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[Mais que le langage de la musique….] seul réunisse les caractères contradictoires d’être tout à la fois intelligible et intraduisible, fait du créateur de musique un être pareil au dieux, et de la musique elle-même le suprême mystère des sciences de l’homme, celui contre lequel elle butent, et qui garde la clé de leur progrès.

-Claude Lévi-Strauss (1964 : 26)

Cette affirmation de Lévi-Strauss sur le caractère paradoxal de la musique – à la fois langage et très différent du langage des hommes – s’adresse non seulement naturellement aux sémioticiens, mais sans doute également aux musicologues, aux philosophes et même aux amateurs de musique. La musique est l’un des phénomènes les plus émotionnels et cognitivement énigmatiques qui soit. Le désir d’une explication théorique de ce pouvoir proprement musical de susciter ou de générer des émotions et des idées hante les esthéticiens et des philosophes depuis des temps immémoriaux. Si tout le monde s’accorde à dire que la musique transcende le langage, on peut s’interroger sur la façon dont elle le fait. Est-elle trop vague (mais alors, qu’est-ce que le vague en termes conceptuels?), ou, au contraire, est-elle trop précise ou trop spécifique pour les mots, comme le disait Mendelssohn? Des questions autour de l’expression et de la signification de la musique jouent un rôle central dans la recherche musicale en général. Les approches non sémiotiques en études musicales qui impliquent des recherches dans de nombreux domaines adjacents tels que les théories des émotions, de la perception, de l’interprétation et de la signification semblent exiger une théorie du signe musical, une théorie capable d’appréhender ces domaines dans une seule approche. La sémiotique, avec sa double spécialisation sur le langage et la signification, semble être une discipline bien adaptée pour aborder la musique de manière théorique. En réunissant des articles de spécialistes de la sémiotique et de l’esthétique philosophique (Lucia Santaella, Dominique Chateau, Jean-Marie Chevalier, João Queiroz, Pedro Ata, Alessandro Arbo), de la musicologie (Eero Tarasti, Christian Hauer, Christine Esclapez, Peter Nelson, Mark Reybrouk) et de la théorie littéraire (Miriana Yanakieva), la motivation pour le présent volume était de fournir une expansion substantielle de la discipline naissante de la sémiotique musicale. Dans son article “Musical Semiotics – a Discipline, its History and Theories, Past and Present”, qui ouvre le présent numéro, Eero Tarasti note : “Lorsque nous examinons le vaste spectre des approches sémiotiques telles qu’elles apparaissent dans les oeuvres d’auteurs classiques ou dans les manuels ou les encyclopédies de la sémiotique, il convient de noter que peu de pères fondateurs ont parlé de musique”. Sans doute on souhaiterait que les sémioticiens tels que Peirce, Saussure ou Kristeva aient davantage parlé de musique. Cependant, l’absence d’un canon préexistant en sémiotique musicale a certainement inspiré les auteurs du présent numéro autant, sinon plus, que les quelques réflexions sémiotiques – sans doute fascinantes – qui ont été réalisées auparavant par des chercheurs dans le champ.

Une des questions récurrentes les plus intrigantes de la sémiotique musicale et de la théorie musicale, est de savoir si la forme et la substance musicales réfèrent à autre chose qu’à elles-mêmes. La musique est-elle purement autoréférentielle (en termes plus explicitement sémiotiques : pourrait-on qualifier la musique d’“icône pure”?) (cf. Kruse 2007; Short 2007). Une telle idée serait, au moins à certains égards, compatible avec la proposition de Guerino Mazzola que l’harmonie et le contrepoint constitueraient un pur “abstractum presque comme un triangle parfait en géométrie [much the same as an ideal triangle in geometry” (2002 : 12), une pensée qui très clairement évoque le concept peircien d’iconicité. Ou bien la musique est-elle un art à connotation pure, pour peu qu’une telle chose puisse exister? La musique offre-t-elle, comme Christian Metz le suggère dans “Le cinéma : langue ou langage?”, un matériau “purement impressif” qui ne “désigne rien” (1964 : 81), prêt à être immédiatement rendu expressif par l’artiste, sans avoir à passer par la zone ’intermédiaire’ de la dénotation? Selon Eero Tarasti, toutefois, la musique et la dénotation vont toujours de pair. L’article qu’il propose ici fait état de ses nombreux travaux visant à expliquer “les significations et les sens musicaux de cette pratique musicale vaste et répandue [il s’agit de la musique classique occidentale] tels qu’elle est devenue attirante pour les mélomanes du monde entier”. Pour expliquer comment la signification de la musique classique occidentale a évolué au fil du temps, depuis la période baroque jusqu’au classicisme et au romantisme, Tarasti élucide à chaque étape des sources possibles de la signification musicale (p.ex. le dialogue, ou des signes iconiques) et les théories musicales de chaque époque. Dans la deuxième partie de son texte axé sur la taxonomie, il présente ensuite un aperçu bien détaillé des approches de la sémiotique musicale, montrant comment elles ont émergé de la sémiotique générale ou des théories philosophiques (il est question de l’École de Paris, de la sémiotique existentielle, et des théories de l’Être). Au fur et à mesure, Tarasti montre à quel point la réinterprétation pointue des concepts issus d’autres domaines théoriques est importante et complexe pour une transposition fructueuse à la discipline musicale. Et bien que Tarasti conclue avec optimisme que la sémiotique musicale en tant que discipline existe bel et bien et “peut nous aider à découvrir les plus profondes des isotopies musicales pour ensuite les enseigner aux autres dans l’éducation musicale”, on trouve aussi chez lui, comme en parallèle, un ton moins assertif et fondamentalement observateur dès le début de son article, alors qu’il cite John Cage selon lequel “nulle part ne peut-on une compréhension correcte de la musique”.

