Abstracts
Résumé
Dans le cadre du projet ANR « Panacée » nous suivons le fonctionnement d’un Bioréacteur à membrane (BaM) sur le site de l’hôpital Purpan (service d’hématologie, CHU Toulouse). Les objectifs de ce projet se placent sur 3 niveaux: i) l’identification et la quantification de molécules, utilisées dans les traitements des cancers, dans les effluents des services correspondants, ii) la mesure d’effets biologiques (éco/géno/cytotoxiques et perturbateurs endocriniens) de ces effluents, iii) le développement d’un procédé de traitement constitué d’une combinaison de traitements biologiques et physicochimiques. Sont présentés les protocoles d’échantillonnage, les analyses des paramètres physicochimiques et la quantification des molécules pharmaceutiques effectuées sur 125 molécules, permettant de « décrire » la variabilité de l’effluent hospitalier. Du point de vue du traitement, le BaM a été opéré à 40 jours d’âge de boues et l’étude a consisté à évaluer l’effet du temps de séjour hydraulique (TSH), les autres paramètres étant égaux par ailleurs. Deux campagnes de traitement ont été menées pour des TSH = 24 et 48 h. Les différences observées ne sont pas forcément attribuables à la différence de TSH. D’un point de vue hydraulique les performances de filtration obtenues sont satisfaisantes dans les conditions opératoires adoptées (pas de rétrolavage, filtration séquencée). Les performances de traitement en regard des paramètres de qualité d’eau restent conformes aux normes de rejet d’une eau usée traitée. Les analyses chimiques quantitatives montrent des abattements des molécules par le traitement BaM très variables, pouvant aller d’un abattement total, à de la « production » de molécules, plaidant en faveur de phénomènes de déconjugaisons. Sur ces mêmes échantillons, des batteries de tests d’écotoxicité ont été appliquées. Ces tests mettent en évidence un abattement de l’écotoxicité globale. Une conclusion partielle sur la pertinence du traitement est proposée.
Mots-clés :
- Bioréacteur à membrane,
- effluents hospitaliers,
- écotoxicité,
- performances
Abstract
Within the framework of the ANR project "Panacea", we monitored the performance of a Membrane Bioreactor (BaM) in Purpan hospital (hematology department, Toulouse). The three aims of this project were: i) the identification and the quantification of molecules, used in cancer therapies, in the effluents of the corresponding departments; ii) the measure of biological effects (eco- / géno- / cyto-toxic and endocrine disruptors); and iii) the development of a treatment process consisting of a combination of biological and physicochemical treatments. The sampling protocols and the results of the physicochemical analyses are presented, as well as the quantification of 125 pharmaceutical molecules, allowing us to describe the variability of the hospital effluent. From the treatment point of view, the BaM was operated with an effective sludge retention time of 40 days and the study consisted of estimating the effect of the hydraulic residence time (HRT), the other parameters being equal. Two campaigns were carried out for HRT = 24 and 48 h. The observed differences are not necessarily attributable to the different HRTs. From a hydraulic point of view, the observed filtration performances are satisfactory, considering the operating conditions (no back-flushing, sequential filtration). The quality parameters of the treated water meet the discharge standards. The quantitative chemical analyses show very variable removal of the pharmaceutical molecules during the BAM treatment, ranging from total elimination to the "production" of molecules, suggesting the operation of decomplexation phenomena. On the same samples, a battery of ecotoxicity tests was applied. These tests showed a great lowering of the global ecotoxicity. A partial conclusion on the relevance of the BaM treatment is proposed.
Keywords:
- Membrane bioreactor,
- hospital effluent,
- ecotoxicity,
- removal performances
Article body
1. Introduction
Dans le contexte de la présence de molécules médica-menteuses dans les eaux usées, le projet ANR CD2I « Panacée » s’intéresse aux potentialités d’un traitement directement en sortie de l’hôpital. Ainsi, les objectifs de ce projet construit autour du fonctionnement d’un bioréacteur à membrane (BaM) implanté sur le site de l’hôpital Purpan dans le bâtiment où est situé le service d’hématologie du CHU de Toulouse, se placent sur 3 niveaux: i) l’évaluation dans les effluents des services correspondants de la présence de molécules, utilisées pour les traitements des cancers, ii) la mesure d’effets biologiques (éco/géno/cytotoxiques et perturbateurs endocriniens) de ces effluents, iii) le développement d’un procédé de traitement constitué d’une combinaison de traitements biologiques et physico-chimiques (couplage du bioréacteur à membranes et de procédés de filtration tertiaire et/ou adsorption/oxydation). Nous allons présenter ici dans leurs grandes lignes quelques résultats concernant plus particulièrement le fonctionnement du bioréacteur à membranes (BaM).
