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1. Introduction

L’avènement d’un monde globalisé (Paine et coll., 2016) complexifie le métier d’enseignant⋅e aujourd’hui en pleine mutation (Meirieu, 2002). Dans ce contexte, la question des modalités de la formation des enseignant⋅e⋅s tout au long de leur vie se pose avec plus d’acuité, d’autant que se dresse le constat progressif que les modèles traditionnels de formation ne répondent pas à l’ensemble des besoins de la profession (Jacq et Ria, 2019). Dans cette conjoncture, on assiste à une pression croissante en faveur d’une collaboration enseignante, perçue comme un levier incontournable pour repenser les modes de formation (Vangrieken et coll., 2015).

La question de la collaboration enseignante dans un cadre formatif est aujourd’hui considérée par l’Organisation de coopération et de développement économiques comme un indicateur incontournable du développement des systèmes éducatifs. Cette instance internationale publie des enquêtes permettant aux 37 pays membres de situer leur système éducatif par rapport aux autres. La dernière enquête Teaching and learning international survey de 2018 confirme un fait significatif concernant le système éducatif français observé dans la précédente enquête de 2013 : seul⋅e⋅s 3 % des enseignant⋅e⋅s déclarent participer à des activités de formation professionnelle en groupe au moins une fois par mois, contre 31 % en moyenne dans les autres pays membres de l’organisation. De plus, 73 % des enseignant⋅e⋅s déclarent travailler dans un établissement caractérisé par une culture de la collaboration se traduisant par un soutien mutuel, un taux de réponse inférieur à la moyenne des autres pays membres de l’organisation (81 %). Cette observation a été dernièrement reprise par le Conseil scientifique de l’éducation nationale en France pour recommander de développer une culture de la collaboration au sein des établissements scolaires (Algan, 2021).

Eu égard à cette résolution, le présent article comporte l’objectif d’opérer une revue de la littérature pour en tirer les travaux empiriques usant du concept de « communautés d’apprentissage professionnelles » (CAP), ce domaine offrant des perspectives de recherche qui résonnent avec les préoccupations actuelles du système éducatif français. En effet, le concept de CAP forme aujourd’hui un cadre théorique majeur (Vangrieken et coll., 2017) mobilisé pour étudier les collectifs professionnels au sein d’institutions scolaires qui peuvent, par leur fonctionnement, instaurer une culture de la collaboration au sein d’un établissement ou d’un réseau d’établissements au bénéfice de l’apprentissage des élèves (Hord, 1997 ; Kruse et coll., 1995 ; Stoll et Louis, 2007). Comme le relève Saussez (2015), on assiste, depuis les années 2000, à une explosion du nombre de travaux en ce domaine, qui s’explique par le fait que les CAP sont aujourd’hui présentées comme une voie prometteuse pour l’amélioration des écosystèmes éducatifs (Stoll, 2015). Toutefois, hormis dans certaines provinces canadiennes (Dulude et Gélinas-Proulx, 2020), ce mouvement vers les CAP est encore relativement peu développé et étudié en contexte francophone (Leclerc et Labelle, 2013). Ainsi, afin d’opérer cette revue de la littérature, nous nous sommes tournés pour l’essentiel, vers des travaux publiés en langue anglaise. À notre connaissance, il n’existe pas, à ce jour, de présentation systématique de ce type de recherches. Aussi, mieux connaitre les évidences empiriques de ce domaine permettrait d’alimenter les réflexions engagées en France qui concernent le développement d’une culture collaborative dans les établissements scolaires. Par là même, ce travail pourra représenter, à terme, un matériau permettant de faciliter la mise en dialogue entre les études anglo-saxonnes sur les CAP et celles produites par la communauté de recherche francophone.