Et si les difficultés à étudier le pouvoir de communication de la musique provenaient du fait que la musique est hautement isomorphe avec ou encore trop étroitement liée à notre conscience et à nos capacités de perception? Cette idée est au coeur de la réflexion suivante de Charles S. Peirce :

Dans une pièce de musique, il y a les notes séparées et il y a l’air [...] On perçoit sans aucun doute uniquement l’air de la pièce de musique en écoutant les notes séparées; toutefois, on ne peut pas dire que nous l’entendons directement, puisque nous n’entendons que ce qui est présent dans l’instant, et un ordre de succession ne peut exister dans un même instant [...]. Ces deux types d’objets, ceux dont on a immédiatement conscience et ceux dont on a conscience de façon médiate (qui doivent passer par des médiations), se trouvent dans chaque conscience. Certains éléments (les sensations) sont entièrement présents dans chaque instant pour toute leur durée, par contre d’autres (comme les pensées) sont des actions qui ont un commencement, un milieu et une fin, et qui consistent en la congruence de la succession de sensations qui se succèdent à travers l’esprit. Les sensations ne peuvent être immédiatement présentes en nous-mêmes, mais elles doivent embrasser une certaine portion du passé ou du futur.

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Dans ces lignes, Peirce nous présente certainement de nombreux concepts cruciaux pour un engagement théorique avec la musique, tels que la succession, le temps, la pensée, les sensations, la médiation, l’immédiateté, la perception et la conscience. Ces concepts philosophiques et sémiotiques jouent, en effet, un rôle important dans le présent numéro de RS/SI. Dans son article “Peut-il exister une logique de la notation musicale?”, Jean-Marie Chevalier souligne l’importance de la relationnalité de la partition et la met en dialogue avec la perception musicale, qui, explique-t-il, “repose aussi, et peut-être surtout, sur la perception de rapports entre les sons. Quand nous écoutons une mélodie ou un morceau de musique, ce n’est pas seulement, et peut-être pas avant tout, une succession de sons que nous apprécions chacun pour ce qu’il est, mais une totalité dont nous saisissons la structure”. C’est vraisemblablement à la lumière du fait que c’est grâce à une inférence hypothétique que nous avons la capacité de saisir une structure continue qui produit l’émotion musicale, que Chevalier affirme que la compréhension de la musique est à la fois “essentiellement métaphorique” et appartient à la catérorie peircéenne de l’interprétant émotionnel. Il clarifie : “La métaphore est souvent interprétée comme une forme de diagramme au second degré, sorte de rapport entre diagrammes : plutôt que représenter des relations par une analogie avec d’autres relations analogues, la métaphore représente de cette façon l’ensemble du processus représentatif”. Si, en écoutant de la musique, nous commençons directement au niveau cognitif de la compréhension métaphorique, alors, conclut Chevalier, une compréhension unifiée de la musique doit impliquer les trois niveaux d’iconicité. Plus précisément, il suggère comme indispensable pour l’analyse philosophique des enjeux musicaux trois niveaux d’iconicité de la musique, à savoir la métaphore-sens, l’intervalle-diagramme et l’image sonore.

