Abstracts
Résumé
L’eau que nous consommons chaque jour est essentielle à la vie. Sa qualité a toujours été un élément indispensable à un environnement favorable à la santé. Actuellement, loin d’avoir été résolu, le problème de la qualité de l’eau de boisson est toujours une priorité de santé publique, autant dans les pays en voie de développement que dans les pays industrialisés.
Ce texte présente six défis pour la santé publique dans le dossier de l’eau potable pour les années futures :
L’utilisation d’une approche multibarrière dans la production et la distribution de l’eau potable, qui inclut la protection des sources d’eau, l’utilisation d’un traitement efficace, la qualité du réseau de distribution, la surveillance de la qualité de l’eau et la réponse lors d’un problème;
La mise au point de meilleures normes de qualité d’eau par le choix d’indicateurs plus pertinents, l’utilisation de méthodes d’analyse de risque plus adaptées, le suivi de la qualité de l’eau plus fréquent à être fait au robinet du consommateur;
L’amélioration de la surveillance des maladies d’origine hydrique ainsi que des méthodes d’investigation des épidémies;
L’amélioration des liens avec la communauté;
La prise en compte de critères de gestion transparents qui incluent l’accessibilité, l’équité, et les analyses coûts-bénéfices;
Le développement de la recherche sur les maladies d’origine hydrique, en particulier sur l’exposition réelle des populations aux contaminants de l’eau et l’évaluation des effets de la contamination de l’eau sur la santé.
Finalement, le problème de la qualité de l’eau potable doit être appréhendé dans une perspective mondiale.
Mots clés:
- Eau potable,
- santé,
- normes,
- surveillance,
- gestion des risques
Summary
Drinking water is essential to human life. Drinking water quality has always been an essential component of a healthy environment. In fact, the risk of waterborne diseases, either from microbiological or chemical contamination of drinking water, is still ubiquitous in both industrialized and non-industrialized countries. Recently, several outbreaks of waterborne enteritis in North America have confirmed the presence of this risk, with some potentially dramatic consequences such as the case that occurred in Walkerton, Ontario. Vulnerable people such as infants, pregnant women, senior citizens and individuals with compromised immune systems are particularly at risk. Other factors such as travel, migration, climate change, and intensive agriculture might increase the risk of emerging diseases. The lack of basic measures of public health such as protection of sources of water, adequate water treatment, or surveillance of drinking water has also been underlined in recent epidemics. Multi-chemical contamination at very low doses by pharmaceuticals or disinfectant by-products is also an issue that public health practitioners must deal with. New technology enables us to detect chemicals that were not detectable a few years ago.
With respect to all these potential threats, this paper presents six major challenges in the area of drinking water that are considered by the author as a priority for public health:
Implementation of the multi-barrier approach is fundamental for the prevention of waterborne diseases. It includes the protection of drinking water sources from contamination, efficient water treatment in every community including those in remote areas, operation and maintenance with competent operators, good water quality within the entire distribution network, an adequate monitoring of drinking water using real-time surveillance when feasible, and finally, rapid responses to «red flags» which might be raised by all types of monitoring and surveillance.
Increasing the level of drinking water standards is also paramount. It includes the use of the most pertinent index of bacterial, viral and parasitic contamination during water monitoring. This is also true for chemicals, where a global index of health risk should be developed. The use of the best risk-assessment methods when deriving standards is recommended, especially regarding the consideration of exposure through inhalation and dermal contact and the vulnerability of some sub-populations. An increase in the frequency of water quality monitoring is also recommended with sampling, when necessary, at the consumer’s tap.
Improving waterborne disease surveillance and methods of detection and investigation of outbreaks are still important. These are the public health watchdogs that are very useful when the previous measures have failed. They include the use of rapid and easy means of surveillance of acute enteric symptoms, such as monitoring diarrhoea medication sales, telephone calls received at a Health Line, or the monitoring of diarrhoea in some at-risk populations. Up-to-date methods to track pathogens in outbreak investigations would also be very useful to link diseases to water contamination.
