Abstracts
Résumé
La qualité des statistiques des précipitations, notamment les courbes Intensité-Durée-Fréquence, dépend étroitement de la fiabilité des données disponibles. Or, il a été montré que la plupart des séries temporelles provenant de pluviomètres à augets basculants ont une fréquence effective de mesure inférieure à celle assumée. Cette question est particulièrement importante pour l'hydrologie urbaine qui doit prendre en compte les fluctuations hautes fréquences des précipitations. Des études préliminaires ont montré que le nombre d'inondations estimé à l’aide de données à basse fréquence temporelle était plus faible que celui obtenu à l’aide des données à haute fréquence temporelle. Le déficit en données à haute fréquence peut conduire à d’apparentes ruptures des lois d’échelle, ce qui complique inutilement et notoirement la modélisation des précipitations. Il est donc indispensable de quantifier la qualité des données avant de les utiliser. Nous présentons une procédure SERQUAL qui permet de répondre à cette question et nous utilisons cette procédure SERQUAL pour sélectionner les sous-séries ayant les qualités requises pour des analyses à haute résolution. L’approche multifractale est alors appliquée sur les données sélectionnées pour caractériser la structure temporelle et le comportement extrême de la pluie. Cet article présente ainsi une estimation fiable des paramètres multifractaux de la pluie à haute résolution de cinq minutes pour les départements français de l’Isère (38), des Yvelines (78), du Var (83) et du Val-de-Marne (94). Ces paramètres peuvent être utilisés pour caler ou valider des modèles statistiques ou stochastiques. D’autre part, l’évolution des caractéristiques multifractales peut être aussi utilisée pour évaluer des conséquences hydrologiques du changement climatique. Les résultats obtenus montrent que l’influence du changement climatique n’est pas perceptible sur les précipitations pour les périodes étudiées en région Ile-de-France.
Mots-clés :
- analyse multifractale,
- données à haute résolution ,
- hydrologie urbaine,
- séries temporelles,
- changement climatique
Abstract
The quality of rainfall statistics, especially the Intensity-Duration-Frequency curves, closely depends on the reliability of available data. However, it has been shown that most of the time series obtained with tipping bucket rain gauges have a lower measuring frequency than is normally assumed. This question is particularly important for urban hydrology, where it is important to take into account high frequency fluctuations of rainfall. Preliminary studies showed that the estimated number of floods was lower when low time resolution data were used, compared to number of floods obtained with the help of higher time resolution data. The deficit of high frequency data can lead to apparent breaks in the scaling laws, which unnecessarily and notoriously complicate rainfall modelling. It is therefore essential to quantify the quality of data before using them. We present a SERQUAL procedure that enables us to answer this question and we use this procedure to select sub-series having the qualities required for high-resolution analysis. A multifractal approach is then applied to the selected data to characterize the temporal structure and the extreme behaviour of rainfall. In the present paper we present a reliable estimate of the multifractal parameters of the five-minute high resolution rainfall data for the four departments in France. These parameters can be used to calibrate or validate statistical and stochastic models. On the other hand, the evolution of the multifractal characteristics can also be used to evaluate the hydrological consequences of climate change. The obtained results show that the influence of climate change on precipitation is not perceptible for the studied periods in Ile-de-France.
Key-words:
- multifractal analysis,
- high-resolution data,
- high-resolution data,
- time series,
- climate change
Article body
1. Introduction
L'hydrologie, notamment l’hydrologie urbaine, exige des statistiques fiables pour des pas de temps de plus en plus courts et pour des périodes de retour de plus en plus longues. Celles-ci ne peuvent être obtenues qu’à partir de longues séries temporelles à haute résolution (BERNDTSSON et NIEMCZYNOWICZ, 1988; NIEMCZYNOWICZ, 1999; OGDEN et al., 2000). Les exigences concernant les résolutions temporelles et spatiales des données pluviométriques pour l'hydrologie urbaine ont été discutées et quantifiées par SCHILLING (1991) et BERNE et al. (2004). Des études préliminaires (BERGGREN, 2007; OLOFSSON, 2007) ont montré que l’estimation du nombre d'inondations était plus faible pour les données à faible résolution temporelle que pour les données à haute résolution temporelle.
