Abstracts
Résumé
La contamination bactériologique des eaux de surface en milieu agricole préoccupe les intervenants des secteurs agricole et de la santé publique au Canada. Afin de connaître l’influence de l’agriculture sur cette contamination, un suivi des coliformes fécaux (CF) a été réalisé dans 16 cours d’eau au Québec méridional. Ces cours d’eau drainent des sous-bassins versants de 15 à 100 km2 qui comportent une large gamme de densité animale (10 à 520 unités animales•km-2) et supportent une agriculture surtout intensive. Le suivi des CF aux deux semaines pendant trois ans a montré que leur concentration dans les cours d’eau augmente avec la densité animale dans les sous-bassins versants. Des relations développées par régression permettent d’évaluer l’influence des élevages d’animaux et des humains sur les CF mesurés dans les cours d’eau de sous-bassins versants comparables. L’étude a aussi montré l’influence des sources de CF en amont immédiat des stations d’échantillonnage. Ces sources de contamination contribuent à augmenter les valeurs médianes de CF de 3 à 20 fois en saison estivale (mai à octobre) et jusqu’à plus de 100 fois en saison hivernale (novembre à avril). Les relations présentées constituent des outils d’aide à la gestion du risque de contamination bactériologique. Ces outils comportent toutefois plusieurs limites à l’heure actuelle. Ils pourraient être améliorés et complétés en prenant en compte d’autres paramètres.
Mots-clés :
- Coliformes fécaux,
- élevage,
- densité animale,
- densité humaine,
- qualité de l’eau,
- sous-bassins versants agricoles,
- régression
Mots-clés :
- Fecal coliform,
- livestock and poultry,
- animal density,
- human density,
- water quality,
- agricultural subwatersheds,
- regression
Abstract
Bacterial contamination of surface waters in agricultural territories is a concern for the agricultural and public health sectors in Canada. In order to assess the influence of agriculture on this type of contamination, fecal coliforms (FC) were analyzed in water samples collected in 16 watercourses located in the southern part of the province of Quebec. Their subwatersheds cover surface areas of 15 to 100 km2 and a large range of animal densities (10 to 520 animal units•km-2) and host a mainly intensive agriculture. Fecal coliform measurements obtained bi-weekly over three years show that concentrations in watercourses increase with animal density in the subwatersheds. Regression analyses have allowed the assessment of animal husbandry and human influence on FC counts in watercourses with comparable subwatersheds. The study also shows that FC point sources located immediately upstream from the sampling stations may increase the FC median values from 3- to 20-fold during summer (May to October) and up to more than 100-fold during winter (November to April). Regression equations are provided as tools to assist bacterial contamination risk management. However, these tools have many limits: they could be improved and completed in taking into account other parameters.
Article body
1. Introduction
La contamination bactériologique des eaux de surface utilisées pour l’approvisionnement en eau potable, la baignade, la pêche et l’irrigation des cultures constitue une préoccupation majeure de santé publique au Canada. L’agriculture comporte un risque comme le montre l’épisode de Walkerton en mai 2000 où l’infiltration, dans un puits, d’eau contaminée par du fumier de bétail contenant Escherichia coli (E. coli) O157:H7 et Campylobacter a causé des décès (Clarket al., 2003). Le potentiel zoonotique d’autres bactéries comme Salmonella et Yersinia et la résistance croissante des bactéries aux antibiotiques administrés aux animaux de ferme accentuent ce risque (BAPE, 2003; Bicudo et Goyal, 2003).
La connaissance de la nature et de l’origine des bactéries dans l’eau est importante pour évaluer les risques relatifs à la santé et identifier les mesures à prendre. Des méthodes comme celles utilisant la réaction de la polymérase en chaîne, souvent désignée par son abréviation anglaise PCR (polymerase chain reaction), sont utiles à cette fin (Konet al., 2009), mais coûteuses (SBSC, 1992), et requièrent un personnel spécialisé (Payment et Pintar, 2006). Ceci limite le remplacement des indicateurs traditionnels de la présence possible de bactéries pathogènes d’origine fécale comme E. coli et les coliformes fécaux (CF), aussi appelés coliformes thermotolérants, par des indicateurs plus spécifiques.
Au Québec, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) utilise les CF comme indicateur pour l’eau des rivières depuis trente ans compte tenu du faible coût, de la rapidité d’analyse et de l’existence de critères de qualité pour divers usages (MDDEP, 2009a; CCME, 2005). Des niveaux élevés de CF ont été mesurés dans des rivières drainant des territoires agricoles et urbains au Québec (MDDEP, 2002; Gangbazo et Painchaud, 1999). Cependant, les petits tributaires, qui peuvent avoir un impact important sur les rivières et les lacs qu’ils alimentent (Konet al., 2009), ont été peu étudiés compte tenu de leur grand nombre et des ressources requises pour le suivi de la qualité de l’eau.
Des outils déterministes permettent de modéliser sur une base journalière les CF des sources urbaines et agricoles dans les rivières et leurs tributaires, comme le logiciel GIBSI (Gestion Intégrée des Bassins versants à l’aide d’un Système Informatisé) dans le bassin versant de la rivière Chaudière (Rogel, 2007). Cependant, l’importance de l’infrastructure requise pour leur fonctionnement limite leur potentiel d’utilisation. Des régressions statistiques entre la qualité de l’eau des rivières et l’occupation du territoire ont aussi été établies au Québec, mais seulement pour les éléments nutritifs et les matières en suspension (Gangbazo, 2000). D’autres études, hors Québec, ont lié les CF aux variables agricoles et humaines d’utilisation du territoire (Kayet al., 2008; Meals, 1992; Wickhamet al., 2006), mais le caractère trop général des variables retenues comme le pourcentage du territoire en agriculture et le nombre de bâtiments d’élevage ou la gamme trop faible des valeurs des variables ont conduit à des résultats inconstants. L’approche statistique présente toutefois un potentiel à explorer compte tenu de sa simplicité.