Enhancing the links with communities is an important component of public health intervention. It includes annual reports to communities on water quality and involving citizens at the beginning of discussions when all important decisions regarding drinking water have to be made (e.g., upgrading a treatment plant). It might also be possible to inform a community when contaminants are found with concentrations that exceed 50% or less of the water quality standards.
Use of transparent and fair management criteria is a critical issue. Several standards have been driven mostly by the technical limitations of analytical methods and a low-cost approach. There are also potential threats that some minorities could have less access to water of good quality and suffer the burden of water contamination. The new management should include some important criteria as equity, social solidarity and valid cost-benefit analysis.
Developing research into human exposure and waterborne diseases epidemiology is the key issue to derive new knowledge to come up with the best water quality standards. It includes the use of efficient epidemiologic designs and a special focus on vulnerable populations (e.g., pregnant women, infants). Toxicological studies might still be useful if they improve risk assessment.
In conclusion, beyond traditional methods that have to be updated (multi-barriers, quality standards and surveillance of waterborne diseases and investigation of outbreaks), the new components of the public health approach in drinking water are: the quality of the link with the community, the use of transparent and fair criteria for risk management, and a strong research agenda focussing on human health impacts. Finally, the use of a global perspective is paramount. Most drinking water issues are spread worldwide and cooperation between nations and countries is an important component of a healthy world in this twenty-first century.
Key words:
- Drinking water,
- health,
- standards,
- surveillance,
- risk management
Article body
1. Introduction
Dans les pays en voie de développement, le fléau des maladies entériques d’origine hydrique est un problème toujours aussi criant et il est dommage de constater que les objectifs des Nations‑Unies visant « l’accès pour tous à l’eau potable » n’ont jamais été atteints et ne sont même plus visés par cet organisme (MacDONALD, 2003). Par ailleurs, l’apparition récente d’épidémies importantes de maladies d’origine hydrique dans les pays industrialisés, et plus particulièrement en Amérique du Nord (BRUCE-GREY-OWEN SOUND HEALTH UNIT, 2000; MacKENZIE et al., 1994), a permis aux responsables de la production et de la distribution d’eau potable de reconnaître que le risque infectieux transmis par la consommation d’eau était toujours d’actualité.
Divers facteurs peuvent expliquer la recrudescence des maladies d’origine hydrique. D’une part, les mesures classiques de protection de la santé publique dans la production d’eau potable font parfois défaut, et ceci même dans nos sociétés industrialisées (HRUDEY et al., 2003), et d’autre part, les maladies dites « en émergence » sont explicables par plusieurs facteurs dont les changements de comportement de la population et l’augmentation de la vulnérabilité de certains groupes (WORD HEALTH ORGANIZATION, 2003). Diverses menaces sont aussi pointées du doigt, qu’elles soient localisées comme la production animale intensive (CHEVALIER et al., 2004), ou générales comme les changements climatiques (McMICHAEL et al., 1996).
Même si le risque infectieux demeure toujours l’objectif numéro un du traitement de l’eau, le problème des contaminations chimiques est devenu de plus en plus important. Ceci est dû autant à la disponibilité de nouvelles techniques de détection qui mettent en évidence la présence de multiples contaminants chimiques à très faibles concentrations que du manque de connaissances sur leurs effets. C’est particulièrement le cas pour les sous-produits générés par la désinfection de l’eau (LEVALLOIS, 1995) et les substances pharmaceutiques (HEBERER, 2002). Nous présentons ici six défis pour la santé publique dans le domaine de l’eau potable qui devront être pris en considération de manière impérative dans les années à venir.
2. Application de l’approche multibarrière
Même si une approche globale est toujours la meilleure garantie de succès lors de la gestion d’un problème complexe, il est souvent plus facile, du moins à court terme, de vouloir limiter son action au facteur jugé le plus important. Ainsi, dans la production d’eau potable, on a cru pendant longtemps que le traitement de l’eau pouvait régler la majorité des problèmes. Certaines mesures de base, telles que la protection des sources d’eau ou le maintien en bon état des canalisations, ont souvent été peu considérées. En fait, suite à l’épidémie de Walkerton et d’autres épidémies de ce type dans plusieurs pays, l’approche à barrières multiples a été préconisée par plusieurs juridictions (HRUDEY et al., 2003; SANTÉ CANADA, 2002).
