Recherches sémiotiques
Semiotic Inquiry
Volume 34, Number 1-2-3, 2014 Le Cours de linguistique générale 100 ans après The Course in General Linguistics 100 Years Later Guest-edited by Michel Arrivé and Estanislao Sofia
Table of contents (16 articles)
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Le Cours de linguistique générale 100 ans après : présentation / The Course in General Linguistics 100 Years Later: Presentation
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Qui est l’auteur du Cours de linguistique générale ?
Estanislao Sofia
pp. 39–57
AbstractFR:
Le présent article aborde le problème de l’auctorialité du Cours de linguistique générale, publié en 1916 par Ch. Bally et A. Sechehaye, avec la collaboration d’A. Riedlinger, sous le nom d’auteur de Ferdinand de Saussure (1857-1913). Cette décision éditoriale ayant été maintes fois questionnée, mais rarement interrogée en profondeur, nous nous proposons de décortiquer quelques-uns parmi les arguments les plus poussés autour de cette problématique. Nous concluons que cette question n’est pas intéressante en soi, mais dépend des critères (historiques, biographiques, théoriques, etc.) que l’on voudra bien tenir pour pertinents. La réponse à la question qu’on pose dans le titre – qui est l’auteur du Cours de linguistique générale? – ne pourra alors pas aspirer à l’univocité; elle variera en fonction des intérêts sous-jacents aux positions de ceux qui prennent la peine d’y répondre.
EN:
This article takes into consideration the problem of the authorship of the Cours de linguistique générale, published in 1916 by Ch. Bally and A. Sechehaye, with the collaboration of A. Riedlinger, under the name of Ferdinand de Saussure (1857- 1913). This editing decision was repeatedly questioned, but rarely examined in depth. We propose to dissect some of the most advanced arguments around this issue. We conclude that this problem is not interesting in itself, but depends on the criteria (historical, biographical, theoretical, etc.) that one may wish to take into account as relevant. Thus, the answer to our question (who is the author of the Cours de linguistique générale?) cannot aspire to be univocal – it will necessarily vary according to the underlying interests of those who take the risk of answering.
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La langue mise en échec(s)
Pierre Swiggers
pp. 59–74
AbstractFR:
Parmi les comparaisons et métaphores utilisées dans le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure, celle du jeu d’échecs a reçu beaucoup d’attention de la part d’exégètes. Dans cet article, la triple occurrence de la comparaison est analysée, d’abord d’un point de vue philologique (confrontation du texte du Cours avec les notes d’étudiants) et, ensuite, dans une perspective épistémologique et méthodologique : comment les trois emplois de cette comparaison s’insèrent-ils dans le texte du Cours et quelle est leur fonctionnalité spécifique? Il est montré que les trois emplois répondent à une démarche logique, allant de la délimitation de l’étude linguistique de la “langue” à la définition des unités à “valeur” linguistique.
EN:
Among the comparisons and metaphors used in Ferdinand de Saussure’s Cours de linguistique générale the one concerning the game of chess has attracted much exegetical attention. In this article the threefold occurrence of this comparison is analysed, first from a philological point of view (confrontation of the text of the Cours with the students’ notes), and subsequently from an epistemological and a methodological perspective: how are these three uses inserted within the text of the Cours and what is their specific functionality? It is shown that the three uses correspond to a logical approach, moving from the delimitation of the linguistic study of la langue to the definition of units having linguistic “value”.
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La topique des phonèmes
Jacques Coursil
pp. 75–96
AbstractFR:
Le Cours de Linguistique Générale consacre deux chapitres à la phonologie sous les titres “Définition des phonèmes” et “Le Phonème dans la chaîne parlée”. Ces textes se présentent aujourd’hui sous le double aspect d’une question d’histoire des sciences non-résolue et d'une question théorique ouverte, l’irrésolution de la première masquant l’intérêt systémique de la seconde.
