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Au cours du XXe siècle la température moyenne du globe terrestre a augmenté d’environ 0,6 °C (Figure 1), cette augmentation étant essentiellement attribuée à l’augmentation dans l’atmosphère de la teneur des gaz à effet de serre, et singulièrement du dioxyde de carbone (CO2). Cette augmentation de température n’a pas été régulière et l’on a pu constater un palier au début du siècle, voire même une très légère diminution vers les années soixante. Le calcul d’une telle moyenne pose d’ailleurs des problèmes redoutables compte tenu de l’hétérogénéité spatiale et de l’évolution au cours du temps des réseaux de mesures météorologiques. Les modèles climatiques prévoient que l’augmentation de la température moyenne du globe devrait se poursuivre au cours du XXIsiècle et qu’elle pourrait atteindre une valeur de plusieurs degrés à l’horizon de la fin de ce siècle. Ces changements devraient évidemment avoir des conséquences hydrologiques (Askew, 1987).

Figure 1

Écart à la moyenne 1961-1990 (normale climatique) de la température moyenne du globe terrestre au cours du XXe siècle (D’après Climatic Research Unit, University of East Anglia, Royaume-Uni, http://www.cru.uea.ac.uk/).

Departure from the 1961-1990 mean (climatic normal) of the mean global temperature along the XXth Century (After Climatic Research Unit, University of East Anglia, UK, http://www.cru.uea.ac.uk).

Écart à la moyenne 1961-1990 (normale climatique) de la température moyenne du globe terrestre au cours du XXe siècle (D’après Climatic Research Unit, University of East Anglia, Royaume-Uni, http://www.cru.uea.ac.uk/).

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Les modèles climatiques, de l’aveu même de leurs auteurs, souffrent de certaines déficiences. Les phénomènes qu’ils sont censés représenter sont fortement non linéaires et concernent des milieux aussi différents que l’atmosphère, la surface des continents et les océans selon une énorme gamme d’échelles de temps et d’espace (Hubertet al., 2002). Cette non-linéarité pourrait d’ailleurs rendre fallacieuse la volonté d’isoler une part proprement anthropique des variations du climat. La résolution numérique des équations impose, d’autre part, une discrétisation temporelle et spatiale qui tronque sévèrement les équations aux dérivées partielles régissant les phénomènes modélisés lorsque celles‑ci sont connues. La maille spatiale des modèles climatiques va de quelques dizaines de kilomètres jusqu’à des valeurs de l’ordre de 200 kilomètres, ce qui gomme de nombreuses particularités géographiques (Figure 2), et interdit toute interprétation à des échelles d’espace inférieures à celle de la maille du modèle. Les nombreuses méthodes de désagrégation, déterministes ou statistiques (Biaou, 2004; Matyasovszky et Bogardi, 1996; Herreraet al., 2006; Mehrotra et Singh, 1998; Skaugen, 2002) ne permettent qu’une transposition « ad hoc » plus ou moins plausible des résultats des modèles climatiques à l’échelle, plus fine, des modèles hydrologiques. Certains phénomènes, en particulier l’interaction entre la couverture nuageuse et le rayonnement, ou ceux se déroulant à l’interface entre le sol (et la végétation) et l’atmosphère, sont mal connus et doivent faire l’objet de sévères paramétrisations. Il ne se passe pas un mois sans qu’une nouvelle publication ne remette en cause le rôle des forêts ou celui des poussières ou des aérosols (IAPSAG, 2007). Tout cela nourrit bien évidemment de nombreuses incertitudes qu’il est bien difficile d’évaluer.

Figure 2

Allure des masses continentales à travers le prisme du maillage spatial d’un Modèle de circulation générale.

Continent masses as seen through the grid of a General Circulation Model.

Allure des masses continentales à travers le prisme du maillage spatial d’un Modèle de circulation générale.