Cette approche met l’accent sur l’importance d’actions concomitantes sur les cinq facteurs suivants :
2.1 Protection des sources d’eau
Il s’agit d’une mesure de base en hygiène publique qui a été utilisée depuis l’antiquité. On reconnaît de nouveau son importance car une eau brute de bonne qualité sera toujours plus facile à traiter et entraînera en général moins de risque pour la santé.
2.2 Utilisation d’un traitement efficace
Il s’agit d’une mesure fondamentale pour les eaux de surface (qui sont contaminées de façon permanente par des micro-organismes). Cette mesure est aussi essentielle pour les eaux souterraines vulnérables. Même les usines de traitement de grande taille doivent être améliorées pour répondre aux nouvelles exigences requises pour la réduction du risque parasitaire. De nouvelles techniques de traitement adaptées aux petites communautés devront aussi être développées. L’importance de la formation des opérateurs doit être soulignée. Cette formation doit être présente à l’embauche et mise à jour régulièrement en cours d’emploi.
2.3 Qualité du réseau de distribution
La qualité de l’eau au robinet du consommateur est tributaire de la qualité du réseau. Une tuyauterie mal entretenue, des bris fréquents ou des zones de sous-pression seront fréquemment synonymes de contamination de l’eau consommée.
2.4 Surveillance de la qualité de l’eau
Les épisodes comme la tragédie de Walkerton ont fait comprendre l’importance de la surveillance de la qualité de l’eau traitée. Cette surveillance doit s’opérer à l’usine de traitement et de manière continue pour les paramètres les plus fondamentaux et ceux facilement mesurables (chlore résiduel, turbidité). Elle doit aussi viser l’ensemble du réseau de distribution d’eau potable.
2.5 Réponse lors de problème
Lors de la détection d’un problème (urgent ou non), une réponse doit toujours être donnée rapidement afin de corriger la situation. L’absence de réponse adéquate lors de la détection d’un problème a été responsable de plusieurs épidémies, dont celle de Walkerton (HRUDEY et al., 2003). Cette réponse doit inclure les correctifs techniques nécessaires dans l’usine de traitement et dans le réseau d’eau potable mais aussi l’intervention de protection de la santé publique qu’est l’avis d’ébullition dans le cas de dépassement des normes microbiennes.
3. Amélioration des normes de qualité d’eau potable
L’amélioration des normes de qualité d’eau potable est un élément important d’une stratégie visant la protection de la santé. En effet, l’amélioration des techniques de traitement et de gestion a souvent été la résultante de nouvelles normes de qualité de l’eau. Les principaux défis qui concernent l’amélioration des normes de qualité de l’eau de consommation sont les suivants :
3.1 Choisir les indicateurs les plus pertinents
La surveillance microbienne a peu progressé pendant le siècle dernier. Il faut maintenant avoir de véritables indicateurs de risques, non seulement bactériens mais aussi viraux et parasitaires. Ces indicateurs doivent être sensibles, spécifiques et être d’utilisation rapide. Les développements technologiques doivent permettre la mise au point de nouveaux indicateurs plus performants, en particulier par la mesure de pathogènes et d’indicateurs de contamination virale (NATIONAL RESEARCH COUNCIL, 2004).
Concernant les paramètres chimiques, la difficulté à prendre en compte la présence de multiples contaminants à faibles concentrations devrait favoriser le développement d’indicateurs de la contamination chimique. Les indicateurs chimiques doivent être choisis principalement en fonction de leur valeur prédictive de risque pour la santé. Ainsi, des indicateurs d’effets globaux, tels les tests de génotoxicité ou d’effet hormonal, doivent être envisagés. La validité d’indicateurs chimiques constitués d’un groupe de composés (THM bromés, TOX, etc.) doit aussi être mieux étudiée.
