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1. Introduction

Les régions ouest africaines, sous régime de mousson, sont l’objet d’une sécheresse sévère depuis le début des années 70 (Lebel et Vischel, 2005; L’Hôteet al., 2002). Ce phénomène est la conséquence d’une perturbation de la mousson africaine, première source des pluies de la région (Lebel et Vischel, 2005). Le projet international et pluridisciplinaire AMMA (Analyse Multidisciplinaire de la Mousson Ouest Africaine) a été initié en vue de mieux comprendre cette perturbation. L’un des objectifs de ce programme, en relation avec notre travail, est la connaissance des bilans d’eau terrestre et l’impact des changements climatiques et des pressions anthropiques sur les ressources en eau.

Dans le cadre de l’Observatoire de Recherche en Environnement ORE AMMA-Catch (France, http://www.lthe.hmg.inpg.fr/catch), trois sites de méso-échelle, instrumentés de la zone soudanaise (Ouémé supérieur au centre-ouest du Bénin) à la zone désertique (Niamey au Niger) en passant par la zone sub-désertique (Gourma au Mali), font l’objet d’investigations renforcées. Le bassin versant de la Donga, situé dans la haute vallée de l’Ouémé (site le plus méridional du projet), a été sélectionné pour cette étude. D’une superficie de 586 km2, ce bassin représente une échelle intermédiaire entre les grands bassins régionaux et les bassins expérimentaux. Cette échelle rend possible une caractérisation plus fine des processus hydrologiques, tout en permettant une intégration suffisamment représentative des variabilités spatio-temporelles naturelles.

Alors que l’écoulement des rivières en zone sahélienne est exclusivement formé d’écoulement de surface, du fait des sols peu couverts, des surfaces encroûtées (Casenave et Valentin, 1992) et des nappes relativement profondes (profondeur > 100 m; Favreau, 2000), l’écoulement en zone soudanienne se caractérise par une coexistence d’écoulement de surface et d’écoulement souterrain (Chevallier, 1990; Chevallier et Planchon, 1993). L’objectif de ce travail est de caractériser et évaluer les échanges de flux entre le réseau hydrographique et les nappes souterraines, ceci, en vue de mieux contraindre l’estimation du bilan hydrologique du bassin versant de la Donga sur deux années (2003 et 2004) ayant une pluviométrie et un écoulement contrastés. Il s’agit, d’une part, d’identifier les composantes principales de l’écoulement de surface et, d’autre part, de quantifier la contribution de chaque composante par une séparation géochimique d’hydrogrammes de crue.

2. Matériel et méthodes

2.1 Milieu d’étude

Sous climat tropical de type soudano-guinéen à saisons contrastées, le bassin versant de la Donga se localise dans la partie supérieure du bassin de l’Ouémé, au centre-ouest du Bénin (Figure 1). Le réseau hydrographique est relativement dense et constitué de rivières d’ordre 2 ou 3. Il présente un régime d’intermittence caractérisé par un assèchement total des rivières entre novembre et avril et une reprise des écoulements entre mai et octobre.

Figure1

Localisation du bassin versant de la Donga et dispositif de suivi hydrogéochimique.

Location of the Donga watershed and the hydrogeochemical survey network.

Localisation du bassin versant de la Donga et dispositif de suivi hydrogéochimique.

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La pluviométrie moyenne annuelle est estimée à 1 280 mm de 1950 à 1969 (avant la rupture pluviométrique) et de 1 150 mm de 1970 à 2004 (après la rupture pluviométrique). Plus de 60 % des pluies annuelles se concentrent entre les mois de juillet et septembre. L’évapotranspiration potentielle (ETP), estimée par la méthode de Penman-Monteith (FAO, 1998) est de l’ordre de 1 390 mm•an-1 (Kamagaté, 2006).