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Parmi ces déficiences l’une est particulièrement importante et préoccupante pour les hydrologues. Les modèles de circulation générale présentent en effet des biais dans leur simulation des précipitations présentes, ce qui nourrit des doutes quant à leur capacité à prévoir les précipitations futures. On peut le voir sur la figure 3 (Ducharneet al., 2003) où sont représentées, à l’échelle du bassin de la Seine, les précipitations observées au cours de la période 1970-1989 et les précipitations simulées dans les conditions actuelles et sous différentes hypothèses de changement climatique par différentes versions du modèle ARPEGE. On constate que les modèles surestiment significativement les précipitations actuelles non estivales dans une proportion qui peut dépasser 50 %. Cette déficience des modèles climatiques a amené certains chercheurs (Matyasovszkyet al., 1993) à de curieux détours consistant à estimer les précipitations par des méthodes d’analogues à partir des champs de pression également produits par les modèles de circulation générale mais considérés comme plus fiables.

Figure 3

Cycle annuel moyen des précipitations à l’échelle du bassin de la Seine, simulées par le modèle de circulation générale ARPEGE, à l’actuel (noir) et sous changement climatique : simulations OLD (vert), B2 (rouge) et A2 (bleu). Les simulations de référence associées à OLD d’une part et B2 et A2 d’autre part sont différentes car réalisées avec les versions OLD et NEW d’ARPEGE. Les astérisques indiquent que les différences de moyenne mensuelle entre la simulation de changement climatique et la simulation de référence sont statistiquement significatives. Les tiretés indiquent enfin les précipitations observées en moyenne sur le bassin et sur 1970-1989 (données Météo-France).( Ducharneet al., 2003).

Mean annual cycle of the precipitations over the Seine river basin, simulated by the ARPEGE GCM, under present conditions (black) and under various climatic scenarios: simulation OLD (green), B2 (red) and A2 (blue). Reference simulations associated to OLD on one hand and to B2 and A2 on the other are different because they have been run respectively with the OLD and NEW ARPEGE versions. Asterisks indicate that the difference between the climatic reference and the climatic change mean monthly precipitations is significant. The dashed lines indicate the mean spatial precipitation over the basin during the 1970-1989 period (Météo France data). (DUCHARNE et al., 2003).

Cycle annuel moyen des précipitations à l’échelle du bassin de la Seine, simulées par le modèle de circulation générale ARPEGE, à l’actuel (noir) et sous changement climatique : simulations OLD (vert), B2 (rouge) et A2 (bleu). Les simulations de référence associées à OLD d’une part et B2 et A2 d’autre part sont différentes car réalisées avec les versions OLD et NEW d’ARPEGE. Les astérisques indiquent que les différences de moyenne mensuelle entre la simulation de changement climatique et la simulation de référence sont statistiquement significatives. Les tiretés indiquent enfin les précipitations observées en moyenne sur le bassin et sur 1970-1989 (données Météo-France).( Ducharneet al., 2003).

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Le plus souvent, pour pallier la surestimation manifeste des précipitations calculées et utiliser les résultats des modèles climatiques comme entrée de leurs modèles, les hydrologues ont recours à des artifices méthodologiquement douteux : Bien que les modèles ne reproduisent pas en général le niveau des précipitations actuelles (le premier ordre …), on admet que les perturbations entre les simulations du climat actuel et celles du climat modifié (le second ordre …) sont correctement reproduites, à une homothétie près. À l’échelle mensuelle, en général, on adopte donc les précipitations issues du modèle climatique sous hypothèse de changement en les multipliant par le rapport des précipitations observées aux précipitations actuelles simulées. On conçoit aisément que l’on ajoute ainsi aux incertitudes propres des modèles climatiques et à celles de la désagrégation un élément d’incertitude non négligeable dans l’estimation de la principale entrée des modèles hydrologiques.

Il faut noter que la variabilité ou le changement climatique ne sont pas les seules causes possibles de la variabilité ou du changement des régimes hydrologiques. L’aménagement des rivières (barrages) et les prélèvements (en particulier les prélèvements agricoles) les affectent lourdement mais ils ne sont pas les seuls et certaines transformations des bassins versants touchant à la nature de l’occupation des sols (urbanisation, déforestation, etc.) provoquent elles aussi des effets qui peuvent se révéler significatifs et rendent plus difficile encore l’expression de diagnostics de changement. On peut le constater sur la figure 4 où l’augmentation significative de l’intensité des crues dans la seconde partie de la période 1970-1999 doit être attribuée à l’urbanisation progressive d’un bassin (L’Izeron) qui devient peu à peu une banlieue de la ville de Lyon (Radojevic, 2002). Trop souvent aujourd’hui le changement climatique est invoqué par certains décideurs pour dissimuler leur impéritie, ainsi que le souligne Bertoni (2006) à propos de l’inondation catastrophique de la ville de Santa Fe (Argentine) en 2003.