3.2 Utiliser les méthodes d’analyse de risque les mieux adaptées
Jusqu’à maintenant, les normes chimiques ont été mises sur pied à l’aide de techniques d’analyse de risque qui datent du siècle dernier et qui ont été peu mises à jour. Par exemple, la prise en compte des voies d’exposition que sont l’inhalation et l’absorption cutanée est encore limitée. Elle est pourtant fondamentale lors de la mise au point des normes de qualité pour les solvants et autres substances absorbées lors de la prise de bains et de douches (HOWD et al., 2000). De plus, la prise en compte de vulnérabilités particulières (enfants, femmes enceintes, personnes âgées, etc.) doit faire l’objet d’une attention spécifique (HOWD, 2002). La prise en considération de l’interaction entre différentes substances présentes dans l’eau de consommation doit aussi être envisagée (SIMMONS et al., 2004).
3.3 Assurer un suivi fréquent de la qualité et particulièrement au robinet du consommateur
Pendant longtemps, certains paramètres d’eau potable inclus dans les normes n’ont pas été surveillés faute d’une obligation (ex. : THM au Québec jusqu’en 2001). Cette situation persiste encore au Québec pour les petites municipalités (ayant moins de 5 000 habitants) pour ce qui est de l’ensemble des substances organiques (à l’exception des THM pour les réseaux chlorés) (GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, 2001). De plus, pour tous les contaminants pouvant être générés par la tuyauterie, la surveillance au robinet du consommateur, avant et après écoulement, est impérative. C’est le cas du plomb et du cuivre, constituants de la tuyauterie, qui sont normés aux États-Unis au robinet du consommateur à l’aide d’un prélèvement de premier jet après une stagnation de plusieurs heures (US EPA, 2000). Cela n’est pas le cas au Canada et dans beaucoup d’autres pays.
4. Amélioration de la surveillance des maladies d’origine hydrique et des méthodes d’investigation des épidémies
Même si la protection de la santé publique en matière d’eau potable relève principalement d’une approche multibarrière et des normes de qualité, la surveillance de santé publique et la détection des épidémies d’origine hydrique jouent le rôle de « chiens de garde » permettant de détecter parfois tardivement les déficiences aux étapes précédentes. De plus, dans certains cas, la détection d’une épidémie à son tout début permettra de mettre en place des mesures permettant de réduire l’extension de la maladie dans la population.
4.1 Nouvelles méthodes de surveillance
La surveillance classique de santé publique, qui est basée sur les diagnostics lors des hospitalisations ou sur la déclaration obligatoire de certaines maladies, n’est pas adaptée à la détection rapide d’épidémies. Devant la recrudescence des épidémies d’origine hydrique, plusieurs groupes de travail ont proposé d’utiliser des méthodes plus souples et plus rapides pour cette détection (FROST et al., 1996). Il s’agit, en particulier, de l’utilisation des diagnostics pour consultation à l’urgence, de la vente des médicaments antidiarrhéiques dans les pharmacies, de la surveillance de la fréquence des maladies entériques chez les personnes en centre d’hébergement. Au Québec, le système de réponse téléphonique Info-santé a été utilisé de façon prometteuse pour ce type de surveillance (GILBERT et al., 1999)
4.2 Investigation des épidémies
La recherche de l’origine hydrique éventuelle d’une épidémie de gastro-entérite est aussi importante pour identifier les épidémies résultant de ce type de contamination. Jusqu’à maintenant, peu de protocoles existent pour la détection rapide du facteur hydrique dans ces épidémies (GROUPE SCIENTIFIQUE SUR L’EAU, 2003). Des recommandations ont été faites récemment afin de développer des techniques de détection de pathogènes dans les sources et les réseaux d’eau potable afin de relier plus facilement une série de cas de malades à une source hydrique (NATIONAL RESEARCH COUNCIL, 2004).
5. Amélioration des liens avec la communauté
La qualité des liens avec la communauté a souvent été un des éléments du succès des mesures de santé publique. Non seulement le lien entre les décideurs et la communauté permet d’améliorer la confiance de la population dans la valeur des décisions, mais il permet aussi de choisir les solutions les mieux adaptées au problème sous étude. La participation des citoyens à la prise de décision devrait logiquement permettre de trouver une solution plus éclairée et mieux acceptée par la communauté (BEAUCHAMP, 1993).