2. Matériels et méthodes
2.1 Bioréacteur à membrane, dimension et conditions opératoires
Le BaM est constitué d’une cuve de 1 m3 comprenant une zone anaérobie (environ 1/3), le reste du volume étant aéré et brassé par une turbine; le pilote est alimenté par de l’eau prélevée dans la canalisation de sortie d’hôpital au travers d’une crépine à 5 mm, et a été au préalable ensemencé avec des boues d’une station d’épuration (BaM de Nailloux, (31)). Le volume réactionnel dans la cuve bio est ajusté en fonction du temps de séjour hydraulique visé. Le module membranaire de 7,5 m2 de membrane fibres creuses (0,2 µm) est fourni par Polymem et assure un débit de filtration de 30 l/h nominal. La filtration s’effectue de manière séquencée (2 min/2 min). L’aération de la cuve bio a été ajustée au fur et à mesure des essais de façon à assurer une bonne élimination de l’azote. Une aération syncopée (1 min/1 min) en pied de module permet la limitation du colmatage.
Conditions opératoires/campagnes
Les essais ont été menés en 5 campagnes distinctes. Seuls les résultats des campagnes 3, 4 et 5 sont rapportés. La campagne 3 avait pour objectif de passer d’un TSH (temps de séjour hydraulique) de 24 h à TSH = 48 h. La campagne 4 visait à poursuivre les essais à TSH = 48 h, nous sommes revenus à TSH = 24 h pour la campagne 5, au cours de laquelle l’ajustement de l’aération ainsi qu’un ajustement de l’alcalinité (apport de CaCO3) ont permis d’améliorer les éliminations carbonée et azotée.
2.2 Analyses
Prélèvements
Les prélèvements d’eau d’entrée et de perméat sont effectués au moyen d’échantillonneurs automatiques réfrigérés. Les analyses sont effectuées sur des échantillons moyennés sur une semaine. Les prélèvements de boue sont ponctuels.
Paramètres physicochimiques
La Demande Chimique en Oxygène (DCO) et les différentes formes azotées (NH3, NO3, NO2) ont été mesurées par les méthodes standards (Kits commerciaux HACH, spectro Odyssey 2000) pour l’eau d’entrée, le surnageant des boues et le perméat. Les matières en suspension (boues et eau d’entrée) ont été mesurées en suivant la méthode décrite par la norme AFNOR 90-105.
Molécules pharmaceutiques
Un large panel de molécules pharmaceutiques est analysé dans la phase dissoute (filtrée sur 1,2 µm)
Les molécules ciblées par LC-MS/MS sont des antibiotiques, des anti-inflammatoires, des molécules anticancéreuses, des antidépresseurs et des désinfectants. Au préalable de l’analyse, les échantillons sont traités après extraction-concentration sur phase solide (SPE).
Tests d’écotoxicité
À l’issue d’une phase exploratoire les tests suivants ont été retenus: (i) essai d’inhibition de la mobilité des microcrustacés (Daphnia magna , temps d’exposition 48 h, NF EN ISO 6341); (ii) essai d’inhibition de la reproduction des microcrustacés (Ceriodaphnia dubia, temps d’exposition 7 à 8 jours, , NF ISO 20665) et (iii) essai d’inhibition de la croissance des micro-algues d’eau douce (Pseudokirchneriella subcapitata, temps d’exposition 72 h, NF EN ISO 8692).
Les résultats sont exprimés en CE50 de l’effluent ou du perméat (%), c’est-à-dire la concentration qui entraîne 50 % d’effet sur l’organisme considéré et pour le critère d’effet retenu.
3. Résultats et discussion
3.1 Qualification de l’eau d’entrée
Au préalable du lancement des expérimentations, une série d’échantillonnages et d’analyses ponctuels, effectués toutes les heures et tous les jours de la semaine, ont permis une qualification de l’eau d’entrée en terme de débit, de charge en DCO et N, et de matières en suspension (MES) .
3.2 Biomasse
Après ensemencement et ajustement de la purge pour un âge de boues de 40 jours, la biomasse évolue en général vers une stabilité entre 3 et 5 g/l, voir Tableau 1. Ces ordres de grandeur sont relativement faibles en BaM mais attendus au regard de la charge à traiter, laissant aussi supposer une nature d’effluent hors des qualités habituelles.
3.3 Épuration conventionnelle
Le tableau 1 récapitule les performances en épuration conventionnelle au cours des 3 campagnes :
Les résultats d’élimination de la DCO, mais aussi de l’azote sont en accord avec les conditions d’aération. L’ajustement du syncopage de l'aération et la rectification de l’alcalinité ont été des moyens efficaces d’accroître les performances d’épuration. Par ailleurs, il ne semble pas que l’allongement du temps de séjour hydraulique ait un effet notable sur les performances d’épuration conventionnelle.
