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Cette livraison de RS/SI offre une contribution nouvelle à une longue et dynamique tradition intellectuelle dans le domaine de l’anthropologie. C’est à compter des années 1950 environ, et ce, pendant plusieurs décennies, que la sémiotique s’est imposée comme une véritable pierre angulaire de la théorie anthropologique. Or, avec l’essor des études sur la mondialisation et leurs orientations théoriques plus portées vers l’analyse politique et économique, on pourrait croire que l’hégémonie de la sémiotique bat de l’aile chez les anthropologues aujourd’hui. Pourtant, l’application de la sémiotique et de ses outils conceptuels à l’ensemble du champ anthropologique et à ses sous-domaines (anthropologie culturelle et linguistique, archéologie, anthropologie biologique et physique), demeure à la fois féconde et nécessaire. Cela vaut tout particulièrement pour les recherches anthropologiques sur le genre (gender) et la sexualité, la race et le racisme, le postcolonialisme, sur l’espace et les paysages, ou encore sur la “performativité” culturelle, c’est-à-dire en somme, pour tous ces sujets de recherche dont l’analyse repose en définitive sur les notions de “construction culturelle” et/ou de “discours”. À cet égard, il conviendrait tout autant de s’interroger sur ce qu’on devrait inscrire aujourd’hui sous la rubrique de l’“anthropologie sémiotique”, que de rendre compte de ce que devraient être ses visées et ses motivations.
Le terme “sémiotique” a été employé de différentes manières en anthropologie et a donné lieu à plusieurs courants en recherche, lesquels possèdent tous une histoire distincte. Le plus ancien usage du terme est généralement associé à l’oeuvre de Claude Lévi-Strauss (1963) et à la révolution structuraliste des années 1950. Les sources théoriques de ce mouvement se trouvent dans la sémiologie structuraliste de Ferdinand de Saussure (2000[1915]) et de Roman Jakobson (1981). Aujourd’hui, l’opinion commune veut que le structuralisme ait été soit largement supplanté par la théorie poststructuraliste derridienne, soit complètement abandonné depuis le “tournant herméneutique” des années 1970 et 1980 (Rabinow 1979). Malgré tout, les théories fondatrices de Lévi-Strauss continuent d’être fertiles, et ce, tout particulièrement du côté de l’anthropologie culturelle. Bien qu’ils demeurent souvent implicites, en effet, les modèles oppositionnels et relationnels du signe qui distinguent la sémiologie structuraliste continuent de fournir un cadre méthodologique aux études anthropologiques du genre (gender), de la culture visuelle, du tourisme, de l’art, des rituels et de la religion. Dans ce numéro, cette influence de la sémiologie structuraliste se fait sentir dans l’article de Ryo Morimoto, qui évoque au passage les théories saussuriennes du signe linguistique pour analyser un changement de perspective à propos de l’énergie nucléaire au Japon.
Hormis une certaine rémanence de la sémiologie au sein de la mouvance (post)structuraliste en anthropologie, force est de reconnaître que la sémiotique a également offert un cadre conceptuel déterminant pour le courant “herméneutique” mentionné ci-dessus. C’est le cas chez Clifford Geertz, fondateur et principale figure de proue de ce courant. Geertz, toutefois, renvoie le terme “sémiotique” non plus du côté de la sémiologie linguistique de Saussure ou de Jakobson, mais plutôt du côté des travaux du philosophe Ernst Cassirer (1965). Or la “sémiotique” de Cassirer, rappelons-le, consiste à mettre l’accent sur les visées sociales et sur l’interconnectivité des formes symboliques. Chez Geertz, le recours à Cassirer permettra d’élaborer des méthodes (ainsi qu’une écriture) anthropologiques essentiellement ethnographiques. Quoique rarement reconnue de manière très explicite, la théorie sémiotique de Cassirer, de par l’ascendant qu’elle a exercée sur Geertz et sur ses disciples, demeure une influence importante (et en constante évolution) chez presque tous ceux qui pratiquent aujourd’hui une forme d’ethnographie interprétative. Parmi les article réunis ici, ce sont sans doute ceux de Ken Little et de Justine Lemos qui évoquent le plus nettement cette tradition. Les deux auteurs répertorient chacun à leur manière une grande variété de formes symboliques qui créent des réseaux de signification ou, dans le cas de Little, des climats de signification, liés à une culture spécifique.
Mais de tous les courants qui ont été identifiés comme “sémiotiques” en anthropologie, c’est celui initié par Milton Signer (1984) à la fin des années 1960 qui aura été le plus influent dans les sous-domaines de l’anthropologie linguistique, culturelle et archéologique. Cette fois-ci, le terme “sémiotique” est utilisé de manière très explicite et même revendiqué. C’est que Signer fonde sa démarche sur la théorie “pragmaticiste” du signe mise de l’avant par le philosophe et scientifique américain Charles Sanders Peirce. Singer se tourne vers la sémiotique peircéenne afin d’étudier ce qu’il nomme la “performance culturelle”. Il s’agit d’un phénomène qu’il définit comme la manifestation publique de symboles compris comme les emblèmes d’un certain mode de vie (1984 : 110). Bien que les travaux de Signer se concentrent principalement sur les formes que revêt la performance culturelle en Asie du Sud, la méthode qu’ils suivent a rapidement été reconnue pour sa capacité à s’appliquer à tout contexte social ou culturel, indépendamment de l’origine géographique ou historique de celui-ci.
Il arrive parfois, bien que ce ne soit pas systématique, que ce courant “pragmaticiste” se différencie à l’écrit par l’utilisation d’une orthographe différente du terme “sémiotique”, issue de certains textes de Peirce : “séméiotique” (en anglais : semeiotic). Quelques auteurs de ce numéro ont en effet adopté le “é” supplémentaire afin de démarquer leurs travaux de la tradition sémiologique/sémiotique (en anglais : semiotic). Mais qu’on trouve chez eux l’une ou l’autre des orthographes, la plupart des auteurs réunis ici s’inscrivent dans ce courant séméiotique et pragmaticiste, et ce, même si la majorité d’entre eux ne sauraient être simplement identifiés de cette façon. Ils illustrent la manière dont les adeptes de cette approche examinent et étudient non seulement la performance culturelle au sens de Singer, mais aussi la performance sémiotique de façon plus générale. Autrement dit, ils étudient la capacité qu’ont les signes d’agir, d’accomplir des choses dans le monde au sens large, d’animer et de transformer des événements culturels, des processus, des contextes et des situations. Ils cherchent à observer la performativité des signes eux-mêmes et à en rendre compte. Cet objectif plus vaste motive désormais ce qui se fait de mieux dans la recherche en anthropologie séméiotique contemporaine.