Une difficulté supplémentaire résulte du fait que les méthodes d'enregistrement et/ou d’archivage sont très souvent basées sur l'idée d'une séquence d’épisodes plus ou moins homogènes des intensités de la pluie, et ceci peut introduire une diminution des fluctuations de haute fréquence, donc une diminution de la fréquence effective de mesure dans les données ainsi archivées. Ce défaut non escompté de fluctuations de hautes fréquences peut se manifester par des problèmes de qualité de ces séries (FANKHAUSER, 1997, 1998; LA BARBERA et al., 2002) et fausser certaines estimations en introduisant, par exemple, des fausses ruptures de lois d’échelle. Ces estimations biaisées peuvent avoir des conséquences dramatiques pour l'hydrologie opérationnelle, qui est de plus en plus axée sur les estimations de courtes durées. Afin de ne pas fausser non seulement le calage et la validation des modèles, mais aussi l’utilisation des modèles, la quantification de la qualité des données est donc nécessaire. Nous procédons à cette quantification à l’aide de techniques multifractales. L’application de ces techniques à ce problème fait l’originalité de cet article. Ces techniques permettent en effet de caractériser la hiérarchie des structures de la pluie sur une grande gamme d’échelle, et ainsi de sélectionner de façon robuste les séries ayant des structures jusqu’à la résolution souhaitée pour caler ou valider des modèles et détecter a contrario les structures qui font défaut. De plus, les paramètres multifractaux ainsi déterminés caractérisent aussi les extrêmes de la pluie. L’étude d’évolution de ces paramètres permet donc de détecter les impacts hydrologiques du changement climatique.
2. Base et sélection de données
La première base de données (dénommée « MF-P5 ») correspond à des séries pluviométriques qui ont été mesurées par des pluviographes à augets basculants. Ces données ont été archivées sous la forme d’épisodes considérés comme homogènes et dont la durée est un multiple de cinq minutes. Cette base comprend les 166 séries fournies par Météo-France, dont les stations sont assez uniformément réparties en France. Cependant, leur densité est plus forte dans quelques régions où les cas d’inondation sont particulièrement importants. La durée effective de mesure de ces séries est très inégale, puisqu’elle varie de six ans à 88 ans. Cette base des données est utilisée par le RSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologie pour l’environnement et l’agriculture) pour le calage du modèle hydrologique SHYPRE (Simulation d’HYdrogrammes pour la PREdétermination des crues) à résolution horaire (ARNAUD et LAVABRE, 1999) pour l’estimation des quantiles à haute résolution temporelle.
À cause du problème de la qualité des données et ses conséquences sur le comportement d’invariance d’échelle, une procédure SERQUAL a été développée (HOANG et al., 2012). Cette procédure permet de quantifier la qualité des données et d’extraire d’une base de données des sous-séries ayant les qualités requises. En appliquant cette procédure pour tester la base MF-P5, il a été montré que les séries ont souvent (110 séries parmi 166, soit 66 %) une résolution horaire. Il n’y a que 40 séries (soit 24 %) qui présentent réellement une résolution de cinq minutes. De plus, ces 40 séries n’ont pas forcément cette résolution de cinq minutes sur la totalité des années qui les composent. À l’aide de cette procédure, seules 38 sous-séries parmi 166 séries ont été sélectionnées car ayant la bonne résolution sur leur totalité, dont 15 pour le département de l’Isère (38), 6 pour les Yvelines (78) et 17 pour le Var (83). Ces 38 séries seront utilisées pour les analyses dans la section suivante. L’emplacement de ces départements est présenté sur la figure 1.
