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1. Introduction

En Algérie, la quantité d’eaux usées rejetées annuellement est estimée à environ cinq cent millions de mètres cubes par an. De ces quantités (CHALALI, 1997), seulement 6 % des eaux urbaines et 15 % des eaux industrielles sont actuellement épurées (EEC, Edil inf‑eau, 1996).

Le débit journalier des eaux usées urbaines, de la ville de Sidi Bel-Abbès (ouest d’Algérie), varie entre 9 920 et 19 805 m3. Dans la station d’épuration (STEP) de cette ville, les eaux usées résiduaires brutes subissent quatre étapes de traitement avant d’être retournées à l’oued Mekerra (GAID, 1984; DEBILLEMONT, 1996; MECABIH, 2000) : le dessablage, le dégraissage par coagulation – floculation, la filtration biologique et la désinfection par rayons UV. Cependant, les eaux résiduaires urbaines contiennent encore des métaux lourds (zinc, nickel, cuivre, etc.), des matières organiques, des produits azotés (DEBILLEMONT, 1996; MORSLI, 1998) et du phosphore en des quantités élevées.

Les sels de fer (III) et d’aluminium (III) servent de réactifs de coagulation et de floculation (KOBAYASHI et SUZUKI, 1981; LAHOUSSINE et al., 1992; EDELINE, 1998; ASTRIDE et al., 1999). Les chlorures de fer (III), d’aluminium (III) et de cuivre (II) ont été utilisés pour floculer les matières organiques (ROSE et al., 1998; ASTRIDE et al., 1999). La coloration de l’eau traitée par ces sels est réduite de 95 %, les matières en suspension (MES) de 90 % et la demande biologique d’oxygène (DBO5) de 70 % (DEBILLEMONT, 1996). Ces sels sont également efficaces pour précipiter les ions phosphates (PO42‑), fluor (F) ainsi que les matières humiques (ROSE et al., 1996 et 1997; EDELINE, 1998). Le principal inconvénient résulte de la difficile séparation liquide – solide, car la coagulation fournit des flocs moins compacts pour s’agglomérer et floculer (KOBAYASHI et SUZUKI, 1981; EDELINE, 1998).

Beaucoup de travaux ont mis à profit les propriétés (acides, absorbantes, échangeurs de cations, etc.) des argiles, en particulier la bentonite, pour traiter des eaux usées. La bentonite convient surtout pour des eaux à pH voisin de 7 ou légèrement acides riches en matières organiques (EDELINE, 1998; ASTRIDE et al., 1999). Les capacités épuratoires de la bentonite sont optimisées si celle-ci est associée aux sels de fer et d’aluminium. La bentonite modifiée par du Al3+, Fe3+ et Cu2+ adsorbe le diclofop de méthyle (herbicide) (PUSINO et al., 1989). Elle fixe des polluants organiques et minéraux des eaux résiduaires (WOLFE et al., 1985; KACHA et al., 1997). Récemment, des résultats très intéressants ont été obtenus (MORSLI, 1998; BELHADI, 2000) sur la fixation des matières organiques des eaux usées des oueds Saïda et Mekerra (ouest d’Algérie) par la bentonite associée aux fer (III), aluminium (III) et cuivre (II).

Dans le présent article, sont présentés les résultats de l’adsorption des matières organiques des eaux résiduaires urbaines de la ville de Sidi Bel-Abbès (ouest d’Algérie) par bentonite associée aux couples de métaux fer (III) – aluminium (III), fer (III) – cuivre (II) et aluminium (III) – cuivre (II).

2. Matériels et méthodes

2.1 Les eaux usées urbaines de ville de Sidi Bel-Abbès

Les échantillons sont prélevés juste à l’entrée de la station d’épuration située sur l’oued Mekerra à la sortie de la ville de Sidi Bel-Abbès (ouest d’Algérie). Les prélèvements ont été effectués à 13 heures suivant quatre périodes (tableau 1) et conservés selon la norme française AFNOR (1994) pour qualité de l’eau. Au mois de septembre (période 4, tableau 1), les conditions en amont de la station d’épuration changent. Celle-ci reçoit des eaux de crues et les rejets des caves vinicoles fortement chargées en matières organiques (MO). Les valeurs des MES, DCO, DBO et NTK sont plus importantes.

Tableau 1

Caractéristiques des eaux usées urbaines de Sidi Bel-Abbès

Urban wastewater characteristics of Sidi Bel-Abbès.

