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1. Introduction

En régions arides et en particulier au Sahara, l’oasis avec son arbre mythique le palmier dattier, constitue un lieu de vie et un modèle de résilience et d’adaptation aux conditions d’aridité (LAKHDARI, 2016). Cependant, cet écosystème très fragile est aujourd’hui confronté à une multitude de problèmes variés qui menacent son équilibre, voire son existence. En milieu oasien du Sud algérien, l’eau des nappes souterraines est la seule source permettant de faire face aux besoins de l’irrigation et des différents usages domestiques. L’exploitation de cette ressource dans les oasis s’est toujours faite dans des conditions d’aisance et de respect du milieu. Actuellement, la surexploitation des nappes profondes est à l’origine de la disparition de leur artésianisme et de la généralisation du pompage. L’ampleur de ce phénomène est d’autant plus poussée que le débit de la drainance est élevé et que la salinité des eaux drainées est plus forte. La présence des oasis en bordure du chott qui constitue l’exutoire naturel des eaux de drainage, limite la bonne évacuation des eaux et des sels à cause du faible dénivelé (JOB, 1992). En conséquence, la plupart de ces oasis sont sujettes à des manifestations d’engorgement et de salinisation. L’oasis des Ziban située dans le sud-est à 450 km environ du capital est l’une des principales oasis du Sahara algérien (Figure 1). Les palmeraies les plus caractéristiques de cette oasis sont situées à l’ouest de la ville de Biskra où elles constituent deux lignes parallèles. Celles de l’amont, situées au pied des monts du Zab et celles de l’aval situées à deux kilomètres, au sud de la précédente. Ces deux lignes de palmeraies connaissent aujourd’hui une évolution divergente, à savoir la multiplication des forages pour subvenir aux besoins de l’extension notable des palmeraies en amont et le tarissement définitif des ressources et l’accroissement du volume des eaux rejetées à l’aval. Actuellement, la plupart de ces palmeraies sont sujettes aux problèmes de salinisation et de la remontée des eaux, souvent accentuées par une gestion irrationnelle de l’irrigation et un système de drainage peu performant. Ces contraintes entravent le bon fonctionnement hydrosalin et fragilisent l’équilibre du système oasien (MARLET et al., 2010). C’est ainsi que la palmeraie d’Oumache qui fait partie de ces palmeraies n’a pas échappé à ce déclin. Elle connaît aujourd'hui une dégradation continue du sol liée en particulier aux problèmes de salinisation qui s’est répercutée sur la production, avec une chute du rendement de 70 % et la qualité des dattes (AIDAOUI, 1994). En plus, cette palmeraie souffre d’un manque d’eau, car les deux forages qui alimentent la palmeraie n’arrivent pas à la satisfaire à cause de leur faible débit. Pour combler le déficit hydrique, les agriculteurs sont contraints de puiser les eaux de la nappe phréatique malgré sa forte minéralisation.

Figure 1

Localisation géographique de la palmeraie d’Oumache

Geographical location of the Oumache palm grove

Localisation géographique de la palmeraie d’Oumache

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Notre travail consiste à caractériser par une approche géochimique (forage et nappe phréatique) les eaux utilisées pour l’irrigation de l’oasis d’Oumache. Il s’agit ensuite de mettre en évidence les conséquences des irrigations avec des eaux minéralisées sur la durabilité du système oasien.