La deuxième base de données (dénommée CG-94) comprend les 31 séries fournies par le Conseil Général du Val-de-Marne (94). Toutes les données sont enregistrées sous forme d’épisodes de cinq minutes. Ces séries sont mesurées sur une période commune de 1988 à 2007. Les analyses préliminaires montrent que quatre séries ont un très grand nombre de données manquantes, comme la série CHAM40 (88 % de données manquantes), la série VALE39 (87 %), la série MAI37 (83 %) et la série BONN38 (75 %). Par ailleurs, les années où des données sont manquantes correspondent souvent aux cinq premières années (de 1988 à 1992) sur la plupart des séries.
Donc, afin de normaliser la qualité des données pour la suite de notre étude, les quatre séries mentionnées ci-dessus n’ont pas été prises en compte et, pour les séries restantes, nous n’avons sélectionné que les sous-séries débutant en 1993, soit une durée de chaque série de 15 années (de 1993 à 2007).
3. Structure de la pluie pour les données selectionnées
Dans cette section, nous dégageons les caractéristiques multifractales des données sélectionnées sur les petites échelles qui sont les plus intéressantes à étudier. Le premier paramètre est la dimension fractale (Df ) du support de la pluie qui est déterminée par la méthode du comptage de boîtes (LOVEJOY et al., 1987):
où, N(ℓ) le nombre de boîtes où il pleut à l’échelle ℓ. Pour être plus précis, les boîtes sont définies comme étant des intervalles de temps sur lesquels il pleut. La représentation en diagramme logarithmique du nombre de boîte N(ℓ) en fonction de la taille de boîte ℓ permet de déterminer la valeur de Df. Cette méthode permet de dégager un premier comportement sur l’invariance d’échelle des séries temporelles de pluie.
La figure 2 présente le comportement d’échelle de Log(N(ℓ)) par rapport à Log(ℓ), ce qui correspond à l’équation (1), Ce comportement correspond à la loi de puissance de N(ℓ) à différentes échelles ℓ (qui est un ajustement linéaire dans une représentation log-log). En ce qui concerne les séries de la base de données MF-P5, la figure 2a met en évidence un comportement linéaire pour toute la gamme d’échelle étudiée. Par contre, les séries de la base CG-94 présentent une rupture d’échelle autour d’une semaine (Figure 2b).
La dimension fractale Df est ensuite déterminée à l’aide d’une régression linéaire sur la gamme d’échelle allant de cinq minutes à environ 28 jours pour les séries de la base MF-P5. Les résultats de Df obtenus sont présentés sur la figure 5 (les symboles rouges) qui sera expliquée plus précisément un peu plus loin. La pluie du département 38 est caractérisée par une valeur moyenne de la dimension du support Df de l’ordre de 0,70 ±0,01 pour les échelles de temps allant de cinq minutes à environ 28 jours, alors qu’elle est caractérisée par une valeur moyenne de Df = 0,83 ±0,02 pour le département 78 et Df = 0,80 ±0,03 pour le département 83 (pour toutes les échelles de temps considérées). Ces résultats sont en accord avec ceux de TESSIER et al. (1988), qui ont obtenu une dimension fractale de 0,8 pour des échelles de temps allant d’un jour à 240 jours pour des données très différentes de quelque 8000 stations du réseau de l’OMM (Organisation Météorologique Mondiale), et avec HUBERT et CARBONNEL (1989), qui ont déterminé une dimension proche de 0,8 pour des échelles allant de quelques jours à quelques mois pour deux séries en climat soudano-sahélien. Par ailleurs, ces résultats sont en accord avec le fait que l’augmentation du pourcentage de zéros des précipitations (le pourcentage de zéros des précipitations correspond à la fraction des pas de temps pour lesquels aucune précipitation n’a été enregistrée) réduit la dimension fractale. Le pourcentage de zéros des précipitations pour les séries correspondantes est représenté en diagramme en gris sur la figure 5.