La topographie du bassin est vallonnée, avec des altitudes comprises entre 520 m à l’amont (ouest) et 340 m à l’exutoire (est) pour une pente moyenne de la rivière principale de 1,7 m•km‑1. Ce relief laisse apparaître une végétation constituée de savane arborée plus ou moins dense (à Isoberlinia sp. dominant) à couvert herbacé continu (Andropogon sp, Hypparhenia sp., Indigo fera; Harris, 2004). Cette végétation apparaît largement dégradée en une mosaïque de champs à vocation vivrière (mil, manioc, maïs, igname) ou de rente (coton, anacarde).

La couverture pédologique est majoritairement formée de sols ferrugineux tropicaux lessivés (Faure et Volkhoff, 1998). Elle recouvre une zone d’altération (10 à 20 m d’épaisseur) à nappe pérenne (nappe phréatique), captée par les puits villageois (Wubda, 2003). Cette altération, principalement silteuse et argileuse, présente une hétérogénéité importante en fonction de la nature de la roche et des teneurs en eau ou en argile selon la géophysique de subsurface (Descloitres et al., 2003; Robain et Wubda, 2004; Wubda, 2003). Les niveaux argilo-sableux, électriquement conducteurs, sont organisés en lentilles parfois affleurantes. Cette distribution suggère que des nappes perchées peuvent se mettre en place dans ces altérites, les formations argileuses constituant des niveaux imperméables. Du fait de la présence de ces niveaux imperméables, la nappe phréatique ne serait pas libre sur toute sa surface. Aussi, localement et plus en profondeur, des fractures du socle peuvent constituer un réservoir pérenne capté par les forages d’hydraulique villageoise généralement plus profonds que les puits villageois (Wubda, 2003). Ce socle est essentiellement constitué de formations métamorphiques, datées du protérozoïque supérieur. Les granito-gneiss, les gneiss et les schistes sont les principales roches rencontrées (Affaton, 1990; BRGM/OBM, 1984).

2.2 Hydrogéochimie

Sur l’ensemble du bassin, 16 pluviographes (Figure 1) permettent de discriminer la hauteur de pluie précipitée par cumuls de 0,5 mm. Vingt-six puits villageois (10 m de profondeur en moyenne) servent aux mesures des niveaux de la nappe phréatique. Parmi ces puits, 13 font à la fois l’objet de mesures tri-journalières (matin, midi et soir) et de mesures au pas de temps de 30 minutes. Les 13 autres sont suivis seulement trois fois par jour. À une échelle de plus fine investigation, neuf piézomètres (exempts de prélèvements humains, contrairement aux puits villageois) ont été crépinés à différentes profondeurs (2, 10 et 20 m de profondeur), au long d’un versant expérimental (Amont, Milieu et Aval) en 2004 (Figure 1). Ces piézomètres sont suivis trois fois par jour. Les forages d’hydraulique villageoise (profondeur > 20 m) sont dotés d’un équipement inadapté aux mesures des hauteurs d’eau. Ils n’ont donc pas fait l’objet de mesures piézométriques. L’exutoire du bassin (Figure 1) bénéficie d’enregistrements de débits au pas de temps de 30 minutes, au moyen d’un limnigraphe. L’ensemble des piézomètres et l’échelle limnimétrique de l’exutoire ont été nivelés par GPS différentiel pour caractériser la distribution spatiale des potentiels hydrauliques.

La conductivité électrique (C.E.) de l’eau a été suivie à des pas de temps mensuels à trimestriels dans une vingtaine de puits et forages. Des mesures ponctuelles de C.E. ont également été réalisées lors d’une dizaine d’événements pluvieux, ainsi que sur les eaux de surface en période d’intercrue. En parallèle à ces mesures, un échantillonnage d’eau (C.E. et ions majeurs) à haute fréquence (pas de temps de 30 min) et portant sur trois crues majeures (crue A, crue B et crue C) a été effectué à l’exutoire en 2003. L’ensemble des échantillons, filtrés in situ, a été analysé avec une précision de 5 % par électrophorèse capillaire (cations et anions) au laboratoire HydroSciences de Montpellier (France).

Le croisement des informations hydrodynamiques et géochimiques recueillies devra permettre de dégager un schéma cohérent du fonctionnement hydrogéochimique du bassin versant de la Donga.

