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I. Quelques remarques sur la structure du signe, avec un entretien préliminaire

I.I

Je vous propose d’abord quelques observations qui ont pour but de nous faire réfléchir à propos de la place, quelque peu changeante à mon avis, qu’occupe l’image dans le triadisme peircien du signe – et de la conscience que nous en avons. Dans ce dessein, je me sers de ce fait que nous apprend l’éthologie animale : à savoir que devant une glace, un singe ne voit dans son reflet qu’un autre singe, contrairement au chimpanzé qui, lui, reconnaît son image et “se voit”. À l’échelon hiérarchique supérieur, on trouve l’humain qui, comme chacun sait, face à son image, s’atteste comme un “moi”, le sien, dont il obtiendra désormais la confirmation. La fiction littéraire, par ailleurs, n’a de cesse de nous dire combien il est malheureux de ne pas se reconnaître dans son image et d’affirmer qu’il s’agit là d’un signe de non-identité, d’un manquement d’âme, d’une mort.

I.2

Cela dit, nous savons que parallèlement aux catégories phanéroscopiques – Firstness, Secondness, Thirdness, ou Priméité, Secondité et Tiercéité – le modèle du Signe dans la pensée peircienne peut aussi être rendu par une structure triadique, avec le Representamen au niveau de la priméité, l’Objet au niveau de la secondéité, et l’Interprétant, (lequel n’est pas l’interprète), dans la tiercéité – trois faces du Signe qui sont à leur tour des signes. Or, qu’est-ce, tout d’abord, le representamen, la priméité du signe? Non pas le réel, mais d’une certaine manière son préalable : le possible. Alors, du sentiment – qui se trouve dans cette première catégorie – Peirce nous apprend que “the feeling is nothing but a quality, and a quality is not conscious : it is a mere possibility” (CP 1.310). Donc le representamen, en tant que premier, serait un possible qualitatif, ou bien, comme Peirce écrit souvent, un “maybe”, ou un “may-being”. Or ce possible, se situerait-il à un autre niveau qu’à celui du representamen? Serait-il un interprétant? Dans la mesure où “a Sign is a Representamen with a mental Interpretant” (CP 2.274)[1], on pourrait penser que c’est surtout à ce niveau que Peirce en parle comme d’une quale-consciousness. Il s’agirait donc d’un brin de qualité ou d’une conscience qualitative qui n’ayant à se confronter à quelque chose n’est pas, par conséquent, consciente… Et qu’est-ce que cette conscience? Dans “The Logic of Events” nous lisons d’abord :

Now a quality is a consciousness. I do not say a waking consciousness – but still, something of the nature of the consciousness. A sleeping consciousness, perhaps.

A possibility, then, or potentiality, is a particular tinge of consciousness...

CP 6.221

Et un peu plus loin : “Quality or quale-consciousness is all that it is in and for itself [je souligne]. It is essentially solitary and celibate, a dweller in the desert” (CP 6.234).

Cette conscience d’abord dormante, puis célibataire comme un habitant du désert, n’est peut-être, pour l’instant, que celle du singe face à la glace : une conscience inconsciente, car elle se méconnaît, s’ignore. Son image réfléchie serait pour lui, interprète, un representamen premier (a First Firstness).

Quant à la secondéité de l’Objet – la fermeté ou la résistance –, il s’agit de l’effectivité du réel. Ici le possible prend corps, mais pour que ce corps soit pour ainsi dire un réel manifeste, il lui faut un Interprétant, cette tiercéité médiatrice qui met les deux autres termes dans un rapport effectif. Alors l’Interprétant est un contenu psychique, ou un signe mental, qui sert de médiateur entre le Representamen et son Objet en régularisant leur relation dans un temps présent et comme prévision d’un futur.

I.3

Or, c’est au niveau de l’Objet – tout autant peut-être qu’à celui de l’Interprétant – que nous trouvons chez Peirce ce qui a rapport à l’image. “The most fundamental [division of signs] is into Icons, Indices and Symbols” (CP 2.275), nous avertit-il. C’est donc de l’Objet en un sens que découle l’Icône, secondéité du Signe, l’Indice et le Symbole, cette trichotomie dont Peirce se sert plus fréquemment (CP 8.368).

Voyons cela en raccourci en y ajoutant la triade du temps :

  1. L’icône, au premier niveau de la secondéité, est le possible qualitatif. En étant ce qu’il y a encore du possible dans l’effectivité réelle, l’icône incarne selon Peirce un temps passé.