Concernant la base de données CG-94, dont les séries sont mesurées dans le département 94, la dimension fractale du support Df est estimée sur la gamme d’échelle allant de cinq minutes à une semaine. La figure 6 présente les résultats de Df (symboles rouges) correspondant aux séries de cette base de données. Nous avons obtenu une valeur moyenne de Df = 0,5 ±0,01. Cette faible valeur de Df représente une forte intermittence des précipitations du département 94. Cette intermittence correspond au grand pourcentage de zéros des précipitations (le diagramme en gris sur la figure 6).
La figure 3 présente le comportement d’invariance d’échelle qui peut être observé par analyse spectrale (DE LIMA, 1998). L’analyse spectrale est une technique usuelle de traitement et d’analyse du signal temporel, qui est utilisée dans le cadre multifractal comme un test préliminaire de comportement scalant (par ex. dans BERNARDARA et al. (2007)). Le spectre d’énergie S(k), calculé à l’aide d’une transformée de Fourier rapide, a en effet une loi de puissance (qui est linéaire en Log-Log) (KOLMOGOROV, 1941):
où k est la fréquence et β l’exposant du spectre ou pente spectrale. L’invariance d’échelle correspond à la loi de puissance du spectre. Comme illustré par la figure 3a, le comportement d’invariance d’échelle du spectre sur la gamme d’échelle allant de dix minutes à environ un mois est visible pour les séries sélectionnées de la base de données MF-P5. L’exposant du spectre β est ensuite estimé sur cette gamme d’échelle par une régression linéaire. Pour les séries sélectionnées de la base de données CG-94, ce comportement spectral n’est pas évident sur toute la gamme d’échelle allant de dix minutes à environ un mois. L’invariance d’échelle n’est visible que jusqu’à l’échelle d’environ 14 heures, comme par exemple sur la figure 3b, qui présente le comportement spectral pour la série MAIS32. La différence du comportement spectral entre les séries de la base MF-P5 (Figure 3a) et celles de la base CG-94 (Figure 3b) est en conformité avec ce qui a été observé dans les figure 2a et figure 2b. Le paramètre β est donc estimé sur la gamme d’échelle allant de dix minutes à environ 14 heures pour les séries de la base CG-94. En effet, dans le cas de la série MAIS32, l’estimation de β à l’aide d’une régression linéaire sur cette gamme d’échelle allant de dix minutes à environ 14 heures donnerait une estimation de β assez proche de celle estimée sur la gamme d’échelle allant de dix minutes à environ un mois, par exemple β = 0,67 en comparaison à β = 0,65. Les fluctuations du spectre d’énergie deviennent négligeables pour les échelles supérieures à 14 heures.
La valeur de β estimée permet de distinguer si la série en question est conservative (β < 1) ou nonconservative (β > 1). Les symboles en rose sur la figure 5 et sur la figure 6 représentent respectivement les résultats de β pour les bases de données MF-P5 et CG-94. Ces résultats montrent que ces séries sont conservatives. Cela est en accord avec la littérature (TESSIER et al., 1993; TESSIER et al., 1994; DE LIMA, 1998). Par ailleurs, on trouve que les valeurs de β sont assez stables pour chaque département respectif. Une valeur moyenne de β = 0,88 ±0,04 caractérise les séries du département 38, tandis que de valeurs moyennes de β = 0,56 ±0,09, β = 0,96 ±0,03 et β = 0,71 ±0,05 caractérisent celles des départements 8, 83 et 94 respectivement.
Le comportement d’invariance d’échelle peut être montré par différentes techniques d’analyse multifractale. Alors que l'analyse spectrale correspond à une analyse statistique du second ordre, l’analyse du Moment Trace (TM) (SCHERTZER et LOVEJOY, 1987), permet quant à elle d’étudier des moments statistiques sur une gamme d’ordres q.