Dans la sous-discipline de l’anthropologie linguistique, le projet séméiotique de Singer a surtout été poursuivi par Michael Silverstein (1976) et par ceux qui ont appliqués et étoffés ses nombreuses innovations méthodologiques. Dans ce numéro de RS/SI, l’approche linguistique de Silverstein est représentée par Janina Fenigsen et Jim Wilce, dont l’article explore la manière dont la performance des lamentations dans la région de la Carélie en Finlande et en Russie, donne lieu à des interprétations changeantes et contestées de l’authenticité. Cette même tradition se manifeste aussi dans l’étude de Chris Taylor sur les variations de voix et d’accent dans la performance énonciative en rapport avec l’identité régionale et raciale. Le programme peircéen pour l’anthropologie culturelle a été poursuivi par des figures de proue comme E.V. Daniel (1987, 1996), Webb Keane (1997, 2007) et Richard Parmentier (1987, 1994). Un examen approfondi de leurs approches distinctes n’est pas possible dans l’espace qui nous est dévolu, mais les articles de Veerendra Lele, Judith Pine et Ryo Morimoto offrent un prolongement des contributions et des accomplissements de chacun de ces chercheurs.
Ainsi, pour résumer l’essentiel de ce dossier thématique consacré à l’anthropologie sémiotique, nous pouvons dire que avons réunis des travaux qui font le point sur certains courants actuels tout en offrant – au sein même de la discipline anthropologique – un dialogue original et créatif avec différentes traditions, parmi les plus établies, de la théorie sémiotique. Cela dit, bien entendu, l’éventail des articles présentés ici est loin de représenter le champ tout entier de l’anthropologie sémiotique. On ne pourra que déplorer, par exemple, l’absence de travaux portant sur l’archéologie ou encore sur l’anthropologie médicale, deux des domaines de recherche les plus dynamiques à ce jour. Néanmoins, l’ensemble du dossier nous renseigne sur les continuités et les transformations qui définissent l’actualité de la recherche. En outre, les auteurs ont cherché à demeurer à l’intérieur des limites disciplinaires de l’anthropologie proprement dite, tout en s’efforçant d’identifier des zones d’interface interdisciplinaire avec d’autres disciplines et d’autres domaines réceptifs à la sémiotique. Ceux-ci comprennent la philosophie (Lele), l’histoire (Parmentier, Lemos, Morimoto), l’ethnomusicologie (Pine, Fenigsen et Wilce), la linguistique (Taylor) et les études culturelles (Little).
Étant donné la prédominance de la séméiotique peircéenne dans ce numéro, la suite de cette introduction sera consacrée à deux tâches. La première tâche consistera à montrer comment les différents articles réunis ici font état des continuités et des transformations affectant le choix d’une perspective de recherche largement inspirée de la pensée de Peirce. Ensuite, il s’agira d’identifier et de définir brièvement un certain nombre de concepts séméiotiques parmi les plus fondamentaux de façon à faciliter la lecture des articles à celles et ceux peu familiarisés avec la théorie séméiotique peircéenne.
Eu égard aux continuités avec les recherches précédentes en séméiotique peircéenne, la tendance générale en anthropologie qui se trouve peut-être la plus représentée dans ce numéro est l’intérêt pour la compréhension conjuguée de processus tant historiques que culturels dans la mesure où ils sont à la fois évidents et reliés au sein même des phénomènes sémiotiques étudiés. C’est que la séméiotique peircéenne, du fait de son orientation fondamentalement évolutive et processuelle, et du fait qu’elle envisage le signe comme constamment engagé dans le mouvement et dans la transmission de différents types d’intelligence, offre un net avantage pour l’anthropologie si on la compare au modèle synchronique de la sémiologie structuraliste. Par conséquent, et pour reprendre les termes souvent cités de Richard Parmentier (1987), l’approche pragmaticiste permet aux anthropologues de comprendre les performances séméiotiques par des groupes sociaux et culturels comme étant simultanément des signes d’histoire et des signes dans l’histoire. Les articles de Morimoto, de Parmentier et de Lemos sont particulièrement exemplaires à cet égard puisqu’ils éclairent des configurations de changements culturels et des processus historiques aussi variés que la politique environnementale, l’art de sceller un document au Moyen-Âge, ou encore les traditions de la danse nuptiale en Inde.
Une deuxième source de continuité avec les travaux antérieurs dans la tradition pragmaticiste concerne l’usage que font les auteurs d’un certain nombre de concepts propres à la séméiotique peircéenne. Parmi ceux-ci on trouve bien entendu la célèbre triade “icône-indice symbole”, utilisée tant par les anthropologues que par nombre de sémioticiens travaillant dans d’autres domaines. Cette triade caractérise trois relations possibles qui sont susceptibles de se produire entre le signe lui-même, ou representamen, comme Peirce le nomme parfois, et l’objet qu’il représente ou médiatise (que Peirce définit au sens le plus large possible, EP2 : 272-3). Les trois relations sont : 1) l’iconique (une relation constituée par la ressemblance entre un signe et son objet); 2) l’indexicale (une relation constituée par la contiguïté spatiale ou temporelle entre le signe et son objet); 3) la symbolique (une relation entre signe et objet constituée par l’habitude, la règle ou la loi) (CP 2.274- 2.308; EP2 : 300-324). (Il n’est sans doute pas inutile de souligner que certains auteurs font usage d’une majuscule pour bien marquer qu’ils utilisent ces termes selon l’acception peircéenne). Mis à part l’article de Ken Little, qui fait figure d’exception significative, tous les articles de ce numéro font un usage explicite de cette triade peircéenne, mais avec plus ou moins d’accentuation et à des degrés divers.