Critiqués dès 1930 par les théoriciens de l’École de Prague (Troubetzkoy, Jakobson), les Principes de Phonologie de Saussure ont perdu tout crédit scientifique et sont tombés dans l’oubli. La critique des Pragois est à la fois élogieuse et sévère. Tout en se réclamant de son caractère fondateur, ils reprochent à la théorie saussurienne d’être contradictoire, mêlant, selon leurs analyses, deux disciplines devant demeurer distinctes, la phonétique et la phonologie. Les contradictions relevées par les maîtres de l’École de Prague paraissent, en effet, évidentes. D’une part Saussure écrit : “L’essentiel de la langue est étranger au caractère phonique du signe linguistique” (CLG : 21) ou “la question de l’appareil vocal est secondaire dans le problème du langage” (CLG : 26); mais d’autre part, il affirme que “la liberté de lier les espèces phonologiques (phonèmes) est limitée par la possibilité de lier les mouvements articulatoires” (CLG : 79). On ne peut, en effet, soutenir la nécessité d’une distinction stricte entre traits différentiels de langue et mécanique articulatoire et, en même temps, affirmer que la délimitation des phonèmes dépend de contraintes de l’appareil vocal. Ainsi Troubetzkoy et Jakobson reprocheront-ils au maître genevois de réintroduire la phonétique dans le débat phonologique.
Mais il y a malentendu. En confrontant les critiques pragoises aux textes de Saussure, on découvre, à la place des contradictions attendues, la description d’un système double de catégories et de fonctions dont chaque partie, dûment développée, aboutit à une loi. La thèse de Saussure maintient strictement (mais subtilement) la distinction entre phonétique et phonologie, contrairement aux allégations des Pragois. Dans une lecture systémique des Principes de Phonologie de Saussure, nous n’avons trouvé ni les “contradictions” ni le “psychologisme naïf” ni non plus de “retour aux procédés de la phonétique motrice” que Jakobson avait critiqués. Il s’agit dans cet article de reconstruire et tester ce modèle saussurien discrédité. Les historiens des sciences auront alors à nous expliquer l’étonnante indifférence dans laquelle est tombée une analyse (si opérante et importante) placée au milieu du livre le plus lu de la linguistique générale.
EN:
Ferdinand de Saussure’s Course in General Linguistics (CLG in French), edited and published by Charles Bally and Albert Sechehaye in 1916, contains two chapters on phonology : “Definition of the Concept of Phoneme” and “The Phoneme in the Spoken Chain”. These texts were criticised by Nicolas Troubetzkoy (1949) and Roman Jakobson (1976) and judged inconsistent and as a result lost their scientific credibility and are mostly forgotten today. Prague School criticism was simultaneously laudatory and harsh. Recognizing the highly original nature of Saussure’s contribution, it was criticized for being contradictory in its amalgamation of phonetics and phonology. And clearly, some passages from the Course in General Linguistics appear to support Troubetzkoy’s and Jakobson’s claim. Yet, this view rests on a misunderstanding.Close reading of Saussure shows rather that he sought to describe a double system of categories and functions uncovering a linguistic law. Saussure’s thesis strictly – but subtly – maintains the disctinction between phonectics and phonology, contrary to the assertions of the Prague linguists.
Indeed a systematic reading of Saussure’s Principes de phonologie shows no “contradiction”, no trace of any “naive psychologism”, nor a “return to procedures of motor phonetics” as Jakobson would have it. In this article, I therefore endeavor to reconstruct and test Saussure’s discredited model. I leave it to historians to explain how it is such a key and operational analysis set midway through the most widely read general linguistic treatise could have fallen into such indifference.