Dans ce qui suit, nous présentons aussi succinctement que possible ce qu’il est nécessaire de savoir concernant l’analyse multifractale des données étudiées dans cet article. Pour une présentation plus générale des multifractales en hydrologie, nous renvoyons à l’article de revue de SCHERTZER et al. (2010). La figure 4 présente le comportement multifractal correspondant à la loi de puissance des moments statistiques du champ Rλ à différentes résolutions λ (λ = L/d, où L est la plus grande échelle et d est l’échelle étudiée):
Où, <.> désigne la moyenne d’ensemble, Rλ est obtenu en agrégeant la série originale RΛ (Λ est la plus fine résolution ou la plus petite échelle) par un rapport d’échelle Λ/λ. La fonction K(q) est une fonction caractérisant l’invariance d’échelle des moments statistiques d’ordre q. Dans le cadre des multifractales universelles (SCHERTZER et LOVEJOY, 1987), cette fonction s’exprime comme:
Où le paramètre α est l’indice de multifractalité (0 ≤ α ≤2), qui mesure la variabilité de l’intermittence de la pluie (α = 0 s’il pleut toujours de la même façon ou s’il ne pleut pas). C1 est la co-dimension de la pluie moyenne, qui mesure l’intermittence moyenne de la pluie (C1 = 0 si la pluie est homogène ou s’il pleut tout le temps). Ces paramètres sont nécessaires pour caractériser les fonctions d’invariance d’échelle et les propriétés statistiques des processus multifractaux. Les formes paramétriques de ces fonctions peuvent venir des modèles de cascades sachant que leurs paramètres de calage sur les données ont une signification physique. Les paramètres qui sont estimés sont donc plus robustes et fiables sur les données à haute résolution que sur les données à faible résolution pour caler ou valider des modèles.
Une autre technique d’analyse multifractale est l’analyse du Moment Double Trace (DTM) (LAVALLEE et al., 1992; TESSIER et al., 1993), qui est une généralisation de l’analyse TM. C’est une méthode simple pour estimer directement les paramètres multifractaux α et C1. L’analyse DTM est tout d’abord réalisée en élevant la série originale RΛ à des puissances η() on procède ensuite à l’analyse TM sur le champ . L’analyse DTM permet donc de rechercher le comportement d’invariance d’échelle des moments de qui est obtenu en agrégeant par un rapport d’échelle Λ/λ. Dans ce cas, l’équation (3) s’écrit comme:
L’équation (5) permet d’estimer K(q,η), pour chaque valeur fixée de q, correspondant à différentes valeurs de η à l’aide d’une régression linéaire de Log(< Rλ(n)q >) en fonction de Log(λ) sur une gamme de λ (Figure 7b). Pour les processus multifractaux universels (SCHERTZER et LOVEJOY, 1987), l’exposant de la loi d’échelle K(q,η) des moments statistiques satisfait:
La représentation en diagramme doublement logarithmique de K(q,η) en fonction de η permet d’estimer le paramètre α, qui est la pente de la partie linéaire de la courbe obtenue (Figure 7b). Le paramètre C1 peut ensuite se déduire des équations (4) et (6) avec η = 1. Dans la suite, nous présentons les résultats obtenus par les analyses multifractales (TM et DTM) sur les bases de données.
Contrairement aux figure 2 et figure 3, il n’y a plus de différence du comportement multifractal entre la base de données MF-P5 et CG-94 sur la gamme d’échelle d’invariance d’échelle. Comme illustré par la figure 4, le comportement multifractal des moments traces pour les deux bases de données MF-P5 (Figure 4a) et CG-94 (Figure 4b) est assez clair sur la gamme d’échelle allant de cinq minutes à environ un mois. Ce comportement correspond à une loi de puissance correspondant à un ajustement linéaire dans le graphique logarithmique. On trouve le même comportement pour les moments double trace. Les valeurs des paramètres αet C1 sur cette gamme d’échelle (de cinq minutes à environ un mois) sont présentées respectivement par les symboles violets pour α et bleus pour C1 sur les figure 5 et figure 6 pour les bases de données MF-P5 et CG-94. On remarque qu’il y a un pic dans l’estimation du paramètre de α sur certaines séries, par exemple : la série 78orge07 pour le département 78, les séries 83043061 et 83043068 pour le 83 et la série LHAY35 pour le 94, tandis que les valeurs de C1 sont assez stables. Ces pics de α correspondent aux forts extrêmes de pluie pour les séries correspondantes. Les valeurs moyennes de α et C1 pour chaque département ont été estimées. On obtient les résultats suivants: α = 0,78 ±0,07 et C1 = 0,35 ±0,01 pour le département 38, α = 0,97 ±0,09 et C1 = 0,37 ±0,01 pour le 78, α = 0,75 ±0,09 et C1 = 0,38 ±0,01 pour le 83, et α = 0,70 ±0,08 et C1 = 0,44 ±0,01 pour le 94.