2. Cadre théorique

Le concept originel de professional learning communities a été traduit par Leclerc (2012) en « communautés d’apprentissage professionnelles ». Cette traduction est aujourd’hui communément admise (Saussez, 2015). Une définition a été proposée par un collectif de chercheur⋅se⋅s autour de Stoll et Louis (2007, p. 2) ; elle stipule qu’une CAP existe « lorsque l’on peut voir un groupe d’enseignant⋅e⋅s partageant et interrogeant d’un point de vue critique leurs pratiques de manière continue, réflexive, collaborative, inclusive, axée sur l’apprentissage et qui favorise leur développement ». Cette définition ne fait cependant pas l’objet d’un large consensus dans cette communauté de recherche comme le soulignent Vescio et coll. (2008) ou encore plus récemment Dogan et Adams (2018). Ce constat nécessite de revenir sur l’émergence du concept de CAP dans la littérature pour mieux comprendre ses spécificités.

Lomos (2012) et Saussez (2015) montrent que l’émergence du concept de CAP s’établit en lien avec un mouvement de réformes scolaires dans les années 90 aux États-Unis qui va associer chercheur⋅se⋅s et expert⋅e⋅s en éducation dans des projets visant à transformer la culture des établissements scolaires et les pratiques d’enseignement dans le but de faire émerger des écoles innovantes au service de la réussite de tou⋅te⋅s les élèves. McLaughlin et Talbert (1993) proposeront alors le concept de communautés professionnelles, une première formalisation théorique de ce cadre normatif de réformes structurant les activités d’enseignement autour d’une communauté oeuvrant pour le bien commun, engagée dans ce qui constitue une « bonne pratique », en rupture avec les modes traditionnels, dans laquelle l’apprentissage des élèves prend le pas sur la transmission de la matière (Saussez, 2015). Il faudra cependant attendre le travail de Hord (1997) pour qu’émerge formellement le concept de CAP à travers l’ajout de la composante « apprentissage », induisant par là le rôle essentiel d’un apprentissage collectif dans le processus conduisant une CAP à favoriser la réussite de tou⋅tes les élèves. Cet élargissement conceptuel marque ce que Vescio et coll. (2008) qualifient de nouveau paradigme en matière de développement professionnel des enseignant⋅e⋅s, en rupture avec des modes de formations jugés insuffisants et éloignés des réalités du terrain (Hadar et Brody, 2016 ; Lumpe, 2007 ; Westheimer, 2008). À travers une CAP, le développement professionnel se pense in situ en partant du postulat selon lequel ce que les enseignant⋅e⋅s font ensemble en dehors de leur classe est tout aussi important pour l’amélioration du fonctionnement de l’établissement que ce qui se passe à l’intérieur des classes (Sleegers et coll., 2013). De plus, la conceptualisation initiale des CAP proposée par Hord (1997) insiste sur le rôle central de l’administration scolaire chargée de fournir les ressources et les conditions nécessaires au développement des CAP tout en s’impliquant dans ses activités en ayant soin de partager et de distribuer son leadeurship. La figure 1 ci-dessous présente le modèle de CAP proposé par Hord (1997) en cinq dimensions.

Figure 1

Le modèle de CAP de Hord (1997)

Le modèle de CAP de Hord (1997)

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La dimension « leadeurship solidaire et partagé » renvoie à un mode d’organisation spécifique dans lequel les responsables qui initient la CAP octroient aux enseignant⋅e⋅s un pouvoir décisionnaire au sein de la communauté formée et les soutiennent dans le déroulement des activités. La dimension « des valeurs, visions et objectifs partagés » reflète l’accord entre les membres de la CAP sur les objectifs à poursuivre, la vision à partager ainsi que les normes qui vont organiser le travail au sein de la CAP. Cette dimension est particulièrement importante pour établir la relation de confiance entre les membres, indispensable à un fonctionnement en CAP et à l’atteinte de ses objectifs. La dimension « apprentissage collectif et son application » reflète la combinaison de l’expérience et des ressources cognitives au sein de la CAP au service de l’apprentissage collectif et continu de chacun⋅e de ses membres. Cette dimension est alimentée par les besoins des enseignant⋅e⋅s et la conduite d’un dialogue réflexif incluant des discussions sur, par exemple, le programme d’études, la pédagogie ou encore le développement des élèves. Dans la perspective d’amélioration continue des enseignements qui anime la constitution d’une CAP, la dimension « des pratiques individuelles partagées » reflète les conduites des membres de la CAP qui visent à rendre leurs pratiques publiques aux yeux de leurs collègues en vue d’un partage et d’une mise en débat des pratiques de manière réflexive, critique et non évaluative. Enfin, la dimension « des conditions supports » renvoie à l’ensemble des conditions nécessaires à l’émergence et au maintien d’un fonctionnement en CAP incluant à la fois des dimensions structurelles et organisationnelles (temps nécessaire, espace et organisation du travail), mais aussi des dimensions humaines favorisant un climat social propice (favoriser la prise de parole, le partage d’opinions, les échanges).