Figure 4

Débits journaliers de l’Izeron à Craponne (Département du Rhône, bassin versant de 49 km2) de 1970 à 1999 (Extrait de la thèse de B. Radojevic, 2002).

Daily discharges of the Izeron river at Craponne (Rhône department, France, area of the catchment 49 km2) from 1970 to 1999 (From the Ph D thesis of B. RADOJEVIC, 2002).

Débits journaliers de l’Izeron à Craponne (Département du Rhône, bassin versant de 49 km2) de 1970 à 1999 (Extrait de la thèse de B. Radojevic, 2002).

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L’incertitude attachée aux modèles climatiques conduit à des prévisions qui peuvent, en particulier pour les précipitations, différer sensiblement, voire même se contredire d’un modèle à l’autre. Cela est signalé par exemple par Shenet al. (2007) dans une analyse prospective multi-modèle des ressources en eau à l’échelle planétaire. Nous l’illustrerons ici (Figure 5) par quatre cartes (Extraites de Ardoin-Bardinet al., 2006) présentant l’évolution prévue en 2080 des précipitations sur le bassin méditerranéen, pour un même scénario d’émission (A2), par quatre modèles climatiques différents. Cette disparité des prévisions climatiques se répercute évidemment sur les prévisions hydrologiques. Nawaz et Bellerby (2007) dans une étude prospective concernant le Nil Bleu à l’horizon 2100, remarquent ainsi que deux modèles conduisent à une diminution du module et du Q5 (Débit dépassé pendant 5 % du temps) alors qu’un autre conduit à une augmentation du module et du Q5.

Figure 5

Répartition géographiques des augmentations ou diminutions des précipitations prévues à l’horizon 2080 par quatre modèles climatiques (HadCM3, ECHAM4, NCAR et CSIRO) pour un même scénario (A2), présentée à la résolution du modèle HADCM3 (2,5° x 3,75°). (D’après Ardoin-Bardin et al. ,2006),

Geographical repartition of increasing and decreasing precipitation areas foreseen for 2080 around the Mediterranean by climatic models (HadCM3, ECHAM4, NCAR and CSIRO) for a similar scenario (A2) displayed at the HadCM3 resolution (2.5° x 3.75°). (After Ardoin-Bardin et al., 2006).

Répartition géographiques des augmentations ou diminutions des précipitations prévues à l’horizon 2080 par quatre modèles climatiques (HadCM3, ECHAM4, NCAR et CSIRO) pour un même scénario (A2), présentée à la résolution du modèle HADCM3 (2,5° x 3,75°). (D’après Ardoin-Bardin et al. ,2006),

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En dépit de résultats parfois contradictoires à l’échelle régionale sur le sens de l’évolution des précipitations, par exemple, tous insistent sur une probable intensification du cycle hydrologique (IPCC, 2001; Leblois et Margat, 2000), qui se traduirait par des crues plus accentuées en hiver et des étiages plus marqués en été, et certains n’hésitent pas à attribuer au changement climatique les inondations catastrophiques que l’on a du déplorer de par le monde au cours des dernières années. C’est peut‑être oublier que le risque d’inondation procède d’un aléa hydrologique (la crue dans la formation de laquelle le climat joue un rôle éminent) et d’une vulnérabilité, dont la nature est essentiellement sociale (Neppelet al., 2003) et qui s’est considérablement accrue au cours du XXe siècle du fait de l’accroissement de la population, de l’urbanisation et du développement économique. Si certains auteurs annoncent une augmentation des débits moyens au cours du XXe siècle (Labatet al.; 2004), de nombreuses études récentes consacrées à l’étude de séries instrumentales et historiques disponibles, à l’échelle planétaire (Kundzewicz, 2004; Svenssonet al., 2006) ou régionale, en Europe Centrale (Mudelseeet al., 2003) ou en France (Langet al., 2002; Renard, 2006) n’ont relevé aucune tendance significative en ce qui concerne les précipitations et les crues, et particulièrement les plus extrêmes d’entre elles, et ceci, même pour les très longues séries (Langet al., 2002), en dépit de fluctuations climatiques avérées (Petit âge glaciaire marqué par un refroidissement du XVe au XIXe siècle). Il faut ici noter que la recherche historique permet souvent de relativiser l’importance d’événements qui, même s’ils peuvent être à l’origine de désastres, en raison de la vulnérabilité souvent nouvelle, n’apparaissent « exceptionnels » qu’à l’aune des trop courtes séries instrumentales disponibles, mais le sont beaucoup moins dès que la recherche d’archives et de documents permet d’augmenter la profondeur de champ de l’analyse. On trouvera sur la figure 6 ce qu’ont pu fournir de telles recherches sur un petit bassin de l’Aude (Payrastre, 2005), la profondeur de champ passant des trente dernières années (données instrumentales) à près de deux siècles (données historiques).

