L’ouvrage de Gérard Bouchard est riche et foisonnant, il présente des pistes stimulantes pour l’enseignement d’une histoire nationale québécoise. Face à ce qu’il qualifie de crise du sens et des fondements symboliques de la société québécoise, l’auteur propose de repenser une histoire nationale québécoise qui transmettrait des valeurs, une mémoire et des idéaux communs. Le projet consiste à examiner la généalogie de l’histoire nationale depuis le milieu du 19e siècle pour en proposer une approche pluraliste et critique, démocratique et ouverte à la diversité et aux conflits, qui servirait à construire une mémoire partagée, plurielle et critique. La première partie sur la mémoire québécoise et la troisième partie, qui s’appuie sur l’étude de 103 manuels d’histoire, sont descriptives et organisées par une périodisation dont la Révolution tranquille des années 1960 constitue le pivot. Avant ce tournant, la société québécoise traditionnelle était décrite comme attachée à la liberté, au catholicisme et au travail. L’auteur montre comment cette représentation s’est développée dans les manuels scolaires dès avant 1867 pour installer l’image d’une société québécoise harmonieuse, francophone, catholique et patriarcale, unie derrière les grandes figures militaires et religieuses du passé. La colonisation découlerait uniquement d’une volonté d’évangélisation des Autochtones, aussi cruels et hostiles que les Anglais. Avec la Révolution tranquille, une nouvelle image de la nation québécoise s’est développée dans les manuels, une nation moins française et catholique, davantage américaine et liée aux Premiers Peuples en voie de réhabilitation. Elle défendait de nouvelles valeurs et de nouveaux principes : l’égalité sociale, juridique et raciale, la laïcité, l’ouverture à l’autre. Le Renouveau pédagogique qui en a découlé, avec le rapport Parent de 1966, suivi des États généraux de l’éducation de 1995-1996, appelait à l’autonomie de l’élève et marquait l’introduction de la pensée historienne liée à l’histoire savante. Les manuels firent moins de place aux grands hommes et en accordèrent davantage aux structures économiques et sociales, en lien avec l’orientation historiographique inspirée des Annales. Cette évolution aboutit au programme novateur de 2006 qui aurait, semble-t-il, contribué à affirmer la fonction de la pensée historienne dans l’enseignement, à développer une critique du colonialisme et à accorder davantage de place aux Premiers Peuples. L’exposé s’achève avec l’évocation du Rapport Beauchemin de 2014 qui a conduit à la révision du programme d’histoire de 2017. Tout en réhabilitant le récit traditionnel, ce dernier a gardé du Renouveau pédagogique la promotion de la pensée critique de l’élève, par l’initiation à la méthode historique, ainsi que l’articulation du présent au passé, là aussi selon la logique de l’histoire des Annales : l’élève adresse au passé les questions qui se posent dans la société du présent. Mais, selon l’auteur, ces orientations ne suffisent pas à construire des approches pourvoyeuse de valeurs communes. Gérard Bouchard propose dans les deuxième et quatrième parties des orientations pour une histoire nationale fondée sur les valeurs. La deuxième partie envisage la façon dont la mémoire du passé est susceptible de construire les valeurs de la société québécoise. Cette articulation est surprenante, mais euristique. L’auteur rappelle que les valeurs sont nécessairement universelles et sont recevables à ce titre par toutes les communautés humaines. Mais, selon l’auteur, elles doivent en même temps être historicisées et enracinées dans le passé québécois, afin d’intégrer dans l’histoire nationale la mémoire spécifique des diverses communautés. Cette dialectique universalisation-spécification permettrait d’envisager ensemble le passé de la majorité et celui des minorités dans la société québécoise. L’auteur défend ainsi une histoire « intégrationniste », chaque composante de la société apportant sa contribution à une histoire commune. Tout en restant attaché à la dimension scientifique et critique de l’histoire, l’auteur propose de mettre l’accent …
Bouchard, G. (2023). Pour l’histoire nationale. Valeurs, nation, mythes fondateurs. Boréal[Record]
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Didier Cariou
Université de Brest