2. Matériels et méthodes

2.1 Présentation de la zone d’étude

La palmeraie d’Oumache fait partie d’une ligne de palmeraies situées à l’aval du piémont de Djebel Boughzal. Elle est située à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Biskra et s’étend sur une superficie de 220 ha environ (Figure 1). Elle fait partie des palmeraies du Zab Gharbi du bassin versant d’oued Djedi et compte environ 75 000 pieds des palmiers dattiers, dont 10 % de la variété Déglet Nour (DSA, 2013). Le centre de la palmeraie est constitué de palmiers moribonds sur des parcelles envahies par le Diss (Imperata cylindrica) et le Tamaris (Tamarix gallica) avec un habitat interpalmeraie abandonné. La palmeraie s’étend longitudinalement entre les latitudes 34°41'22" et 34°42'35" sur une altitude moyenne de 57 m. La région est soumise à un climat aride à forte influence continentale. Les précipitations sont très faibles avec une moyenne qui dépasse rarement les 145 mm et présentent une forte irrégularité spatiotemporelle. Le régime annuel des pluies montre l’existence de deux saisons pluvieuses bien distinctes par des crues importantes, l’automne et le printemps avec un nombre de jours pluvieux par an qui est très réduit (20 à 25 j∙a‑1) (Figure 2). Les températures moyennes annuelles sont de l’ordre de 22 °C et se caractérisent par des amplitudes journalières très élevées qui atteignent les 50 °C (DUBOST et LARBI-YOUCEF, 1998). En moyenne, l’évaporation potentielle s’élève à 1 889 mm∙a‑1, la maximale est atteinte au mois de juillet et la minimum au mois de décembre (DUBOST et LARBI-YOUCEF, 1998). Or, pour les cultures de strate, l’existence de palmiers crée cependant un microclimat qui rend les conditions climatiques moins rudes et par conséquent fait diminuer l’évapotranspiration potentielle de l’ordre de 40 à 50 % (TOUTAIN, 1977). Le faible rapport pluviométrie/évapotranspiration potentielle (P/ETP) tout au long de l’année nécessite un recours à l’irrigation pour subvenir aux besoins en eau des cultures. Les sols cultivés sont à caractère limoneuse d’origine alluvionnaire (AIDAOUI, 1994). Le dépôt des sels sous l’effet de l’évaporation se traduit par une salure plus élevée en surface.

Figure 2

Pluviométrie (P) et evapotranspiration potentielle (ETP) mensuelles

Monthly rainfall (P) and potential evapotranspiration (ETP)

Pluviométrie (P) et evapotranspiration potentielle (ETP) mensuelles

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2.2 Irrigation

La palmeraie est alimentée à partir de deux forages, réalisés pour compenser le tarissement de la source d’El Hadjeb située à 12 km au nord de l’oasis d’Oumache. Ces forages sont pompés sur la nappe de l’Éocène inférieur avec un débit moyen de 17 L∙s‑1. (ANAT, 2002). Les eaux sont acheminées gravitairement par le réseau primaire vers un partiteur, puis desservent les 220 ha. Chaque îlot de parcelles est alimenté par un réseau tertiaire de canaux bétonnés à ciel ouvert (Seguias) qui acheminent l’eau jusqu’à l’entrée de parcelles. L’irrigation est organisée en rotation suivant un tour d’eau où les agriculteurs disposent d’une main d’eau déterminée en fonction du nombre de palmiers avec 3 min par palmier. Ce tour d’eau peut aller alors, jusqu'à six mois en période estivale. Pour faire face à ce grand déficit hydrique, les agriculteurs puisent les eaux de la nappe phréatique à travers des puits. Cette nappe est alimentée essentiellement par les crues occasionnelles de l’oued Malah et les eaux de drainage (écoulement souterrain) des palmeraies situées en amont. L’oasis dispose de deux drains périphériques à ciel ouvert, malheureusement en état défectueux. Ce réseau de drainage exige un entretien régulier, d’autant plus que le terrain présente une faible dénivelée vers l’exutoire (Sebkha) et les berges constituées d’un matériau limono-sableux sont très instables. Les systèmes d’irrigation traditionnels en cuvette et planche sont les plus pratiqués dans la palmeraie.

2.3 Méthodes

Une campagne de prélèvement des échantillons d’eau est effectuée à la fin de la saison hivernale de l’année 2014. L’échantillon d’eau de forage est prélevé au niveau du répartiteur et les échantillons d’eau de la nappe sont prélevés à partir de 30 puits représentatifs de toute la palmeraie (Figure 3). Les paramètres physicochimiques analysés sont : la conductivité électrique à 25 °C et le pH. Ils ont été déterminés par un conductimètre et un pH-mètre (model multi 3430 SET K). Les cations Ca2+ et Mg2+ ont été dosés par volumétrie en présence de l’acide éthylènediamine tétraacétique (EDTA) et les cations Na+, K+ par spectrophotomètre à flamme. Les chlorures (Cl) par la méthode de Mohr (précipitation par nitrate d’argent en présence de chromates), les sulfates (SO42‑) par précipitation au chlorure de baryum et les CO3/HCO3 par titrimétrie à l’acide sulfurique.