Figure 6

Reconstitution des crues historiques de la Salz (142 km2, Bassin de l’Aude, France)(Extrait de la thèse d’O. Payrastre, 2005).

Reconstruction of the Salz river historical floods (Catchment 142 km2, Aude Basin, France). (From the PhD thesis of O. PAYRASTRE, 2005).

Reconstitution des crues historiques de la Salz (142 km2, Bassin de l’Aude, France)(Extrait de la thèse d’O. Payrastre, 2005).

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Il y a déjà longtemps que les hydrologues se préoccupent des conséquences hydrologiques des changements climatiques. Dès 1961, l’UNESCO et l’OMM organisaient à Rome une conférence sur « Les changements de climat » dans le cadre du programme de recherches sur la zone aride (UNESCO et OMM, 1963). L’AISH a organisé en 1979 un colloque sur le thème « Niveau de la mer, glace et changement climatique » (Allison, 1981) et en 1987, un premier colloque sur « L’influence du changement et de la variabilité climatique sur les régimes hydrologiques et les ressources en eau » (Solomonet al., 1987). Depuis, les travaux se sont accumulés et les conférences se sont multipliées mais de nombreux chercheurs s’interrogent sérieusement sur la fiabilité que l’on peut attribuer aux résultats obtenus (Balek, 2006; Bocquillonet al., 2006), en raison de l’accumulation des incertitudes concernant les modèles climatiques, les schémas de désagrégation et les modèles hydrologiques, sans oublier celles des scénarios d’évolution socio-économiques.

Le climat change aujourd’hui comme il a toujours changé tout au long de l’histoire de la Terre, et des actions anthropiques s’ajoutent maintenant aux causes astronomiques et géophysiques qui ont longtemps été les seuls moteurs de son évolution. La modélisation mathématique du climat est certainement l’un des plus grands défis qu’a jamais affronté la communauté scientifique en raison de la multiplicité et de la complexité des phénomènes impliqués, caractérisés par leurs interactions (et leurs rétroactions) et leur développement selon une vaste gamme d’échelles spatio-temporelles. Pour formuler des diagnostics de changements, il est tout d’abord indispensable de mieux cerner, à travers l’étude de séries instrumentales et historiques aussi nombreuses que possible, la véritable nature de la variabilité naturelle des diverses facettes du climat qui ne se réduit certainement pas à une simple stationnarité ou à une évolution tendancielle (Cohn et Lins, 2005). C’est un domaine qui est très largement négligé, alors que dorment dans les archives de nombreuses informations qui pourraient, à peu de frais, être extraites et valorisées aux plans climatique et hydrologique. Les exercices de modélisation du climat et des régimes hydrologiques, qui drainent l’essentiel des ressources, sont bien évidemment indispensables pour baliser le champ du possible et éclairer la prise de décisions, mais les nombreuses incertitudes, difficilement quantifiables, qui leur sont attachées limitent encore leur capacité prévisionnelle et leurs résultats doivent être considérés avec beaucoup de circonspection et de modestie. Pour l’instant, et dans l’état actuel de nos connaissances et de nos outils, c’est plutôt sur la base d’une analyse et d’une prospective statistiques de la variabilité des régimes hydro-météorologiques plus que sur une prévision de nature déterministe que peuvent s’appuyer les décideurs, s’ils envisagent sérieusement de prendre en main le problème à l’échelle mondiale, ce dont doutent depuis longtemps certains observateurs (Waterstone, 1993).