Ces trois aspects iconiques font écho aux trois “flux de narrativité” que développe Christian Hauer. Le premier flux de narrativité est appelé “substance” : il correspond à la narrativité primaire, présente, en toute musique, dans le son même. Le deuxième flux de narrativité est appelé “cadre” : il correspond à la manière dont le temps est organisé – problématisé – dans une oeuvre, un style, une époque. Enfin, le troisième flux de narrativité est appelé “intrigue” : il correspond à la mise en intrigue d’une oeuvre. La principale préoccupation de Hauer est de donner une analyse “post-classique” de l’intrigue musicale qui élimine l’idée qu’il y aurait un temps musical “ontologique” dont la logique ou la structure pourrait être analysée par comparaison avec un temps sous-jacent, original, absolu. Citant Wittgenstein, Hauer insiste sur le fait qu’il n’y a pas de temporalité préexistante en tant que sujet extérieur. Il explique : “Le temps est en nous, […] nous sommes le sujet du temps, et non pas l’inverse”. Hauer montre comment le cadre temporel dans lequel se situe chaque intrigue (musicale) est le produit de manières collectives et individuelles de problématiser le temps ou, en d’autres termes, ce qu’il appelle la “narrativité cadre”. Et naturellement, ces deux flux sémiotiques de la narrativité reposent tous deux sur le troisième, ou plutôt premier flux, la “narrativité substance”, qui imprègne toute la musique. La narrativité des substances, conclut Hauer, est le ““bruit de forme”, qui bruisse de tous les bruits du monde. Et la musique – toute musique – fait ainsi entendre, résonner, “le bruissement même de l’il y a”…”.

Mark Reybrouk s’intéresse également à la notion de temps, mais de manière différente. Il souligne qu’il existe des problèmes et des avantages au fait que, dans les études de musique, la partition statique a toujours été l’objet principal. “Un tel aperçu synoptique, écrit-il, a l’avantage de la simultanéité et de la virtualité : tous les symboles sont là à la fois, que ce soit à un niveau représentationnel ou virtuel de la réalité”. La musique sonnante, toutefois, est un art temporel, et écouter de la musique implique une consommation du temps. Évoquant Kant, Brentano et Husserl sur la possibilité d’actes de conscience synthétiques, Reybrouk insiste non seulement sur une distinction épistémique qu’il appelle avec Lehrdahl “grammaires de la composition et grammaires de l’écoute” (1988). Plus généralement, il préconise aussi une définition plus dynamique de la construction de sens en musique capable de comprendre “des événements musicaux en tant que variables de niveau supérieur pouvant être définies comme fonctions du temps”.

C’est la difficulté de réunir conceptuellement différentes manières de comprendre la musique qui est également au coeur de l’article d’Alessandro Arbo. Celui-ci cherche une solution à l’apparent paradoxe ontologique selon lequel les caractéristiques esthétiques d’un objet musical sont à la fois fixes et très vaporeuses. L’idée est qu’un auditeur ayant plus de connaissances contextuelles pour situer un morceau de musique dans l’histoire des idées ou des arts percevra un objet complètement différent d’un autre auditeur sans aucune connaissance préalable. Arbo prend le temps d’effectuer une analyse perceptuelle-épistémologique détaillée de la manière dont la création de sens musical pourrait être organisée. Dans quelle mesure les qualités perçues proviennent-elles de l’intention, dans quelle mesure se situent-elles dans une ‘perception ad hoc’, et dans quelle mesure appartiennent-elles à l’objet musical lui-même? Sa solution consiste à proposer deux types d’écoute ou de compréhension d’objets musicaux épistémologiquement différents : entendre comme musique et comme oeuvre.

Peter Nelson qualifie la manière idiosyncratique de la communication musicale comme un acte d’énonciation sans intention sémiotique. “Il n’y a pas d’impératif de comprendre, la signification n’est pas le but”, explique Nelson, plaçant ses réflexions dans le champ sémantique du pragmaticisme peircéen. Avec Jankélévitch (2003), Nelson explique que le statut de l’auditeur en musique, même dans le cas d’une performance en direct d’un pianiste par exemple, n’est pas celui de la deuxième personne linguistique, le “tu/vous”. Plutôt l’auditeur en musique est, conçu depuis le point de vue du musicien, un “étranger”, au mieux un équivalent de troisième personne. A partir de cette perspective sur la relation entre le musicien et l’auditeur, Nelson fait un zoom sur la production de musique, montrant que même là, l’intention est (plus ou moins) absente : “[La] musique est ouverte à ce qu’offre le son. La musique recherche dans le son. Elle écoute, dans le sens de chercher et de construire des processus, des images et des affects”.