2.3 Séparation géochimique d’hydrogrammes de crue

Les rivières, exutoires naturels des différents réservoirs hydriques, jouent un rôle essentiel dans l’équilibre physico-chimique et hydrodynamique du bassin versant (Braunet al., 2002). À un instant donné, les eaux recueillies à l’exutoire du bassin versant proviennent de plusieurs sources. Elles sont attribuées à la vidange de réservoirs spécifiques, situés à différentes profondeurs (Boeglin et Tardy, 1997). Le but de la séparation d’hydrogrammes, sur la base de la caractérisation hydrogéochimique des réservoirs hydriques, est de quantifier la contribution de chacun de ces réservoirs à la production des débits des rivières. Le modèle de séparation d’hydrogrammes considéré est régi par deux lois fondamentales de conservation de masse (Bariacet al., 1995; Joerin et al., 2002) :

  1. la conservation de masse d’eau : l’écoulement total , mesuré à un instant donné à l’exutoire, est la somme des écoulements (inconnues du modèle) induits par les réservoirs k identifiés (1).

où n représente le nombre de réservoirs k.

  1. la conservation de flux chimique : le flux Q(t) × Ci (t) d’un traceur chimique i, calculé pour un instant t à l’exutoire, est la somme des flux Qk (t) × Cik induits par les réservoirs k à cet instant (2).

où m = n–1 représente le nombre de traceurs chimiques i, Ci (t) la concentration du traceur i mesurée à l’exutoire à l’instant t, Cik la concentration du traceur i (supposée constante) mesurée dans le réservoir k.

La résolution combinée des équations (1) et (2) ramène à la résolution (par la méthode des déterminants) de n d’équations à n inconnues (3).

Le premier terme de l’équation est formé par le produit de la matrice des constantes du modèle (concentrations Cik des traceurs i ∈ [1,m] mesurées dans les réservoirs k ∈ [1,n]) par la matrice des inconnues (contribution Qk des réservoirs k) et le deuxième terme par la matrice des flux Q * Ci calculés pour les traceurs i à l’exutoire.

Ces deux lois de conservation de masse signifient que la variation de la charge hydraulique dans les rivières s’accompagne toujours d’une variation de la composition chimique de l’eau (Appelo et Postma, 1999). Cette approche nécessite la prise en compte d’un certain nombre d’hypothèses :

  1. la concentration du traceur chimique dans l’épisode pluvieux considéré est significativement différente de celle de la rivière avant l’événement pluvieux (Crouzetet al., 1970). Cette hypothèse est vérifiée au regard de la grande différence chimique entre les eaux de pluie et les débits d’intercrue (Kamagaté, 2006);

  2. la concentration du traceur chimique dans l’eau de pluie ne présente pas de variations spatio-temporelles (Sklash et Farvolden, 1982). De façon générale, la composition chimique des pluies tend à se stabiliser sur une surface donnée au cours de l’averse (Dansgaard, 1964; Kendall et McDonnell, 1993);

  3. la composition chimique des eaux souterraines reste constante au cours des événements de crue (Sklash et Farvolden, 1982). Cette hypothèse reste discutable du fait de l’influence probable des eaux de recharge au cours de l’averse. Mais ce phénomène est rarement mis en évidence dans la littérature (Hooper et Shoemarker, 1986);

  4. La composition chimique des rivières en période d’écoulement de base est significativement proche de celle des eaux souterraines (Sklash et Farvolden, 1982). En période d’intercrue, il est évident que la production de débit ne peut qu’être le fait des eaux souterraines. L’analyse qui va suivre devra permettre d’identifier les aquifères responsables de ces apports.

