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Dans ces deux opuscules, l’historienne de l’éducation Laurence De Cock et l’historien Guillaume Mazeau, spécialiste de la Révolution française, exposent le fruit de leur réflexion sur, d’une part, l’école et son système éducatif pour lutter contre la reproduction des inégalités scolaires et, d’autre part, sur ce qu’apporte et peut apporter la discipline historique pour la « fabrique du commun ».

Les ouvrages sur l’école sont nombreux. Celui de De Cock prend la forme d’un plaidoyer pour une école publique forte, démocratique et émancipatrice. Cela n’est pas sans rappeler les sillons tracés par les mouvements citoyens pour une école publique forte au Québec depuis quelques années, comme le groupe La maitresse d’école, qui fut animé, entre autres, par Robert Cadotte dans les années 1980. De Cock précise d’entrée de jeu qu’il est temps de (re)nouer chacun des maillons de cette chaine éducative, de la maternelle à l’université. L’ouvrage est divisé en cinq petits chapitres. L’auteure y décrit comment les inégalités entre les institutions scolaires, les modalités de financement de l’État qui favorisent les écoles privées, le manque d’autonomie professionnelle chez les enseignant⋅e⋅s et les évaluations nationales contribuent à la reproduction sociale des inégalités dans le système éducatif français et dans la société. Selon elle, l’école échoue dans son rôle de réduire les inégalités entre les jeunes de la maternelle à l’université. Au contraire, l’école exacerbe et perpétue ces inégalités. Les analystes partagent des constats similaires dans plusieurs juridictions, comme le Québec.

Pour (re)penser l’école, De Cock appuie entre autres sa réflexion sur les travaux de Freire afin d’envisager une école commune dans laquelle ne dominent pas les rapports de force et le souci de la performance à tout prix, mais plutôt une responsabilité collective. Le message est on ne peut plus clair dans les pages et doubles pages aux phrases percutantes martelant que le système éducatif doit être réformé et surtout dévié de cette logique (néo)libérale qui masque l’injustice de base et met l’accent sur la performance à l’intérieur de réseaux d’écoles en compétition.

Pour l’auteure, il ne faut rien attendre des décideurs. Il s’agit alors du sceau de l’échec (ou de la culpabilité) du politique pour concevoir et promouvoir une école émancipatrice et démocratique. Elle conclut que veiller à l’abolition des privilèges est l’affaire de tous et que l’émancipation doit dépendre de chacun d’entre nous. Si l’école est le miroir de la société, il faudra changer la société pour que l’école s’en porte mieux.

Peut-être la discipline historique peut-elle, à sa façon, outiller tout un chacun dans cette quête, comme le suggère Mazeau dans Histoire. Dans cet ouvrage, l’historien propose de (re)penser l’histoire à travers son omniprésence dans les livres, les émissions de télévision et les capsules vidéo sur le web, pour ne nommer qu’eux. Il expose sa pensée sur la pertinence de définir cette discipline et ce qu’elle peut apporter dans la « fabrique du commun ». Divisé en sept chapitres, l’ouvrage prend la même forme que celui de De Cock, avec ses lignes directrices campées par un choix de phrases triées sur le volet dans plusieurs doubles pages. Des constats présentés par l’auteur, celui qui résonne le plus associe l’histoire à sa portée émancipatrice. L’épistémologie de l’histoire permet d’interroger les mécanismes de construction des savoirs et peut contribuer à prendre ses distances des représentations souvent erronées du passé et des reconstitutions de certaines réalités sociales à partir de sources lacunaires et fragmentaires.

Mazeau donne la responsabilité au monde de l’éducation d’encourager la communauté enseignante à créer les conditions nécessaires pour interroger les représentations du passé dans tous les médias au lieu de cantonner l’histoire à de seules fonctions civiques au service de la mémoire, du patrimoine et de l’identité. L’auteur milite pour que les savoirs soient interrogés et construits avec une méthode qui repose sur la critique de sources et l’argumentation par la preuve et suggère des pistes pour un enseignement de ce type. Cette posture n’est pas nouvelle. Des historien⋅ne⋅s et des didacticien⋅ne⋅s réfléchissent depuis longtemps aux marqueurs de la discipline et à l’influence qu’ils peuvent avoir sur l’histoire scolaire ; plusieurs dispositifs, outils et grilles de lecture existent déjà à cet effet. Nombreux sont ceux qui se sont prononcés sur les conditions pour faire de l’histoire un outil d’émancipation depuis la deuxième moitié du 20e siècle. Au Québec, c’est ce que Christian Laville proposait en 1984 par l’enseignement de l’histoire-méthode en classe au lieu d’une histoire-produit, pour ne prendre qu’un exemple très connu.

L’auteur souligne aussi que la prolifération des formes populaires d’histoire et leurs discours historiques (les mondes profanes) influence la construction des imaginaires historiques. Là encore, nous constatons que l’ouvrage souffre du cloisonnement que condamne l’auteur, en ignorant par exemple la contribution de l’ouvrage collectif Mondes profanes (2018, 2021) paru aux Presses de l’Université Laval sous la direction de Marc-André Éthier et David Lefrançois, lequel présente non seulement des propositions didactiques, mais aussi des résultats de recherche et des réflexions sur ces discours historiques dans différents médias et champs disciplinaires.

Tout compte fait, bien que ces deux opuscules présentent un contenu banal pour des historien⋅ne⋅s ou des didacticien⋅ne⋅s, ils offrent une synthèse claire, pertinente et roborative du rôle de l’École et de l’Histoire pour l’émancipation de chaque individu et méritent, à ce titre, d’être lus par tou⋅te⋅s les enseignant⋅e⋅s, dès le début de leur carrière, aussi bien que par les étudiants des départements d’histoire et d’éducation, pour qu’ils prennent conscience des liens unissant l’histoire et l’éducation.