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Dans cet essai autobiographique, Micheline Dumont retrace son parcours depuis son enfance à Dorion jusqu’au milieu des années 1970, alors qu’elle devient véritablement féministe et se tourne vers le tout nouveau champ de l’histoire des femmes.

Née en 1935 dans une famille assez aisée (son père, diplômé de l’École Polytechnique, fera une carrière de comptable), Micheline Dumont est l’ainée de six filles dont plusieurs feront, tout comme elle, des études universitaires à une époque où encore peu de femmes y accèdent. Il lui faudra cependant beaucoup de persévérance et d’entêtement pour y arriver : son géniteur, un homme plutôt sévère aux idées traditionnelles, refusant d’abord qu’elle poursuive sa scolarité au-delà du cours Lettres-sciences qu’elle a complété comme pensionnaire entre 1948 et 1952. De ce fait, on peut dire que sa quête de connaissances constitue l’un des thèmes récurrents qui traversent le livre et qui en organisent l’architecture, les douze chapitres qui le composent étant articulés autour des différentes étapes qui l’ont menée de l’école primaire de son village à son embauche par l’Université de Sherbrooke en 1970.

Cette soif inextinguible d’apprendre, surtout de lire tout ce que la littérature, romans ou essais, pouvait offrir, revient donc comme un leitmotiv tout au long de l’ouvrage. À chacune des étapes de sa vie, Micheline Dumont nous entretient de ses nombreuses lectures – titres et auteurs à l’appui – des enseignements qu’elle en a tirés et de ses méthodes de travail. Issue d’une famille où l’éducation était importante, elle-même très studieuse et appliquée, elle sera, comme elle le dit à plusieurs reprises, « une bonne élève », à qui le pensionnat avec ses horaires « réglés comme du papier à musique » (p. 64) convient tout à fait. C’est donc sans aucun sentiment de révolte qu’elle se glisse dans ce milieu feutré et quasi militaire, son désir d’apprendre lui permettant de passer outre à l’atmosphère et aux rites et exercices religieux qui imprègnent le quotidien, même si elle n’est pas très pieuse.

Ses années de pensionnat, remplies de découvertes intellectuelles, sont très formatrices et elle n’a que des éloges pour les religieuses qui lui ont enseigné. Les quatre dernières années du cours du classique qu’elle entreprend finalement auprès des soeurs de Sainte-Anne à Lachine, grâce à une bourse qui vient à bout des résistances de son père, lui semblent en revanche plutôt décevantes. Si elle est toujours aussi studieuse, elle est toutefois plus critique envers un enseignement qu’elle juge étriqué, pas assez moderne et qui n’étanche pas sa soif de savoir, que ce soit en sciences ou en philosophie. Un même désenchantement l’attend à l’université où elle entre en 1957 pour compléter une licence en lettres. Enseignés par des professeurs peu inspirants, les cours qu’elle suit en littérature, géographie et histoire lui paraissent très traditionnels, suscitant peu la réflexion. Seul Guy Frégault trouve grâce à ses yeux. Le cours de méthodologie de l’histoire qu’il dispense et qu’elle apprécie tout particulièrement, de même que ses lectures sur la pensée historique et la philosophie de l’histoire, lui seront d’ailleurs très utiles par la suite, alors qu’elle est peu à peu entrainée du côté de la didactique de l’histoire.

Durant les années 1960, en effet, Micheline Dumont enseigne cette matière à l’École normale Cardinal-Léger, en même temps qu’elle dispense d’autres cours dans divers collèges pour filles de Montréal. Au même moment, elle reçoit une invitation pour participer au comité histoire du Département de l’instruction publique où elle pourra approfondir ses connaissances de la didactique, tout en préparant des documents sur l’enseignement de cette matière qui serviront de base de réflexion à la Commission Parent : « [n]ous défrichons le terrain pour la modernisation de l’enseignement de l’histoire » (p. 158), dit-elle, ce qu’elle trouvait très exaltant.

Ce sont ces expériences, en plus de son diplôme d’études supérieures (l’équivalent d’une maitrise) obtenu à l’Université Laval, qui lui vaudront d’être finalement embauchée à l’Université de Sherbrooke en 1970. Associée au département d’histoire, elle est entre autres chargée de l’enseignement de la didactique aux futur⋅e⋅s enseignant⋅e⋅s et doit s’organiser avec des programmes qui sont nouveaux, mais très imprécis et des manuels datant d’une autre époque, totalement inadaptés (p. 234). Pour préparer ses cours, elle doit donc s’appuyer sur son bagage de connaissances et ses multiples lectures : sa participation à un comité mis sur pied par le ministère de l’Éducation sur l’enseignement des sciences humaines à l’élémentaire deviendra pour elle une autre école de formation.

Micheline Dumont est désormais beaucoup mieux connue pour son engagement en histoire des femmes. L’autobiographie qu’elle nous offre ici s’arrête cependant à l’orée du tournant qu’elle a pris vers ce nouveau champ historique pour mieux nous rappeler qu’elle a assisté aux balbutiements de la didactique de l’histoire au Québec, une discipline qu’elle a contribué à construire, notamment grâce à son ouvrage L’histoire apprivoisée (Boréal, 1979). Il s’agit donc d’un livre qui ne manquera pas d’intéresser les didacticien⋅ne⋅s qui pourront constater à quel point celles⋅ceux qui les ont devancé·e·s ont dû improviser. Pour les générations plus jeunes, Micheline Dumont laisse aussi un beau témoignage de l’importance de l’Église catholique dans la société et le système scolaire québécois de cette époque et des interdits et de l’ignorance en matière de sexualité qui prévalaient, deux autres thèmes récurrents de son ouvrage. Son autobiographie est enfin un bel exemple du désir de nombreuses femmes de son temps de poursuivre leurs études alors qu’on leur en niait le droit. Peut-être devrait-on la faire lire aux élèves d’aujourd’hui…