3. Résultats et discussion

3.1 Processus hydrogéochimiques

3.1.1 Caractéristiques hydrogéochimiques

La pluviométrie annuelle (Figure 2A) présente une diminution importante de l’ordre de 24 % entre 2003 (1 459 mm) et 2004 (1 113 mm). Cette différence est particulièrement marquée dans les écoulements (Figure 2B) : 429 mm en 2003 et 162 mm en 2004, soit une baisse de l’ordre de 60 %. Le coefficient d’écoulement annuel s’évalue à 29 % en 2003 et 15 % en 2004. La durée de l’écoulement de la rivière, tributaire de l’occurrence de pluies, apparaît plus courte en 2004 qu’en 2003 (Figures 2A et 2B). Aussi, la rivière tarit-elle dès que la pluie s’arrête alors que la nappe phréatique continue de se vidanger (Figures 2B et 2C). De même que les écoulements de surface, la hausse piézométrique démarre environ un mois après les premières pluies et le pic est atteint trois à quatre mois plus tard. La décrue piézométrique s’amorce dès la fin de l’occurrence des précipitations régulières (Figure 2C). Les fluctuations piézométriques montrent, en comparaison interannuelle, une différence moindre que celle des débits : l’amplitude piézométrique moyenne annuelle varie de 7,4 ± 2,8 m en 2003 à 5,3 ± 2,3 m en 2004 (Figure 2C). Sur le site expérimental plus finement équipé, les piézomètres de 10 et 20 m de profondeur montrent une piézométrie semblable. L’amplitude piézométrique apparaît plus faible que celle enregistrée pour les puits villageois, plus exposés à un rabattement local du fait des puisages domestiques. Les piézomètres de 2 m de profondeur captent un niveau d’eau plus près de la surface du sol (environ 1 m au-dessus des niveaux lus dans les piézomètres de 10 et 20 m de profondeur) et ayant un caractère temporaire (Figure 3).

Figure 2

(A) Pluies journalières, (B) débits journaliers à l’exutoire du bassin, et (C) profondeur moyenne journalière de la nappe phréatique pour les années 2003 et 2004.

(A) Daily rainfall, (B) daily runoff at the watershed outlet, and (C) mean daily water table depth for the years 2003 and 2004.

(A) Pluies journalières, (B) débits journaliers à l’exutoire du bassin, et (C) profondeur moyenne journalière de la nappe phréatique pour les années 2003 et 2004.

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Figure 3

Profondeur de la nappe phréatique mesurée trois fois par jour dans les piézomètres de la station expérimentale avale (2, 10 et 20 m de profondeur) et pluviométrie journalière mesurée à la station la plus proche en 2004.

Water table depth measured three times per day in the down-gradient experimental piezometers (2, 10 and 20 m of depth) and daily rainfall measured at the nearest station in 2004.

Profondeur de la nappe phréatique mesurée trois fois par jour dans les piézomètres de la station expérimentale avale (2, 10 et 20 m de profondeur) et pluviométrie journalière mesurée à la station la plus proche en 2004.

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La conductivité électrique des pluies est de l’ordre de 10 ± 2 µS•cm‑1. Elle est de 65 ± 6 µS•cm‑1 en moyenne à l’exutoire en période hors crue (Tableau 1, Figure 4) alors qu’en période de crues, elle baisse fortement et avoisine celle des pluies (Figure 4). La C.E. de la nappe phréatique (eaux de puits) dans les altérites montre des valeurs nettement supérieures avec une moyenne de 155 ± 70 µS•cm‑1. Plus en profondeur, les eaux du socle fissuré (eaux de forage) montrent des valeurs moyennes encore plus élevées (288 ± 80 µS•cm‑1). Sur le site de plus fine investigation, les suivis hydrochimiques permettent de préciser ces observations. La nappe captée par les piézomètres de 10 et 20 m de profondeur présente des valeurs de C.E. respectivement de 204 ± 15 et 254 ± 30 µS• cm‑1 (Tableau 1) alors que celle captée par les piézomètres de 2 m de profondeur montre des C.E. fluctuant autour d’une moyenne de 75 ± 3 µS•cm‑1, proche de celle des rivières en période d’intercrue.

Tableau 1

Conductivité électrique moyenne calculée pour chaque système hydrique considéré.

Average electrical conductivity calculated for each considered water system.