Nous présentons ci-dessous les résultats de notre revue de la littérature. La méthodologie employée pour sélectionner les articles et en extraire les principales informations est présentée dans l’annexe 1. Le tableau de synthèse des principales informations extraites des articles supports est quant à lui présenté dans l’annexe 2.

3. Méthodologie

3.1 Le processus d’identification et de sélection des articles supports

La figure 2 (annexe 1) récapitule les étapes d’identification et de sélection des articles inclus dans cette revue de la littérature. Des bases de données dans le domaine de la recherche en éducation ont été interrogées dans la journée du 23 janvier 2020 à l’aide des mots-clés professional learning communities et education, dont les occurrences ont été appelées, dans le titre, le résumé ou les mots-clés : Springer Link ; Science Direct ; Sage journals ; EBSCOhost (PsyINFO, PsyARTICLES et Psychology and Behavioral Sciences Collection). Deux-cent-neuf articles ont été identifiés à l’issue de cette recherche. Dix-huit doublons ont été écartés pour aboutir à un total de 191 articles.

L’ensemble des résumés de ces 191 articles ont été lus par les trois auteurs pour statuer sur leur inclusion/exclusion sur la base de trois critères : 1) publication dans une revue à comité de lecture, 2) CAP au centre de l’étude et 3) recherche empirique. Une réunion des chercheurs a permis d’identifier les articles répondants à ces critères. En cas de désaccord, l’article était lu dans son intégralité en mobilisant les critères ci-dessus pour statuer sur son inclusion/exclusion. À l’issue de cette étape, 114 articles ont été écartés, portant le nombre total des articles à 77.

Enfin, les chercheurs ont lu les bibliographies de ces 77 articles à la recherche de références complémentaires susceptibles d’être ajoutées au corpus. Les trois chercheurs se sont accordés pour ajouter 32 articles après lecture de leur résumé ou de l’intégralité du texte lorsque cela était nécessaire, portant ainsi le total des références, après vérification des critères d’inclusion, à 109 articles.

3.2 Le processus d’extraction des données des articles supports

Une dernière réunion a permis de déterminer les informations à extraire des articles :

  • Auteur⋅e⋅s_année (pays de collecte des données)

  • Objectif de l’étude

  • Définition de CAP

  • Cadre théorique mobilisé pour l’étude

  • Dimensions associées au concept de CAP

  • Participant⋅e⋅s et contexte de l’étude

  • Méthode

  • Principaux résultats

Le premier auteur a extrait les informations de l’ensemble des 109 articles. Quant aux deux autres auteurs, ils ont également effectué ce travail d’extraction en se répartissant également les 109 références, de telle sorte que l’extraction de chaque article a été réalisée par au moins deux chercheurs. Puis, les données d’extraction ont été comparées pour chaque référence et des discussions se sont engagées pour s’accorder sur le contenu des informations à extraire. Le tableau 1 (annexe 2) contient l’ensemble de ces informations.

Pour terminer, deux des auteurs de cette revue de la littérature ont indépendamment travaillé sur ce tableau 1 afin d’identifier des catégories permettant de synthétiser ces données en 3 ensembles cohérents : 1) les conditions favorables et les défis au développement d’une organisation en CAP ; 2) le fonctionnement d’une organisation en CAP et 3) les effets relatifs à une organisation en CAP.