L’article de Little, “Belize Blues”, mérite qu’on fasse ici une brève digression car il est unique dans ce recueil de par son approche nonexplicitement peircéenne et non-représentationnelle. En fait, ce texte est à rapprocher plus étroitement des travaux récents dans le champ interdisciplinaire de la théorie de l’affect. Il s’agit là d’un domaine de recherche en émergence qui, de l’aveu même de ses adeptes, puise son inspiration dans des sources très variées, mais néanmoins s’enracine peut-être plus significativement dans les travaux philosophiques de Gilles Deleuze et Félix Guattari (1987). Si l’intérêt que démontrent les chercheurs de ce courant pour les phénomènes non-représentationnels semble, à première vue, fondamentalement étranger à tout projet sémiotique en général, y compris à la séméiotique pragmaticiste de Peirce, une lecture comparée de “Belize Blues” avec les autres articles de ce numéro, montrera pourtant que rien n’est plus faux. C’est que les observations ethnographiques de Little sur le sentiment (feeling) suscité par la couleur bleue dans le paysage touristique de Bélize sont proches, à maints égards, des descriptions explicitement séméiotiques de sentiments et d’affects qu’on trouve dans plusieurs articles rassemblés ici, en particulier ceux qui mettent en avant l’iconicité. En outre, le travail de Little valide une congruence philosophique entre le pragmaticisme peircéen et la philosophie vitaliste deleuzienne, congruence qui permet le développement d’une interface productive entre des axes de recherche représentationnels/séméiotiques et non-représentationnels/sur l’affect, chose plutôt rare dans le discours anthropologique.
De façon générale, les anthropologues qui s’intéressent à la séméiotique pragmaticiste ont tendance à privilégier et à mettre l’accent sur les relations indexicales entre signe et objet (Silverstein 1976; Tambiah 1979; Rappaport 1979; Mendoza-Denton 2011). Par conséquent, la notion d’index pèse lourd dans toutes les sous-disciplines de l’anthropologie, et ce, malgré l’intérêt suscité par les icônes et les symboles, ces derniers étant souvent considérés comme des signes “linguistiques” étant donné un fonctionnement qui correspond en partie à celui qu’envisage la linguistique structuraliste. Or, l’importance de l’index pour l’anthropologie saute aux yeux dès lors 1) qu’on tient compte de l’influence considérable que les sciences naturelles exercent sur elle depuis toujours; et 2) qu’on considère les efforts constants des chercheurs pour saisir l’évolution et la diversité humaines de la manière la plus exhaustive et holistique qui soit. Etant donné la dimension factuelle, vérifiable, des signes indexicaux, laquelle permet de saisir le caractère contextuel de toute performance sémiotique, les analyses indexicales fournissent une sorte de compréhension inductive de la relation entre, d’une part, des sujets culturels particuliers et des événements et, d’autre part, des structures, des processus culturels et historiques plus vastes (“complex wholes” dans les termes célèbres d’Edward B. Tylor, 1913[1871]). C’est en quoi la motion d’index a été particulièrement favorable à la recherche anthropologique : le lien ontologique des index avec la réalité actualisée, avec ce qui existence, rend cette catégorie séméiotique particulièrement pertinente pour des chercheurs en sciences sociales portés vers l’empirisme. Les anthropologues ont interprété les relations indexicales comme les principaux témoins de la présence factuelle de processus culturels et historiques dans des instances réelles d’utilisation et de performance séméiotique. C’est là la principale valeur des relations indexicales pour les anthropologues. Dans ce numéro, les contributions de Pine et Taylor en témoignent tout particulièrement.
Mais malgré l’importance indéniable que revêt l’index pour l’anthropologie, nombre de chercheurs se sont également intéressés au rôle des icônes dans des performances sémiotiques et des événements présentant certaines spécificités culturelles. L’étude des “non-icônes” de l’histoire de la danse Mohiniyattam par Lemos ou encore l’analyse des “Troisièmes iconiques” (iconic Thirds) eu égard au profilage racial aux États-Unis par Lele, illustrent un tel intérêt. Ce faisant, les deux auteurs font ressortir une relation séméiotique qui fait de plus en plus parler d’elle dans la littérature anthropologique récente : la relation nécessaire et inaliénable posée par Peirce entre icône et index. Alors que les anthropologues ont souvent eu tendance à centrer leurs analyses uniquement sur les relations indexicales, Peirce soutenait au contraire que toute relation indexicale contient toujours un signe iconique en son sein. Selon lui, il ne s’agit jamais d’étudier les indices ou les icônes lorsque des relations indexicales sont en cause. Il s’agit plutôt d’étudier les indices et les icônes ensemble. Les icônes, pour leur part, sont appréhendées à travers leur rôle de dynamisation et d’animation des relations spatiales et temporelles des index (sans compter leur rôle au sein des symboles). Peirce mettait l’accent sur cette fonction du signe iconique par le biais de la notion d’“idée”, en soutenant que :
La seule façon de communiquer directement une idée est par le moyen d’une icône; et toute méthode indirecte pour communiquer une idée doit dépendre pour son établissement de l’utilisation d’une icône
CP 2.278. Trad. Deledalle 1978
En résumé, l’aspect iconique du signe indexical est ce qui rend ce dernier vivant, tant au plan ontologique qu’épistémologique. À cet égard, étudier les relations indexicales revient aussi à étudier les relations iconiques, ce que Lemos et Lele mettent en relief dans des analyses par ailleurs assez différentes.
