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Si appréhender une discipline par ses concepts n’est pas une nouveauté dans les milieux érudits, prescrire l’apprentissage de concepts, et ce, dès le primaire, est récent. Ce paradigme place l’apprenant⋅e dans une posture d’élève « pensant » (p. 8) qui, par le transfert créatif de ce réseau conceptuel acquis au sein des disciplines dans des situations complexes, accèderait à l’« innovation » (p. 1), c’est-à-dire à trouver de nouvelles solutions aux nouveaux problèmes que lui offre le 21e siècle.
Comment développer ce réseau ? Comment permettre ce transfert ? Comment soutenir les élèves dans le développement de leur faculté d’abstraction ? Quelles activités favorisent la créativité de l’innovation ? Dans cet ouvrage, les auteures proposent une approche concrète de l’enseignement de concepts, fondée sur les travaux de H. Lynn Erickson et Lois Lanning qu’elles encouragent par ailleurs à lire.
En me lançant dans la lecture de cet écrit, je pensais surtout actualiser mes connaissances à propos du processus de conceptualisation, processus qui m’intéresse en tant que chercheuse et représente un objet d’enseignement de ma pratique de formatrice. Mais, l’ouvrage que j’avais devant moi m’a contrainte à me resituer comme lectrice et à adopter une posture plurielle… En effet, l’ouvrage, proposé par les auteures comme un témoignage, un partage de leurs idées, est rédigé dans un style très accessible, presque « familier », qui s’adresse directement aux lecteur⋅rice⋅s. Loin des discours scientifiques souvent riches d’un champ lexical de spécialistes, les 215 pages de cet écrit – qui vise un lectorat de praticien⋅ne⋅s – se lisent facilement. Pour accéder à toute sa richesse, il est donc nécessaire de quitter une posture exclusivement critique et de se situer dans l’action. Au fil des chapitres, les principes d’un curriculum conceptuel sont déployés en théorie, mais aussi en pratique, de l’importance d’aménager sa classe comme espace de réflexion (chapitre 2) ; à comment l’élève pourrait rendre le monde « meilleur » (p. 211) en conclusion. D’un bout à l’autre de l’ouvrage, la⋅le lecteur⋅rice saute d’exposés théoriques en propositions de cadres de leçons (soulignons notamment l’importance des chapitres trois et quatre dans cette perspective pratique), en passant par le rêve partagé par les auteures d’une évaluation davantage envisagée comme une appréciation – en collaboration avec l’élève – du processus d’apprentissage plutôt que l’apposition d’une note qualifiant/quantifiant la valeur de ce qui devrait être connu (chapitre 5).
Selon les auteures, l’apprentissage conceptuel nécessite un enseignement explicite de ses principes et la table des matières reflète ce principe. En effet, la construction de l’ensemble de l’ouvrage rompt avec le modèle classique d’une structure « transmissive » de type énoncé théorique suivi d’un répertoire d’activités, en proposant des chapitres où se mêlent revue de littérature et propositions de leçons au sein desquelles se lisent parfois des éléments du « cadre théorique ». Il peut donc en résulter une sensation de répétition pour la⋅le lecteur⋅rice qui s’engagerait dans une lecture page après page. Cela dit, outre son côté « pratique », comme outil de formation sur l’apprentissage conceptuel, ce livre peut être très pertinent autant pour les principes presque trop évidents qu’il énonce (tels que l’importance à accorder aux compréhensions préalables des élèves dans la perspective d’un apprentissage « sophistiqué » – pour reprendre un terme utilisé par les auteures elles-mêmes – et de son transfert) que comme base à une discussion critique du rôle de l’enseignement au 21e siècle.
En effet, au-delà d’une définition des principes fondamentaux de l’apprentissage conceptuel et de propositions concrètes pour le mettre en place en classe, c’est bien une autre façon de faire que nous proposent ici les auteures. Pour ces dernières, avant toute chose, « chaque enfant doit être considéré comme un être pensant, sensible, curieux et explorateur » (p. 8-9) et la classe doit être « centrée sur l’élève et sur la réflexion » (p. 43). Il est donc primordial d’y instaurer une culture de l’apprentissage respectant les stades de développement de l’enfant, certes, mais pas au détriment de la rigueur intellectuelle. Dans cette classe, l’élève est invité⋅e à construire de façon autonome sa compréhension de chaque concept étudié, partant de ses préconceptions avant de le mettre peu à peu en relations dans la perspective de son transfert. Ce transfert est, par ailleurs, tout autant envisagé comme le but que comme un moyen de l’apprentissage conceptuel, processus itératif. Dans cette classe, il s’agit surtout de proposer à l’élève un enseignement décloisonné, qui reflèterait mieux les enjeux du 21e siècle que ne peuvent le faire des disciplines étudiées en silos. Le monde est interdisciplinaire (p. 4) et l’enseignement gagnerait à l’être davantage.
Pour conclure leur ouvrage, les auteures invitent les lecteur⋅rices à imaginer avec elles ce que pourrait être l’école. Elles partagent ici un brin de ce que nous qualifierions volontiers d’utopie pédagogique, en soulignant l’importance de l’innovation face aux nouveaux défis auxquels les jeunes générations devront s’attaquer. Pour elles, il est urgent de revoir nos programmes et nos approches (elles évoquent des élèves qui s’ennuient et décrochent) au profit d’un apprentissage conceptuel, interdisciplinaire donc, qui, en favorisant notamment chez l’élève le développement de sa capacité d’abstraction, lui permettra de faire face aux situations complexes et dissemblables que lui impose le 21e siècle, et d’ainsi rendre le monde « meilleur ».