Dominique Chateau, pour sa part, examine la musique à la lumière des trois catégories phanéroscopiques de Peirce : Priméité, Secondéité, et Tiercéité. À la recherche d’une Secondéité musicale – peut être la moins intuitive des trois catégories quand il s’agit de réflexions sémiotiques sur la musique – Chateau explique que “tout ce qui concerne la rupture, l’interruption, le commencement, le recommencement, l’arrêt ponctué, la terminaison prolongée, etc., – tout cela relève plutôt de la secondéité”. Mais le concept de la Secondéité sert Chateau bien au-delà des évidences. Son article est marqué par l’oxymoron de la “clarté onirique” de la musique, une caractérisation qui trouve son origine dans La Montagne Magique de Thomas Mann :

La musique, elle, est l’informulé, l’équivoque, l’irresponsable, l’indifférent. Peut-être allez-vous m’objecter qu’elle peut être claire, mais la nature aussi peut être claire, le ruisseau aussi peut être clair, et en quoi cela nous sert-il? Ce n’est pas la clarté véritable, c’est une clarté rêveuse, qui ne signifie rien et n’engage à rien […].

1931 [1924] : 222

Y at-il un moyen d’instaurer un dialogue entre un concept aussi proche de la Priméité et/ou de la Tiercéité comme c’est le cas avec “clarté rêveuse” et la Secondéité? La Secondéité étant également la catégorie de l’expérience non-analysée, d’une altérité brutale, elle est au moins capable de saisir la tension sémantique de la syntaxe d’un oxymore - et c’est peut-être ce que Chateau comprend comme la forme inévitable d’une théorie esthétique de la musique lorsqu’il conclut : “Et je crois que le grand défi que cet art propose à l’esthète, au critique et à l’esthéticien, c’est justement d’arriver par les moyens conceptuels à rendre compte de quelque chose qui ne l’est pas”.

Lucia Santaella part d’une clarification conceptuelle en soulignant que, même si elles sont fondamentalement liées, il y a une différence significative selon que l’on choisit de travailler avec la phénoménologie de Peirce ou avec sa sémiotique. Cette dernière offre un appareil méthodologique plus distinctif sur le plan analytique, alors que, selon Santaella, les catégories phanéroscopiques seraient “vagues”. Suit alors une évaluation taxinomique de la réception musicale, capable d’intégrer, d’une part, le corps de l’auditeur – une perspective que Santaella trouve dans la démarche élaborée par Michel Chion dans la tradition du Groupe de Recherches Musicales (GRM) (1993) – et, d’autre part, le concept d’interprétant énergétique de Peirce. Comme elle l’écrit : “C’est l’interprétant énergétique de Peirce qui nous fait réaliser que l’ouïe ne dépend pas seulement de l’oreille et de l’esprit, mais aussi de notre corps. Lorsque nous écoutons de la musique, notre corps entre en action avec les sentiments, les commotions et les émotions qui s’y manifestent”. Suivant la classification trichotomique peircéenne de l’interprétant dynamique en interprétant émotionnel, énergétique et logique, la taxonomie de Santaella propose trois subdivisions pour rendre compte de trois types d’écoute : écouter avec émotion, écouter avec le corps, écouter intellectuellement.

La production d’une synthèse cognitive qui serait exprimable par la voie du langage naturel est souvent perçue comme insidieusement imparfaite, voire incapable de rendre compte adéquatement des interpretants émotionnels et énergétiques qui accompagnent l’écoute de la musique. C’est ce qui préoccupe Miriana Yanakieva dans son étude “La musique et l’indescriptible”. Bien que l’auteure affirme que le plus souvent on a l’impression que “le langage impose des limites infranchissables à notre désir de dire ce qu’une oeuvre musicale nous fait ressentir, et [que] cette impression n’est pas trompeuse”, elle considère néanmoins que “la description verbale de l’expérience de l’écoute musicale est possible et même souvent indispensable à la prise de conscience de cette experience”. Yanakieva compare d’abord la tentative de traduire un sentiment musical avec celle de peindre le vent, puis, à la recherche d’une approche plus constructive, propose une autre analogie : la musique pourrait-elle être un “discours amoureux”? Elle s’appuie ici sur l’idée de Barthes selon laquelle l’amour nous permet d’accéder à une langue “sans adjectifs”, parce que l’autre est aimé non pas pour ses qualités, mais pour son existence et, de la même manière, suggère Yanakieva, nous n’aimerions pas ce qu’est la musique mais qu’elle est, soit le fait même de son existence. Le texte nous laisse donc deux idées curieuses sur la façon dont la description de l’expérience de la musique pourrait être réussie : premièrement, il ne faudrait pas considérer une description de musique comme un regard extérieur mais comme étant elle-même un aspect de cette expérience, et deuxièmement, à condition que nous utilisions des adjectifs dans ces descriptions, ceux-ci ne devraient pas viser les qualités musicales.