Système hydrique

Conductivité électrique (µS•cm‑1)

Pluie

10 ± 2

Eaux de surface

(exutoire, hors crue)

65 ± 6

Altérite (puits)

155 ± 70

Socle (forage)

288 ± 80

Piézomètre 2 m

75 ± 5

Piézomètre 10 m

204 ± 15

Piézomètre 20 m

254 ± 30

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Figure 4

Conductivité électrique (C.E.) mesurée à l’exutoire en périodes de crues et intercrues pour l’année 2003.

Outlet measured electrical conductivity (C.E.) during flood and inter-flood periods in 2003.

Conductivité électrique (C.E.) mesurée à l’exutoire en périodes de crues et intercrues pour l’année 2003.

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3.1.2. Relation nappe-réseau hydrographique

À l’échelle des versants, l’altitude de la surface de la nappe phréatique, mesurée à partir des 26 puits villageois, est toujours supérieure à celle du lit de la rivière, même en saison sèche (Figure 5). Ceci traduirait une alimentation des rivières par cette nappe indépendamment de la saison (Kamagaté, 2003). Cependant, les cours d’eau s’assèchent totalement en fin de saison pluvieuse, sans débit de base, alors que la nappe phréatique continue de se vidanger. Le réseau hydrographique ne constituerait donc pas le principal exutoire de la nappe phréatique. Outre les prélèvements humains, la vidange de cette nappe serait essentiellement le fait des transferts verticaux par évapotranspiration. D’un point de vue géologique, une perte d’eau dans le socle fissuré via des brèches tectoniques à forte porosité ne serait pas totalement à exclure car quatre générations de fractures caractérisées par des couloirs mylonitiques à brèches tectoniques ont déjà été mises en évidence (Affaton, 1990).

Figure 5

Schéma conceptuel des flux hydriques à l’échelle d’un versant, d’après les observations hydrologiques, géochimiques et géophysiques, ET : évapotranspiration, NP : niveau piézométrique saisonnier minimum et maximum de la nappe phréatique, If : infiltration et R : recharge.

Conceptual cross-section of the water flux at a hillslope scale, according to the hydrological, geochemical, and geophysical observations, ET: evapotranspiration, NP: minimum and maximum seasonal levels of the water table (dotted lines), If: infiltration and R: recharge.

Schéma conceptuel des flux hydriques à l’échelle d’un versant, d’après les observations hydrologiques, géochimiques et géophysiques, ET : évapotranspiration, NP : niveau piézométrique saisonnier minimum et maximum de la nappe phréatique, If : infiltration et R : recharge.

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Le caractère temporaire des eaux de surface, le coefficient d’écoulement annuel relativement faible ainsi que la très faible minéralisation des eaux de la rivière suggèrent une origine superficielle des écoulements. Sur le site d’investigation renforcée, la nappe saisonnière à faible minéralisation, captée à 2 m de profondeur, a été identifiée comme une nappe perchée temporaire (Kamagaté, 2006). La saisonnalité de cette nappe tout comme l’écoulement des rivières, l’émergence de surfaces saturées en de multiples points du bassin, la forte hétérogénéité de la couche d’altérite avec présence de niveaux argilo-sableux électriquement conducteurs confortent l’existence de ces nappes perchées. Selon ce schéma, le débit à l’exutoire pourrait être considéré comme un mélange de flux rapides (ruissellement Hortonien et écoulement sur surfaces saturées) et de flux lents (vidange de la nappe perchée saisonnière), sans contribution significative de la nappe phréatique dans les altérites et le socle fissuré à l’écoulement.

Un schéma conceptuel réalisé à l’échelle d’un versant, d’après les observations hydrologiques et géochimiques précédentes, appuyées par la géophysique de surface (Robain et Wubda, 2004), permet de préciser les flux hydriques (Figure 5) et d’appliquer l’équation (3) au bassin de la Donga (4) : un système de deux équations à deux inconnues; pour deux composantes, un seul traceur chimique est requis

où C1r représente la concentration du traceur choisi dans l’écoulement rapide (constante du modèle), C1l la concentration du traceur choisi dans l’écoulement lent (constante du modèle), C1 la concentration du traceur choisi à l’exutoire (mesurée au pas de temps de 30 min), Q le débit total à l’exutoire (mesuré au pas de temps de 30 min), Qr la part de l’écoulement rapide (inconnue du modèle) et Ql la part de l’écoulement lent (inconnue du modèle).