4. Résultats

Trois « faisceaux » de résultats se dégagent de cette revue de la littérature. Ils sont présentés ci-dessous.

4.1 Les conditions favorables et les défis au développement d’une organisation en communautés d’apprentissage professionnelles

Plusieurs autres articles de notre revue de la littérature se sont attachés à identifier les conditions nécessaires à la mise en oeuvre d’une organisation en CAP au sein d’un établissement scolaire. Un ensemble de ces conditions se rapporte à la question d’un soutien logistique et organisationnel : l’aménagement du temps et la construction d’espaces de dialogue (par exemple, Farley-Ripple et Buttram, 2014[1]), une souplesse règlementaire et curriculaire (Giles et Hargreaves, 2006), une forte autonomie octroyée aux membres (Cranston, 2009), le recours à un⋅e facilitateur⋅rice (Clark et coll., 2008) ou encore la possibilité offerte aux professionnel⋅le⋅s de se documenter sur le principe de CAP afin que ces dernier⋅ère⋅s soient proactif⋅ive⋅s dans la mise en oeuvre du processus et dans la conception des activités collaboratives (Penner-Williams et coll., 2017). On trouve également dans la littérature un ensemble de conditions qui se rapporte à l’implication de l’administration, qui joue un rôle déterminant dans le développement d’une CAP pour restructurer l’organisation scolaire (Hipp et coll., 2008), mobiliser les acteur⋅rice⋅s autour d’objectifs clairs et partagés (Salleh, 2016), développer un climat de travail propice à l’apprentissage (Voelkel et Chrispeels, 2017b), instaurer des normes, des règles, des procédures et des routines adéquates (Cheng et Wu, 2016), mais aussi participer, planifier et promouvoir des activités collaboratives au sein des CAP (Huffman et Hipp, 2001).

En parallèle des études que nous venons d’énoncer, d’autres recherches s’intéressent plus spécifiquement aux conditions favorisant le fait qu’une CAP se maintient dans le temps au-delà d’une première phase d’émergence (Giles et Hargreaves, 2006). Elles révèlent plusieurs facteurs qui participent au maintien d’une organisation en CAP, comme 1) une répartition appropriée des responsabilités et des décisions ainsi qu’une préparation à la succession des responsables, 2) un partage entre les membres d’objectifs et de valeurs, 3) le potentiel de l’institution à susciter un développement professionnel continu pour ses membres, 4) la possibilité de mobiliser des acteur⋅rice⋅s disposé⋅e⋅s au changement, 5) la mise en place de reconfigurations structurelles et administratives propices à l’innovation et 6) la capacité de la communauté à intégrer de nouvelles personnes et leurs opinions.

Harris et Jones (2010) ont identifié les principaux défis qui accompagnent la mise en oeuvre d’une organisation en CAP dans le cadre d’une réforme éducative au pays de Galles. Dans ce contexte, la mise en place de CAP a été expérimentée durant plus d’une année à travers une phase-pilote concernant six établissements. Harris et Jones (2010) ont étudié, à travers une participation active au projet, les principaux défis relatifs à la mise en oeuvre de ce type d’organisation. Le premier défi se rapporte à la difficulté de réunir des conditions structurelles essentielles : un espace physique sécurisant ainsi qu’un aménagement des horaires de travail permettant aux membres de s’engager dans les activités collectives sans que cela s’accompagne pour elles⋅eux d’une charge de travail supplémentaire. Pour Harris et Jones (2010), ces deux conditions représentent un point d’ancrage sans lequel le développement d’une CAP ne peut être garanti ni même envisagé. Le second défi est d’ordre culturel. Harris et Jones (2010) montrent que le développement d’une CAP se confronte à des cultures scolaires préétablies et en cela, à des stratégies et des logiques de maintien du statuquo. Pour aller au-devant de ces difficultés, les auteures soulignent le rôle déterminant des administrateur⋅rice⋅s. En effet, leur étude montre que la création d’une CAP repose essentiellement sur l’impulsion des responsables qui, tout en fournissant les ressources structurelles nécessaires, mettent en jeu leur pouvoir d’influence pour mobiliser les professionnel⋅le⋅s, susciter leur attention et leur engagement par la promotion d’un mode de fonctionnement en CAP. Enfin, un troisième défi correspond à des influences et des pressions extérieures : les établissements scolaires pilotes de l’étude ont rapidement été concernés par de nouvelles politiques locales et nationales avec lesquelles les organisations en CAP ont dû composer. L’étude montre que ces pressions peuvent conduire les activités de la CAP à se détourner des intentions premières des membres du collectif. Pour faire face à cela, Harris et Jones (2010) recommandent que l’organisation en CAP devienne un élément constitutif de la culture des établissements.