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À propos de la vision saussurienne de la syntaxe
Claude Hagège
pp. 97–112
AbstractFR:
Dans cet article, j’attire l’attention sur le fait, inaperçu, qu’il n’y a pas de syntaxe chez Saussure (en dehors de mentions éparses du terme au cours d’énumérations de composantes des langues), ni dans le CLG, ni dans les ÉLG, et que cette absence a embarrassé ses épigones, bien qu’elle n’ait pas empêché Tesnière, qui le cite avec éloge, de consacrer son grand livre à la syntaxe. Cette apparente lacune contraste vivement avec la tradition créée par Chomsky, qui met la syntaxe au centre des langues et de sa théorie. Pourtant, la syntaxe, qui est encore omniprésente dans les travaux des linguistes d’aujourd’hui, même chez ceux qui ne suivent pas du tout les modèles formalistes, n’a pas, en réalité, dans les langues, l’importance qu’on lui donne, comme j’essaie de le montrer ensuite en examinant les domaines que l’on peut imputer à la syntaxe. Elle pourrait même n’être qu’une composante secondaire, et un épiphénomène de la linéarisation du discours. Le principe saussurien selon lequel, dans la langue, il n’y a que des différences suffit pour rendre compte des phénomènes pour lesquels les formalistes ont développé une composante syntaxique complexe.
EN:
This article stresses the unheeded fact that (apart some sparse mentions among listed language components), there is no syntax in Saussure’s work, neither in the CLG nor in the ÉLG. This has baffled his disciples, except Tesnière, whose main work is entirely devoted to structural syntax, though it does little to bridge the gap separating Saussure from Chomsky. For Chomsky, it is well known, puts syntax at the very core of language and linguistic theory, thus creating a tradition which still surfaces even in the works of those linguists who explicitly reject formal models. The article goes on to question the legitimacy of this trend, by investigating the real content of syntax and its divisions. As a result of this examination, it appears that syntax, far from being nuclear, might simply be an epiphenomenon of the linearization of speech and the vocalizing of meanings. The Saussurean principle according to which in la langue, there are nothing but differences is sufficient to account for phenomena which formalists explain away through a complex syntactic component.
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Variantes saussuriennes : écriture, recherche, style dans les manuscrits de Ferdinand de Saussure
Alessandro Chidichimo
pp. 113–136
AbstractFR:
Une des critiques d’Antoine Meillet – l’un des premiers à faire un compte rendu du CLG – au travail d’édition de Bally et Sechehaye portait sur la forme donnée au texte. Dans cet article, je présente une recherche à propos du style de Saussure dans le cadre de la philologie d’auteur. Ma recherche porte donc sur les variantes de Saussure dans les manuscrits de linguistique générale à partir de De l’essence double du langage et d’autres exemples tirés de brouillons d’articles et de notes préparatoires pour des cours universitaires. Je montre d’une part le rôle de l’écriture, en tant qu’instrument de recherche, chez Saussure, d’autre part j’émets une hypothèse sur la convergence entre le style et l’écriture au cours d’une recherche. Je voudrais montrer la continuité stylistique des textes et manuscrits de Saussure. Enfin, j’essaie de conjuguer la spécificité des variantes relevées avec les indications de Saussure trouvées dans d’autres manuscrits dédiées plus particulièrement au style et à l’écriture.
EN:
In one of the first reviews ever to be published of the CLG, Antoine Millet was critical of the form given to the text of the Course by its editors Bally and Sechehaye. In this article, I investigate Saussure’s writing style from the perspective of author philology. My research thus concerns itself with variations found in Saussure’s manuscripts for the Course of General Linguistics, starting from The Double Essence of Language and other examples from drafts of articles and preparatory notes for lectures. On one hand I highlight the importance of writing as a research instrument for Saussure, on the other hand I develop a hypothesis regarding the convergence of style and writing of his work. The upshot is to illustrate stylistic continuity in Saussure’s manuscripts. Finally, I seek to bring together stylistic variations in Saussure’s writing with notes made by Saussure in works dedicated to style and writing.
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Portrait du linguiste en jeune grammairien
Didier Samain
pp. 137–156
AbstractFR:
Après avoir rappelé en préambule deux acquis des études saussuriennes : l’importance de la diachronie dans la pensée de Saussure et sa cohérence conceptuelle depuis le Mémoire jusqu’au écrits tardifs et au CLG, l’article s’efforce de replacer l’oeuvre dans le contexte épistémologique de son époque.