Pedro Atã et João Queiroz partent du principe que la signification est basée sur une action de signes matériellement étendus et contextuellement dépendants. Au lieu du concept d’“environnement”, ils proposent le concept plus dynamique de “niche”, qui couvre en même temps l’interaction sémiosique et la contextualité. Les auteurs comprennent la signification musicale comme un système de relations entre les signes des pièces musicales elles-mêmes et les formes sémiotiques disponibles dans les niches sémiotiques impliquées. La signification musicale est donc décrite comme un processus social et cognitif dynamique à la fois dépendant du contexte (situé), dépendant de l’interprète (dialogique) et matériellement étendu (incarné). Atã et Queiroz mettent l’accent sur le processus et le développement plutôt que sur le produit et la finalité, soulignant qu’à la lumière des formes sémiotiques en tant que propositions conditionnelles matériellement étendues, “la question de savoir si une certaine qualité d’un morceau de musique est objectivement présente dans le morceau, ou bien culturellement construite ne fait plus de sens : elle est objectivement présente dans la pièce parce qu’elle est culturellement construite et vice-versa”.

Enfin, Christine Esclapez situe son approche dans le domaine de la “sémio-anthropologie”, proposant une analyse des schémas de communication des concerts participatifs qu’elle considère comme une partie essentielle de la “réalité musicale dans le monde”. S’inspirant de la définition socio-philosophique du concept de “participation” telle que proposée par Joëlle Zask comme composée de trois moments : “prendre part”, “apporter une part” et “recevoir une part”, Esclapez se tourne vers trois moments définis pour des concerts participatifs – “étape de sensibilisation”, “étape de jeu créatif” et “étape de retour à l’individu” – et les met en dialogue avec les moments tirée de Zask. Il est intéressant de remarquer que bien que l’auteure soit préoccupée par une situation musico-sémiotique bien précise, à savoir le concert participatif, le type de construction de sens musical qu’elle décrit dans son article n’est pas étranger au propos de plusieurs autres articles de ce numéro dans la mesure où la démarche est foncièrement pragmaticiste.

* * *

Même une fois terminée la lecture intégrale de ce numéro, le lecteur s’entendra avec nous pour conclure que l’idée de signification musicale continuera d’exiger des recherches. Si, comme le dit Boèce, la musique est si naturellement unie à nous que nous ne pouvons pas en être libérés même si nous le désirons, c’est bien parce que les signes musicaux évoluent et continueront d’évoluer dans une relation interne avec la sémiosis humaine. Ou, pour le dire autrement : ce que les auteurs du présent numéro ont tous réussi à démontrer de manière convaincante, est que les significations de la musique sont les significations de l’homme.


Since [music] is the only language with the contradictory attributes of being at once intelligible and untranslatable, the musical creator is a being comparable to the gods, and music itself the supreme mystery of the science of man, a mystery that all the various disciplines come up against and which holds the key to their progress.

-Claude Lévi-Strauss (1969 : 18)

Lévi-Strauss’ statement on the paradoxical character of music – being at once language-like and unlike language – not only naturally speaks to semioticians, but without a doubt to musicologists, philosophers and even non-theoretical music-lovers alike. Music is one of the most emotional and cognitively enigmatic phenomena that we, as humans, encounter. The desire for a theoretical explanation of music’s power to provoke feelings and ideas has been haunting aestheticians and philosophers from time immemorial. While there is a general agreement that music transcends language, how exactly it does so remains open to question. Is it too vague (but then, what is vagueness, conceptually?), or is it too precise or specific for words, as Mendelssohn once put it? Questions surrounding expression and signification in music are guiding and central to music research in general. Non-semiotic approaches to music studies that entail investigations in many adjacent fields such as the theory of emotions, the theory of perception, the theory of interpretation and the theory of signification all seem to call for a proper musical sign-theory, a theory capable of mobilizing these fields into a single approach. Semiotics, with its double specialization on language and meaning, seems to be a well-suited discipline to approach music theoretically. By bringing together articles from scholars working in philosophical semiotics and aesthetics (Lucia Santaella, Dominique Chateau, Jean-Marie Chevalier, João Queiroz, Pedro Atã, Alessandro Arbo), musicology (Eero Tarasti, Christian Hauer, Christine Esclapez, Peter Nelson, Mark Reybrouk) and literary theory (Miriana Yanakieva), the motivation for the present volume was to provide a substantial contribution to the still nascent discipline of musical semiotics.