En plus du travail réalisé avec la triade “icône-index-symbole”, certains auteurs explorent ici des pans de la séméiotique peircienne moins fréquemment abordés dans la recherche anthropologique. C’est le cas notamment de Lele, qui prend appui sur la Doctrine des Catégories ou Catégories Universelles de Premièreté (qualité), Deuxièmeté (fait) et Troisièmeté (loi) (CP 1.300-1.353; EP2 : 160-178). Bien que le manque d’espace ne permette pas ici un commentaire approfondi de cet aspect fondamental de la séméiotique et du pragmaticisme peircéen, il importe de souligner que le recours aux Catégories permet d’établir des connexions entre les processus signifiants, les contextes culturels et historiques, et les axiomes fondamentaux qui soutiennent la théorie peircéenne du signe. Notons que Lele fait aussi appel à la logique de l’inférence chez Peirce – un autre domaine peu investi par les anthropologues. Il en est ainsi pour la notion de “rétroduction” ou abduction, comme on l’appelle plus souvent. Pour Peirce, la rétroduction est une inférence logique qui consiste à émettre des hypothèses sur des relations possibles qui sont suggérées par un certain état des choses et qui pourraient influencer, ou non, un cas de figure (EP2 : 226-41, 440-41; CP 2.755). L’inférence rétroductive, que Peirce définissait comme le mode de pensée logique le plus créatif et ouvert, s’oppose donc à l’induction (généraliser à partir d’un cas particulier) et à la déduction (appliquer une règle générale à un cas particulier). Alors que l’induction et la déduction sont toutes deux fréquemment étudiées et utilisées dans des opérations logiques, la rétroduction, telle que Peirce la définit, est plus inhabituelle dans l’étude de la logique classique. L’usage qu’en fait Lele dans ce numéro témoigne ainsi de nouvelles possibilités interdisciplinaires entre l’exploration culturelle et philosophique.
Nous avons vu comment le contenu de ce numéro est bien arrimé à certaines traditions établies en anthropologie sémiotique. Mais qu’en est-il des innovations qui transforment actuellement le paysage de cette discipline? On notera que les articles publiés ici en témoignent de deux manières. D’abord, il y a le type de sujets abordés par les auteurs. Alors que les performances culturelles (danse, musique et autres formes d’action symbolique) constituent un intérêt de longue date pour l’anthropologie sémiotique, les recherches portant sur la sémiotique des relations raciales (Lele, Taylor), la politique environnementale (Morimoto) et la mondialisation (Little) offrent des sujets relativement nouveaux pour les anthropologues. Ensuite, il y a la forme discursive elle-même, c’est-à-dire le genre d’écriture choisi par certains auteurs. Jusqu’aux années 1980, le discours ethnographique a adhéré à un genre de non-fiction moderniste – une sorte d’écriture “documentarisante” – qui considérait naïvement le réalisme descriptif comme une représentation transparente de la compréhension objective de son sujet par l’ethnographe. Cependant, suite à la crise de la représentation qui a secoué l’anthropologie depuis cette époque, les chercheurs n’ont cesse d’expérimenter avec une variété de genres poétiques et littéraires, voire même théâtraux. Ce travail expérimental ne fait pas encore l’unanimité, même s’il jouit d’une position stable, quoique marginale, dans le discours anthropologique. Les contributions de Little, Parmentier et de Fenigsen et Wilce illustrent ce nouveau courant en explorant des stratégies d’écriture qui brouillent les frontières entre l’ethnographie moderniste classique et diverses formes de fiction créative et de nonfiction. Ces auteurs mettent en relief de manière positive la situation de l’ethnographe travaillant sur des phénomènes sémiotiques en reconnaissant d’emblée que l’acte d’écriture qui a pour objet la performance sémiotique de certains groupes sociaux et culturels est lui-même une performance culturelle à part entière.
Pour clore cette introduction, une dernière observation s’impose : c’est qu’à l’instar d’une majorité de travaux en anthropologie séméiotique (Daniel 1987, 1996; Keane 1997, 2007; Parmentier 1987; Ness 1992; Lewis 1992; Mines 2005; Hendrickson 2008), il appert que tous les articles de ce numéro, y compris celui de Little, entretiennent une relation particulière avec un aspect de la séméiotique de Peirce qui fait parfois figure de parent pauvre dans la littérature secondaire sur l’oeuvre du philosophe. Peirce lui-même n’hésita pas à caractériser cet aspect de sa théorie séméiotique comme une “branche négligée”. Il s’agit de la partie de sa séméiotique qui envisage les signes dans leur déploiement manifeste au sein de performances séméiotiques données. Pour le dire autrement, c’est cette partie de l’étude de la vie des signes qui se concentre sur la manière dont ils agissent concrètement dans des contextes historiques et culturels réels et bien définis. Le philosophe Vincent Colapietro, spécialiste de l’oeuvre de Peirce, a défini cette aspect de la séméiotique peircienne comme offrant une “description dense” des phénomènes séméiotiques (2007 : 19). L’importance de cette précision par Colapietro ne peut être surestimée d’un point de vue anthropologique. La même expression (“description dense”) a d’ailleurs été utilisée dans un contexte différent par Geertz qui la rendit célèbre dans sa propre théorisation de la recherche en anthropologie culturelle (1973). Elle caractérise l’ethnographie de ce que l’anthropologue de la culture Sherry Ortner a identifié, suivant Geertz, comme la “construction du sens” de l’anthropologie culturelle (cultural anthropological “meaning-making”). Ortner la définit comme la traduction processuelle des phénomènes symboliques par des acteurs historiques réels (1999 : 8-9).