En ce qui concerne les estimations publiées des paramètres multifractaux α et C1, plusieurs auteurs (HUBERT et al., 1993; LADOY et al., 1993; TESSIER et al., 1993; TESSIER et al., 1996; DE LIMA et GRASMAN, 1999; LABAT et al., 2002; BIAOU, 2004) ont réalisé des analyses temporelles pour la pluie journalière, et les valeurs obtenues de α varient de 0,4 à 0,9 et celles de C1 de 0,25 à 0,6. Pour la pluie ayant une plus haute résolution, LABAT et al. (2002) ont trouvé α = 0,92 ±0,1 et C1 = 0,19 ±0,1 pour une pluie de 30 minutes, DE LIMA et GRASMAN (1999) ont obtenu α = 0,49 ±0,04 et C1 = 0,51 ±0,02 pour une pluie de 15 minutes. En analysant pour les données de pluie à six minutes, BIAOU (2004) a trouvé α = 0,741 ±0,2 et C1 = 0,428 ±0,1.
Pour avoir une vue d'ensemble des caractéristiques multifractales illustrées par la figure 5 et la figure 6 pour toutes les séries étudiées et en faciliter la lecture, les valeurs moyennes des paramètres pour chaque département sont présentées dans le tableau 1.
4. Comportement extrême et détection du changement climatique
Les événements extrêmes (par exemple, ce sont les intensités extrêmes pour la pluie) sont très importants, non seulement pour la prévision des risques et le dimensionnement des ouvrages, mais aussi pour la gestion de la ressource en eau. L’évolution des extrêmes des séries temporelles de pluie pourrait être détectée par l’évolution de C1 et α. En effet, si les deux paramètres C1 et α croissent, alors les extrêmes (ou les intensités extrêmes de la pluie) croissent et inversement s’ils décroissent tous les deux. Quand C1 et α varient dans le même sens, leurs effets sur les extrêmes se renforcent mutuellement. Cependant, s’ils varient dans des sens opposés, cela conduira à une compensation partielle mutuelle pour les extrêmes et la réponse des extrêmes dépendra de celle des deux variations qui domine. Dans ce cas, la méthode de la singularité maximale probable semble pertinente pour affiner l'analyse des fluctuations extrêmes (SCHERTZER et LOVEJOY, 1992; HUBERT et al., 1993; DOUGLAS et BARROS, 2003; ROYER et al., 2008). Cette singularité gs est celle que l'on peut observer sur un échantillon unique et sa codimension fractale C(γs) est égale à la dimension de l’espace (D) sur lequel le phénomène est observé. Pour une série temporelle, la dimension D est prise égale à 1. Dans ce cas, γs est tiré de la fonction codimension du modèle multifractal universel (SCHERTZER et LOVEJOY, 1987), et s’exprime comme:
La tendance (linéaire) de l’évolution temporelle de γs peut être estimée par la pente de la régression linéaire des γs par rapport au temps. Une valeur positive de cette pente représentera une tendance à l’augmentation des extrêmes, et inversement à une tendance à la diminution de ceux-ci pour une pente négative. Ceci permet d’évaluer le risque d’impacts hydrologiques du changement climatique.