Le développement d’un outil convivial permettant d’évaluer l’influence des activités agricoles sur la contamination des cours d’eau à l’aide d’indicateurs simples comme les CF aiderait à gérer les risques bactériologiques. Les CF dans les cours d’eau en milieu agricole pourraient être modélisés adéquatement par régression à l’aide de variables simples liées aux principales sources de contamination, comme la densité animale (DA) et la densité humaine (DH), en choisissant des petits sous-bassins versants qui permettent de couvrir une large gamme de valeurs de ces variables.
L’objectif de la présente étude est de décrire l’influence de l’agriculture, surtout intensive, sur le niveau de contamination bactériologique des cours d’eau au Québec méridional, à l’aide des résultats du suivi des CF des cours d’eau drainant de petits bassins versants comportant différentes densités d’élevage et de population, et de proposer des outils simples de prévision des niveaux de CF basés sur des relations constituées d’indicateurs disponibles comme la DA et la DH.
2. Matériel et méthodes
2.1 Stations d’échantillonnage et occupation du territoire
Seize stations, situées dans la partie méridionale du Québec délimitée par les provinces naturelles des Basses-terres du Saint-Laurent et des Appalaches, ont été retenues pour cette étude (Figure 1). La plupart sont localisées dans les secteurs agricoles drainés par des rivières dont la qualité de l’eau est dégradée, afin de mieux documenter cette problématique. Elles drainent des sous-bassins versants non imbriqués les uns dans les autres, de superficie comprise entre 15 et 100 km2 et présentant une large gamme de DA (10 à 520 UA•km-2) et de DH (9 à 86 habitants•km-2). Leur sélection s’est faite de façon à représenter différents types d’agriculture, surtout intensive, ainsi que sur la base d’autres considérations pratiques comme la présence d’un site propice à la mesure des débits ou d’une problématique liée à l’eau. Ce choix entraîne une représentation plus importante des sous-bassins comportant une DA élevée.
Les stations nos 1 à 10, dont les sous-bassins présentent une gamme de DH restreinte (9 à 51 habitants•km-2) et représentative du territoire rural, ont été retenues pour établir les relations entre la concentration de CF ou le pourcentage de dépassement des critères de qualité de l’eau et la DA. La station no 11, en raison de la DH élevée (86 habitants•km-2) de son sous-bassin, a été retenue uniquement pour établir les relations reliant la DA, la DH et les CF. Cette stratégie permet d’obtenir des modèles à une variable explicative (DA) basés sur dix stations, dont l’augmentation approximative de l’erreur due à l’estimation des coefficients de régression, selon la relation proposée par Sawyer (1982), est inférieure à 15 %, comparativement à près de 20 % pour les modèles à deux variables explicatives (DA, DH) obtenus à l’aide de onze stations. Quatre des sous-bassins retenus (nos 2, 4, 9 et 11) reçoivent un rejet d’eaux usées municipales dont le traitement permet une élimination significative des CF, notamment en période estivale.
Les stations nos 12 à 16, non retenues pour l’établissement des relations afin d’éviter de confondre l’influence de sources de contamination particulières présentes dans leur sous-bassin avec l’effet des variables étudiées, ont servi à quantifier l’influence de ces sources. Dans le sous-bassin no 12, la composante urbaine exerce une influence en raison de l’importance du territoire qu’elle occupe (environ 20 %) et de la présence potentielle de mauvais raccordements de réseaux d’égout. La présence de rejets de résidences isolées à moins de 200 mètres en amont des stations nos 13 et 14, d’un groupement de près de dix habitations (chalets, maisons de villégiature, roulottes, logements) construits avant 1981 dans un rayon de 300 mètres en amont de la station no 15 et d’un rejet non traité d’eaux usées d’une municipalité dans le sous-bassin de la station no 16, influencent les valeurs de CF qui y sont mesurées.
Les DA des élevages des sous-bassins versants ont été obtenues à partir des données par municipalité du recensement de Statistique Canada effectué en 2001. La répartition par sous-bassin des données à l’échelle municipale s’est faite à partir de la proportion des animaux dans le sous-bassin établie à l’aide des données des visites des lieux d’élevage réalisées par le MDDEP à compter de 2003 et répertoriées dans son Système d’aide à la gestion des opérations (SAGO). Les DH ont été calculées pour l’année 2001, à partir des populations par municipalité du ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM, 2001) et de la Base de données topographiques du Québec (BDTQ) du ministère des Ressources naturelles et de la Faune, en attribuant au sous-bassin versant la population municipale en proportion du nombre d’habitations dans celui-ci.
2.2 Échantillonnage et analyses bactériologiques
Les échantillons d’eau pour l’analyse des CF ont été prélevés à une fréquence d’une fois par deux semaines au cours de la période de mai 2000 à avril 2003, sauf à cinq stations (nos 3, 8, 9, 10 et 15) où la période a été décalée ou allongée d’une année ou deux pour remplacer des données manquantes. Le nombre total d’analyses de CF a varié, selon les stations, de 31 à 37 en saison estivale (mai à octobre) et de 23 à 33 en saison hivernale (novembre à avril).
Le prélèvement des échantillons était réalisé à partir d’un ponceau au centre de chaque cours d’eau, près de la surface, à l’aide d’une bouteille stérilisée de 250 mL fixée à un échantillonneur lesté. Il se faisait à la main, à gué, lorsque le niveau de l’eau ne permettait pas d’utiliser l’échantillonneur. Le remplissage des bouteilles se faisait jusqu’à l’épaulement afin de laisser un espace d’air pour l’homogénéisation de l’échantillon avant l’analyse. Les échantillons étaient ensuite conservés à 4 °C jusqu’à leur arrivée au Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec (CEAEQ) pour être analysés dans un délai ne dépassant pas 48 heures après l’échantillonnage.
Les analyses de CF ont été faites par filtration sur membrane de volumes de 50, 10 et 1 mL avec incubation sur milieu m-FC pendant 24 heures à 44,5 ºC (APHA, 1998; CEAEQ, 2003). La gamme de valeurs mesurables par cette méthode avec les volumes analysés se situait entre 2 et 6 000 unités formatrices de colonies (UFC) par 100 mL. Les résultats d’analyse ont été validés et intégrés dans la Banque de données sur la qualité du milieu aquatique (BQMA) de la Direction du suivi de l’état de l’environnement du MDDEP.