En somme, la littérature montre qu’une CAP ne va pas de soi et que son implantation est continuellement sujette à des défis qui ne peuvent être dépassés sans une implication et un soutien de l’administration sur les plans organisationnel et logistique (aménagement du temps, des espaces et de l’organisation du travail enseignant) permettant progressivement à la CAP de s’intégrer dans la culture organisationnelle pour qu’elle se maintienne dans le temps.

4.2 L’étude du fonctionnement d’une organisation en CAP

Au-delà du développement d’une organisation en CAP, les travaux dans ce domaine s’attachent aussi à étudier les dynamiques internes aux CAP qui modulent leur fonctionnement. Jäppinen et coll. (2016) ont étudié le fonctionnement de trois CAP établies au Canada, en Finlande et en Israël. Leur étude a permis de dégager cinq éléments qui influent positivement sur le fonctionnement d’une CAP. Le premier concerne le mode de gouvernance spécifique des CAP qui se caractérise, d’une part, par un pilotage des activités reposant sur l’analyse critique et collective des pratiques pédagogiques en vue d’expérimenter de nouvelles pratiques et, d’autre part, par une capacité de l’organisation à déléguer les décisions aux membres de la CAP afin que ces dernier⋅ère⋅s expriment leur « pouvoir d’agir » en matière de pédagogie. Le second élément se rapporte au potentiel des CAP à susciter de l’intelligence collective, c’est-à-dire des synergies entre les membres facilitant l’accomplissement des tâches et des objectifs fixés par le collectif. Cette capacité repose sur une collaboration qui prend forme, notamment, à travers la transparence des pratiques d’enseignement faisant l’objet d’investigations collectives, de discussions et de critiques constructives. Le troisième élément correspond à la quantité et à la qualité du temps attribuées au fonctionnement en CAP, c’est-à-dire à la nécessité de disposer d’un temps suffisant et régulier pour que des routines de travail collaboratives s’installent et influencent le développement professionnel des membres de la CAP. Le quatrième élément correspond au potentiel de l’organisation à « cultiver » ce mode de fonctionnement spécifique, et, par là, à constamment promouvoir, nourrir et soutenir cette organisation en CAP en proposant, par exemple, des formations adéquates à ses membres ainsi qu’un ensemble d’activités motivantes et valorisantes. Enfin, le cinquième élément correspond au tissage de relations interpersonnelles entre les membres de la CAP imprégnées de respect, de confiance et d’égalité qui participent à l’instauration d’un climat professionnel perçu comme sécurisant par les membres afin que ces dernier⋅ère⋅s s’engagent véritablement dans les activités de la CAP.