  2. L’indice (ou signe indiciaire) est la réalité effective comme résistance, on dirait même la force brute. Il est le second de la secondéité du Signe. Par conséquent, il est aussi le réel de la réalité dans un temps présent.

  3. Finalement, le symbole est le dispositif où s’annonce ou bien s’accomplit le sens – ce que Lacan appelait, en se référant à l’Interprétant en sa totalité comme un raisonnement, le colophon : sa fin comme clôture. Mais, puisque le symbole est le troisième de la tiercéité du Signe, il se place en quelque sorte dans un temps à venir, un temps futur.

I.4

Dès lors, si nous accordons une conscience au singe, celle-ci sera plutôt de la nature de la “quale-consciousness” qui nous mène à penser à une absence d’autoconscience, et de ce fait même à l’absence d’un “moi”. Prenons alors la structure du signe : Representamen, Objet, Interprétant. On vient de voir que l’image du singe se trouverait au niveau de la priméité, elle est un possible, ce que Peirce appelle un “maybe”, un peut-être. Bref, un Representamen. Toutefois, si nous considérons qu’elle est un reflet – disons que l’image comme telle est une “chose”[2] –, alors, faudrait-il la placer aussi au niveau de la secondéité? Voilà bien une effectivité réelle, un Objet. L’embarras commencerait dès qu’on en vient au singe comme interprète et que l’on s’interroge à propos de l’Interprétant – le contenu psychique de l’animal – en voyant son image. Le problème, d’abord, n’a pas l’air très grave. Il y a sans doute un Interprétant premier, ou immédiat, qui ne dépasse pas l’ordre de la sensation (feeling) jointe qu’elle est, celle-ci, à ce qui se trouve présent là comme signe : l’Interprétant affectif ou émotionnel (emotional). Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi sans doute un Interprétant second ou dynamique avec l’effet énergétique produit par le signe sur l’animal (energetic). Que le singe ne reconnaisse pas l’image comme sienne nous indique simplement que chez lui l’interprétant final ou logique (logical) est absent.

Les choses ne vont pas dans ce sens avec le chimpanzé qui doit avoir, lui, une conscience de soi. Ici, une notion du “moi” passerait éventuellement par l’image qui le représente. Le chimpanzé aurait-il une conscience identitaire? Autrement dit, serait-il un “moi” continu, durable dans le temps, ou bien l’image où il se reconnaît “ne fait-elle que passer”? Et encore : y a-t-il dans l’interprétant du chimpanzé un fil, une continuité de la connaissance, qui permettrait de parler d’un interprétant prévoyant comme chez les humains? Ici, en fait, l’image réfléchie dans le miroir serait, comme avec le singe, une réalité effective, une Secondéité (Objet) en même temps qu’une secondéité dans la Tiercéité, c’est-à-dire un Interprétant dynamique (énergétique).

Mais ce n’est pas encore suffisant. Que le chimpanzé, contrairement au singe, puisse se reconnaître dans l’image, ouvre entre les deux animaux un écart formidable. Le fait de se percevoir place par là même le chimpanzé au seuil même de l’humain – ce dont Lacan théorise sous le nom du “stade du miroir”. Or il faut bien que nous voyions ici un quelconque Interprétant final, ou logique : un effet “that would be produced on the mind by the Sign after sufficient development of thought” (CP 8. 343). Mais un tel développement de la pensée de quelle nature est-il? Serait-il un interprétant final sans fil, c’est-à-dire un contenu mental incapable d’enchaîner les moments ou les expériences différentes qui ont rapport à la perception de soi dans une image, et donc un Interprétant immobilisé dans le temps présent?

Or, la preuve ou la “confirmation” de soi (une vraie conscience identitaire) nous signale qu’ici l’image se trouve tout aussi bien – comme chez le chimpanzé – au niveau de la Tiercéité peircienne, puisqu’elle est en fait un Interprétant final (ou logique) dans la tiercéité de la Tiercéité.

Impossible d’aller plus loin, sauf, bien sûr, de considérer plusieurs sortes d’Interprétants logiques… Or cet Interprétant troisième, est-il chez le chimpanzé une habitude – au sens peircien d’une croyance (CP 2.435) – tout aussi bien que chez l’homme, ou est-il plutôt une disposition naturelle (natural disposition)?