Afin d’étudier le changement climatique dans la région d’Ile-de-France, on a recherché l’évolution de C1, α et γs en fonction du temps sur les séries sélectionnées du département des Yvelines (78) et du Val-de-Marne (94). Chacune des séries est divisée en tranches d’environs un an (213 * 12 valeurs de cinq minutes, soit environ 341 jours), sur lesquelles on a appliqué la méthode DTM pour déterminer les paramètres C1 et α. Chacune de ces années est considérée comme une réalisation indépendante.
Les résultats obtenus sur toutes les séries sélectionnées montrent que les évolutions de α sont en général moins stables et ont des fluctuations d'échantillonnage plus fortes que celles de C1. Cela signifie que l’intermittence moyenne de la pluie est plutôt stable tandis que la multifractalité des précipitations (e.g. la variabilité des régimes) est plutôt fluctuante en fonction du temps.
La figure 8 présente l’évolution des paramètres d’une des séries du département des Yvelines (78) pour la période de 1972 à 2002. α décroît assez sensiblement tandis que C1 reste assez stable. Il y a par conséquent une très légère baisse de γs (avec une valeur négative de la pente de -0,0018). L’évolution des extrêmes de la pluie sur cette période a donc une légère tendance à la décroissance.
Par contre, l’évolution de γs sur les séries du département 94 présente un léger accroissement pour la période de 1993 à 2008. Par exemple, pour la série ORLY20 (Figure 9), l’augmentation de γs est caractérisée par une pente de 0,0045. On peut constater que l’évolution de γs est un peu influencée par celle de α, mais suit plutôt la tendance de C1. Parmi les 27 stations étudiées dans ce département, 24 stations présentent un accroissement, bien que faible, de γs. Tenant compte des fluctuations d’échantillonnage mentionnées précédemment, des travaux ultérieurs seront nécessaires pour mieux cerner la signification statistique de ces faibles accroissements. Cependant, il ne faut pas sous-estimer les conséquences d’une faible augmentation d’un exposant tel que γs : il peut avoir en effet des conséquences importantes du seul fait qu’il intervient en tant qu’exposant sur un rapport d’échelle qui peut être conséquent.
5. Conclusions
Dans ce travail, en analysant des séries de pluie sélectionnées à l’aide de la procédure SERQUAL, et qui sont donc de bonne qualité, des comportements de loi d’échelle (loi de puissance) ont été mis en évidence pour des périodes allant de cinq minutes à environ un mois. Les valeurs des paramètres multifractaux ont été déterminées sur cette gamme d’échelles, avec en particulier une première détermination des paramètres multifractaux de la pluie à la résolution de cinq minutes pour les départements français de l’Isère (38), des Yvelines (78), du Var (83) et du Val-de-Marne (94). Ces paramètres caractérisent la structure de la pluie et permettent de caler ou de valider des modèles statistiques ou stochastiques à haute résolution temporelle.
L’étude de l’évolution de ces paramètres multifractaux permet d’anticiper les impacts hydrologiques du changement climatique. Les résultats obtenus montrent qu’il y a une faible augmentation de l’exposant pilotant les extrêmes de la pluie pour les séries du département du Val-de-Marne (94) sur la période de 1993 à 2008, et au contraire une faible diminution de cet exposant pour les séries du département des Yvelines (78) sur la période allant de 1972 à 2002. Du fait que ces variations sont faibles, on pourrait être tenté de conclure qu’il n’y a pas d’influence perceptible du changement climatique sur les précipitations en région Ile-de-France pour les périodes étudiées. Bien qu’il faille conforter ces faibles variations par des travaux ultérieurs, il ne faut cependant pas sous-estimer les conséquences de telles variations de cet exposant qui peuvent être indicatrices de changements pour les grandes périodes de retour.
Appendices
Remerciements
Les auteurs remercient le Réseau Francilien du Développement Soutenable (R2DS), le projet GARP-3C et le projet européen SMARTeST pour leur soutien financier, ainsi que Météo-France et le Conseil Général du département du Val-de-Marne pour leur avoir facilité l’accès aux données.
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