Ces cinq éléments dégagés par Jäppinen et coll. (2016) font écho à d’autres résultats de la revue de la littérature. Le « bon » fonctionnement d’une CAP est lié également à un ensemble d’éléments se rapportant à une atmosphère de travail sécurisante alimentée par des relations de confiance (Cranston, 2011), du respect (Birenhaum et coll., 2011), de la patience, de la bienveillance et une tolérance envers autrui et son travail (Hallam et coll., 2015), de la solidarité (Hipp et coll., 2008) ou encore une volonté d’inclure l’ensemble des membres et leurs opinions (Wang, 2015). D’autres travaux insistent sur l’importance du leadeurship dans le fonctionnement d’une CAP, qu’il soit proactif (Valckx et coll., 2018), collaboratif (Burns et coll., 2018), partagé (De Neve et Devos, 2017), distribué (DeMatthews, 2014), transformationnel (Vanblaere et Devos, 2016b) ou pédagogique (Zheng et coll., 2019). Enfin, on trouve un ensemble de résultats qui souligne que le fonctionnement opérant d’une CAP est consubstantiel au déploiement d’activités collaboratives se rapportant à une déprivatisation des pratiques (Owen, 2014), à un partage de conseils et d’expertises (Hadar et Brody, 2016), au développement d’expérimentations ou de recherches-actions (Jetton et coll., 2008), à une coconception des activités d’enseignement (Huggins et coll., 2011), à de l’observation entre pairs (Sargent et Hannum, 2009), à un mentorat (Hudson et coll., 2013) ou encore à l’utilisation de données d’élèves (Voelkel et Chripeels, 2017b).

Cependant, plusieurs études soulignent également certains aspects associés à un dysfonctionnement d’une organisation en CAP. Par exemple, l’étude de Craig (2013), basée sur le parcours d’une jeune enseignante dans un collège en restructuration dans l’état du Texas, montre que la mise en place imposée d’une CAP par un chef d’établissement provoque des conséquences néfastes pour les enseignant⋅e⋅s : exigence d’une conformité absolue aux directives de la CAP, injonctions en matière de performances, sentiment d’insécurité et de dépossession, climat toxique, tensions, conflits conduisant à des licenciements et des démissions. Cette étude de Craig (2013) fait écho, dans la littérature, à d’autres résultats montrant que des exigences sur le plan des performances (Sinberg, 2016), une mauvaise gestion des dynamiques de groupe (Dooner et coll., 2008), un climat organisationnel toxique (Levine, 2011), un détournement des objectifs de la CAP par les administrateur⋅rice⋅s (Jones et coll., 2013), un leadeurship trop directif et autoritaire (Zhang et coll., 2017) ainsi qu’une prise en compte trop faible de l’expérience des enseignant⋅e⋅s (Schechter, 2012) provoquent un fonctionnement inopérant de la CAP ne lui permettant pas d’atteindre ses objectifs.

En définitive, le « bon » fonctionnement d’une CAP est associé dans la littérature à un climat de travail sécurisant, à un mode de gouvernance souple et proche des enseignant⋅es qui veille à nourrir le processus et à octroyer l’autonomie nécessaire aux professionnel⋅le⋅s pour que ces dernier⋅ère⋅s s’engagent véritablement dans des activités collaboratives qui conduiront la CAP, à travers un processus d’intelligence collective, à favoriser le développement professionnel des enseignant⋅e⋅s dans l’intérêt de la réussite des apprenant⋅e⋅s.

4.3 Les effets d’une organisation en CAP

Cette dernière catégorie se rapporte aux effets attribués à une organisation en CAP sur ses membres ainsi que sur leurs élèves. Dans cette optique, l’étude de Prenger et coll. (2017) interroge l’effet que suscite une participation à une CAP sur le plan du développement professionnel. Menée dans le contexte d’une réforme aux Pays-Bas, cette étude par questionnaire a recueilli 151 réponses d’enseignant⋅e⋅s ayant participé à une organisation en CAP. Les résultats révèlent que ces CAP influent sur le développement professionnel de leurs membres à travers la satisfaction des enseignant⋅e⋅s, une évolution de leurs connaissances, compétences et attitudes ainsi que leur mise en oeuvre dans leurs pratiques pédagogiques. Cette étude fait écho à un ensemble de travaux ayant démontré l’effet d’une organisation en CAP sur le développement professionnel de ses membres (Valckx et coll., 2018), leurs apprentissages (Louie, 2016) ou leurs connaissances et compétences didactiques (Mu et coll., 2018). Ces effets positifs sont notamment favorisés par la mise en relation de la théorie et de la pratique dans les activités de la CAP (Yan et Yang, 2019).