Caractéristiques des eaux usées urbaines de Sidi Bel-Abbès

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Le tableau 1 montre que les eaux résiduaires sont très chargées et présentent de forts paramètres de pollution. Les matières organiques (MO) ont été déterminées par calcination à 625 ±  5 °C et elles représentent 59,1, 58,3, 58,9 et 61,0 % des matières en suspensions (MES) respectivement pour les périodes 1 à 4.

2.2 Les sels de fer, d’aluminium et de cuivre

Les sels utilisés sont des chlorures d’aluminium (III), de fer (III) et de cuivre (II). Le premier est chimiquement pur à 99,0 % et les deux autres à 98,0 %. Ces sels proviennent de Fluka AG, Buchs SG. Les solutions sont : AlCl3 0,207M, FeCl3 0,1 M et CuCl2 0,088 M; l’eau utilisée pour la préparation de ces solutions est distillée et déminéralisée.

2.3 La bentonite

L’argile utilisée est une bentonite naturelle de Maghnia (ouest d’Algérie). Celle-ci, notée B, a été purifiée pour obtenir des particules inférieures à 2 µm (ROBERT et TESSIER, 1974). La purification a été :

  1. physique :

    Des quantités de 50 g d’argile broyée et lavée plusieurs fois à l’eau (distillée et déminéralisée) sont totalement dispersées dans 5 litres d’eau. Après 17 heures de repos, le surnageant de la dispersion est centrifugé (HETTICH Rotana/s) pendant une heure à 2 400 tours. On obtient ainsi des particules argileuses < 2 µm.

  2. Chimique :

    Les particules argileuses sont dispersées et chauffées à 75 °C en présence d’une solution composée de bicarbonate (1 M), de citrate (0,3 M), et de chlorure (2 M) de sodium. Cette opération a pour but d’éliminer les composés minéraux et organiques, l’aluminium de l’espace inter-feuillets et les divers cations libres. L’élimination des carbonates se fait à froid avec HCl (0,5 M), le chlorure étant éliminé après plusieurs lavages. Les matières organiques sont éliminées totalement à leur tour avec H2O2 (30 % vol.) à 70 °C pendant une nuit.

L’argile purifiée est séchée à 110 °C dans une étuve. Ensuite elle est caractérisée par DRX, EDS, SEM, pH - métrie, conductimétrie et calcination. Les résultats obtenus, reportés dans le tableau 2, montrent que l’argile est interstratifiée, composée essentiellement (93 %) de montmorillonite (Si/Al = 2,62) et 7 % d’illite.

Tableau 2

Composition chimique et principales propriétés de la bentonite de Maghnia purifiée (B).

Chemical composition and main properties of the purified Maghnia bentonite.

Composition chimique et principales propriétés de la bentonite de Maghnia purifiée (B).

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La saturation de l’argile par des ions Na+ est réalisée à froid sous agitation mécanique pendant 4 heures avec une solution NaOH 1M, le pH ne dépassant pas 9. L’argile sodée est ensuite séchée dans une étuve puis broyée.

Du fer (III), de l’aluminium (III) et du cuivre (II) sont insérés, par couple (Al‑Cu, Fe‑Cu et Fe‑Al, 50 – 50 % en atomes), dans l’espace inter-feuillets de la bentonite sodée. À une masse (10 à 30 mg) d’argile saturée en sodium, dispersée à 20 °C dans de l’eau distillée et déminéralisée, on ajoute sous agitation simultanément les solutions contenant les deux métaux. Le choix du rapport atomique entre les métaux est dû aux activités comparables de Fe3+ et Al3+ en floculation – coagulation. Les systèmes métaux/B contiennent 6,25 % de métaux en masse.

2.4 Traitements des eaux usées :

L’eau à traiter est placée dans un réacteur de 50 mL à 20 °C, et est ensuite ajoutée ensuite la solution contenant l’argile et les métaux. L’ensemble est complété (à 50 mL), sous agitation, avec de l’eau distillée et déminéralisée. Les traitements sont réalisés donc sur des eaux usées diluées. Les eaux des périodes 1 à 4 sont, respectivement, diluées 3,16, 1,92 , 3,72 et 4,53 fois. Ces dilutions sont telles que la concentration initiale des MO est 126,4 mg/L pour les quatre périodes, soit une dilution moyenne de 3,33 fois. Après 30 min, temps qui correspond à l’obtention de l’équilibre de l’adsorption (MECABIH,  2000), on arrête l’agitation et on laisse décanter pendant deux heures. On prélève environ les deux tiers de la partie supérieure de la solution. On filtre sur une membrane de 1,2 µm en fibre de verre. Les matières organiques (MO), contenues dans le surnageant (30 mL), sont titrées par KMnO4 10-3M. Ce titrage est suivi par photométrie à 470 nm (λmax d’absorption des MO). L’appareil utilisé est un Speckol 10 comprenant en particulier une cellule de 30 cm3 avec agitation magnétique et burette de dosage. Les figures 1a, 1b, 1c et 1d montrent la variation de la densité optique des MO en fonction du volume de la solution KMnO4 10-3 M. Sur ces figures, chaque point représente la moyenne de douze mesures (3 essais x 4 périodes).