Et que dirait-on encore de cet événement dans lequel le Narcisse humain se voit, mais néanmoins, comme s’il était autre? Ceci, qui ramènerait au premier d’abord le personnage au stade du singe, serait-ce ce que Peirce appelle un habit-change dans le jugement, c’est-à-dire une singularité (discontinuité) dans le continuum de la pensée…? (ibid.).

II.

L’« image » d’après Peirce. La peinture figurative

Il n’est pas aisé de savoir ce que Peirce désigne sous le mot image dans les écrits rassemblés par les responsables de l’édition des Colleted Papers sous le titre Elements of Logic, notamment si on se met dans le cas de savoir si “image” évoque l’icône, ou bien si l’icône n’est qu’une image. Depuis l’image mentale (idée) jusqu’à l’image graphique (schéma, diagramme), d’images il y en a plusieurs, et le terme se rencontre en beaucoup d’occurrences. Et dans celle où Peirce avance à ce propos un point de vue, les raisons qu’il donne pour nous faire passer de l’Icône à la priméité, au moyen de la qualité représentative, n’est pas à vrai dire ce qu’il y a de plus immédiatement compréhensible ou de plus clair – surtout si l’on tient compte du passage qu’il fait par l’hypoicône. En un premier temps on peut lire :

An Icon is a Representamen whose Representative Quality is a Firstness of it as a First. […] A Representamen by Firstness alone can only have a similar Object. Thus, a Sign by Contrast denotes its object only by virtue of a contrast, or Secondness, between two qualities.

CP 2.275

Et puis on trouve :

A sign by Firstness is an image of its object, and, more strictly speaking, can only be an idea. For it must produce an Interpretant idea; and an external object excites an idea by a reaction upon the brain. But, most strictly speaking, even an idea, except in the sense of a possibility, or Firstness, cannot be an icon. A possibility alone is an Icon purely by virtue of its quality; and its object can only be a Firstness. But a sign may be iconic, that is, may represent its object mainly by its similarity, no matter what its mode of being. If a substantive be wanted, an iconic representamen may be termed a hypoicon.

ibid.

Any material image, as a painting, is largely conventional in its mode of representation; but in itself, without legend or label it may be called an hypoicon .

ibid.[3]

Ainsi, l’image physique, ou matériellement présente, dont le mode de représentation se fait au moyen d’une technique quelconque, n’est déjà plus – “without legend or label” – une icône, mais une hypoicône. Et ce qui est curieux, c’est que nous ne savons pas, sauf à en tirer nous-mêmes quelques conclusions, si l’hypo indique ici que l’hypoicône est avant (un peu moins) ou après (davantage) que l’icône tout court. Étant un “hypo”, cela devrait être un peu moins. Mais puisqu’il établit un rapport de l’hypoicône à une peinture, il y aurait peut-être quelque utilité à voir ce que Peirce nous dit ailleurs des signes par ressemblance :

A sign may serve as a sign simply because it happens to resemble its object. This ressemblance will, then, constitute its internal meaning. But it can not be said to have any external meaning, since it does not profess to represent anything; for if it did, that would be a manner of signifying its object, non consisting in merely resembling it.

CP 8.119[4]

On dirait alors qu’une hypoicône – une peinture figurative – est une icône qui tire son sens premier du fait de représenter son objet (une quelconque entité du monde) en ajoutant, à cette fonction représentative, un processus de signification de complexité supérieure.

Peirce nous offre par la suite une tripartition de l’hypoicône en images, diagrammes et métaphores (CP 2.276). Les hypoicônes qui font partie des simples qualités (partake of simple qualities), ou Priméité première (First Firstness), sont des images. Donc si les images sont des hypoicônes qui participent des qualités (de l’iconicité), les diagrammes seront des hypoicônes qui participent plutôt du réel (des indices) dans la secondéité. Ainsi, les métaphores seront, dans la tiercéité, des hypoicônes qui adhèrent, en quelque sorte, à une loi (n’y appartenant pas tout à fait), peut-être à une règle ou à une convention, à une habitude, etc., tout comme le symbole.

Or dans la mesure où le signe iconique représente “effectivement” quelque chose d’autre, il est appelé hypoicône. Mais, pour cela, doit-il avoir d’abord une existence d’objet produit par un moyen quelconque (reflet dans le miroir ou peinture, photo ou autre…), et cela, pour devenir ensuite une réponse à un principe quelconque au moyen duquel nous le percevrons comme un dispositif de représentation (l’image du chimpanzé dans le miroir, la peinture d’un paysage, la photo du Roi…).