Figure 3

Répartition spatiale des points d’eau (novembre 2014)

Spatial distribution of water sources (November 2014)

Répartition spatiale des points d’eau (novembre 2014)

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L’augmentation progressive de la concentration des sels dans les eaux conduit souvent à la précipitation successive de minéraux tels que la calcite et le gypse. Ceci entraine une modification de leur composition et détermine différentes voies d’évolution en fonction de l’abondance relative des ions dans la solution de départ (MARLET et JOB, 2006). Le concept de l’alcalinité résiduelle permet de prévoir l’évolution chimique des eaux durant leur concentration par évaporation (DROUBI, 1976; VALLES et al., 1989; BARBIERO, 1994). Elle est le plus souvent considérée par rapport à la précipitation de la calcite : alcalinité résiduelle calcite (ARC).

  • si alcalinité - Ca2+ > 0, le pH augmente, voie alcaline;

  • si alcalinité - Ca2+ < 0, le pH diminue, voie saline neutre.

Le modèle Pitzer du code géochimique Phreeqc (PARKHURST et APPELO, 2013) a été utilisé pour la spéciation des ions majeurs, la précipitation ou dissolution des minéraux les plus répandus dans la région qui sont : calcite, gypse, halite et thenardite.

L’estimation de la concentration des eaux a été faite à l’aide d’un traceur chimique qui est l’ion chlorure. Ce dernier est couramment retenu comme traceur ou indicateur du facteur de concentration, car il n’interagit généralement pas avec la matrice solide sous forme de mécanismes de précipitation, d’échange ou de sorption (VALLES, 1987; LARAQUE, 1991; GONZALEZ-BARRIOS, 1992; BARBIERO, 1994; BOIVIN et al., 1995). De plus, les ions chlorure traduisent généralement de manière proportionnelle les phénomènes de salinisation des sols (BARBIERO, 1994). Le facteur de concentration a été estimé à partir du rapport entre la concentration en Cl de l’eau de la nappe et celle de l’eau d’irrigation. Les diagrammes de concentrations établies représentent la modification de la composition des eaux au cours du processus de concentration. Les valeurs de l’altitude du toit de la nappe et de sa profondeur par rapport au sol sont calculées pour chaque puits et utilisées comme indicateurs du fonctionnement hydrologique. Les chlorures ont été retenus comme indicateur géochimique. Ces indicateurs ont été ensuite spatialisés afin de mettre en évidence les principaux processus hydrologiques à l’origine de la variabilité spatiale de la salinité.

3. Résultats et discussion

3.1 Caractérisation physicochimique des eaux

D’après les résultats analytiques des eaux illustrées dans le tableau 1, l’eau de forage présente un pH neutre, une forte salinité (conductivité électrique CE > 3 dS∙m‑1) et un risque de sodicité (SAR) faible. Les cations et les anions se distribuent selon l’ordre suivant : Ca2+ > Na+> Mg2+ et SO42‑ > Cl > HCO3. En revanche, les eaux de la nappe phréatique présentent un pH neutre à légèrement basique avec des valeurs comprises entre 6,9 et 8,9. Les fortes valeurs sont localisées dans les parties basses de la palmeraie. Ces eaux sont très fortement minéralisées, avec le résidu sec (solides dissous totaux, TDS) qui varie entre 3,6 et 31,6 g∙L‑1 et très sodiques, avec un rapport de sodium adsorbable (SAR) qui oscille entre 3,6 et 59. Les ions dominants sont Na+, Mg2+, Cl et SO42‑. L’alcalinité résiduelle calcite (ARC) est négative et les eaux (forage et nappe) évoluent donc, dans une voie saline neutre lorsqu’elles se concentrent par évaporation.

