essentiel d’examiner les applications qu’ils en font. Ces dernières pourraient modifier les modes de stimulations des adultes et entraîner des effets différents chez les enfants.

Les résultats ouvrent également des pistes de réflexion sur les programmes à implanter en CPE. Si d’autres études confirment nos résultats, il faudra mettre en place des contenus qui favorisent les stimulations directes et proximales des adultes. De plus, il faudrait s’assurer de clairement identifier les stimulations et expériences associées au développement moteur, apparemment distinctes de celles associées au développement cognitif. La description d’éléments, tels le matériel disponible pour encourager les enfants à se déplacer, le temps passé à faire des activités motrices seul et avec les adultes, les contextes physiques dans lesquels les nourrissons apprennent à se déplacer, nous permettrait de mieux identifier les facteurs qui participent au développement moteur. Par la suite, il faudra les inclure dans l’environnement quotidien de l’enfant.

La recherche sur les effets éventuels des services de garde connaît un essor considérable qui s’étend au-delà des pays industrialisés (Fonds des Nations Unies pour l’Enfance, 2001). Ce développement fait suite aux études qui soulignent le rôle primordial des expériences vécues au cours de la prime enfance sur le développement ultérieur des enfants (Bornstein, 1998; Ramey et Blair, 1996; Ramey et Ramey, 1998; Wachs, 1996). Le Québec, par sa politique familiale (MFE, 1997) reconnaît l’importance des services de garde dans la vie des familles et le développement des enfants. La présente recherche montre qu’on doit poursuivre l’analyse de l’aménagement et du contenu des programmes éducatifs en services de garde pour optimiser le développement des enfants.