3.4 Pression transmembranaire
Au cours de la campagne 4, figure 1, l’accroissement moyen de pression transmembranaire est élevé, de l’ordre de 10 à 20 mbar par jour. Il était par conséquent nécessaire d’effectuer des nettoyages chimiques fréquents et souvent difficiles (voir tableau 1), sous peine de voir la pression transmembranaire atteindre l’étape redoutée de prise en masse du faisceau de fibres creuses et une augmentation drastique de la pression (30 novembre et 10 décembre).
A contrario, la campagne 5 présente une évolution beaucoup moins marquée de la pression transmembranaire, de l’ordre de 5 mbar/jour, et aucun emballement de colmatage n’est à noter, permettant des nettoyages chimiques mensuels, relevant plus d’une mesure de prévention que d’une mesure curative.
3.5 Élimination des molécules pharmaceutiques
La figure 3 montre que le traitement est source de diverses actions sur les molécules contenues dans la phase aqueuse de l’effluent : pour les molécules dissoutes, leur taux d’élimination varie de 100 % à des pourcentages très faibles (figure 3, barres bleues). Par ailleurs, nous y observons aussi l’« apparition » de molécules (figure 3, barres rouges), laissant supposer qu‘elles ont été « décomplexées » par le traitement, ou qu’elles sont progressivement accumulées puis relarguées par les boues. D’autres résultats non montrés ici indiquent que les molécules anticancéreuses, attendues comme toxiques, sont difficilement éliminées dans les conditions de cette troisième campagne. Néanmoins, cette troisième campagne présente la caractéristique de ne pas avoir de syncopage de l’aération, limitant par conséquent l’action des bactéries connues pour intervenir dans l’élimination de micropolluants. Les résultats des campagnes 4 et 5 permettent d’apporter des conclusions plus étayées quant à l’action de cette biomasse.
3.6 Abattement de toxicité
Au cours de la campagne 3, il apparait clairement que le traitement mis en oeuvre abaisse la toxicité constatée sur la mobilité de D. magna et la croissance de P. subcapitata, et ce, malgré la présence de médicaments, tel que mentionné dans la figure 3. Seul, le perméat de la semaine 22 a présenté une toxicité résiduelle vis-à-vis des microalgues d’eau douce. De façon générale, ce résultat pose la question de l’origine de la toxicité de ces effluents hospitaliers, qui n’est probablement pas due majoritairement aux médicaments, mais potentiellement à d’autres molécules utilisées massivement, telles que les désinfectants ou les détergents.
Lors de la campagne 4 (TSH 24 à 48 h) l’abattement de la toxicité a été maintenu lors de la mise en régime stationnaire (adaptation des boues). Les résultats obtenus sur les semaines 47, 49 et 50 sont plus nuancés et doivent être reliés aux dysfonctionnements du pilote pendant cette période. L’essai d’inhibition de la reproduction de C. dubia réalisé à la fois sur l’effluent et sur le perméat correspondant a également mis en évidence un abattement de toxicité après le BaM. Toutefois, le critère d’effet mesuré s’est révélé plus sensible que les deux autres indicateurs utilisés et confirme une toxicité résiduelle en sortie de réacteur. Sur les semaines 45 à 49, de fortes quantités de nitrites et d’ammoniaque ont été mesurées dans le perméat, indiquant une épuration non aboutie (80 mg/l NH3). La présence de ces composés à ces teneurs peut expliquer les effets toxiques relevés dans le perméat à cette période. Par la suite, le fonctionnement du pilote a été rétabli sur la semaine 50 et la toxicité à nouveau éliminée, le teneur en ammoniaque revenue à 50 mg/l comme durant les phases d’épuration convenable (avant semaine 42).
Conclusion
Les résultats rapportés ici démontrent, d’une part, que la qualité d’un effluent hospitalier, tel que celui traité en sortie de bâtiment d’oncologie, présente des particularités comme la variabilité horaire des débits et grandeurs physico-chimiques, d’autre part le traitement d’un tel effluent n’est pas trivial et le procédé bioréacteur à membrane présente néanmoins une robustesse qui en font un procédé de choix dans ce contexte. De plus le caractère « écotoxique » de l’effluent semble bien détruit par le BaM, même si des molécules médicamenteuses persistent dans son perméat, justifiant éventuellement un traitement tertiaire selon la destination de l’eau traitée.
Appendices
Remerciements
Ce projet est financé par l’ANR CD2I programme 2010 – PANACÉE