3.2. Séparation d’hydrogrammes de crue

Les traceurs chimiques Ca et Na ont été choisis pour la séparation d’hydrogrammes. Le choix de ces deux traceurs relève d’une part du fait qu’ils sont des produits d’altération de roches, donc de bons traceurs d’origine d’eau et, d’autre part, du fait qu’ils présentent la même évolution que la C.E. lors des crues. La séparation d’hydrogrammes ne concerne que les crues car en période d’intercrue, seule la composante souterraine, représentée ici par les flux venant des nappes perchées, contribue à l’écoulement (Bariac et al., 1995; Gremillonet al., 2000; Tardyet al., 2004). La mise en oeuvre du modèle de mélange nécessite la connaissance des valeurs numériques des constantes (concentration moyenne de Ca et Na), relativement à l’écoulement rapide et à l’écoulement lent (pôles extrêmes d’influence) qui contribuent en proportion variable à la production de l’écoulement des rivières :

  1. la minéralisation de l’eau de rivière se rapproche fortement de celle de l’eau de pluie durant les pics de crue, ce qui peut justifier l’assimilation des pluies au pôle écoulement rapide; C1r = 0,16 mg•L‑1 pour Ca et 0,09 mg•L‑1 pour Na;

  2. la minéralisation de l’eau de rivière se rapproche fortement de celle des nappes perchées en période d’intercrue; C1l = 4,00 mg•L‑1 pour Ca et 1,14 mg•L‑1 pour Na.

L’hydrogramme total de la crue A, échantillonnée en début de saison humide, est relatif à une crue unique en forme de cloche (Figure 6A). Il varie de 50 m3•s‑1 en début d’événement à 135 m3•s‑1 au pic de crue. À une chute des concentrations de Ca et Na au début de la crue, suit un recouvrement progressif des valeurs à la décrue. Ces concentrations deviennent encore plus fortes lorsque le débit total devient inférieur à celui de début de crue. Sur la base des variations de concentration des traceurs, la séparation de l’hydrogramme indique une gamme de variations des flux lents (nappes perchées) de 20 m3•s‑1 à 50 m3•s‑1 (soit une contribution maximale de 37 % au débit total) relativement à Ca (Figure 6A1). Cette gamme est de 17 m3•s‑1 à 30 m3•s‑1 (soit une contribution maximale de 22 % au débit total) relativement à Na (Figure 6A2).

Figure 6

Séparation de l’hydrogramme des crues A, B et C en écoulement rapide (Qr) et écoulement lent (Ql) à l’exutoire du bassin de la Donga à partir des traceurs chimiques Ca (1) et Na (2).

Flood A, B and C hydrograph separation in rapid runoff (Qr) and delayed flow (Ql) at the watershed outlet by mean of the chemical tracers Ca (1) and Na (2).

Séparation de l’hydrogramme des crues A, B et C en écoulement rapide (Qr) et écoulement lent (Ql) à l’exutoire du bassin de la Donga à partir des traceurs chimiques Ca (1) et Na (2).

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Contrairement à l’hydrogramme de la crue A, l’hydrogramme de la crue B, échantillonnée en milieu de saison, est symptomatique de trois crues superposées (Figure 6B). Il débute à 60 m3•s‑1 et culmine au pic de crue à environ 120 m3•s‑1. Tout comme la première crue, les concentrations de Ca et Na à la décrue avoisinent celles de début de crue et deviennent supérieures par la suite. Les débits simulés pour les flux lents sont fluctuants, mais la valeur maximale est de l’ordre de 50 m3•s‑1 (soit 42 % du débit total) pour le traceur Ca (Figure 6B1) et de 40 m3•s‑1 (soit 33 % du débit total) pour le traceur Na (Figure 6B2).

