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Cet ouvrage propose une douzaine de chapitres pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’enseignement explicite dans ses aspects théoriques et pratiques. Plusieurs des questions posées (importance du contexte, nécessité ou non de varier ses approches, pertinence du développement professionnel chez les enseignant⋅e⋅s, etc.), quoiqu’elles soient parfois problématisées de façon sommaire, intéresseront les personnes cherchant à mieux comprendre cette approche, ses effets sur l’apprentissage et ses limites. Or, l’ouvrage présente aussi des limites telles qu’elles nuisent au propos et dérangent.

On pourra ainsi s’étonner de l’utilisation faite de certaines sources. De plus, l’âge de plusieurs des références utilisées risque de créer le doute quant à leur pertinence et à la justesse du propos : mobiliser des études vieilles de près d’un demi-siècle pour des questions qui paraissent sensibles au temps, comme le besoin en formation des enseignant⋅e⋅s ou les retombées de certaines pratiques en gestion de classe, parait questionnable.

Pourtant, c’est surtout lorsqu’on interroge les textes cités par les auteur⋅e⋅s de l’ouvrage que sa lecture devient plus épineuse. En effet, ils sont souvent présentés de façon trop sommaire pour en bien saisir la portée. Cette lacune entrave l’exercice d’exploration rigoureuse des travaux théoriques et empiriques liés à l’enseignement explicite. C’est notamment le cas de l’article de Aaronson, Barrow et Sander (2007) sur lequel les auteur·e·s s’appuient pour avancer l’idée qu’il existerait des enseignant·e·s dont l’efficacité est avérée et stable dans le temps. Outre l’aspect un peu tautologique de la recherche, ce n’est qu’à la lecture de leur travail que l’on prend conscience que les deux premiers auteurs de l’enquête, banquiers et économiste de profession, n’ont analysé que les résultats en mathématiques et ont publié leur travail dans une revue dont le domaine d’expertise est l’économie du travail. Ce travail, qui s’inscrit de façon évidente dans la logique de reddition de compte, propose une lecture insolite de la fonction de l’école et de ce qui permet de témoigner d’un apprentissage. Nous avons compté près d’une dizaine d’exemples de cette nature.

À cette utilisation parfois malhabile des références s’ajoutent des affirmations sans appui explicite. Ce semble être surtout le cas lorsque les auteur⋅e⋅s traitent du travail de leurs pairs, de leurs critiques ou de la formation offerte en enseignement. Ils avancent ainsi, sans preuve, que la formation en enseignement ne traiterait ni de la gestion de classe (p. 115) ni de l’enseignement explicite ou des approches dites efficaces (p. 108). Ils avancent de même, toujours sans référence, que les professeur⋅e⋅s en sciences de l’éducation auraient une méconnaissance des approches quantitatives (p. 116) ou que la pédagogie nouvelle serait hégémonique depuis plus d’un siècle (p. 83 et 179). On semble alors plus près de l’opinion que de la démonstration.

Du reste, l’agacement manifeste – et affirmé (p. 11) – des auteur⋅e⋅s de l’ouvrage envers certaines critiques de l’enseignement explicite nuit à l’apparence d’impartialité de l’ouvrage. On aurait espéré que ces partisanes de l’enseignement explicite tentent d’offrir des réponses probantes aux critiques formulées envers cette approche, ses effets, ses assises et le cadre dans lequel elle s’inscrit. Cela aurait permis d’apprécier ses forces, ses limites et, partant, l’utilisation raisonnée qu’il conviendrait d’en faire. Or, les auteur⋅e⋅s parient plutôt qu’il n’est pas nécessaire de débattre scientifiquement des idées de leurs thèses ou de chercher à répondre aux préoccupations exprimées par leurs pairs (p. 216). Les critiques seraient, selon eux, engagé⋅e⋅s dans « un travail de sape » (p. 96) dont on n’explique pas la finalité. Le champ lexical des premiers chapitres est en ce sens incisif et incongru dans un ouvrage publié par des presses universitaires. Les auteur⋅e⋅s dénoncent ainsi la « suffisance » de leurs pairs qui, « du haut de leur chaire », questionneraient l’enseignement explicite et le compareraient à de « vulgaires trucs », sans jamais les citer. Les auteur⋅e⋅s de l’ouvrage dénoncent encore les « apôtres », les « aficionados » ou les « évangélistes », parlent de « procès » ou de « mépris », de « discours lyriques » ou encore de la « sourde violence d’un pluralisme naïf » (p. 85). Les auteur⋅e⋅s qualifient même leurs collègues Saussez et Lessard de « wokistes éclairés » (p. 96) et les comparent à des « complotistes qui refusent le vaccin contre la COVID ! » (p. 97) On semble plus près du pamphlet que du débat scientifique.

Quoi qu’il en soit, le chapitre le plus intéressant de l’ouvrage est sans conteste le chapitre neuf, sur la phase de consolidation de l’apprentissage. Dans ce chapitre, les auteur⋅e⋅s mettent l’accent sur l’importance de la compréhension dans l’apprentissage, sur les limites du « bachotage » et l’importance d’aider les élèves à nuancer leurs réponses et à « discriminer, parmi plusieurs méthodes différentes, celle qui est pertinente » (p. 233) pour un problème donné. Les auteur⋅e⋅s avancent ainsi la nécessité de développer l’habileté des élèves à poser un jugement sur leur apprentissage et de miser sur les « difficultés désirables », concept qui exprime ce « paradoxe qui veut que rendre une tâche plus difficile conduise à un meilleur apprentissage et à une meilleure rétention » (p. 250). On peut regretter que les auteur⋅e⋅s n’aient pas jugé utile de mettre ces idées en dialogue avec les travaux de Bruner, Reboul ou encore Vygotsky, mais ils apportent néanmoins des pistes de réflexion fertiles méritant d’être explorées dans des travaux subséquents. Ce chapitre qui ouvre la porte à une analyse nuancée de l’utilisation qu’il est judicieux de faire de l’enseignement explicite constitue l’exception. À trop vouloir présenter les forces de cette approche, les auteur⋅e⋅s limitent les débats et n’invitent pas à la discussion raisonnée.