Il suggère que l’effet de discontinuité entre Saussure et la génération précédente fut pour une large part le résultat de malentendus chez les structuralistes mais aussi en Allemagne. La comparaison avec quelques oeuvres canoniques du courant néogrammairien met au contraire en évidence de nombreuses convergences entre Saussure et les linguistes de Leipzig : rôle de la synchronie, importance du sujet parlant, fonction différentielle des unités et surtout conception non substantielle de la langue.
Il avance la thèse que le courant néogrammairien s’est caractérisé par la rencontre de deux univers théoriques apparentés par leur commune orientation formelle et empiriste, celui de la grammaire comparée et celui de la psychologie de tradition herbartienne. Il en est résulté une conception particulière du rapport entre élément et système, différente de toute forme d’holisme comme d’un quelconque atomisme. Les traits qui unissent Saussure à ses prédécesseurs immédiats reconduisent à la question rebattue de son originalité et du destin singulier du CLG. Quelques pistes sont proposées en conclusion.
EN:
This paper opens by considering two well established points in Saussurian studies : the importance of diachrony in Saussure’s thinking and the conceptual coherence of his work, from the Mémoire to his later writings and the CLG. The author then proceeds to situate Saussure’s contributions whithin the epistemological context of his era and suggests that any sense of discontinuity that one might perceive between Saussure and his prodecessors results from misunderstanding among French structuralists and German scholars. Indeed, comparisons of Saussure’s work with canonical works in the neogrammarian tradition shows that Saussure and the Leipzig School shared a great deal, including the role of synchrony, the importance afforded to the speaking subject, the differential function of linguistic units and, especially, a non substantialist conception of language.
The author’s thesis is that the neogrammarian movement is characterized by the meeting of two theoretical perspectives – comparative grammar and Herbartian psychology – each sharing a common formal and empiricist outlook. This resulted in a specific conception of how element and system relate, one that eschews both holism and atomism alike. The relation of Saussure to this immediate predecessors brings back the hackneyed topic of his alleged originality and of the Course’s peculiar destiny. Some suggestions for future research are made thereupon in the conclusion.
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Les traces de la formation indo-européaniste de Saussure dans le CLG
Maria Pia Marchese
pp. 157–172
AbstractFR:
Fondateur de la linguistique générale, Saussure était, avant tout, un linguiste historique et connaissait bien les méthodes de la reconstruction de l’indo-européen, laquelle se fonde sur la connaissance des langues anciennes.
Cet article vise à montrer la transition des études indo-européennes aux études théoriques sur la langue chez Saussure, et surtout à mettre en évidence le lien existant entre elles dans le CLG. En vue de reconstruire cette transition, il analyse également les éditions des trois cours universitaires qui sont à la base du CLG, de même que les manuscrits saussuriens découverts en 1996.
Nous pouvons constater que certaines parties du CLG, notamment la troisième, consacrée à la linguistique diachronique, seraient impensables en dehors d’une solide formation dans le domaine de la linguistique historico-comparative et que, même les parties les plus théoriques, sont illustrées par des exemples et des raisonnements émanant précisément de sa formation d’indo-européaniste.
EN:
Saussure, the founder of General Linguistics, was primarily a historical linguist, and knew very well the methods of the Indo-European reconstruction, which is based on the knowledge of ancient languages.
My work has the aim of showing Saussure’s passage from Indo-European studies to the theoretical study of la langue, and especially to highlight the connection between these two forms of inquiries in the CLG. In order to account for this transition I analyze the editions of Saussure’s three university courses, which are the basis of the CLG, as well as the new manuscripts discovered in 1996.
We can see that some parts of the CLG, for example the third one, dedicated to diachronic linguistics, would be unthinkable without Saussure’s solid background in the field of historical-comparative linguistics, and that even the theoretical sections of CLG are explained with examples and arguments that stem from the Indo-Europeanist field.
