La première cible de Martin et Mussi est l’enseignement en ligne. Popularisé durant la pandémie par nécessité, il serait de plus en plus présent dans les établissements postsecondaires, malgré l’opposition des enseignants et des élèves. Pour les auteurs, ses effets délétères sont nombreux. Il isolerait les élèves et réduirait l’enseignement à une forme de prestation de services dénuée d’humanité. Pour eux, l’intégration des technologies en enseignement représente aussi l’érosion de l’autonomie professionnelle des enseignants, puisque les institutions semblent leur imposer de plus en plus les outils numériques et les modalités d’enseignement qui les accompagnent. L’ouvrage cadre aussi sa critique du numérique à l’école dans le contexte plus large de l’influence des valeurs capitalistes sur la société en général et l’école en particulier. Pour Martin et Mussi, le numérique à tout vent n’est que le symptôme de l’emprise du néolibéralisme sur l’école qui y impose sa manière de voir le monde et ses besoins en formation d’une main-d’oeuvre qualifiée, mais docile et socialement isolée. Cette emprise se fait aussi sentir sur la façon dont le néolibéralisme influence les structures des écoles, qui deviennent des organisations s’apparentant plus à des entreprises dirigées d’en haut qu’à des institutions démocratiques. Les tenants de la vision néolibérale de l’école et de la société défendent l’intégration massive des technologies à l’école en l’associant au progrès, en présentant les technologies comme une alternative écologique à l’école traditionnelle (en limitant les déplacements en automobile, par exemple) et en présentant tout opposant à cette vision comme dépassé, voire fanatique. Au fil des chapitres, les auteurs s’attaquent avec vigueur à tous ces arguments et en exposent les limites et les failles. Enfin, ils réclament un moratoire sur l’informatisation de l’école et souhaitent l’ouverture d’un dialogue plus large sur la mission éducative de l’école. Pour bien comprendre la démarche de Martin et Mussi, il faut la placer dans le contexte dans lequel ils s’inscrivent eux-mêmes, c’est-à-dire le mouvement des « luddites ». Cette expression désigne des groupes d’ouvriers qui brisaient les machines et équipements des manufactures au début du 19e siècle. Ces personnes, longtemps présentées comme bornées et aveugles aux aspects positifs du progrès capitaliste, ont été étudiées sous de nouveaux angles par des historiens du 20e siècle qui y ont plutôt vu des gens réagissant aux effets nocifs et immédiats du mode de production industriel sur leur mode de vie et leur culture. Les luddites comprenaient que le capitalisme n’avait pas que du positif. Quant à la critique de certains phénomènes, il aurait été pertinent et important de mieux en présenter les caractéristiques et l’importance. Lorsqu’il est question d’enseignement en ligne, par exemple, les auteurs affirment qu’il est très répandu, sans mobiliser des données tangibles pour bien illustrer l’ampleur du phénomène. Il en va de même pour la vision des gouvernements de la place des technologies à l’école, qui pourrait être analysée et critiquée dans des documents comme le Cadre de référence de la compétence numérique en éducation, pourtant disponible en ligne. En lieu et place de cette analyse, les auteurs dénoncent sans nuance les « actions des techno-illuminés » (p. 102). Par ailleurs, la critique de l’emprise du capitalisme sur la société et l’école nous apparait bienvenue et participe de manière pertinente au débat public. De nombreux auteurs, de Freire à Illich en passant par Bourdieu, ont dénoncé les effets pervers de la reproduction des inégalités sociales des systèmes éducatifs bien avant que les technologies numériques y soient omniprésentes. Dans ce contexte, on est en droit de se demander quelle école humaniste, inspirée des idées d’Arendt, veulent restaurer Martin et Mussi. Des arguments existent pour soutenir que …
Martin, É. et Mussi, S. (2023). Bienvenue dans la machine. Enseigner à l’ère du numérique. Écosociété
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Alexandre Lanoix
Université de Montréal
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