La participation de la population concernée peut prendre différentes formes. Plusieurs groupes concernés par le risque peuvent être impliqués et divers processus de participation peuvent être utilisés. Certains principes pour guider la participation publique ont été présentés récemment (BOLDUC, 2003). Ils incluent la nécessité d’impliquer la population assez tôt dans le processus devant mener à la décision et permettre un large éventail de points de vue.
Dans le domaine de l’eau potable, il nous semble que la communication avec le public devrait être continuelle. Ainsi, la diffusion de bulletins annuels sur la qualité de l’eau des municipalités serait souhaitable. Cette pratique est déjà en vigueur chez nos voisins du Sud et une pratique courante dans les pays européens. De plus, une notification aux autorités de santé publique et à la population, dès que la concentration d’un contaminant atteint 50 % de la norme ou moins, pourrait être un incitatif à procéder à une étude plus approfondie de la situation et permettrait de conscientiser la population aux problèmes de qualité d’eau. Cette pratique est déjà mise en pratique par l’US EPA pour le cas de la contamination par les nitrates et l’arsenic (US EPA, 2001, 2004).
De plus, lorsqu’un dépassement des normes de qualité d’eau est mis en évidence ou appréhendé, il serait souhaitable d’informer rapidement la population et de mettre en place un véritable processus de participation devant guider la prise de décision. Ainsi, dans le cas de la mise à niveau nécessaire des usines de traitement d’eau, ou même lorsque des décisions doivent être prises dans le choix d’une source d’eau potable, il serait souhaitable qu’un large débat ait lieu et que les données scientifiques puissent être discutées (LEVALLOIS et al., 1989).
6. Prise en compte de nouveaux critères de gestion
Bien que la prise en compte de critères de gestion soit toujours plus ou moins implicite lors de la mise au point de normes, cette procédure n’est pas suffisamment transparente. En effet, plusieurs critères de gestion peuvent être utilisés pour choisir une concentration maximale acceptable (CMA) d’une substance présente dans l’eau potable. Lorsque les données scientifiques sont suffisantes, ces critères permettent de proposer une CMA dont le respect permet de s’assurer que la consommation régulière d’une eau n’entraîne aucun effet néfaste à la santé (SANTÉ CANADA, 1995).
Cependant, les données sont parfois incomplètes ou la norme peu atteignable. Une recommandation intérimaire est alors souvent proposée. Cette recommandation intérimaire, parfois supérieure à la CMA envisagée, est proposée lorsque l’une des trois situations suivantes est présente :
des incertitudes importantes existent pour établir une CMA;
les méthodes analytiques pour mesurer le niveau optimal ne sont pas disponibles;
les techniques de traitement disponibles ne permettent pas la réduction du risque à un niveau optimal.
Par ailleurs, dans le cas d’une contamination chimique, puisque le risque à court terme est le plus souvent absent, les autorités de santé publique vont souvent permettre de façon temporaire des dépassements de normes. C’est en particulier le cas lorsque les mesures correctives ne sont pas facilement disponibles ou trop onéreuses.
Bien que ces critères soient mentionnés dans les documents guides qui présentent la méthodologie utilisée pour le calcul des recommandations des paramètres de qualité d’eau potable (SANTÉ CANADA, 1995), ils ne sont pas toujours explicites lorsqu’il s’agit de les appliquer à une substance précise et, surtout, ils sont rarement mentionnés lorsqu’il s’agit de discuter de la valeur protectrice d’une norme. Il y a donc lieu d’être honnête et le plus transparent possible lorsqu’il s’agit d’expliquer une norme.
Par ailleurs, certains critères de gestion moderne doivent être pris en compte et discutés lors de prises de décisions concernant l’eau potable. Il s’agit, en particulier, de l’équité, de la solidarité et des études coûts-bénéfices. Les deux premières sont des notions anciennes qui sont de plus en plus prises en considération lorsqu’il s’agit de prises de décisions dans le domaine de l’environnement (BEAUCHAMP, 1993; INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, 2003). De plus en plus, les impacts des inégalités sociales sont mis en évidence et l’effet cumulatif de ces inégalités avec une exposition plus importante aux contaminants environnementaux a fait naître aux États-Unis un mouvement de « justice environnementale » qui essaie de prendre en considération les valeurs d’équité et de solidarité lors d’une intervention ou une recherche dans le domaine environnemental (SEXTON ET ADGATE, 1999).