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L’invention de la phonologie entre Saussure et le Cercle Linguistique de Prague
Gabriel Bergounioux
pp. 173–189
AbstractFR:
Généralement, les conceptions de Saussure et les thèses du Cercle Linguistique de Prague sont considérées comme deux variantes d’une même théorie phonologique. À partir d’un examen des bouleversements introduits dans la réflexion linguistique par le Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes (et dans la suite de l’oeuvre), on compare les principes saussuriens avec les Grundzüge der Phonologie de Troubetzkoy et avec l’interprétation qu’en diffuse Jakobson après 1945, dans sa rivalité avec les structuralistes américains. On essaie de proposer une explication des divergences entre les écoles en référence à leurs conditions d’apparition et à leurs objectifs avec une attention particulière pour la place qu’elles accordent à la phonétique dans leurs explications.
EN:
Generally speaking, Saussure’s conceptions and the theses of the Prague Linguistic Circle are considered to be two variants of the same phonological theory. From a review of the changes brought about in linguistic thinking by the Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes (and by Saussure’s later works), we here compare Saussurian Principles with Trubetskoy’s Grundzüge der Phonologie and, Jakobson’s reading of them after 1945 in his rivalry with American structuralists. We try to give a detailed explanation of the differences between the schools of phonology in reference to the conditions of their emergence and to their objectives. We pay particular attention to the place their work gives to the phonetics.
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Saussure’s Value(s)
John E. Joseph
pp. 191–208
AbstractEN:
Valeur, value, is central to how languages are conceived in the Cours de linguistique générale, and it has been an integral part of Saussure’s intellectual legacy. This paper investigates the background to his conception of value, focussing particularly on the work of Henri Dameth, as there is evidence suggesting that Saussure attended Dameth’s lectures on political economics while a student at the University of Geneva. Several parallels are noted between the treatment of value in Dameth’s work and in the Cours. The paper also examines the role of value in Saussure’s writings prior to his lectures on general linguistics, as well as the links between the Cours and the work of Saussure’s brother, René, on an international currency, in conjunction with his role in the Esperanto movement.
FR:
La valeur est au centre de la conception de la langue dans le Cours de linguistique générale, et plus généralement de l’héritage intellectuel de Ferdinand de Saussure. Dans cet article il s’agit de la pré-histoire de sa conception de valeur, visant particulièrement le travail d’Henri Dameth, qui donnait le cours d’économie politique à la Faculté de Droit de l’Université de Genève au moment où nous savons que Saussure suivait des cours dans cette Faculté. On remarque plusieurs points de contact entre la valeur dans la pensée de Dameth et dans le Cours de linguistique générale. Cet article examine aussi comment la valeur figure dans les écrits de Saussure avant ses leçons de linguistique générale, et les liens entre le Cours et les efforts de René de Saussure, frère cadet de Ferdinand, pour établir une monnaie internationale, en conjonction avec son rôle dans le mouvement espérantiste.
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L’ombre du Cours (1960-1980)
Pierre-Yves Testenoire
pp. 209–227
AbstractFR:
Cet article étudie le moment particulier de la réception saussurienne où la lecture du Cours de linguistique générale rencontre celle des anagrammes. Entre 1960 et 1980, la découverte des recherches poétiques de Saussure suscite des débats passionnés. On étudie les caractéristiques, les enjeux et les implicites de cette première réception des anagrammes. On montre comment, à cette période, les anagrammes modifient la lecture du Cours de linguistique générale sur trois points majeurs : la linéarité, la conception du signe et le rôle du sujet dans la théorie saussurienne.
EN:
This paper studies the reception of Saussure’s thinking at the particular time when the reading of Course in General Linguistics came into contact with that of the anagrams. Between 1960 and 1980, the discovery of Saussure’s inquiries into poetics gave rise to passionate debates. We examine the main features, the issues and tacit knowledge which have characterized this first reception of Saussure’s anagrams. We show how, at that time, the anagrams impacted the reading of the Course in General Linguistics regarding three major points : linearity, the conception of the sign, and the role of the subject in Saussure’s theory.