2.3 Traitement statistique des données
Des analyses de régressions linéaires ont été réalisées à l’aide du logiciel SigmaStat pour Windows Version 3.10 de Systat Software, Inc. pour déterminer les relations entre les concentrations de CF (centiles 20, 50 et 80) dans les cours d’eau et les variables explicatives (DA, DH). Une transformation logarithmique naturelle (ln) des centiles de CF a été faite pour assurer le respect des hypothèses de la régression linéaire (linéarité, normalité et indépendance des résidus, homogénéité de la variance des résidus) et éliminer l’influence indue de certaines données sur les relations recherchées. Le coefficient de détermination (R2) a permis de vérifier la qualité de l’ajustement des relations et le test F, leur niveau de signification (P). Le rapport entre les statistiques PRESS (somme des carrés des résidus pour chaque observation, calculés à l’aide d’un modèle sans cette observation) et SSTotal (somme des carrés totaux) obtenue du logiciel SigmaStat soustrait de un (1-PRESS/SSTotal) a fourni un coefficient de capacité prédictive des relations par validation interne (Q2INT) qui permet de vérifier leur robustesse. Un Q2INT supérieur à 0,5 est une condition minimale nécessaire pour avoir une relation avec une capacité prédictive. Une validation externe, c’est-à-dire à l’aide de stations n’ayant pas servi à son développement, est de plus requise pour confirmer la capacité prédictive d’une relation dans d’autres sous-bassins.
Le test W de Shapiro et Wilk (1965), recommandé pour les échantillons de petite taille, a été retenu pour vérifier la normalité des résidus des régressions linéaires. Pour la vérification des autres hypothèses, les résultats graphiques et les tests inclus dans le logiciel SigmaStat (corrélation de Spearman entre les résidus en valeur absolue et la variable explicative pour la constance de la variance, test de Durbin-Watson pour l’absence d’autocorrélation) ont été utilisés. Tous les tests d’hypothèse ont été faits avec un seuil de 5 %. Les tests disponibles dans le logiciel SigmaStat ont aussi été utilisés pour vérifier l’absence de valeurs influentes (distance de Cook, Levier et DFFITS) et identifier les variables significatives (test t). L’examen visuel des points sur graphique et le test des résidus studentisés externes (RSE) (désigné en anglais par le terme Studentized Deleted Residuals), obtenus avec le logiciel SigmaStat, ont aussi été utilisés pour s’assurer que les points retenus pour établir les relations faisaient tous partie de la même population statistique. Un seuil de 1 % bilatéral a été utilisé pour le test des RSE.
Des régressions linéaires multiples entre ln(CF) et les variables indépendantes DA et DH ont été effectuées pour identifier les variables significatives au seuil de 10 %, à retenir dans le modèle, et vérifier l’absence de colinéarité ainsi que le respect des autres hypothèses de la relation obtenue. La contribution de chaque variable significative à l’explication de la variance de ln(CF) a été calculée selon la méthode décrite par Borcard (2009) et Scherrer (1984).
Les relations ont été construites à l’aide des médianes estivales et hivernales basées sur les données de CF de trois années confondues. Les médianes ont aussi été calculées pour chacune des trois années afin de valider, à l’aide de données répétées, les résultats des tests d’hypothèse, notamment l’indépendance spatiale, ainsi que l’homogénéité des relations pour le Québec méridional.
Des analyses de régression logistique ont également été réalisées avec le logiciel SigmaStat pour établir les relations entre le pourcentage des résultats de CF dépassant les critères de qualité de l’eau et la DA. Une valeur de un a été attribuée aux résultats dépassant le critère et une valeur de zéro à ceux respectant le critère. Le test de Wald a permis de vérifier la pertinence des variables du modèle alors que la probabilité du test de Hosmer-Lemeshow (PHL) a été retenue pour déterminer la qualité globale de la calibration des relations obtenues, c’est-à-dire l’adéquation entre les résultats modélisés et observés. Une valeur de PHL supérieure à 5 % est généralement utilisée pour considérer un modèle adéquat. L’aire sous la courbe ROC « Reveiver Operating Characteristic » (AROC) a aussi été calculée, avec le logiciel TANAGRA (Rakotomalala, 2005), afin de vérifier la puissance des relations logistiques obtenues pour discriminer les cas dépassant le critère de qualité de l’eau de ceux respectant le critère. Une valeur de AROC égale à 1 indique un modèle parfaitement discriminant et une valeur de 0,5 un modèle sans capacité de prévision. Le pouvoir discriminant des relations est important pour leur utilisation à des fins de diagnostic alors que la qualité de la calibration doit aussi être considérée dans une optique de prévision (Cook, 2008).
3. Résultats
Les concentrations médianes annuelles de CF pour la période de mai 2000 à avril 2003 varient, selon les stations, de 50 à 5 300 UFC•100 mL-1 dans les seize sous-bassins étudiés alors qu’elles varient de 100 à 4 750 UFC•100 mL-1 en saison estivale (mai à octobre) et de 18 à 6 000 UFC•100 mL-1 en saison hivernale (novembre à avril). Les centiles annuels 20 et 80 varient respectivement de 7 à 900 et de 170 à 6 000 UFC•100 mL-1. Les pourcentages de dépassement des critères de qualité de l’eau du MDDEP (2009a) en saison estivale varient, selon les stations, entre 33 et 97 % pour les activités de contact primaire comme la baignade (200 UFC•100 mL-1) et entre 3 et 85 % pour les activités de contact secondaire comme la pêche (1 000 UFC•100 mL-1). Pour l’irrigation des cultures, les dépassements du critère du CCME (2005) (100 UFC•100 mL-1) varient entre 49 et 100 %. Plus de 90 % des concentrations estivales de CF excèdent la valeur de 10 UFC•100 mL-1, jugée problématique pour l’abreuvement du bétail adulte (Fournier, 1999; USDA 2009), aux 16 stations.
De façon générale, les concentrations ou fréquences de dépassement des critères de qualité de l’eau des CF sont plus élevées dans les sous-bassins supportant les plus fortes DA ou DH ou comportant des rejets d’eaux usées en amont immédiat des stations d’échantillonnage.