Peirce qualifia cette dimension sous-développée de sa séméiotique de “branche rhétorique”. Ce n’est que vers la fin de sa vie qu’il lui accorde une attention plus soutenue (Colapietro 2007 : 17, 30). Il distingue alors la rhétorique des dimensions “grammaticales» et “logiques” de sa séméiotique. Les études sur Peirce ont accordé et continuent d’accorder une attention relativement soutenue à la grammaire et à la logique du signe. Contrastant avec ces deux dimensions, la rhétorique séméiotique privilégie toutefois l’étude des phénomènes séméiotiques émergents, nouveaux et créatifs. Dans les termes de Peirce, la recherche en séméiotique rhétorique a pour objet la manière dont, dans une situation donnée, une pensée ou un signe peuvent “donner naissance” à une nouvelle pensée ou à un nouveau signe. Elle doit examiner comment se déroule effectivement ce processus et la manière dont une première pensée ou un signe initial peut influencer le développement et l’évolution de signes encore à venir (CP 2.229). Par contraste avec l’analyse grammaticale ou logique, qui visent soit à établir les limites de la construction du sens inhérentes à des grammaires données (examen des caractéristiques des signes en eux-mêmes) ou encore à des logiques établies (étude de la relation signe-objet), la recherche rhétorique est plus susceptible d’oeuvrer pour la découverte de formes sémiotiques émergentes et préalablement inconnues (Colapietro 2007 : 19, 31, 35). Comme l’illustrent presque tous les articles de ce numéro, ces processus créatifs émergents révèlent la manière dont les signes “dans l’histoire” peuvent subir des transformations, comment, par exemple, une forme de danse peut donner naissance à une autre forme de danse complètement nouvelle (Lemos), comment une tradition de chant peut donner naissance à une nouvelle forme de chant (Pine), comment un système de valeur peut en créer un autre (Fenigsen et Wilce), ou encore comment certains choix politiques peuvent se transformer et donner naissance à des choix politiques nouveaux, voire opposés (Morimoto, Lele, Taylor).
Eu égard à la rhétorique séméiotique, il faut reconnaître que l’anthropologie a toujours servi un objectif bien spécifique au sein du domaine plus large que constitue la recherche sémiotique : sa visée aura été d’explorer l’émergence réelle et concrète de la signifiance à travers des schèmes de construction du sens durables et sans cesse renouvelables tout au long de l’histoire et de la préhistoire de l’humanité, et ce, à l’échelle mondiale. Or à n’en pas douter, l’anthropologie, dans sa fonction disciplinaire du moins, s’oriente plus que jamais vers l’étude des institutions et des processus sociaux de grande ampleur – délaissant ceux de moindre envergure – et vers leurs propriétés et leurs processus sémiotiques spécifiques. Cette orientation exerce certaines contraintes sur son programme rhétorique. Par exemple, l’éthique postcoloniale adoptée par de nombreux chercheurs exige d’eux une vigilance accrue par rapport à l’énonciation du discours anthropologique et par rapport aux phénomènes de politique identitaire (identity politics) mis en jeu par le discours. Cette vigilance a exercé une grande influence sur les manières d’écrire et sur les priorités en recherche de l’anthropologie contemporaine. Cela dit, la préoccupation fondatrice de l’anthropologie sémiotique, laquelle consiste à étudier la diversité humaine qui se manifeste dans l’usage, la cultivation et la production des signes (entre autres opérations sémiotiques), demeure toujours aussi vitale pour la pratique (sinon pour la théorie) de l’anthropologie contemporaine. Au coeur de ces préoccupations se trouve la conviction profonde encore largement partagée par les anthropologues aujourd’hui, selon laquelle c’est dans la vie sociales des signes, dans leur performances culturelles, que se révèle de la manière la plus intelligible, la plus claire et la plus évidente qui soit toute l’étendue de la diversité humaine. C’est pourquoi l’anthropologie sémiotique contemporaine est animée du même souffle qui lui donna naissance, bien qu’elle se soit adaptée aux changements environnementaux et contextuels, humains et non-humains, qui se sont produits depuis qu’elle a vu le jour. Les travaux rassemblés ici illustrent cette continuité fondamentale, alors même qu’ils mettent de l’avant des sujets, des problématiques et des courants intellectuels qui font état de l’adaptation et du renouvellement de l’anthropologie sémiotique contemporaine.
This issue represents a new addition to an intellectual progression within the discipline of anthropology that has a long, rich, and lively history. Semiotic theory, particularly during the mid-twentieth century, once served unambiguously as both a touchstone and a cornerstone of anthropological theory. Its hegemony (arguably) may appear to have been somewhat curtailed of late, with the rise of globalization studies and its various politically and economically biased theoretical orientations. However, the application of semiotic frameworks to current anthropological problems across all its sub-disciplines (cultural and linguistic anthropology, archaeology, biological and physical anthropology) remains consistently productive, even imperative. This is particularly true in relation to research on gender and sexuality, race and racism, postcolonialism, place and landscape studies, and cultural performance – all subject matter where concepts such as “cultural construction” and/or “discourse” have guided inquiry and interpretation. In this regard, a new accounting of what, in the present moment, the rubric “semiotic anthropology” might include and what its primary motivations and purposes currently and potentially might be is warranted.
The term “semiotic” has been employed in the discipline of anthropology in a variety of ways, forming several research trajectories that each have a distinct history of theory. Early use of the term is generally associated with the work of Claude Lévi-Strauss (1963) and the mid-twentieth century structuralist revolution in anthropology. The theoretical roots of this particular trajectory can be found in the structuralist sign theory of Ferdinand de Saussure (2000 [1915]) and Roman Jakobson (1981). While the structuralist approach has, in the opinion of many, either been largely supplanted by Derridian post-structuralist theory or abandoned entirely since the discipline’s “interpretive turn” in the 1970s and 1980s (Rabinow 1979), Lévi-Strauss’ theories nonetheless remain foundational and generative into the present time, particularly in the sub-discipline of cultural anthropology. Although often left implicit in current analytical discourse, the oppositional and essentially relational sign models envisioned in structuralist semiotic theory continue to provide a foundation for anthropological studies of gender, visual culture, tourism, art, as well as ritual and religion. This ongoing influence of structuralist semiotics can be seen in this issue in the essay by Ryo Morimoto, who incorporates Saussurian theories of linguistic symbolism into his analysis of changing perspectives on nuclear power in Japan.
In addition to anthropology’s (post-)structuralist trajectory, the term “semiotic” has also been a defining rubric used to characterize the “interpretive” trajectory of anthropology mentioned above. This is particularly the case in the writings of this trajectory’s main proponent and founding figure, Clifford Geertz (1973). Geertz aligned the term “semiotic” not with the linguistic sign theory of Jakobson or Saussure, but instead with the philosophical writings of Ernst Cassirer (1965). Cassirer’s semiotics, among other things, foreground and emphasize the social purposes and interconnectedness of diverse symbolic forms. This perspective provided Geertz with a supportive framework for developing his predominantly ethnographic anthropological methods and texts. Although it is virtually never recognized explicitly, the sign theory of Cassirer, as it influenced Geertz and his followers, remains a vital and evolving theoretical platform supporting much of contemporary interpretive ethnography. It is evoked in this collection perhaps most notably in the essays by Ken Little and Justine Lemos, both of whom survey a wide array of diverse symbolic forms as they create culturally specific webs – or in Little’s case, climates – of meaning-making.
