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Chaque parcours scolaire expose les élèves à diverses pratiques enseignantes plus ou moins marquantes, dans tous les sens du mot. En effet, tout le monde peut nommer un enseignant qui fut déterminant pour son parcours. De même, on peut aussi en nommer qui n’ont pas eu l’effet escompté ou, pire, qui ont provoqué des effets délétères. Ainsi, l’essai de Limoges compte neuf chapitres qui constituent autant de récits sur son parcours scolaire qui lui permettent de jeter un regard personnel, certes, mais néanmoins acéré sur le monde de l’éducation.
Le titre s’inspire d’un poème de Victor Hugo relatant ses souvenirs d’écolier. Limoges s’en sert pour faire un parallèle entre son vécu scolaire et celui du célèbre écrivain. Malgré des époques et des conditions socioéconomiques différentes, le constat est le même à propos du personnel enseignant : « Quelqu’un, quelque part, leur avait confié une tâche – tâche des plus nobles, des plus délicates, des plus exaltantes aussi – qui ne fut pas honorée : décloisonner nos esprits, titiller notre curiosité et encourager le dépassement. » (p. 17)
Ainsi, Limoges se remémore une réponse, qu’il abhorrait recevoir, à ses innombrables questions visant à chercher une explication aux connaissances transmises, par exemple pour les règles de grammaire : « “C’est plate, mais c’est comme ça.” Il s’agissait d’une réponse aussi péremptoire que pathétique trahissant la crainte du questionnement, le refus du dialogue, la démission de la pensée […]. » (p. 18)
On constate aisément qu’il se montre déçu des enseignants croisés, mais on peut néanmoins déceler des signes de l’estime qu’il porte à cette profession en exigeant d’eux qu’ils soient meilleurs, qu’ils se dépassent. En effet, quand il entend dire que les jeunes ne s’intéressent à rien, il répond : « C’est à toi de les intéresser à ton sujet. Il ne tient qu’à toi – c’est ton but, ta mission, ta responsabilité (justement) – de le rendre intéressant. » (p. 20)
Malgré tout, et à sa grande surprise, car, selon lui, rien ne l’y destinait, il raconte comment il s’est retrouvé à étudier les Lettres à l’université. Faute de se trouver un emploi, il a même poursuivi son parcours après le premier cycle jusqu’à obtenir un doctorat. Il relate ensuite diverses expériences d’enseignement, notamment au collégial et il expose ensuite un moteur peu commun pour permettre d’améliorer l’enseignement, la jalousie.
En effet, Limoges considère que la jalousie, des deux côtés du pupitre, peut favoriser cette amélioration. Du côté de la personne qui tient la craie, il souhaite qu’une compétition s’installe entre les membres du corps enseignant afin que chacun ne souhaite qu’une chose : que « les collègues tentent à leur tour d’offrir des performances qui fassent de l’ombre à la sienne. Ainsi s’amorcera le nivèlement par le haut, qui devrait être le credo de toute institution d’enseignement » (p. 66).
La jalousie devrait aussi se faire sentir chez les élèves ou les étudiants comme moteur d’amélioration. En effet, l’enseignant a le devoir d’exposer son savoir, mais surtout de le rendre désirable. Le personnel enseignant « doit susciter la jalousie. […] C’est en titillant ainsi leur envie qu’il suscitera leur jalousie et qu’il les poussera à rattraper ce qu’on considérera comme un gênant retard. » (p. 67) Il expose plusieurs exemples liés à l’enseignement du français au collégial, mais cette idée se généralise évidemment aux autres domaines et matières.
Cet essai se lit aisément grâce à la plume dynamique et claire de Limoges qui manie l’art du dialogue pour rendre son propos plus vivant. Il utilise d’ailleurs l’écriture théâtrale pour raconter son seul entretien d’embauche pour un poste au collégial après 25 ans à bourlinguer dans le réseau collégial. Il décrit les personnages de manière un peu grinçante, mais fort réaliste pour qui a vécu ce type d’expérience au collégial ou à l’université. Ce récit, intitulé l’« entretien », illustre bien la déception, voire la résignation, de l’auteur qui a vécu un peu en marge du système, sans obtenir de poste d’enseignant en bonne et due forme. On y devine un certain dépit de ne pas avoir bénéficié d’un emploi régulier, alors que d’autres ont réussi à en obtenir un malgré leur performance en deçà de la sienne. Selon lui, expliquant sa situation professionnelle, une certaine idiocratie règne, faisant d’un enseignant comme Limoges un personnage trop confrontant pour ses collègues et le milieu. Cette explication semble toutefois un peu facile, voire complaisante à son propre égard, ce qui jette un doute sur la nature de la démarche de l’auteur ou sur la valeur de la jalousie comme moyen de dépassement. En effet, c’est peut-être même ce ressentiment qui le pousse à inclure la jalousie dans son système de valeur pour l’enseignement.
Enfin, une autre caractéristique de l’ouvrage constitue à la fois une force et une faiblesse. En effet, les évènements relatés s’enchainent sans trop de lien apparent, si ce n’est qu’ils traitent tous de l’enseignement. On peut en déduire que l’auteur fait confiance au lectorat pour dégager des récits des conclusions, des constats, des différences et des similitudes. Cette confiance manifeste en notre intelligence de lecteur peut s’apparenter à une force. Or, cet assemblage de textes, originaux ou parus ailleurs, aurait sans doute mérité un peu plus d’explicitation de la part de l’auteur qui semble avoir confié cette tâche à Alain Deneault qui préface l’essai : dommage.
Nous pouvons retenir que Limoges nous invite à laisser de côté une réflexion à courte vue sur la mission de l’enseignement, qui ne servirait dans la mouture actuelle des programmes qu’à se trouver un emploi. Il en appelle plutôt à une augmentation de la qualité de l’enseignement, au nom des générations futures, car « le prof ne donne pas des cours, il construit la société de demain » (p. 30).