In his article “Musical Semiotics – a Discipline, its History and Theories, Past and Present”, which inaugurates the present issue, Eero Tarasti notes : “When we scrutinize the vast spectrum of semiotic approaches as they appear in the works of classic authors, or else in textbooks or encyclopedias of semiotics, it is noteworthy how few of the field’s founding fathers have said anything about music”. Surely one may wish that semioticians like Peirce, Saussure or Kristeva would have accounted for music more. Yet, the lack of a preexisting canon of musical semiotics has inspired the present collection of essays as much as, if not more than, the few indisputably fascinating semiotic musings that have previously been carried out by scholars. One of the very intriguing recurring questions in musical semiotics and music theory, to give just one example, has been whether music’s form and substance refer to anything else than to music itself. Is music purely self-referential, or in more explicitly semiotic terms, could music be qualified as a “pure icon” (cf. Kruse 2007; Short 2007)? Such an idea would, in some respects at least, be compatible with Guerino Mazzola’s proposition that harmony and counterpoint constitute a pure “abstractum much the same as an ideal triangle in geometry” (2002 : 12), a thought that clearly evokes the Peircean concept of iconicity. Another idea that has been discussed is if we should understand music an art of pure connotation (if such a thing exists at all) : Does music provide, as Christian Metz suggests in “The Cinema : Language or Language System?”, a material that is “purely impressionable” and does not “designate” (1991 [1964] : 76), ready to be directly rendered expressive by the artist, without going through the ‘intermediate’ zone of denotation? According to Eero Tarasti, however, music and denotation always go together. The task Tarasti set for himself is no less than to explain “[w]hat are the musical meanings and significations of this vast and widespread musical practice [Western classical music] such that it has become appealing to music lovers everywhere?”. In order to explain how meaning in Western classical music has developed and changed over time, from the Baroque to the Classicist period an on to Romanticism, at each step Tarasti elucidates both possible sources of meaning in music (such as dialogue, or iconic signs) and the corresponding contemporary theories of that respective music. In the second part of his taxonomically oriented text, he then presents an extensive overview of approaches in musical semiotics, showing how they have emerged from either general semiotics or philosophical theories (such as the Paris School, existential semiotics, and theories of Being). As he goes along, Tarasti effectively shows how important and delicate a fine-tuned reinterpretation of concepts from other theoretical fields is for a fruitful transposition to the musical discipline. And although Tarasti optimistically concludes that musical semiotics as a discipline indeed does already exist and “can help us uncover the deepest of musical isotopies so that we can teach them to others in musical education”, one still perceives a less assertive, fundamentally observant tone that resonates throughout the paper; for at the outset, Tarasti did acknowledge (quoting John Cage) that “there is no correct understanding of music anywhere”.

Perhaps the difficulties in studying music’s communicative power comprehensively stem from music being highly isomorphic to or too closely intertwined with our consciousness and perceptual abilities. This idea lies at the core of the following thought by Charles S. Peirce :

In a piece of music there are the separate notes, and there is the air […] We certainly only perceive the air by hearing the separate notes; yet we cannot be said to directly hear it, for we hear only what is present at the instant, and an orderliness of succession cannot exist in an instant[…] These two sorts of objects, what we are immediately conscious of and what we are mediately conscious of, are found in all consciousness. Some elements (the sensations) are completely present at every instant so long as they last, while others (like thought) are actions having beginning, middle, and end, and consist in a congruence in the succession of sensations which flow through the mind. They cannot be immediately present to us, but must cover some portion of the past or future.

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In these lines, Peirce certainly presents us many of the crucial concepts for a theoretical engagement with music, such as succession, time, thought, sensations, mediation, immediacy, perception, and consciousness. These philosophical and semiotic concepts do indeed play an important role in many of the articles of the present issue of RSSI.

In his article “Peut-il exister une logique de la notation musicale?”, Jean-Marie Chevalier underlines the importance of the relationality of the score and puts it in dialogue with musical perception, which “also rests, and perhaps above all, on the perception of relationships between sounds. When we listen to a melody or a piece of music, writes Chevalier, it is not only, and perhaps not most importantly, a succession of sounds that we each value for what they are individually, but a totality whose structure we grasp”. It is probably in light of the fact that it is by hypothetical inference that we have the ability to grasp a continuous structure that makes up musical emotion that Chevalier affirms that the understanding of music is both “essentially metaphorical” and an affair of the emotional interpretant. He clarifies: “The metaphor is often interpreted as a form of a second-order diagram, a sort of relationship between diagrams : rather than representing relations by analogy with other analogous relations, the metaphor represents in this way the whole representative process”. If in listening to music we start off right on the cognitive level of metaphorical understanding, then, Chevalier concludes, a unified understanding of music must imply all the three levels of iconicity. More specifically he suggests as indispensable for the philosophical analysis of the stakes of music three levels of iconicity of music, namely metaphor-sense, interval-diagram, and sound-image.