Of all the trajectories that have been identified in anthropology as “semiotic”, the one in which the term appears perhaps most explicitly and most influentially in linguistic, cultural, and also in archaeological anthropology is a theoretical trajectory whose initiation is associated, perhaps most notably, with the cultural anthropologist Milton Singer and which dates to the late 1960s (1984). This branch of semiotic anthropology is grounded in the pragmaticist sign theory of the American philosopher and scientist Charles Sanders Peirce. Singer developed and employed this Peircean approach originally to explore the subject of cultural performance. He defined such performance as the public display of symbols understood to be emblematic of a given way of life (1984 : 110). His research focused mainly on South Asian forms of cultural performance, although the approach was soon recognized as universally applicable to any social or cultural context regardless of geographical area or historical era.
This pragmaticist branch of semiotic anthropology sometimes, though not always, has been distinguished in the literature by the alternative spelling of the term “semiotic”, as “semeiotic”. The alternative spelling appears in several of the essays in this special issue as well. The second “e” is helpful when authors are referencing both pragmaticist and structuralist theoretical perspectives and attempting to distinguish between them.
The majority of the essays in this collection fall within this pragmaticist semeiotic trajectory, although most cannot not simply be identified in this manner. They illustrate how current proponents of this approach examine and investigate not only cultural performance as Singer identified it, but also sign performance more generally. That is, they investigate the capacity of signs to act, to get things done in the world at large, to enliven and transform cultural events, processes, contexts, and predicaments. They seek to observe and document the very performativity of signs themselves. This broader agenda now motivates the better part of contemporary anthropological semeiotic research.
Singer’s semeiotic trajectory has been advanced in the sub-discipline of linguistic anthropology most notably by Michael Silverstein (1976) and by those who have applied and extended his many analytical innovations. The Silversteinian linguistic approach is represented in this special issue explicitly by Janina Fenigsen and Jim Wilce, who investigate how the performance of songs of lament in the Karelian region of Finland and Russia bring about changing and contested understandings of authenticity. It is also evident in the essay by Chris Taylor, who analyzes variations in voice and accent as they may be used to perform certain American styles of indigenous, regional, and racial identity. The Peircean agenda in cultural anthropology has been advanced by such leading figures as E.V. Daniel (1987, 1996), Webb Keane (1997, 2007), and Richard Parmentier (1987, 1994). Space does not permit an extended discussion of their distinctive approaches. However, essays by Veerendra Lele, Judith Pine, and Ryo Morimoto, respectively, exemplify extensions of each of these scholars’ contributions and achievements.
To summarize the main contents of this special issue, then, this collection of essays takes stock of some current movements within the discipline of anthropology that employ several of its most well established branches of semiotic theory in original and creative ways. The sample, of course, is far from comprehensive. Most regrettably, examples of research emerging in the sub-discipline of archaeology and in the field of medical anthropology – two of the most active and rapidly developing areas of semiotic anthropology today – do not appear among the contributions. Nonetheless, the sample provided does give some indication of both the continuities and the changes that together define what is occurring in the field. In addition, the contributors have sought not only to work within the disciplinary boundaries of anthropology proper, but also to endeavour to identify interdisciplinary interfaces between anthropology and other semiotically inclined disciplines and fields. These include philosophy (Lele), history (Parmentier, Lemos, Morimoto), ethnomusicology (Pine, Fenigsen and Wilce), linguistics (Taylor), and cultural studies (Little).
Given the predominance of the Peircean semeiotic trajectory represented in this special issue, the rest of this introduction is devoted to a slightly more detailed discussion of the continuities and changes evident within this particular trajectory as represented in the various essays and also to the identification and definition of some of the basic semeiotic concepts and technical terminology appearing in them. It is hoped that this may prove useful for readers less familiar with Peirce’s sign theory as they proceed through the issue.
With regard to continuities with previous Peircean semeiotic research, perhaps the most general anthropological tendency that is represented in this collection is the combined interest in understanding both historical and cultural processes as they are evident and interrelated in the sign phenomena under investigation. Peircean semeiotics, because of its fundamentally evolutionary, processual orientation, and its characterization of signs as constantly engaged in the movement or conveyance of various kinds of intelligence, provides a distinct advantage over the synchronic model of sign relations conceptualized in Saussurian semiotic theory in this respect. The pragmaticist approach has, in Richard Parmentier’s often-cited terms, enabled anthropologists to understand the sign performances of social and cultural groups as being simultaneously signs of history as well as signs in history (Parmentier 1987). The essays by Morimoto, Parmentier, and Lemos in this special issue are particularly exemplary in this respect, bringing insight into patterns of cultural change and historical processes as varied as environmental politics, medieval arts of document sealing, and courtship dance traditions.
A second source of continuity to earlier work in the pragmaticist tradition has to do with the particular aspect of Peirce’s semeiotic that is employed in the essays. It is an aspect constituted by a triad of concepts that are certainly the most well known of all Peirce’s many semeiotic terms, both within anthropology and outside it. The triad characterizes three possible relationships that may occur between the sign agent itself, or representamen as it is sometimes termed, and that which it represents or mediates, its object (defined by Peirce in the broadest possible manner, EP2 : 272-3). The three relations are : 1) the iconic : a relationship constituted by sign-object resemblance; 2) the indexical : a relation constituted by sign-object spatial or temporal contiguity; and 3) the symbolic : a sign-object relation constituted by habit, rule, or law (CP 2.274-2.308; EP2 : 300-324). In some cases, although not as a general rule, these sign types are capitalized when used in the essays, so as to indicate that they are being used in a specifically semeiotic, Peircean manner. In any case, all of the essays in this issue, with the single though significant exception of that by Ken Little, make explicit use of this Peircean triad, albeit with varying emphases and to varying degrees.