L’hydrogramme total de la crue C, scrutée en fin de saison humide, est composé de deux événements, mais tronquée du fait de l’absence du début de l’événement global (Figure 6C). Les fluctuations des flux lents apparaissent identiques à celles du débit total avec un maximum de l’ordre de 30 m3•s‑1 (soit 58 % du débit total) à partir du traceur Ca (Figure 6C1) et de 20 m3•s‑1 (soit 39 % du débit total à partir du traceur Na (Figure 6C2).

La contribution de l’écoulement rapide est calculée à partir de la différence entre l’écoulement total et l’écoulement lent pour chacune des trois crues. Sur la base des variations instantanées des débits simulés, la contribution totale de l’écoulement rapide et de l’écoulement lent a été calculée pour les trois crues (Tableau 2). Le bilan global se discrimine logiquement entre une composante majoritaire, l’écoulement rapide et une composante minoritaire, l’écoulement lent. Quoique toujours inférieure à l’écoulement rapide, la part de l’écoulement lent des nappes perchées apparaît croissante au fur et à mesure que la saison humide s’installe du fait de l’augmentation progressive de la pluie efficace.

Tableau 2

Volume total drainé (Vt) par les crues A, B et C et contributions (%) de l’écoulement rapide (Qr) et de l’écoulement lent (Ql) à l’écoulement total, obtenus après séparation d’hydrogrammes au moyen des traceurs chimiques Ca et Na.

Total drained volume (Vt) by the floods A, B and C and rapid runoff (Qr) and delayed flow (Ql) contribution (%) to the stream flow, obtained after the hydrographs separation by means of the chemical tracers Ca and Na.

 

Crue A

Crue B

Crue C

Vt = 1 639 000 m3

Vt = 3 025 000 m3

Vt = 549 000 m3

Traceurs

(%)

(%)

(%)

(%)

(%)

(%)

Ca

37 ± 12

63

44 ± 16

56

46 ± 11

54

Na

25 ± 10

75

32 ± 12

68

36 ± 07

64

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Au regard de la différence sensible entre les résultats obtenus avec le traceur Ca et ceux obtenus avec le traceur Na, les contributions simulées doivent être considérées avec circonspection et seules les gammes de variations et les processus majeurs peuvent être retenus. Ceci serait lié à la différence de solubilité, de valence et de rayon ionique entre ces deux traceurs, et probablement aux réactions d’adsorption et précipitation.

4. Conclusion

Le croisement des informations hydrodynamiques, géochimiques et géophysiques a permis de montrer que les eaux de surface sont majoritairement d’origine superficielle lors des crues. En période d’intercrue, elles sont essentiellement le fait de la vidange de nappes perchées saisonnières, sans contribution significative des nappes pérennes des altérites et du socle. La contribution de ces nappes perchées apparaît croissante avec la saison pluvieuse.

Ces résultats constituent une étape préliminaire dans l’étude hydrologique du bassin versant de la Donga. Un suivi à plus long terme des écoulements de surface (crue et intercrue) permettrait notamment de préciser l’importance respective des écoulements rapide et lent dans la variabilité interannuelle des débits des cours d’eau. Dans une perspective plus large, cette étude représente un début à une meilleure connaissance de l’impact du déboisement et du changement d’occupation des sols sur l’hydrologie de la zone. En effet, un défrichement continu et d’ampleur importante provoquerait une augmentation conséquente du coefficient de ruissellement du bassin (Casenave et Valentin, 1992). L’écart entre la contribution de l’écoulement rapide et celle de l’écoulement lent deviendrait de plus en plus important et la recharge des aquifères de plus en plus faible. Le défrichement pourrait également induire une diminution de l’évapotranspiration réelle (ETR) du fait d’un couvert végétal de moins en moins dense. Ceci met en exergue la nécessité de connaître l’ETR, jusque là inconnue, et son impact sur le bilan hydrologique du bassin.