Tableau 1

Statistique descriptive des paramètres hydrochimiques des échantillons d’eau

Descriptive statistics of the hydro-chemical parameters of water samples

Statistique descriptive des paramètres hydrochimiques des échantillons d’eau

a CE : conductivité électrique; TDS : solides dissous totaux (total dissolved solids); SAR : rapport du sodium adsorbable (sodium adsorption ratio); ARC : alcalinité résiduelle calcite.

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Selon le diagramme de Piper (Figure 4), l’eau du forage est caractérisée par un faciès sulfaté calcique et magnésique dû à l’influence des formations calcaires et calcaires dolomitiques qui composent l’aquifère de la nappe de l’Éocène inférieur. Cette dernière est la plus exploitée dans la région (DUBOST et LARBI-YOUCEF, 1998). Les eaux de la nappe phréatique présentent deux types de faciès, un faciès chloruré et sulfaté sodique dominant (57 % des échantillons) et un faciès sulfaté et chloruré sodique avec 43 %. La dominance des ions Cl, SO42‑ et Na+ montre bien l’influence des formations évaporitiques du bassin versant. Ce mélange est probablement le produit de la convergence des écoulements souterrains venant de l’amont (plateau) vers l’aval (dépression). Le cheminement des eaux de lessivage à travers des horizons pédologiques conduit à leur enrichissement en gaz carbonique, ce qui accentue la dissolution du carbonate de calcium et du gypse contenus dans la plupart des sols du bassin versant. De plus, l’apport de l’eau d’irrigation en éléments constitue une source supplémentaire qui permet d’expliquer cet enrichissement. L'évaporation d'une grande partie de cette eau fortement chargée entraînerait souvent le dépôt d’une croûte saline blanchâtre à la surface du sol.

Figure 4

Diagramme de Piper des eaux d’irrigation

Piper diagram of the water samples

Diagramme de Piper des eaux d’irrigation

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3.2 Origine de la minéralisation des eaux

La matrice de corrélation établie entre les paramètres (Tableau 2) montre une forte corrélation entre les ions Na+, K+, SO42‑, Cl et la conductivité électrique (CE) avec un coefficient R2 > 0,80. Cela montre que la forte minéralisation des eaux de la nappe est induite par les fortes concentrations de ces éléments. Ainsi, la présence d’une forte corrélation entre les ions Cl, SO42‑ et N+, K+, Mg2+ prouve qu’ils proviennent dans leur totalité d’une dissolution des minéraux sulfatés tels que le gypse, mirabilite et la thenardite conjointement à la dissolution des minéraux chlorurés tels que l’halite et la sylvite.

Tableau 2

Matrice de corrélation des paramètres hydrochimiques des échantillons d’eau

Correlation matrix of the hydro-chemical parameters of water samples

Matrice de corrélation des paramètres hydrochimiques des échantillons d’eau

a Conductivité électrique

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3.3 Diagrammes de concentration

Selon les diagrammes de concentration des eaux (Figure 5), les teneurs des éléments se comportent différemment en fonction du facteur de concentration. Les teneurs en Na+ et K+ évoluent à la même vitesse que le facteur de concentration. Ils n’apparaissent soumis à aucun phénomène de précipitation ou d’échange avec le complexe adsorbant du sol. En raison d’une faible capacité d’échange cationique (CEC) des sols (faible taux de matière organique et d’argile), ces éléments n’évoluent donc que sous le seul effet de phénomènes de concentration et de dilution. La teneur en Ca2+ n’évolue pas, mais reste constante lorsque la concentration en chlorures croît. Ceci montre que cet élément est contrôlé dès le début de la concentration. La teneur en Mg2+ évolue légèrement moins vite que les chlorures jusqu’à un facteur de concentration log (FC) = 0,7 puis elle devient constante. Cet élément apparait donc contrôlé par la précipitation d’un minéral que l’on peut assimiler à la bloedite. De plus, le contrôle du Ca2+ apparait plus fort que celui de Mg2+ au cours du processus de concentration par évaporation. Comme les chlorures, les sulfates ne sont pas contrôlés et évoluent proportionnellement au facteur de concentration, alors que l’alcalinité carbonatée croît légèrement jusqu'à un facteur de concentration log (FC) = 4, puis elle diminue légèrement.