Little’s essay merits a slight digression at this point, as it is unique in this collection in its non-Peircean, non-representational approach. Little’s essay is aligned more closely with recent work in the interdisciplinary area of affect theory. This emerging body of theory, while it has (by its own definition) multiple inspirational sources, is rooted perhaps most significantly in the philosophical writings of Gilles Deleuze and Felix Guattari (1987). Although the interest in non-representational phenomena that this orientation espouses may at first glance appear to be fundamentally at odds with any semiotic perspective, including Peirce’s pragmaticist one, a comparative reading of Little’s essay in the context of the others will illustrate that this is not the case. On the contrary, Little’s ethnographic observations on the feeling of the colour blue in the touristic landscape of Belize parallel closely in many respects the explicitly semeiotic descriptions of feelings and emotions presented in other essays, particularly those foregrounding iconic sign relations. Little’s essay, in this regard, bears out a philosophical alignment between Peircean pragmaticism and Deleuzian vitalist philosophy that enables a productive interface to develop between representational/semiotic and non-representational/affective research foci – something that is quite unusual in anthropological discourse.
In general, anthropologists working along the pragmaticist semeiotic trajectory have tended to foreground and emphasize indexical sign-object relations (Silverstein 1976; Tambiah 1979; Rappaport 1979; Mendoza-Denton 2011). The index has loomed relatively large in all of the sub-disciplines of anthropology in relation to both iconic and particularly to symbolic sign relations, the latter often being assumed to operate in a manner identical to that posited for linguistic signs by structuralist linguistics and treated as such. The reason for this emphasis is readily apparent if one takes into account both the originary influence of the natural sciences on anthropological inquiry and the abiding interest of the discipline in understanding human diversity and evolution as comprehensively and as holistically as possible. Given the factual character of indexical signs and the verifiable insight that indexical relations afford into the contextual character of any particular sign performance, indexical analyses yield the kind of inductive understanding of the relation of particular cultural subjects and events to larger cultural and historical structures and processes (“complex whole’s” in Edward B. Tylor’s famous terms, 1913 [1871]) that are especially supportive of anthropological research. The spatio-temporal relations constituting indexical signs, with their ontological connections to actuality, make them particularly compelling signs for empirically minded social scientists. Indexical relationships have been interpreted by anthropologists as the main means by which cultural and historical processes are in fact present in actual occurrences of sign usage and enactment. This has been their primary value in the discipline of anthropology. It is particularly evident in this issue in the contributions of Pine and Taylor.
In addition to the utilization of the indexical sign type, however, anthropologists have also investigated the role of iconic relations as they enter into culturally specific performances and events. Lemos’ discussion of the “non-icons” of Mohiniyattam dance history and Lele’s analysis of the “iconic Thirds” of racial profiling in the United States in this issue illustrate this interest. In so doing, they also bring out a relationship that has recently begun to receive increasing attention in the anthropological literature : the necessary and inherent relationship of the Peircean icon to the Peircean index. While it has often been the tendency of anthropologists to focus their analyses on indexical relations in isolation, Peirce argued, nonetheless, that within every indexical relation, an iconic sign was always present (EP2 : 300-324). It is never, in Peirce’s view, a matter of studying indices or icons when indexical relations are at issue. It is necessarily a matter of studying both indices and icons. Icons, for their part, are understood to energize or animate the spatial and temporal relations of indexes (as well as symbols). Peirce emphasized this iconic role via the notion of the “idea” of any sign, arguing :
The only way of directly communicating an idea is by means of an icon; and every indirect method of communicating an idea must depend for its establishment upon the use of an icon
CP 2.278
The iconic aspect of the semeiotic index, in sum, is what brings it to life, both ontologically and epistemologically speaking. In this regard, to study indexical connections is also to study iconic relations, as Lemos and Lele both foreground with respect to otherwise quite different analytical projects.
In addition to the work undertaken with the icon-index-symbol triad, the essays here also explore some areas of Peirce’s pragmaticist semeiotic that are much less frequently employed in anthropological research. In particular, Lele’s contribution draws upon Peirce’s Doctrine of the Categories, or Universal Categories of Firstness (Quality), Secondness (Fact) and Thirdness (Law) (CP1.300-1.353; EP2 : 160-178). While space does not permit a detailed discussion of this foundational organization within Peirce’s semeiotic, the use of these categories enable connections to be drawn between sign processes, cultural and historical contexts, and the most basic philosophical axioms undergirding Peirce’s sign theory. Lele also employs Peircean categories of logic – another area of pragmaticism that anthropologists have only rarely found relevant. In particular the category of “retroduction”, or abduction as it is more often called. Retroduction, for Peirce, is a logical process by which guesses can be made about the possible relations suggested between a certain state of affairs as they may or may not be influencing a case in point (EP2 : 226-41, 440-41; CP2.755). The logical process of retroduction, which Peirce identified as the most creative and open-ended mode of logical thought, contrasts with the logical processes of induction (generalizing from a given case) and deduction (inference from a general truth to a specific case). While both induction and deduction are commonly studied and used in logical operations, retroduction, as Peirce identified it, is more unusual. Lele’s usage of it in this issue signals new interdisciplinary possibilities, in this regard, between cultural and philosophical inquiry.
Moving on to the question of changes currently taking place in semiotic anthropology as they may be evident in this special issue, there are two main ways in which the essays collected here evidence contemporary perspectives and new developments in anthropological research. The first is in regard to the kinds of subject matter that the authors consider. While cultural performances (dance, music, and other forms of symbolic action), as discussed above, have long been of interest in semiotic anthropology, inquiry into the semiotics of race relations (Lele and Taylor), environmental politics (Morimoto), and globalization (Little) signal relatively contemporary anthropological subject matter. The second way in which the essays evidence contemporary perspectives is in regard to the genres of writing in which the authors are choosing to work. Until the 1980s, ethnographic writing adhered to a genre of modernist non-fiction in which descriptive realism was uncritically assumed to transparently represent the ethnographer’s objective understanding of the subject matter. However, since the crisis of representation that occurred in the discipline in the 1980s, experimentation with a variety of poetic, theatrical, and literary genres has been ongoing. Widespread acceptance of this experimental work has yet to be achieved, although it has now gained a certain stable though marginal position in the discipline’s discourse. The contributions by Little, Parmentier, and Fenigsen and Wilce, in particular, exemplify this development, exploring compositional strategies that blur the boundaries between classical modernist ethnography and various forms of creative fiction and non-fiction. These essays foreground, and even celebrate, the authorial predicament of the ethnographer of semiotic phenomena, one in which writing about the sign performances of social and cultural groups is a cultural performance in its own right.