3.1 Relations avec la densité animale
Des régressions linéaires simples ont été réalisées entre le logarithme des concentrations de CF et la DA à partir des données des sous-bassins 1 à 10, dont la DH se situe de 9 à 51 habitants•km-2, afin d’établir les relations entre ces deux variables. Dans le cas des données annuelles de CF, les concentrations correspondant aux centiles 20, 50 (médiane) et 80 ont été retenues pour illustrer globalement la variabilité des données. Pour les données estivales et hivernales, seules les médianes ont été retenues afin de mettre en évidence l’effet des saisons. Des régressions logistiques ont également été réalisées pour établir les relations entre le dépassement de critères de qualité de l’eau en saison estivale et la DA.
3.1.1 Régressions linéaires simples
Une relation significative (P < 0,005) a été obtenue entre la concentration médiane annuelle de CF (transformée en logarithme) pour la période de 2000 à 2003 et la DA. Une relation significative (P < 0,05) est également obtenue avec les centiles 20 et 80. La DA explique les deux tiers (R2 = 0,66) de la variance des concentrations médianes de CF. Elle explique environ les trois quarts (R2 = 0,77) et moins de la moitié (R2 = 0,42) de la variance des concentrations correspondant aux centiles 80 et 20 respectivement (Figure 2). La relation obtenue avec le centile 80 possède un pouvoir prédictif interne acceptable (Q2INT = 0,69), ce qui n’est pas le cas pour celles obtenues avec la médiane annuelle (Q2INT = 0,49) et le centile 20 (Q2INT = -0,21).
Les saisons constituent un des éléments qui expliquent la variance des concentrations de CF. La figure 3 présente une relation très significative (P < 0,0005) entre les concentrations médianes estivales (mai à octobre) de CF et la DA. Cette relation explique un pourcentage de la variance de la concentration médiane de CF plus élevé (R2 = 0,86) qu’en utilisant les données annuelles sans distinguer les saisons. Elle possède aussi un bon pouvoir prédictif interne (Q2INT = 0,81). La relation entre les CF et la DA pour la saison hivernale (novembre à avril), par contre, est peu significative (0,10 > P > 0,05) et explique moins de la moitié de la variance (R2 = 0,32). Elle ne possède pas de pouvoir prédictif (Q2INT = -0,52).
La DH, dans la gamme des sous-bassins 1 à 10 (9 à 51 habitants•km-2), n’est pas une variable significative (P > 0,1) pour expliquer les centiles 50 et 80 annuels ou la médiane estivale de CF et n’a donc pas été retenue dans les modèles à une variable explicative.
La figure 3 montre également l’influence des rejets de résidences isolées ou de la présence de chalets en amont immédiat des stations des sous-bassins 14, 15 et du rejet municipal d’eaux usées non traitées dans le sous-bassin de la station 16, dont les médianes estivales de CF sont respectivement 18, 6 et 4 fois plus élevées que la relation représentant les stations non influencées. La forte intensité d’accès des animaux au cours d’eau peut aussi contribuer aux valeurs de CF élevées observées à la station du sous-bassin 14, ce qui n’est pas le cas pour les deux autres sous-bassins, où l’accès du bétail au cours d’eau est pratiquement absent. La présence d’un groupe de chalets ou maisons de villégiature construites avant 1981 en amont immédiat de la station du sous-bassin 15 peut contribuer aux valeurs élevées observées en saison estivale en raison notamment de l’âge des installations septiques. La figure 3 illustre aussi l’influence des DH plus élevées (71 à 86 habitants•km-2) aux stations 11 à 13, ainsi que l’influence d’une composante urbaine importante dans le sous-bassin versant de la station 12 et d’un rejet de résidences isolées à proximité de la station 13.
3.1.2 Régressions logistiques
La relation la plus adéquate entre le pourcentage de dépassement des critères de qualité de l’eau en saison estivale et la DA (PHL = 0,058) a été obtenue avec le critère du MDDEP (2009a) pour les activités de contact secondaire comme la pêche (1 000 UFC•100 mL-1). Cette relation possède aussi le meilleur pouvoir discriminant (AROC = 0,79). La relation obtenue avec le critère du MDDEP (2009a) pour les activités de contact primaire comme la baignade (200 UFC•100 mL-1) est moins adéquate (PHL = 0,013) et possède un moins bon pouvoir discriminant (AROC = 0,69). La relation obtenue avec le critère du CCME (2005) pour l’irrigation des cultures (100 UFC•100 mL-1) est la moins adéquate (PHL = 0,006) et la moins discriminante (AROC = 0,63). Pour les trois relations obtenues (Figure 4), le test de Wald montre que la DA est une variable explicative très significative (P < 0,0001). Par contre, la DH n’est pas une variable significative (P > 0,1) dans la gamme des sous-bassins 1 à 10 (9 à 51 habitants•km-2) et n’a pas été retenue dans les modèles.
3.2 Relations incluant la densité humaine
Des régressions linéaires multiples ont été réalisées entre le logarithme des concentrations médianes estivales et hivernales de CF, la DA et la DH à partir des données des sous-bassins 1 à 11 pour établir les relations entre ces variables.
Une relation très significative (P < 0,0005) entre la DA, la DH et la concentration médiane estivale de CF (transformée en log) est obtenue pour la période de 2000 à 2003 (Équation 1). Cette relation permet d’expliquer plus des trois quarts de la variance (R2 = 0,86) des concentrations médianes de CF et son test de signification présente une puissance élevée (99 % avec α = 0,05). Elle possède de plus un bon pouvoir prédictif interne (Q2INT = 0,73).
où CFmédiane été représente la concentration médiane estivale (mai à octobre) modélisée de CF (UFC•100 mL-1), DA la densité animale des élevages dans le bassin versant exprimée en unités animales (UA) par km2 et DH la densité humaine dans le bassin versant en habitants par km2. La variable DA est très significative (P < 0,0005) et contribue à expliquer 84 % de la variance des concentrations médianes de CF alors que la variable DH est significative seulement au seuil de 10 % (P = 0,063) et ne contribue à expliquer que 2 % de la variance.