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Peirce et Saussure : regards croisés et lectures en boucles
Jean Fisette
pp. 229–255
AbstractFR:
L’auteur trace un parcours circulant alternativement entre les deux oeuvres de pensée du signe, celles de Peirce et de Saussure, cherchant des points de superposition et des points de décrochage. Il évite la simple opposition affichée dans l’esprit d’une confrontation tout autant que les similarités simplificatrices.
Son objectif est de reconnaître les conditions de la construction d’une science des signes, qu’elle soit sémiologie ou sémiotique. Pour ce, il appuie sa réflexion sur quelques thèmes théoriques : la question de la convention; la relation du signe à l’objet mondain ou à “la chose désignée”; l’espace conceptuel et l’élaboration des tableaux théoriques; la question centrale de la temporalité; puis, un fragment terminal qui fera office de conclusion, touchant l’affiliation de la pensée de Saussure chez Roland Barthes, concernant notamment le projet d’une sémiologie.
Il marque sa volonté de maintenir le discours à un certain niveau de généralité, cherchant moins à saisir les conceptions abstraites que l’imaginaire de la théorie, la sensibilité aux choses, aux signes et aux mots.
EN:
The author traces a path moving alternately between two bodies of work and two forms of thought devoted to the concept of sign : Peirce and Saussure. Searching for overlaps and disparities, the perspective adopted avoids oppositions borne from confrontation as much as it does simplistic similarities.
The aim of the article is thus to take stock of the conditions that have made possible the emergence of a science of signs, whether semiological or semeiotic. To this end, a limited number of theoretical themes are examined : The question of conventionality; the sign’s relation to its wordly object or “designated thing”; the conceptual space and the development of theoretical diagrams or tables; the central question of temporality. The essay concludes with Roland Barthes’s appropriation of Saussure’s project for semiology as a general science of signs.
Throughout the essay the author underlines the need to maintain a certain degree of generality, seeking less to grasp abstract concepts than the imaginary of theory, a certain sensibility to things, signs and words.
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Immanence et créativité. Du Cours de Saussure au Dictionnaire de Greimas
Jacques Fontanille
pp. 257–279
AbstractFR:
Le principe d’immanence a mauvaise presse : la plupart de ceux qui s’en réclament encore se hâtent le plus souvent d’expliquer comment ils s’en accommodent difficilement et pourquoi ils s’apprêtent à y tailler les brèches qui seront sources, à l’évidence, de gains heuristiques. Le centenaire du CLG est une belle occasion pour revenir aux sources du principe d’immanence en linguistique et en sémiotique, et pour en suivre le cheminement dans la relecture de Saussure par Hjelmslev, et dans celle de Saussure et Hjelmslev par Greimas.
On rappelle notamment pourquoi, chez Saussure et Hjelmslev, l’immanence est indissociable de la définition et de la délimitation d’un objet de connaissance pour une discipline qui s’efforce de circonscrire sa place parmi les disciplines existantes. Et on s’efforce surtout de montrer comment, chez Saussure, elle s’accommode d’une invention permanente de la sémiose dans le signe, puis, chez Hjelmslev et surtout chez Greimas, elle devient de ce fait même une contrainte créative, dans l’écart postulé et constaté entre la manifestation et l’immanence, et entre la manifestation générée et la manifestation attestée.
Le principe d’immanence devient alors une stratégie scientifique, qui permet d’articuler ensemble la formalité et la socialité pour Saussure, la générativité et la créativité pour Hjelmslev, la véridiction et l’invention des sémioses pour Greimas.
EN:
The principle of immanence is often poorly considered : most people who still refer to it hasten to add how it is difficult it is to do so, and how their attempts to account for it are likely to bring about heuristics gains. The centenary of the CGL is a great opportunity to return to the sources of the principle of immanence in linguistics and semiotics, and to follow its progress in Saussure, then in Hjelmslev’s interpretation of Saussure, and finally in Greimas’s interpretation of Saussure and Hjelmslev.