In closing, one final introductory observation bears mentioning. Like the majority of work in the semeiotic trajectory of anthropology (Daniel 1987, 1996; Keane 1997, 2007; Parmentier 1987; Ness 1992; Lewis 1992; Mines 2005; Hendrickson 2008), all of the essays in this issue, including Little’s, bear a special relationship to one area of Peirce’s pragmaticist theory in particular. It is an area less developed than the other two areas that together comprise Peirce’s entire semeiotic. Peirce characterized this area as the “neglected” branch of his sign theory. He identified it as the area that focuses its inquiry on the study of signs as they actually unfold in given sign performances. It is the area of Peirce’s sign theory that focuses on how signs in real historical and cultural contexts do, in actuality, perform. Peirce scholar Vincent Colapietro has defined this branch of Peirce’s semeiotic as the one whose research consists centrally of “thick descriptions” of sign processes (2007 : 19). The significance of Colapietro’s characterization can hardly be over-emphasized from an anthropological perspective. This exact phrase, “thick description”, was also used, independently and famously, by Geertz in his own theorization of cultural anthropological inquiry (1973). It characterizes the ethnography of what cultural anthropologist Sherry Ortner, following Geertz, identified as cultural anthropological “meaning-making”. This she defined as the processual rendering of symbolic phenomena by real historical actors (1999 : 8-9).
Peirce identified this underdeveloped branch of his semeiotic as the “rhetorical” branch. It was one to which he gave increasing attention in his later work (Colapietro 2007 : 17, 30). Peirce set this rhetorical branch apart from what he termed the “logical” and the “grammatical” branches of his semiotic. Both of these other branches received (and continue to receive in Peirce scholarship) a relatively great amount of attention. In contrast to the logical and grammatical branches, the rhetorical branch emphasizes the study of sign processes that are emergent, novel, and in other ways creative. In Peirce’s terms, rhetorical semeiotic inquiry focuses on how, in a given situation, one thought or sign can and does actually “give birth” to a new one and influence the development and evolution of signs yet to come (CP 2.229). In contrast to logical or grammatical analysis, rhetorical inquiry is more prone to work toward the discovery of previously unknown forms of sign performance, rather than marking the limits of meaning-making inherent in given grammars or established logics (Colapietro 2007 : 19, 31, 35). Such creative, emergent processes, as virtually all of the essays in this issue illustrate, reveal how signs “in history” can undergo transformation, how one dance-form can give birth to another entirely new one (Lemos), how one song tradition can give birth to another (Pine), how one value-system can create another (Fenigsen and Wilce), and how one kind of politics can morph into another, even one diametrically opposed to it (Morimoto, Lele, and Taylor).
Semiotic anthropology, in this final rhetorical regard, has always served a distinctive purpose within the larger interdisciplinary realm of semiotic inquiry. It has explored how significance has actually been generated in constantly renewable and sustainable patterns of meaning-making over the varying courses of human history and prehistory around the world. Certainly, in the present moment, the discipline of anthropology is increasingly oriented by large rather than small-scale social institutions and processes and their distinctive semiotic properties and processes. In some respects, this orientation constrains its rhetorical agenda. Likewise, the discipline’s postcolonial ethics now demand that ever more scrutiny be given to the authorial voices represented in research and to the politics of identity at play in the discourse. Such scrutiny has significantly influenced the composition and the analytical priorities of contemporary anthropological research as well. Nonetheless, semiotic anthropology’s foundational and longstanding concern with the study of human diversity, as that diversity may be evident in human forms of sign processing, sign cultivation, and sign production, among other semiotic operations, remains as vital to contemporary anthropological practice (if not theory) as it has ever been. The concern is rooted in the conviction, still deeply and widely adhered to in the discipline’s contemporary moment, that nowhere else would human diversity be more likely to become evident, or to be evident with greater intelligence and clarity, than in the social lives and cultural performances of its signs. In this regard, semiotic anthropology today is motivated by much the same basic interest that initially gave birth to it, although it has adapted to environmental and contextual changes, both human and non-human, that have arisen over the course of its own evolution and history. The essays gathered together in this special issue illustrate aptly this fundamental continuity, even while they also manifest current topics, issues, and intellectual tendencies.
Appendices
Remerciements
Je suis infiniment reconnaissante à Eberle Umbach et à Justine Lemos pour leur précieuse assistance éditoriale et leur soutien par rapport à ce numéro et à cette introduction. Cette introduction et ce numéro spécial n’auraient pas pu être terminé sans eux. Un sincère merci aussi à Martin Lefebvre et Anne-Marie Trudeau pour leur soutien, leur patience, leur flexibilité et leurs encouragements. Je tiens également à remercier mon collègue, Paul Ryer, dont les commentaires portant sur des versions antérieures de l’introduction furent extrêmement utiles. Pour finir, un merci tout spécial à tous les auteurs pour leur réceptivité et leur confiance tout au long de ce projet.
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Appendices
Acknowledgements
Grateful acknowledgment is given to Eberle Umbach and Justine Lemos, both of whom provided invaluable editorial assistance and support for this issue and this introduction. This essay, and this special issue, would not have been completed without them. Sincere thanks are also due to Martin Lefebvre and Anne-Marie Trudeau for their support, patience, flexibility, and encouragement. I would also like to thank my colleague, Paul Ryer, whose feedback was extremely helpful with earlier drafts of this introduction. Finally, special thanks are due to all of the contributors, for their responsiveness and good faith in this undertaking.
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