Une relation significative (P < 0,05) entre la DA, la DH et la concentration médiane de CF est également obtenue en hiver (novembre à avril) pour la période de 2000 à 2003 (Équation 2). Cette relation permet d’expliquer plus des deux tiers de la variance (R2 = 0,68) des concentrations médianes de CF et son test de signification présente une puissance élevée (91 % avec α = 0,05). Elle possède un faible pouvoir prédictif interne (Q2INT = 0,27). Les variables DA et DH sont toutes deux significatives au seuil de 5 % (P < 0,05) et contribuent à expliquer respectivement 24 % et 44 % de la variance des concentrations médianes de CF.
La contribution plus importante de la DA en été et de la DH en hiver à l’explication de la variance de ln(CF) est confirmée par une valeur plus élevée du coefficient de corrélation de Pearson et de la statistique t de Student. Les résultats des tests d’hypothèse sont également confirmés par les analyses complémentaires réalisées à l’aide des médianes calculées pour chacune des trois années (mesures répétées), et acceptent les variables DA et DH dans les relations 1 et 2, au seuil de 1 %. De plus, les valeurs de distance de Cook sont toutes inférieures à un, ce qui suggère l’absence de stations influentes sur les estimés des modèles.
L’absence de corrélation entre les variables explicatives significatives DA et DH permet d’utiliser les équations 1 et 2 pour établir leur influence respective sur la concentration médiane de CF. Ainsi, le rapport entre les coefficients de DA et de DH dans les équations 1 et 2 montre que la contribution par habitant équivaut à celle de 2,2 unités animales en saison estivale et à celle de 8,8 unités animales en saison hivernale.
Une comparaison des valeurs mesurées aux stations des sous-bassins 13 à 15 à celles prévisibles obtenues des équations 1 et 2 montre que l’influence des sources de CF en amont immédiat de ces stations d’échantillonnage contribue à augmenter les valeurs médianes de l’ordre de 3 à 20 fois en saison estivale et jusqu’à plus de 100 fois en saison hivernale et que leur enlèvement réduirait de plus de 35 % les concentrations médianes de CF. Elle montre aussi l’importance des superficies urbaines du sous-bassin 12 et du rejet d’eaux usées municipales non traitées dans le sous-bassin 16, qui contribuent à augmenter les médianes de CF de l’ordre de 3 à 25 fois.
4. Discussion
Les concentrations de CF de 102 à 103 UFC•100 mL-1 mesurées aux stations 1 à 16 sont comparables aux valeurs mesurées dans d’autres études en Ontario et aux États-Unis pour des bassins versants de moins de 100 km2 avec une DA de 15 à 360 UA•km-2 (Graveset al., 2007; Meals, 1992; Patniet al., 1985). Les CF mesurés à ces stations peuvent provenir des déjections des animaux d’élevage, des humains et de la faune dont le contenu typique en CF varie de 106 à 1010 UFC•100 mL-1 (ASAE, 1998; Coxet al., 2005; MDDEP, 2009b). Des sources de CF d’origine non fécale existent également, comme Klebsiella dans les rejets de papetières, absents des sous-bassins versants de la présente étude, ainsi que Enterobacter et Citrobacter (SBSC, 1992) et des souches de E. coli adaptées à l’environnement (Konet al., 2009).
4.1 Relations avec la densité animale
L’utilisation de stations non influencées par un rejet en amont immédiat du point d’échantillonnage, drainant des sous-bassins de superficie restreinte comportant une large gamme de DA et de faibles valeurs de DH, a facilité l’obtention de relations significatives avec la DA expliquant un pourcentage élevé de la variance des CF (Figures 2 et 3). La puissance du test de signification des relations obtenues suggère que le nombre de dix stations retenues pour lier la DA et les CF convient, en utilisant les méthodes statistiques appropriées, dans le cas du centile 80 annuel et des médianes annuelle et estivale. La sélection des sous-bassins, orientés sur l’agriculture surtout intensive, a pu également contribuer au pourcentage élevé de la variance expliquée par la DA.
Les CF dans les cours d’eau augmentent avec la DA parce que les déjections d’animaux d’élevage contaminent l’eau de ruissellement et de drainage souterrain qui les alimente. Cette contamination se produit suite au dépôt des déjections au pâturage, dans les enclos d’élevage extérieurs, en amas au champ ou près des bâtiments ainsi que suite à leur épandage sur des terres en culture (BallCoelhoet al., 2007; Khaleelet al., 1980). Elle se produit aussi lors de l’excrétion de déjections dans le cours d’eau par les animaux qui y ont accès. Les valeurs élevées de CF observées en saison estivale à la station du sous-bassin 14, qui comporte la plus forte intensité d’accès des animaux au cours d’eau, ainsi que la médiane estivale de 6 000 UFC•100 mL-1, dix fois supérieure à celle d’un ruisseau voisin clôturé, mesurée par Rosillonet al. (2005) dans un ruisseau où le bétail avait libre accès, montrent l’effet néfaste de cette pratique.
Au Québec, la majorité des élevages porcins, de bovins laitiers et de volailles et une plus faible proportion d’autres élevages se font à l’intérieur d’un bâtiment toute l’année avec entreposage des déjections dans des structures étanches ou au bâtiment. L’épandage, réalisé surtout en saison estivale, constitue la seule voie de contamination des cours d’eau par ces élevages. Durant cette saison, plusieurs troupeaux de ruminants ont accès au pâturage et, dans certains cas, au cours d’eau. Les fumiers accumulés près des bâtiments, dans les enclos d’hivernage aménagés ou en amas au champ, provenant surtout de l’élevage de bovins de boucherie, de volailles et ovins (BPR-Infrastructures inc., 2008), constituent aussi une source de contamination lorsqu’ils ne sont pas gelés et lors de leur épandage. Ces modes de gestion peuvent expliquer les niveaux de CF plus élevés observés en saison estivale à la plupart des stations de la présente étude (Figure 3), ainsi que la valeur 45 % plus élevée du coefficient de la DA dans l’équation 1 comparativement à celui de l’équation 2.