These three iconic aspects resonate with Christian Hauer’s three “flows of narrativity” : “The first flow of narrativity is called ‘substance’ : it corresponds to primary narrativity, that which is present in all music, in the sound itself. The second flow of narrativity is called ‘framework’ : it corresponds to the way time is organized, or problematized, in a work, a style, an era. The third flow of narrativity is called ‘plot’ : it corresponds to the emplotment of a work”. Hauer’s main concern is to give a “post-classical” analysis of the musical plot that does away with the idea that there would be an “ontological” musical time whose logic or structure could be analyzed by means of comparison with an underlying, original, absolute time. Quoting from Wittgenstein here, Hauer insists that there is no temporality that would preexist as an outward subject. “Time is in us”, Hauer writes “[…]we are the subject of time, and not the other way around”. Hauer shows how the temporal framework within which every (musical) plot necessarily falls, is the product of collective and individual ways of problematizing time, or in other words, of what he calls “framework narrativity”. And naturally, these two semiotic flows of narrativity both rely on the third, or rather first, flow, or “substance narrativity”, which permeates all music. Substance narrativity, Hauer concludes, is “the ‘sound of form’, which rustles with all the sounds in the world. And music – all music – as it resounds, makes one hear “the very rustling of the ‘there is’...”.

Mark Reybrouk is also concerned with the concept of time, but in a different way. He points out that there are problems and advantages to the fact that in studies of music the static score has traditionally been a primary object of inquiry. “Such synoptic overview has the advantage of simultaneity and virtuality : all the symbols are there at once, be it at a representational or virtual level of reality. Sounding music, however, is a temporal art, and listening to music involves the consumption of time”. Evoking Kant, Brentano and Husserl on the possibility of synthetic acts of consciousness, Reybrouk presses not only for an epistemic distinction between what he calls, following Lehrdahl (1988), “composing and listening grammars”. He also more generally urges a more dynamic definition of musical sense-making that is able to comprehend “musical events as higher-order variables that can be defined as functions of time”.

It is the difficulty to conceptually unite disparate understandings of music that is also at the heart of Alessandro Arbo’s paper. Arbo is seeking a solution to the apparent ontological paradox according to which the aesthetic characteristics of a musical object are at the same time fixed and very volatile. The idea is that a listener with more contextual knowledge about where to locate a piece of music in the history of ideas or that of the arts will perceive a completely different object than another listener with little or no such background knowledge. Arbo takes time to carry out a detailed perceptual-epistemological analysis of how musical meaning-making could be organized. How much of the perceived qualities stems from intention, how much lies in an ad-hoc perception, and how much belongs to the musical object itself? His solution to the apparent ontological paradox consists in proposing two epistemologically different types of listening or understanding musical objects : as music (“entendre comme musique”) and as work (“entendre comme oeuvre”).

Peter Nelson qualifies the idiosyncratic aspect of musical communication as an act of enunciation without semiotic intention. “There is no imperative to understand”, he writes, “meaning is not the purpose”. Locating his reflections within the semantic field of Peircean pragmaticism, he explains, along with Jankélévitch (2003) that the status of the listener in music, even in the case of a live performance by a pianist for example, is unlike that of the second person, the “you” of linguistic address. Rather, the listener in music is, seen from the point of view of the musician, an “outsider”, at best the equivalent of the third person. From this perspective on the relation between musician and listener, Nelson zooms in on the production of music, showing that even there, intention is (more or less) absent : “[M]usic is open to what sound has to give. Music searches in sound. It listens, in the sense of seeking to find and construct processes, images and affects”.

Dominique Chateau, for his part, examines music in the light of the three Peircean phaneroscopic cateogies of Firstness, Secondness and Thirdess. In search of a musical Secondness – which may be the least intuitive of the three categories when it comes to semiotic reflections on music – Chateau explains that musical “rupture, interruption, beginning, recommencement, the punctured stop, the prolonged termination, etc., can all be seen as pertaining to Secondness”. But the concept of Secondness serves Chateau much beyond any obvious observations. His essay is framed by the oxymoron of music’s “dreamy clarity”, a characterization that finds its source in Thomas Mann’s The Magic Mountain (1971 [1924]) :

Music? It is the half-articulate art, the dubious, the irresponsible, the insensible. Perhaps you will object that she can be clear when she likes. But so can nature, so can a brook – what good is that to us? That is not true clarity, it is a dreamy, inexpressive, irresponsible clarity […].