Figures 1

Variation de la densité optique (DO, λmax = 470 nm) des MO résiduelles en fonction du volume de KMnO4 (10‑3 M), après traitement de l’eau usée par la bentonite (1a), Fe – Al/B (1b), Fe – Cu/B (1c) et Al – Cu/B (1d).

Variation of the absorbance (DO, λmax = 470 nm) of residual OM as a function of the volume of KMnO4 (10-3 M), after treatment of wastewater by bentonite (1a), Fe – Al/B (1b), Fe – Cu/B (1c) and Al – Cu/B (1d).

Figure 1a

Figure 1b

Figure 1c

Figure 1d

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3. Résultats et discussion

Parmi les modèles d’adsorption qui conviennent bien dans le cas des interfaces liquides – solides et des milieux dilués, mentionnons le modèle de Freundlich (1) et celui d’Elovich (2) (FERRANDON et al., 1995). Ces modèles permettent de déterminer des grandeurs thermodynamiques telless que les constantes d’adsorption, les capacités d’adsorption, etc. Ils permettent aussi de déduire le type d’adsorption : en monocouche pour le premier et en multicouche pour le second.

Dans ces équations, x et m désignent respectivement les masses de l’adsorbât et de l’adsorbant, C la concentration de l’adsorbât à l’équilibre thermodynamique, q la capacité d’adsorption et qm la capacité maximale d’adsorption. Ces dernières sont reliées entre elles (3) par le taux de recouvrement θ des sites d’adsorption. KF et KE sont les constantes d’adsorption Freundlich et Elovich. Dans l’équation (1), n est une constante proportionnelle à l’énergie d’adsorption Q0; cette relation est représentée par l’équation (4) où R et T sont la constante des gaz parfaits et la température Kelvin.

Les concentrations résiduelles à l’équilibre des MO, des eaux usées diluées traitées par les différents systèmes, sont reportées sur la figure 2. L’adsorption des MO augmente avec la masse d’argile et elle est limitée selon l’adsorbant utilisé. Ramenés pour le traitement d’un litre d’eau usée brute (non diluée), les taux de fixation des MO en fonction des masses des systèmes adsorbants sont reportés sur le tableau 3. Ces taux sont meilleurs lorsque la bentonite est associée aux métaux, résultats comparables à ceux obtenus par PUSINO et al. (1989).

Figure 2

Variation de la concentration des MO à l’équilibre, pour différents systèmes.

Variation of OM concentrations at equilibrium for different systems.

Variation de la concentration des MO à l’équilibre, pour différents systèmes.

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Tableau 3

Taux de fixation des MO et masses d’adsorbants par litre d’eau usée non diluée. Les masses en mg sont celles des métaux, et en g, celle de la bentonite.

Degree of abatement of OM and mass of sorbents per litre for undiluted wastewater. Masses in mg represent those of metals; masses in g are those of the clay.

Taux de fixation des MO et masses d’adsorbants par litre d’eau usée non diluée. Les masses en mg sont celles des métaux, et en g, celle de la bentonite.

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L’isotherme (20 °C) d’adsorption des MO sur bentonite seule est ajustée au modèle de Freundlich (KACHA et al., 1997; MORSLI, 1998). Cet ajustement montre que l’adsorption des MO est en monocouche. La constante d’adsorption KF et le paramètre n, tirés de la linéarisation (figure 3) de cette isotherme, sont respectivement 70,91 L•g‑1 et 1,09. La constante énergétique de distribution numérique des sites d’adsorption (Q0), la bentonite, est 2 669,9  joules/g. Cette valeur est déduite (équations 1 et 4) des conditions limites d’adsorption des MO sur l’argile seule (figure 2). La concentration des MO résiduelles à l’équilibre est de 34 mg/L, soit 90 mg (x) de matières organiques adsorbées sur 30 mg (m) d’argile. Le modèle de Freundlich ne permet pas d’accéder à la capacité maximale d’adsorption (qm) de l’argile, mais une régression polynomiale d’ordre 2 (figure 4) indique que celle-ci est de 571 mg•MO•g‑1.

Figure 3

Ajustement de l’adsorption des MO, sur bentonite seule, au modèle de Freundlich.