We have to remind ourselves in particular why, for Saussure and Hjelmslev, immanence is inseparable from the definition and delimitation of a cognitive object belonging to a discipline that seeks to define its place among the existing disciplines. And we aim primarily to show how, in Saussure, immanence accommodates a permanent invention of semiosis within the sign, and then, in Hjelmslev and especially in Greimas, how it becomes even a creative constraint in the postulated and observed gap between manifestation and immanence, and between generated and attested manifestation.
The principle of immanence becomes a scientific strategy that allows Saussure to articulate formality and sociality, while for Hjelmslev it allows for the articulation of generativity and creativity, and for Greimas that of veridiction and invention of semiosis.
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Saussure en toutes lettres
Anne Hénault
pp. 281–296
AbstractFR:
Alors que, jusqu’au début de ce siècle, la biographie de Ferdinand de Saussure comportait nombre de mystères et d’énigmes, les années récentes ont vu la mise en circulation d’innombrables documents authentiques, concernant la vie du fondateur de la Linguistique générale. On observe que le siècle qui vient de s’écouler n’a pas vu décroître l’intérêt que les chercheurs et même le public cultivé, portent à la personne et à l’oeuvre de F. de Saussure. Bien au contraire. L’ouvrage posthume qu’est le CLG se voit éclairé et constamment enrichi par les publications du Cercle F. de Saussure, à Genève, qui traitent cette abondante documentation. Comment, de son côté, la sémiotique générale va-t-elle exploiter ces nouveaux documents, de manière à faire progresser ses propres recherches?
EN:
Whilst, till the start of this century, many mysteries and enigmas still remained in Ferdinand de Saussure’s biography, recent years have seen the circulation of innumerable authentic documents, related to the life of the founder of la Linguistique générale. It may be observed that the century that has come to an end saw no decrease in the interest that scholars and the cultivated public have shown to the person and the work of F. de Saussure. Quite the opposite, in fact, his posthumous work, CLG, is brought to light and constantly enriched by the publications of the Cercle F. de Saussure, in Geneva, that deal with this abundant documentation. How, for its part, will general semiotics exploit these new documents, so as to carry forward its own research programs?
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Mallarmé selon Saussure
Jean-Claude Milner
pp. 297–312
AbstractFR:
Le mot ptyx se lit chez Mallarmé dans un poème publié en 1887. Pour en établir la signification, il faut réexaminer de près la distinction saussurienne entre signifié et chose signifiée. Quant au signifiant, il dépend de la linguistique indo-européenne, dans la version qu’en avait donnée Franz Bopp. Mallarmé l’a pratiquée ; on en a la preuve par Les Mots anglais. L’article tente de montrer que la séquence /ptyks/ permet d’obtenir par permutations et modifications l’intégralité de l’ossature consonantique de tous les mots indo-européens possibles. Le ptyx est donc le Mot par excellence, sauf qu’il est privé de la voyelle /a/, que Bopp tenait pour fondamentale. C’est cet /a/ que le poète ira chercher au Styx. A partir de là, on peut éclairer la fonction poétique du ptyx au sein du poème et le poème lui-même; sur tous ces points, l’hypothèse des anagrammes se révélera féconde.
EN:
The word ptyx is used by Mallarmé in a poem published in 1887. In order to establish its meaning, one needs to investigate closely the Saussurian distinction between signified (signifié) and thing signified (chose signifiée). As for the material form of the word, it is derived from the Boppian version of Indo-European linguistics. Mallarmé was familiar with it, as it appears in Les Mots anglais. The paper tries to show that the sequence /ptyks/ makes it possible to produce, by combining various permutations and modifications, all possible consonantal forms of all possible Indo-European words. Thus the ptyx is The Word as such, except that it is lacking the Boppian fundamental vowel /a/. It is this /a/ that the poet will seek to find near the Styx. From that starting point, it becomes possible to explain the poetic function of the ptyx and the whole poem itself; in these matters, the Saussurian anagrammatic hypothesis will appear to be most fruitful.