Dans le dossier de l’eau, il va de soi que l’accès à l’eau potable doit être regardé en tenant compte de ces valeurs fondamentales de santé publique. Bien qu’il soit logique de vouloir protéger en priorité les communautés de grande taille, il faut aussi prendre en considération l’impact des inégalités engendrées par des politiques publiques qui diminuent les exigences de respect des normes pour les petits réseaux d’eau potable. Le cas du Québec est un bon exemple où, à cause de contraintes financières demandées aux exploitants pour la surveillance de la qualité d’eau, il est question, pour les petits réseaux, d’assouplir la surveillance du respect des normes d’eau potable. Une analyse approfondie devrait être faite, cas par cas, afin que les mécanismes de solidarité sociale puissent s’appliquer afin de permettre un accès à une eau de qualité pour l’ensemble de la population. Des mesures de soutien aux petits exploitants doivent être ainsi envisagées, particulièrement chez les populations à faible revenu ou avec des problèmes socioéconomiques importants.
Finalement, à cause des limites financières, il est important que les décisions prises en matière d’eau potable soient regardées selon une analyse coût-bénéfice rigoureuse. Ces mesures sont fréquemment utilisées dans le domaine des programmes de santé publique (DRUMMOND et al., 1987) mais rarement dans le domaine de l’eau potable. À notre connaissance, l’utilisation de la méthode coût-bénéfice a été utilisée pour une première fois par l’US EPA dans le domaine de l’eau potable pour justifier la nouvelle norme pour l’arsenic aux États-Unis (US EPA, 2001). Par ailleurs, l’utilisation de méthodes coût-utilité permet de comparer l’effet de différentes mesures sur la réduction des risques à la santé. Ainsi, l’Institut national de santé publique de la Hollande a effectué une étude pour évaluer l’impact de différentes mesures de traitement de l’eau sur la réduction des années de vie perdues par la mortalité et la morbidité associées aux maladies d’origine hydrique (HAVELAAR et al., 2000).
7. Développement de la recherche sur les maladies d’origine hydrique
Finalement, bien que la recherche soit souvent invoquée comme faisant partie de toute stratégie globale dans le domaine de l’eau potable (SANTÉ CANADA, 2002), elle est souvent le parent pauvre de bon nombre d’initiatives dans le domaine de l’eau potable. De plus, de façon « naturelle », l’essentiel des recherches est effectué dans le domaine du traitement de l’eau potable. Ceci est lié au fait que les coûts des équipements sont très élevés, mais aussi parce que l’industrie privée est très active dans ce secteur.
Plus récemment, l’accent a été mis sur l’importance de la protection des sources d’eau potable et la nécessité de mieux connaître la qualité de ces sources. C’est en particulier le cas au Québec, où une « politique de l’eau » a vu le jour (MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT DU QUÉBEC, 2002). Même si cette politique est un progrès majeur pour la protection des sources d’eau, elle ne présente qu’un progrès minime sur le plan de la recherche. En fait, au-delà de quelques engagements pour mieux connaître l’état de la ressource sur le plan environnemental, aucune intention n’est manifestée dans cette politique concernant le soutien à la recherche sur les impacts sanitaires de la mauvaise qualité de l’eau. Pourtant, la recherche sur les maladies d’origine hydrique est peu développée au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde. Les types de recherche suivants devraient être soutenus dans l’avenir si on veut véritablement avoir toutes les chances de prévenir les maladies d’origine hydrique :
7.1 Évaluation de l’exposition des populations aux contaminants de l’eau
Il ne suffit pas de mesurer la contamination dans les sources d’eau ou au robinet, il faut aussi tenir compte des habitudes de consommation de la population et de l’exposition à l’eau par les bains et les douches. Par exemple, les connaissances disponibles sur la consommation d’eau de robinet nous permettent de constater que plus de 10 % de la population consomme plus de 2 litres d’eau par jour (LEVALLOIS et al., 1998). Ainsi, l’utilisation, lors de l’établissement des normes d’eau potable d’une valeur par défaut de 2 litres comme consommation quotidienne, serait plus protectrice que la valeur de 1,5 litre actuellement utilisée par Santé Canada (la concentration maximale acceptable en découlant étant plus faible).