La méthode de Panofsky

Venons-en maintenant à L’oeuvre d’art et ses significations (1969), ce livre où Erwin Panofsky met en avant une méthode d’examen et de compréhension de l’oeuvre l’art, tout en dévoilant sa complicité intellectuelle avec l’auteur qui nous concerne. Car c’est Peirce, sans doute, qui l’aide à rendre claires quelques-unes de ses idées. Tout d’abord, Panofsky reconnaît que les “intentions” qu’une oeuvre recèle de l’artiste qui en est l’auteur ne nous parviennent pas sans altérations, puisqu’on est toujours influencés par trois forces : “nôtre… attitude, laquelle… dépend à la fois de nos expériences personnelles et de notre contexte historique” (1969 : 41).

Attitude, expérience et contexte. Avec l’attitude du sujet, il s’agit non pas d’un dessein ou d’une décision quelconque, encore moins d’une action, mais d’une disposition – tempérament et caractère avec sa culture et ses préférences (le goût, dirions-nous); bref, ce que Peirce appelle un “possible qualitatif”. Avec les deux autres principes, s’ébauche une personnalité déterminée par son expérience dans un moment quelconque de l’histoire, et qui va servir de crible pour l’interprétation, pour le jugement.

Comment ne pas voir dans l’attitude personnelle – première des trois principes – une priméité que l’expérience doit rendre effective? Et cette attitude, qui dépend d’une disposition, ou état d’âme, atteint sa dimension réelle au moyen de l’expérience tout aussi réelle (une secondéité), en acquérant en même temps un sens à partir du contexte, donc dans la tiercéité.

C’est de cette structure, disons caractérielle, du sujet que Panofsky tire trois concepts, servant maintenant à “re-créer” l’oeuvre d’art. Ces concepts, il les nomme : idée, forme et contenu.

Panofsky écrit : “plus la proportion entre les accents portés sur l’‘idée’ et sur la ‘forme’ approche un état d’équilibre, et plus éloquemment l’oeuvre révélera son ‘contenu’” (Ibid.). Révélation malaisée, du fait même qu’elle dépend de l’équilibre. Et Panofsky de préciser : “ce ‘contenu’ (au sens où je l’entends, par opposition au sujet traité) peut être décrit, selon les termes de Peirce, comme ‘that witch a work betrays but does not parade’ (ce qu’une oeuvre laisse voir, sans en faire parade)” (ibid.). Il y a donc un “contenu” qu’on nous montre, betrays, mais pas tout à fait, et qui appartient à l’oeuvre dans la mesure même où il concerne aussi l’interprète. Tel est ainsi le sens du mot “re-création” dont se sert Panofsky pour parler de l’interprétation.

Somme toute, il y aurait ici une double séquence (les deux colonnes au centre du diagramme) qui, en partant de la catégorisation peircienne, se montrerait assez proche du signe peircien dans sa structure (colonne de droite).

Tableau 1

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Il ne nous reste qu’à reprendre le Signe peircien pour en venir à l’Objet. On le voit dans la colonne à droite du tableau (“Division fondamentale du signe”). L’image peinte : a) serait iconique dans la mesure où elle représente quelque chose d’autre pour quelqu’un (que la représentation ici soit plus ou moins figurative n’a pas trop d’importance); b) serait d’une nature indiciaire dans ce qu’elle a de présentation (facture ou “corps” physique liée au métier) et, c) aurait sa dimension sémantique comme contenu symbolique, ou, pour mieux dire, dans un sens qui se veut médiateur entre les données précédentes en même temps qu’il les dépasse.

Or, sur le plan de la priméité iconique, l’image peinte se trouverait quelque part entre l’évocation et la représentation (figurative) au moyen d’une convention visuelle. Autrement dit, elle évolue de l’icône comme may-being, ou possibilité qualitative, à l’hypoicône. Indiciairement, par contre, elle n’a pas à représenter quoi que ce soit : à la limite elle (se) présente. Cela nous conduit à distinguer en elle la Représentation de la Présence, – soit le tableau (dimension icônique) de la peinture (dimension indiciaire). Finalement, sur le plan symbolique correspondant au “contenu” de Panofsky : un fonds sémantique qui, s’il est lié au sujet, ne coïncide pas avec lui.

