Recensions

Dupuis-Déri, F. (2022). Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires. Lux éditeur[Record]

  • Sylvain Doussot

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  • Sylvain Doussot
    Université de Nantes

Cet ouvrage est un très bon exemple de la manière dont les universitaires peuvent utiliser les sciences humaines et sociales pour intervenir dans les débats publics en tant que chercheurs, c’est-à-dire en donnant à voir la construction argumentative visant à l’objectivation de ce qui fait polémique. Il est d’autant plus efficace qu’il traite d’attaques à l’encontre de l’université elle-même : l’auteur – chercheur en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal – étant un acteur direct de ce qui fait débat, s’efforce, avec succès, d’objectiver les positions en jeu. L’université serait le lieu, voire le moteur, d’une emprise violente et totalitaire qui mettrait à mal la démocratie. Les accusés sont les islamogauchistes, le wokisme, les gender studies ou autre critical race theory. L’ouvrage expose nombre de discours accusateurs et les confronte à des données empiriques. Il montre, d’une part, la circularité au principe du développement de ces discours – entre médias, intellectuels et partis politiques – et d’autre part, la manière dont ces discours s’appuient sur un sens commun qui fait de l’idéologie, illustrée par quelques informations, le seul moteur de l’action sociale et politique. Ce faisant, l’auteur met en lumière le ciment de ces attaques contre l’université : la lutte contre le développement du savoir et contre la logique de la découverte, la défense du déjà-là et la réaction contre la nouveauté. Les six chapitres du livre déploient une argumentation simple et limpide, sur la base de très nombreuses citations tirées de médias grand public et d’essais, sur les cas du Québec, de la France et des États-Unis. L’argumentation est simple, mais fondée, en premier lieu, sur un certain nombre d’outils conceptuels des sciences sociales mis à la portée du lecteur non spécialiste : la panique morale, l’étiquetage, la construction de faux problèmes, le biais de confirmation, l’historicisation ou encore la construction sociale de la réalité. Des références sont fournies et offrent la possibilité d’une lecture critique des usages faits de ces outils. En second lieu, l’argumentation de l’auteur repose sur la recherche et la production de données sur ce dont il est question dans ces propos accusateurs (censure, totalitarisme, violence…). Cette dimension empirique de l’ouvrage est sans doute la plus percutante parce qu’elle manifeste le vide empirique de ces discours contre l’université. Prenons quelques exemples. La mesure des phénomènes dénoncés constitue un premier niveau d’argumentation puissant. La simple mesure du nombre de formations qui relèveraient des courants de recherche incriminés montre leur très faible présence ; cette même mesure à l’échelle d’une université permet à l’auteur de montrer, par contraste, la prégnance massive des auteurs et théories les plus traditionnels. Le recensement des cas d’annulation de conférences permet, quant à lui, de montrer la place dominante, dans ce phénomène, des mouvements d’extrême droite. L’historicisation ensuite montre elle aussi sa puissance argumentative. Elle permet à l’auteur de replacer, par exemple, la « censure » brandie par les discours accusateurs dans les traditions universitaires du chahut et du boycottage (p. 162). Le changement de point de vue enfin, outil simple des recherches en sciences sociales, met au jour la saturation médiatique sur des objets bien particuliers au détriment d’autres : la dépendance des formations universitaires envers les puissances de l’argent n’est jamais évoquée comme menace contre les libertés académiques par ces discours dénonciateurs, pas plus que la place prise par l’enseignement catholique en France ou les universités baptistes ou adventistes aux États-Unis. Au fil des chapitres se construit ainsi le portrait de mécanismes efficaces qui reposent, paradoxalement, sur un déséquilibre radical entre puissance accordée aux discours et faiblesse supposée des actes. Les sciences sociales, contrairement à l’image …