Adjustment of OM adsorption, on bentonite alone, to the Freundlich model.

Ajustement de l’adsorption des MO, sur bentonite seule, au modèle de Freundlich.

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Les isothermes d’adsorption des MO sur la bentonite modifiée par les métaux ne s’ajustent pas au modèle de Freundlich (figure 5) mais plutôt au modèle d’Elovich. L’adsorption des MO est en multicouches sur Fe‑Al/B, Fe‑Cu/B et Al‑Cu/B avec, respectivement, des taux de recouvrement des sites d’adsorption (θ) 0,86, 0,72 et 0,80, et des capacités maximales d’adsorption qm, sont 1009, 890 et 862 mg MO•g‑1 (figure 4). Les constantes d’équilibre d’Elovich, KE, obtenues par régression linéaire avec une corrélation supérieure à 0,96 (figure 6), sont 26•10‑3, 15•10‑3 et 11•10‑3  L•g‑1 pour ces systèmes. Ces résultats montrent que le système Fe–Al/B fixe bien et plus rapidement les matières organiques.

Figure 4

Capacités d’adsorption (q), pour différents systèmes.

The adsorption capacity (q) for different systems.

Capacités d’adsorption (q), pour différents systèmes.

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Figure 5

Représentation de l’équation de Freundlich, pour différents systèmes.

Representation of the Freundlich equation, for different systems.

Représentation de l’équation de Freundlich, pour différents systèmes.

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Figure 6

Ajustement de l’adsorption des MO, sur bentonite modifiée, au modèle d’Elovich.

Adjustment of OM adsorption, on modified bentonite, to the Elovich model.

Ajustement de l’adsorption des MO, sur bentonite modifiée, au modèle d’Elovich.

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Les résultats de l’adsorption des matières organiques MO des eaux usées diluées, sur les différents systèmes adsorbants, peuvent être ramenés à l’eau sans dilution. La demande chimique en oxygène (DCO) est un paramètre épuratoire important. Sur la figure 7 sont reportés les résultats de la DCO, après traitement, de l’eau usée sans dilution. L’abattement de la DCO est excellent pour l’ensemble des systèmes, en particulier pour Fe‑Al/B. Pour ce système, cet abattement est supérieur à 90 % (la DCO est abaissée de 537 à 55 mg/L), si l’eau est traitée avec 0,67 g/L de bentonite et 42 mg/L de Fe‑Al (50 – 50 % en atomes). Autrement dit il faut 712 g d’adsorbant Fe‑Al/B pour épurer un (01) mètre cube d’eaux usées.

Figure 7

DCO résiduelle d’eau usée urbaine après traitement.

Residual COD of urban wastewater after treatment.

DCO résiduelle d’eau usée urbaine après traitement.

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4. Conclusion

La bentonite Maghnia (ouest d’Algérie), composée principalement de montmorillonite, a été purifiée, saturée au sodium (Na+) et modifiée par du fer (III), de l’aluminium (III) et du cuivre (II). Ces espèces minérales sont insérées par couple (Fe‑Al, Fe‑Cu et Al‑Cu) dans l’espace inter‑feuillets de la bentonite (B). Ces produits sont appliqués pour adsorber les matières organiques (MO) des eaux usées de la ville de Sidi Bel-Abbès. Ces eaux sont très chargées et elles présentent de forts paramètres de pollution, en particulier les matières en suspension (MES). Les valeurs de la DCO montrent que la proportion des eaux résiduaires d’origines industrielles est faible. Celles de la DBO5, dont la valeur moyenne ne dépasse pas 300 mg/L, caractérisent une eau usée domestique purement humaine. Les matières organiques (MO) représentent environ 60 % des MES.

Les systèmes utilisés adsorbent bien les matières organiques des eaux usées. Les taux de fixation des MO sont 76,0, 82,6 et 87,7 % pour Al‑Cu/B, Fe‑Cu/B et Fe‑Al/B. Pour la bentonite seule, ce taux est de 67,1 %.

L’adsorption des MO, contenues dans les eaux usées, est en monocouche sur bentonite seule alors qu’elle est en multicouche sur les autres systèmes. Cette adsorption a été ajustée au modèle de Freundlich dans le cas de la bentonite seule, et au modèle d’Elovich dans le cas de la bentonite modifiée. Les régressions polynomiales d’ordre 2 des capacités d’adsorption (q) en fonction de la masse de bentonite donnent une meilleure appréciation des qm. Celles-ci sont de 571, 1 009, 890 et 862 mg/g respectivement pour la bentonite, Fe‑Al/B, Fe‑Cu/B et Al‑Cu/B. Les systèmes au fer sont les plus performants.