De façon idéale, les mesures biologiques permettent d’intégrer les différentes sources et voies d’exposition. Ainsi, les mesures urinaires de nitrates ont permis de mettre en évidence l’impact de la contamination de l’eau par les nitrates (LEVALLOIS et al., 2000). La prise en compte de la teneur en chloroforme de l’air exhalé chez des individus après la prise de douches a permis de mettre en évidence son importance comme voie d’exposition aux trihalométhanes (LÉVESQUE et al., 2002).
7.2 Évaluation des effets de la contamination de l’eau sur la santé
La majorité des connaissances des effets sur la santé des contaminants de l’eau sont dérivées des études effectuées chez l’animal. Les études épidémiologiques réalisées chez certaines populations humaines sont parfois anciennes et déficientes sur le plan méthodologique. Il est donc nécessaire de soutenir le développement d’études épidémiologiques de bonne qualité susceptibles de faciliter l’établissement de nouvelles normes de qualité d’eau.
Des études épidémiologiques plus poussées, permettant une estimation de l’exposition aussi précise que possible, sont nécessaires. Dans le cas d’études rétrospectives, (études cas-témoins), il sera souvent nécessaire de développer des méthodes permettant d’estimer la concentration de contaminants dans les réseaux d’eau potable plusieurs décennies avant l’apparition de la maladie. Éventuellement, de grandes études de cohorte seraient nécessaires afin d’améliorer l’évaluation de l’exposition, et permettre de répondre aux questions que soulèvent les risques potentiels associés aux contaminations multiples. Les études de cohorte concernant la reproduction devraient être prioritaires étant donné qu’elles sont réalisables sur une courte période de temps et qu’elles concernent une population particulièrement vulnérable (femmes enceintes).
Finalement, les études toxicologiques chez l’animal doivent aussi être soutenues lorsqu’elles permettent d’améliorer les modèles d’évaluation du risque. Ainsi, les études effectuées sur l’interaction de différentes substances présentes dans l’eau potable sont utiles. Des études pour mieux comprendre les mécanismes de toxicité sont aussi souvent utiles. Cependant, le problème de l’extrapolation à l’humain persiste toujours.
8. Conclusion
Le maintien et l’amélioration de la qualité de l’eau demeurent une des mesures de base de santé publique. Alors que la qualité de cette eau paraissait acquise dans les pays industrialisés, le développement des connaissances sur les effets toxiques des contaminants et la recrudescence de certaines épidémies ont permis de mettre en évidence qu’il s’agit d’une menace permanente qui ne doit pas être oubliée. Ce texte présente les principaux défis auxquels devront s’attaquer les autorités de santé publique et les gouvernements dans les années futures. Au-delà des mesures classiques de santé publique (approche multibarrière, normes de qualité d’eau, surveillance des maladies et détection des épidémies), on doit maintenant s’attaquer à de nouveaux défis : l’amélioration des liens avec la communauté, la prise en compte de nouveaux critères de gestion et le développement de la recherche.
Finalement, il est important de souligner que le problème de la qualité de l’eau potable doit être appréhendé dans une perspective mondiale. De nombreux problèmes sont présents à des degrés divers partout sur la planète et les efforts internationaux pour les solutionner sont importants. Le cas du réchauffement planétaire qui peut avoir d’importantes conséquences sur la résurgence de certaines maladies infectieuses, dont celles d’origine hydrique, est un bon exemple qui doit nous pousser à travailler conjointement dans une perspective planétaire. Par ailleurs, une minorité de pays riches ne devrait jamais accepter de voir la grande majorité de la population mondiale souffrir d’un manque flagrant d’accès à une eau de qualité. Les principes d’équité et de solidarité doivent ainsi être appliqués non seulement sur le plan local et national mais aussi sur le plan international.
Appendices
Remerciements
L’auteur tient à remercier plusieurs de ses collègues du Groupe scientifique sur l’eau de l’Institut national de santé publique du Québec pour leurs commentaires sur une version préliminaire de ce texte. Les opinions présentées dans cet article n’engagent cependant que l’auteur.
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