Figure 5

Diagrammes de concentration des éléments majeurs

Concentration diagrams of major elements

a

Na+ et K+

Na+ and K+

Na+ et K+

b

Mg2+ et Ca2+

Mg2+ and Ca2+

Mg2+ et Ca2+

c

Alcalinité carbonatée (Alc) et SO42‑

Carbonate alkalinity (Alc) and SO42‑

Alcalinité carbonatée (Alc) et SO42‑

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3.4 Diagrammes de saturation

D’après les diagrammes de saturation des eaux (Figure 6), l’eau de forage apparait saturée par rapport à la calcite, mais sous-saturée par rapport au gypse. En revanche, les eaux de la nappe sont localement sursaturées ou sous-saturées par rapport à la calcite et gypse. Dans les deux cas, il apparait qu’un processus cinétique de précipitation ou de dissolution sous l’effet de l’irrigation et de l’évaporation est probablement mis en jeu. Il permettrait d’expliquer les résidus autour des droites de saturation (Figures 6a et 6b). D’autre part, les sulfates sont susceptibles d’être précipités sous la forme de gypse, mais le contrôle du calcium par la calcite qui intervient au début de la concentration empêche les eaux d’atteindre la saturation avec ce minéral. De plus, malgré l’augmentation conjointe des teneurs en Na+, Cl et SO42‑, les eaux de nappe et de forage demeurent en nette position de sous-saturation par rapport aux minéraux thenardite et halite (Figures 6c et 6d).

Figure 6

Diagrammes de saturation

Saturation diagrams

a

Calcite

Calcite

Calcite

b

Gypse

Gypsum

Gypse

c

Halite

Halite

Halite

d

Thenardite

Thenardite

Thenardite

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3.4 Fonctionnement hydrologique au sein de la palmeraie

La variabilité spatiale des teneurs en chlorure apparait liée à l’existence de gradients hydrauliques vraisemblablement à l’origine de grandes zones d’écoulement préférentiel au sein de la palmeraie (Figure 7). Ces écoulements partent de l’amont où les teneurs en chlorures sont particulièrement basses, ensuite elles augmentent progressivement et aboutissent à deux exutoires, l’un situé à proximité de la sebkha (ouest) et l’autre vers l’oued Djedi au sud. Ce caractère conservatif des chlorures apporte une dimension quantitative où des bilans pourront être conduits à l’échelle de la palmeraie. Ainsi, il devrait permettre de calculer les doses de lessivage nécessaire pour évacuer les sels en excès dans la zone racinaire. Les chlorures représentent ainsi un outil à la fois qualitatif et quantitatif de prévision et d’estimation des risques pour les aménagements hydroagricoles en zones arides, ainsi que d’appréciation de l’évolution chimique des parcelles dans les périmètres irrigués. Du fait de leur qualité de traceur, les chlorures pourraient également être mis à profit dans le cadre de l’étude des flux hydriques sur les bassins versants. La variabilité spatiale du facteur de concentration représenterait alors la capacité de drainage interne du milieu comme l’illustrent les similitudes obtenues entre les gradients hydrologiques (altitude du toit de la nappe) et la composition de la nappe (Figure 6). Le sens d’écoulement des eaux de la nappe phréatique se fait de l’amont (zone d’alimentation) vers l’aval (sebkha de Chemoura). En amont, la nappe phréatique s’alimente à partir des eaux moins chargées de forages résultant d’une irrigation excessive. Ces eaux drainent à travers le bassin versant et deviennent de plus en plus chargées à l’aval pour se diriger vers son exutoire naturel.

Figure 7

Variabilité spatiale des indicateurs hydrologique et géochimique dans la palmeraie

Spatial variability of hydrological and geochemical indicators in palm grove

a

L’altitude

Altitude

L’altitude

b

Les chlorures avec l’altitude

Chloride with altitude

Les chlorures avec l’altitude

c

La profondeur des puits

Well depths

La profondeur des puits

d

Les chlorures avec la profondeur des puits

Chloride with well depth

Les chlorures avec la profondeur des puits

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3.5 Gestion de l’eau et de la salinité