Pour conclure

L’iconisme d’une image a toujours à voir avec une forme dont le représenté peut être très figuratif, cela étant dû à des procédés représentatifs justes, à moins qu’il ne soit plutôt qu’une évocation faible tout à fait subjective. En tant que figurative, une image comme celle de la Flagellatione d’Urbino, de Piero della Francesca, serait, d’après Peirce, une hypoicône de plein droit. Par contre, un échantillon d’action painting, mettons un tableau de Pollock réalisé au moyen du dripping, pourrait être appelé “icône” même si nous n’y voyons – ou peut-être même pour cette raison – que des formes peu définies dans l’espace du support : traces, empreintes, éclaboussures. Mais ce n’est pas tout. Car si nous allons en avant dans cette direction, nous remarquons aussitôt que chez Piero, la forte figurativité de l’oeuvre rend celle-ci presque indifférente à la secondéité indiciaire (les surfaces soignées, la finition nette, l’image comme “apparition” : tout est fait en vue de la recherche de l’illusion). Par contre, la fidélité de la représentation la place bien dans la tiercéité symbolique. Ce qui est tout à fait différent pour l’action painting. Celle-ci ferait d’une bonne partie d’un catalogue de Pollock des modèles achevés d’indiciarité; et, à l’inverse, son symbolisme est ou bien inexistant ou un symbolisme “singulier” (singular symbol), se prenant soi-même pour objet.

Bien entendu, que ce soit Piero della Francesca ou Jackson Pollock, leurs oeuvres ont sûrement un sens, une signification : ce serait essayer de “comprendre” l’image dont il s’agit, selon l’endroit où se range le mieux, dans la priméité iconique (évocation, figurativité), la secondéité indiciaire (réalisation matérielle : épaisseur des pâtes, action painting ou peinture à jet) ou la tiercéité symbolique (à la limite, l’art appelé conceptuel, certaines actions considérées artistiques).

Néanmoins, une image peinte peut (et doit) être toujours envisagée de ces trois points de vue : iconique, dans ce qu’elle donne à voir, une idée-forme; indiciaire, à cause de ce qu’elle comporte de matière physique du fait de son exécution (une forme matérielle : la facture au moyen des empreintes du travail, épaisseur de la couche, etc.), et symbolique (sa signification) par un contenu sémantique qu’on lui accorde en mettant en rapport ces trois niveaux. Ainsi :

Tableau 2

-> See the list of tables

Si l’on cherchait encore d’autres images peintes qui rassemblent assez convenablement ces trois niveaux tels qu’ils se présentent dans le diagramme ci-dessus, nous les trouverions – comme je l’ai noté ailleurs (2003) –, chez quelques peintres, notamment du XVIIe siècle européen. Il suffit d’aller voir le vieux Titien, puis Rembrandt ou encore Vélasquez.

Prenons donc Les Ménines de Vélasquez, cette sorte d’hypoicône de référence. Ayant là une iconicité forte, ce tableau est d’abord une image dans le sens de Peirce, tout aussi bien une forme dans celui de Panofsky. Mais étant une présence en même temps qu’une représentation, c’est-à-dire donnant à voir l’image-empreinte d’un travail (peinture) aussi bien que la représentation (tableau) de quelques figures rangées selon un certain rapport dans un espace de fiction, cette image devient par la suite, du côté de la présence, un vrai diagramme. Par ailleurs, il est évident qu’il y a encore dans cette oeuvre un contenu sémantique – au sens de Panofsky – qui dépasse la simple représentation des choses (salon du palais, personnages avec le chien, le peintre à son chevalet, etc.) pour entrer dans l’ordre du symbolique que Peirce appelle, au niveau de l’hypoicône, métaphore.

Tenant compte alors du schéma ci-dessus, si l’hypoiconicité, celle des images, diagrammes et métaphores, est repérable avec une certaine aisance dans une grande partie des tableaux du XVIIe siècle, que ce soit chez Vélasquez, Rembrandt ou d’autres, et cela, du fait même de sa très forte iconicité qui ne dissimule pas les traces de production, participant ainsi aux qualités des surfaces, le mot icône, l’iconisme, devrait être gardé peut-être pour caractériser d’autres formes visuelles, comme celle d’une peinture très faiblement figurative, plus proche de l’abstraction, voire même carrément abstraite, et pour cela même plus proche d’une représentation par suggestion que par figuration, tel qu’on le voit, par exemple, chez Ernst, Klee, De Kooning et tant d’autres.