Le calcul de la DA étant basé sur les animaux déclarés pour les bâtiments situés dans un sous-bassin, son utilisation pour représenter les apports de CF des déjections animales entraîne une imprécision qui peut contribuer aux écarts observés entre les relations présentées aux figures 2 à 4 et les valeurs de CF mesurées aux dix stations. Le lien avec la DA peut être biaisé lorsque les déjections d’un bâtiment d’élevage situé dans un sous-bassin sont épandues dans un autre. Cette situation peut se produire dans le cas des exploitants d’élevage qui possèdent des terres en culture chevauchant deux sous-bassins ou qui ne possèdent pas assez de terres. Elle est susceptible d’influencer davantage les sous-bassins de faible superficie ou comportant une DA élevée. Par contre, la tendance des exploitants d’élevages à concentrer les épandages à proximité des lieux d’élevage pour minimiser les coûts de transport limite cette possibilité de biais.
Les relations obtenues entre la DA et les CF sont aussi influencées par la proportion des différents types d’élevage dans les sous-bassins 1 à 10, puisque la production de CF et la gestion des déjections animales varient selon les élevages (ASAE, 1998; Rogel, 2007). Le type d’élevage n’a pas été pris en compte dans l’établissement des relations à cause du nombre limité de stations, qui nécessitait l’utilisation d’un seul indicateur intégrant l’ensemble des élevages. D’autres facteurs, dont la régie des pâturages, l’accès des animaux au cours d’eau, les méthodes d’entreposage et d’épandage des fumiers, le type de sol, les pratiques culturales, la topographie, le climat, la DH, les apports fauniques et la position des sources de contamination par rapport au point d’échantillonnage, peuvent également expliquer les écarts entre les relations présentées et les valeurs de CF mesurées aux dix stations.
Les relations présentées aux figures 2 à 4 ont été obtenues avec les pratiques agricoles prévalant vers l’an 2000. Les valeurs de CF obtenues de celles-ci constituent en ce sens des valeurs de référence. Une amélioration dans la gestion de l’entreposage et des épandages des déjections animales, incluant le traitement des déjections pour y réduire ou enlever les CF, permettrait de réduire les concentrations de CF dans les cours d’eau, ce qui modifierait le lien avec la DA. Des pratiques comme l’entreposage de longue durée sans apport de déjections fraîches, dont l’efficacité peut dépasser 90 %, ainsi que l’épandage en période sans pluie et l’incorporation des déjections au sol pourraient avoir un effet significatif (Meals et Braun, 2006; Patniet al., 1985). L’implantation de mesures de protection des rives incluant l’empêchement de l’accès des animaux au cours d’eau et la restauration des bandes riveraines pourrait aussi être bénéfique, comme l’illustre une expérience faite dans l’état du Vermont (États-Unis) où de telles mesures ont permis de réduire de moitié la concentration de CF et E. coli dans des cours d’eau drainant des superficies de 10 à 15 km2 (Meals, 2001; 2004). Hagedornet al. (1999) ont également observé en Virginie (États-Unis) une réduction de moitié des CF en saison estivale à la suite de l’empêchement de l’accès des animaux à un cours d’eau. La contribution des vaches aux CF mesurés dans ce cours d’eau, initialement de 78 %, a aussi diminué de moitié.
L’interdiction réglementaire au Québec de donner accès aux animaux aux cours d’eau, à compter d’avril 2005, devrait contribuer à réduire les CF à certaines stations. Également, plusieurs éléments du programme d’aide financière Prime-Vert géré par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, touchant l’entreposage et le traitement des déjections, l’épandage avec des équipements adaptés, l’implantation de bandes riveraines herbacées, de bandes végétatives filtrantes et d’installations pour empêcher l’accès des animaux aux cours d’eau, pourraient contribuer à réduire la contamination bactériologique des cours d’eau.
Les deux relations avec la DA comportant un pouvoir prédictif interne acceptable (Q2INT > 0,5), présentées aux figures 2 et 3, peuvent servir à prévoir l’efficacité de certaines interventions en vue de réduire la pollution d’origine agricole aux stations des sous-bassins 1 à 10. Par exemple, la figure 3 permet d’estimer à 80 % la réduction de la concentration médiane estivale de CF à la station 1 en exportant hors du sous-bassin les déjections produites par la moitié des UA qu’il contient. L’effet de l’ajout d’UA ou de l’importation de déjections animales non traitées peut aussi être prévu.
La relation entre la DA et le pourcentage de dépassement du critère pour les activités de contact secondaire comme la pêche sportive, présentée à la figure 4, peut aussi être utilisée à des fins de prévision, puisque le seuil de 5 % généralement retenu pour le test de Hosmer-Lemeshow est dépassé (PHL > 0,05). Par exemple, dans un sous-bassin d’une superficie de 15 km2 comportant une densité animale et humaine par km2 de 20, l’ajout de 1 000 UA ou l’importation pour épandage des lisiers non traités produits par un tel cheptel ferait passer le pourcentage de dépassement du critère de qualité de l’eau pour une activité de contact secondaire comme la pêche de 11 % à 17 %. Cette relation est utile puisque la pêche dans les cours d’eau en milieu agricole constitue soit une activité fréquente, un usage à préserver ou encore un usage à récupérer qui sert souvent d’objectif mobilisateur pour initier des actions collectives de dépollution. Les deux autres relations présentées à la figure 4 sont moins fiables pour des fins de prévision. Elles montrent néanmoins que l’utilisation des cours d’eau en milieu agricole pour la baignade ou comme approvisionnement en eau pour l’irrigation des cultures ou l’abreuvement du bétail n’est pas sécuritaire en considérant des pratiques agricoles comparables à celles de l’an 2000.
Même si des systèmes de traitement de l’eau d’abreuvement et de l’eau d’irrigation existent, par exemple l’aération des étangs d’irrigation admissible au programme Prime-Vert, une approche de réduction de la contamination bactériologique à la source basée sur l’amélioration des pratiques agricoles est plus sécuritaire et souvent plus économique. Par exemple, empêcher l’accès au cours d’eau d’un troupeau comportant des sujets malades ou porteurs de bactéries pathogènes réduirait le risque de propagation des maladies à l’intérieur de celui-ci ainsi que chez les autres troupeaux situés en aval dans le sous-bassin, dont l’eau d’abreuvement est prélevée du cours d’eau. L’assainissement des déjections animales par un traitement devrait aussi être privilégié puisqu’il permet de réduire les quantités de bactéries épandues dans les sous-bassins où elles sont produites ou exportées tout en diminuant les coûts d’épandage liés au transport. Une réduction des apports de CF aux cours d’eau pourrait également diminuer les coûts de traitement des eaux brutes destinées à l’approvisionnement en eau potable puisque les exigences de traitement de ces eaux au Québec augmentent avec les concentrations de CF (MDDEP, 2006).