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Is there a way to put such a Firstness/Thirdness – the very concept of a “dreamy clarity” – in a dialogue with Secondness? Secondness being also the category of the unanalyzed, brute experience of otherness, it is at least able to grasp the semantic tension of the syntax of the oxymoron. And this may well be what Chateau understands as the inevitable form an aesthetic theory of music ought to take when he concludes : “And I believe that the big challenge that this art presents for the aesthete, the critic and the aesthetician, lies precisely in one’s ability to give a conceptual account for something that is not conceptual”.

Lucia Santaella starts off from a conceptual clarification outlining that, despite being fundamentally related, it makes a significant difference if one chooses to work with Peirce’s phenomenology or with his semiotics. The latter offers a more analytically distinctive methodological apparatus, whereas the phaneroscopic categories, according to Santaella, “are vague”. Santaella’s concern is a taxonomic evaluation of musical reception, and one that is able to incorporate the body of the listener – as is the case with Michel Chion’s theoretical system (developed in 1993 in the tradition of the Groupe de Recherches Musicales or GRM) –, with Peirce’s energetic interpretant : “It is Peirce’s energetic interpretant that leads us to realize that hearing depends not only on the ear and mind, but also, inseparably depends on our body. When we listen to music, our body goes into action along with the feelings, commotions and emotions that speak in it”. According to Peirce’s trichotomous classification of the dynamical interpretant into the emotional, the energetic and the logical interpretants, Santaella’s taxonomy proposes three subdivisions for each one of three types of listening : listening with emotion, listening with the body, listening intellectually.

Often the production of a cognitive synthesis of different types of musical experience such that it could be expressed in natural language, feels deceivingly imperfect, and may not be sufficiently accommodating to emotional and energetic interpretants. It is this unsatisfactory synthesis that Miriana Yanakieva addresses in her essay, “La musique et l’indescriptible”. Although the author asserts that more often than not one has the impression that “language imposes insurmountable boundaries to our desire to say what it is that a musical work makes us feel, and that this impression is not misleading”, she nevertheless holds that the “verbal description of the experience of music listening is possible and even often indispensable for the awareness of this experience on the part of the subject”. Yanakieva first compares the attempt to translate a musical feeling with the attempt to paint the wind, and then, in search for a more constructive approach, goes on to propose yet another analogy : might music be a matter of “amorous discourse”? The author here draws on Barthes’ idea that love allows us to access a language “without adjectives”, because the other is loved not for her qualities, but for her existence; and in just the same way, Yanakieva suggests, we might not love music for what it is, but instead love the very fact that it is. The essay then leaves us with two puzzling ideas about how the description of the experience of music can only be successful : first, any description of music should not be considered as a “looking-in” at the experience from the outside, but as being itself an aspect of that experience, and second, provided that we use adjectives at all in those descriptions, those adjectives should not intend to target any musical qualities.

Pedro Atã and João Queiroz start from the premise that meaning is based on an action of contextually dependent, materially extended signs. Instead of the concept of an “environment” they propose the more dynamic concept of a “niche”, which covers both semiosic interaction and contextuality at the same time. The authors understand musical meaning as a system of relations between the signs of the musical pieces themselves and the semiotic forms available in the involved semiotic niches. Musical meaning is hence described as a social-cognitive dynamic process which is context-dependent (situated), interpreter-dependent (dialogic), and materially extended (embodied). Atã and Queiroz emphasize process and development over product and finality, stressing that in light of semiotic forms as materially extended conditional propositions, “the question of whether a certain quality of a musical piece is objectively present in the piece or is culturally constructed makes no sense anymore: it is objectively present in the piece because it is culturally constructed and vice-versa”.

Finally, Christine Esclapez locates her approach to the field of “semio-anthropology” by proposing an analysis of the communicational patterns of participatory concerts, which she regards as a vital part of the “reality of the musical in the world”. Proceeding from Joëlle Zask’s social-philosophical definition of participation as consisting of three moments – “taking part”, “contributing a part” and “receiving a part” – Esclapez turns to three moments defined for participatory concerts – “stage of raising awareness”, “stage of creative play” and “stage of return to the individual” – and puts them into dialogue with Zask’s concepts. Although she is concerned with a very specific musical-semiotic situation (namely the participatory concert), it is interesting to note how the type of musical meaning construction Esclapez outlines connects with many of the other articles of this issue in so far as it is fundamentally pragmaticist.

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Even after reading all the essays gathered here, the reader will surely join us in concluding that the study of musical signification still requires further investigations. For if, as Boethius once put it, music is so naturally united with us that we cannot be free from it even if we so desired, it is because musical signs evolve in an internal relation with the whole of human semiosis. Or, to put it differently : what the authors of the present issue have convincingly demonstrated is that the meanings of music are the meanings of man.