La condition essentielle de l’existence de milieu évaporateur, générateur de la salinisation, est que l’évapotranspiration soit très supérieure aux apports d’eau (DAOUD et HALITIM, 1994). Toutes les eaux d’irrigation du Sahara contiennent des quantités excessives de sels solubles qui se concentrent dans la partie racinaire (DAOUD et HALITIM, 1994). Donc, la qualité de l’eau d’irrigation est un paramètre important à considérer, non seulement dans l’étude de l’impact direct sur les cultures, mais aussi dans celle de l’impact indirect sur les sols. Aussi, et en utilisant les règles d’évaluation proposées par AYERS et WESTCOT (1988), il ressort que l’eau d’irrigation à une concentration ionique qui confère un risque de salinisation élevé et un pouvoir d’alcalinisation faible. En revanche, en tenant compte des faibles teneurs en carbonate et bicarbonate par rapport aux teneurs en calcium, les effets de l’alcalinité de l’eau d’irrigation sont absents puisque le carbonate de Na+ résiduel (RSC) = [(CO32‑ - HCO3) - (Ca2+ + Mg2+)] est inférieur à 1,25. Même si le faciès chimique de l’eau d’irrigation est de type sulfato-calcique et magnésique, le contrôle de l’évolution de la composition de la solution du sol au cours de sa concentration par évaporation provoquerait la précipitation de sels peu solubles, en particulier le gypse. Ce changement de faciès au cours de la concentration provoque une augmentation du SAR. Ce dernier influence la perméabilité en favorisant le gonflement et la dispersion des colloïdes. Ces changements de faciès dus à des précipitations et dissolution des minéraux (calcite, gypse) dans le sol ne sont pas pris en compte dans la formule classique de calcul des volumes de lixiviation de RHOADES (1974) qui surestime la salinisation et sous-estime le SAR (VALLES et al., 1988). La concentration en chlore est supérieure à 10 meq∙L‑1, ce qui est excessif. La concentration en magnésium des eaux est considérée comme un des critères de l’évaluation de la qualité des eaux pour l’irrigation, car la toxicité des ions Mg2+ est plus élevée que celle de Na+ (DAOUD et HALITIM, 1994). On considère que si le rapport Mg2+/Ca2+ excède 3, des effets sur les cultures sont observés.

Le problème crucial auquel sont confrontés les agriculteurs de cette oasis est l’allongement excessif du tour d’eau. En effet, la capacité actuelle du réseau d’irrigation surtout en saison estivale s’avère insuffisante pour satisfaire les besoins en eau des cultures, et le principal moyen de minimiser cette contrainte est : premièrement, la multiplication des forages étatiques pour réduire le déficit hydrique de l’ancienne palmeraie et de détourner une partie de l’eau vers de nouvelles plantations. Deuxièmement, l’amélioration de l’efficience des irrigations à la parcelle qui peut aussi prendre la forme de nouvel investissement permettant l’amélioration des réseaux de distribution existant (éviter les pertes). En outre, comme la vieille palmeraie d’Oumache a été installée à proximité d’une dépression fermée sans exutoire possible où la salure augmente de l’amont vers l’aval, la réhabilitation du système de drainage et d’assainissement doit être effectuée pour évacuer les eaux de drainage. Enfin, l’extension de l’oasis devra prendre en considération l’aspect de gestion préventive et durable en optant pour l’oued Djedi comme un autre exutoire naturel.

4. Conclusion

Cette étude a permis de mettre en évidence les principaux mécanismes géochimiques liés à la précipitation de calcite, gypse, thenardite et halite des eaux d’irrigation à salinité élevée qui caractérisent cette oasis. Pour réduire les effets de la salinité et la durée du tour d’eau pendant la période estivale, les solutions devront d’abord être recherchées dans une augmentation des potentialités hydriques par fonçage de nouveaux points d’eau et aussi par une amélioration de l’efficience des irrigations à la parcelle. Elles pourront aussi prendre la forme de nouveaux investissements permettant d’améliorer les performances du réseau de drainage. Enfin, la création de nouvelles palmeraies devra éviter la sebkha Chemoura comme exutoire (dépression fermée) et d’utiliser le réseau de drainage actuel à faible dénivelée et opter plutôt pour l’oued Djedi comme exutoire naturel ouvert.