4.2 Relations incluant la densité humaine
L’inclusion dans l’analyse de régression de la station 11 non influencée comportant une plus forte DH (86 habitants•km-2) a permis d’obtenir des relations significatives liant la DA et la DH aux concentrations médianes estivales et hivernales de CF (Équations 1 et 2). Le traitement des eaux usées domestiques, moins efficace en hiver, peux expliquer la valeur 2,8 fois plus élevée du coefficient de la DH dans l’équation 2 comparativement à l’équation 1. La puissance élevée obtenue pour les deux équations suggère que le nombre de onze stations (5,5 par variable explicative) convient, tant pour les médianes estivales qu’hivernales. Ce résultat est confirmé par les analyses complémentaires à l’aide des médianes pour chaque année (mesures répétées). Le faible nombre de stations incite néanmoins à considérer les résultats obtenus avec prudence et à les valider à l’aide d’autres études ou pour d’autres stations.
Diverses études tendent à confirmer que les CF ou les E. coli augmentent avec la DH, mais aussi avec d’autres facteurs comme la défectuosité ou l’âge des installations septiques et leur proximité du cours d’eau (Ahmedet al., 2005; Arnscheidtet al., 2007; Graveset al., 2007; Graveset al., 2002). Ces autres facteurs peuvent contribuer davantage à la contamination bactériologique en provenance des résidences isolées. Par exemple, Graveset al. (2002) rapportent une contribution humaine de 10 % malgré une DH inférieure à 10 résidents par km2 dans un bassin versant où la moitié des installations septiques étaient déficientes. À l’opposé, Hagedornet al. (1999) n’ont trouvé aucun isolat humain avec 20 résidents par km2. Les valeurs élevées de CF aux stations des sous-bassins 13, 14 et 15 situées en aval immédiat de rejets des résidences isolées montrent aussi l’influence d’installations septiques déficientes sur le niveau de bactéries indicatrices présentes dans les cours d’eau ainsi que l’effet de la proximité du rejet. Dans ces sous-bassins, l’importance de la contamination combinée à sa proximité des stations d’échantillonnage crée une influence locale qui les démarque des sous-bassins 1 à 11 où la DA et la DH sont les principaux facteurs explicatifs.
L’augmentation de la concentration des CF avec la DH peut s’expliquer par l’augmentation du nombre d’installations septiques défectueuses avec la population d’un sous-bassin. La DH peut donc constituer un bon indicateur de la concentration de CF si les sous-bassins comportent des installations septiques défectueuses selon des pourcentages et une distribution spatiale comparables. Ces éléments n’ont pas été vérifiés dans la présente étude, mais les résultats obtenus suggèrent que la situation dans les sous-bassins étudiés est assez homogène. L’utilisation de stations non influencées par des rejets de résidences isolées en amont immédiat des points de prélèvement contribue également à l’homogénéité des sous-bassins retenus et à l’obtention de relations significatives.
Les travaux de Konet al. (2009) ajoutent de la confiance aux résultats de la présente étude qui lient la DA, la DH et la concentration de CF. Ces auteurs ont déterminé par REP-PCR, dans un cours d’eau drainant un bassin versant de 106 km2 en Ontario, que l’agriculture a contribué pour 59 % des E. coli mesurés de mai à octobre 2006 contre 8 % pour la faune et 1,4 % pour les humains. Les références citées et Google Map nous ont permis d’estimer la DA et la DH par km2 à 175 UA et à moins de cinq habitants dans ce bassin versant, afin de vérifier l’équation 1. La contribution relative des élevages et des humains obtenue de l’équation 1 concorde avec celle de l’étude ontarienne.
4.3 Prospectives
Une validation au Québec méridional des relations modélisant la médiane estivale de CF (Équation 1 et Figure 3), à trois stations n’ayant pas servi à leur développement (une indépendante des sous-bassins 1 à 16 et deux en aval du sous-bassin 4, dont une drainant un bassin versant de 203 km2), tend aussi à montrer qu’elles sont reproductibles et possèdent un pouvoir prédictif externe acceptable. Ce résultat suggère que ces deux relations pourraient servir à prévoir la médiane estivale de CF dans les cours d’eau dépourvus de station de mesure ou en aval des stations retenues pour leur construction, ainsi que l’efficacité d’interventions en vue de réduire la pollution d’origine agricole. Elles permettent également d’estimer l’effet des influences locales ou de l’enlèvement de sources de contamination en amont immédiat des stations d’échantillonnage ou des points d’un cours d’eau servant à un usage particulier. La proximité du dépassement du critère de contact secondaire mesuré à ces trois stations de celui modélisé (Figure 4) renforce aussi la confiance dans les prévisions estivales. Les données hivernales, disponibles à deux stations, n’ayant pas permis de réaliser une validation externe concluante de l’équation 2 et de la relation pour le centile 80 (Figure 2), leur utilisation à des fins de prévision devrait se limiter aux sous-bassins de la présente étude.
Les relations obtenues dans la présente étude donnent une indication générale du risque de retrouver une contamination fécale dans les cours d’eau drainant des sous-bassins de 15 à 100 km2. Elles offrent également un potentiel d’application, pour les rivières qu’ils alimentent, qui demeure à valider davantage. Elles permettent d’estimer, à l’aide d’indicateurs simples et disponibles, l’influence de la DA et de la DH sur la concentration de CF ainsi que le dépassement des critères de qualité de l’eau en fonction de la DA. Elles constituent en ce sens un outil simple pour prévoir le risque de contamination bactériologique des eaux de surface par les activités d’élevage et les résidences dans les sous-bassins en milieu agricole. Cet outil comporte toutefois certaines limites d’application. En effet, les estimations fournies par ces relations sont des valeurs de référence de CF correspondant aux pratiques agricoles et à la condition des installations septiques prévalant vers l’an 2000, en l’absence de rejet en amont immédiat de l’embouchure du sous-bassin ou de rejet municipal non traité. De plus, ces estimations étant basées sur des relations établies à l’aide de sous-bassins versants supportant une agriculture surtout intensive, leur domaine d’utilisation se limite à des sous-bassins dont la situation actuelle ou projetée est comparable. Leur précision pourrait être moindre pour les groupes de sous-bassins avec de plus faibles DA et devrait être validée.
Des données de CF à d’autres stations influencées par des rejets en amont immédiat du point d’échantillonnage ou drainant des sous-bassins comportant un rejet d’eaux usées municipales sans traitement ou des superficies urbaines importantes augmenteraient la fiabilité des facteurs d’influence obtenus pour les stations 12 à 16. L’amélioration des pratiques agricoles dans le temps pourrait aussi être prise en compte par l’ajout d’un facteur d’efficacité, basé sur de nouvelles données de CF aux stations parmi les sous-bassins 1 à 11 où la qualité bactériologique de l’eau s’est améliorée. L’accroissement de précipitations extrêmes, dans la perspective des changements climatiques, pourrait aussi modifier à long terme les CF à toutes les stations et, par le fait même, les relations obtenues. Un suivi adéquat des pratiques agricoles, de la conformité des installations septiques et des variables climatiques et hydrologiques dans les sous-bassins où les CF sont mesurés permettrait une mise à jour périodique des facteurs d’efficacité et des relations obtenues.
La précision des relations serait améliorée en utilisant un plus grand nombre de sous-bassins versants que dans la présente étude. Des stations additionnelles permettraient de confirmer la reproductibilité des relations obtenues, d’en réaliser une validation externe plus complète, d’améliorer leur représentativité du territoire, d’élargir leur domaine et de prendre en compte d’autres variables comme l’accès des animaux au cours d’eau, l’entreposage des déjections animales, l’âge ou l’état des installations septiques, la densité faunique, la localisation des sources de CF et leur quantification. L’intégration des élevages pourrait se faire en utilisant un indice plus relié à la contamination bactériologique que la DA, par exemple en s’inspirant de Bigras-Poulinet al. (2004). La création récente par le MDDEP de la base de données SOITEAU (Suivi des ouvrages individuels de traitement des eaux usées) à l’intention des municipalités devrait aider à mieux documenter les installations septiques des résidences isolées. L’épandage des matières résiduelles fertilisantes devrait également être documenté.
La mesure d’indicateurs plus spécifiques à la contamination fécale comme E. coli ou la mesure directe des organismes pathogènes comme Campylobacter et les salmonelles, facilitée par l’amélioration des méthodes de quantification par PCR, aiderait aussi à préciser les relations. Une meilleure connaissance des facteurs environnementaux influençant les CF dans les ruisseaux comme la remise en suspension des sédiments, le débit, la température de l’eau et la prédation des bactéries par les organismes benthiques serait aussi utile. Finalement, l’utilisation de méthodes de recherche des sources de contamination « source tracking » et l’amélioration de modèles déterministes ou basés sur des coefficients d’exportation pourraient compléter les relations simples obtenues afin d’améliorer la gestion des sources de contamination bactériologique des cours d’eau.
5. Conclusion
L’étude réalisée sur seize petits sous-bassins versants agricoles pour la période de 2000 à 2003 en utilisant les CF comme indicateur a montré que la concentration des élevages dans les sous-bassins a une influence importante, en saison estivale notamment, sur la contamination bactériologique des cours d’eau. L’étude a aussi montré l’influence des sources de CF en amont immédiat des stations d’échantillonnage. Des relations significatives ont été obtenues par régression entre les concentrations de CF ou le pourcentage de dépassement de critères de qualité de l’eau en saison estivale et la densité animale. Des relations permettant d’évaluer la contribution relative des élevages et des humains à la concentration de CF mesurée en rivière ont aussi été développées.
Ces relations fournissent un outil d’aide à la gestion qui évalue le risque de contamination bactériologique dans les cours d’eau de sous-bassins versants supportant une agriculture surtout intensive, de superficie semblable ou un peu supérieure à ceux de la présente étude, dans le Québec méridional. Cet outil pourrait permettre de prévoir les valeurs de CF en saison estivale lorsque ce paramètre n’est pas mesuré dans un sous-bassin. Cette prévision comporte toutefois un certain niveau d’incertitude compte tenu des limites des méthodes de régression et des conditions particulières pouvant caractériser un sous-bassin donné. La mesure des concentrations de CF ou d’autres indicateurs bactériologiques appropriés dans un plus grand nombre de cours d’eau drainant des sous-bassins couvrant une large gamme de valeurs des variables explicatives fournirait des résultats pour mettre à jour et bonifier les relations obtenues ainsi qu’une information plus précise pour ces sous-bassins. Utilisé en complément d’un suivi adéquat de la qualité bactériologique des cours d’eau, l’outil proposé dans la présente étude devrait contribuer à assurer une meilleure protection des divers usages de l’eau comme l’approvisionnement en eau potable, la baignade, la pêche, l’irrigation des cultures et l’abreuvement du bétail.
Appendices
Remerciements
L’auteur remercie les personnes suivantes du MDDEP ayant collaboré au projet : à la Direction du suivi de l’état de l’environnement, Marie-Julie Laperrière, Camil Giasson et Manon Ouellet pour le suivi auprès des préleveurs d’échantillons d’eau, Lyne Blanchet et Serge Poirier pour la compilation de données d’utilisation du territoire et la production de cartes, France Gauthier pour le graphisme, Mario Bérubé pour la compilation de données de qualité d’eau, Serge Hébert, Marc Simoneau et François D’Auteuil-Potvin pour l’aide dans le choix de méthodes statistiques ou la validation des tests d’hypothèse des modèles; à la Direction des politiques de l’eau, Georges Gangbazo pour sa contribution à la conception du réseau de stations en milieu agricole; au CEAEQ, Philippe Cantin et son équipe pour les analyses bactériologiques.
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