D’autres études davantage centrées sur l’évolution des pratiques pédagogiques des membres montrent qu’une organisation en CAP est favorable à l’innovation pédagogique (Woodland et Mazur, 2019), qu’elle engendre un renouvèlement des pratiques (Tam, 2015), recentre l’enseignement sur les apprenant⋅e⋅s et leurs besoins (Luyten et Bazo, 2019), favorise la construction de nouvelles normes en matière d’enseignement (Friedrichsen et Barnett, 2018), entraine de nouvelles stratégies pédagogiques (Scott et coll., 2011), favorise l’adoption de nouveaux modes d’évaluation (Birenhaum et coll., 2009), facilite l’intégration de la technologie (Cifuentes et coll., 2011), entraine une reconceptualisation des pratiques (Damjanovic et Blank, 2018) ou place ses membres dans une posture de praticienne réflexif⋅ive et de chercheur⋅se (Popp et Goldman, 2016). D’autres résultats indiquent qu’une organisation en CAP influence positivement le sentiment d’efficacité personnelle et collectif de ses membres (Kennedy et Smith, 2013 ; Voelkel et Chrispeels, 2017a), améliore leur satisfaction (Prenger et coll., 2017) et leur bienêtre au travail (Owen, 2016), renforce leur professionnalisme et leur identité professionnelle (Joo, 2020) et consolide leur engagement et leur responsabilité envers leurs élèves (Lee et coll., 2011) ainsi que leurs attentes et espérances en matière de résultats (Mintzes et coll., 2013).

Les effets d’une organisation en CAP sur les résultats scolaires des élèves sont aussi investis dans ce domaine de recherche. C’est le cas par exemple de l’étude de Burns et coll. (2018) qui, dans le cadre d’une intervention consistant à implanter des CAP sur une longue durée (3 à 5 ans) dans 181 établissements scolaires, interrogeait les effets d’une CAP sur les résultats scolaires, mesurés à l’aide d’un test standardisé en arts de la communication et en mathématiques. Les résultats montrent qu’une organisation en CAP influence de manière significative les résultats scolaires des élèves en mathématiques. D’autres études semblables rapportent une amélioration des résultats d’élèves en ce qui a trait aux savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter) (Sigurðardóttir, 2010) ainsi qu’un effet positif sur l’engagement des apprenant⋅e⋅s (Warwas et Helm, 2018).

En somme, le « bon » fonctionnement d’une CAP est associé dans la littérature à des effets positifs sur le développement professionnel de ses membres, sur leur bienêtre au travail, sur leur sentiment d’efficacité personnel, sur le changement de leurs pratiques pédagogiques et, ainsi, sur l’amélioration des résultats des apprenant⋅e⋅s.

5. Conclusions et perspectives

L’objectif de cette recherche bibliographique était de présenter de manière synthétique les connaissances actuellement disponibles sur les CAP dans le domaine de l’éducation, un domaine encore peu investi par la recherche francophone. Nous souhaiterions conclure en abordant quatre éléments que nous retenons de ce travail. Nous évoquerons dans un premier temps la question de l’émergence et de la diffusion du concept de CAP. Chemin faisant, nous aborderons le problème du « défi conceptuel » qui traverse toujours aujourd’hui ce domaine de recherche. Pour aller au-devant de ce problème, nous proposerons une définition construite à partir des caractéristiques fortes des CAP identifiées parmi notre corpus d’articles. Enfin, nous terminerons en présentant certaines perspectives de recherche qu’il est possible d’envisager au regard du contexte du système éducatif français.

Notre travail nous a permis de prendre connaissance d’éléments permettant de mieux contextualiser l’émergence et la diffusion du concept de CAP. Sur ce point, de nombreuses références confirment que le concept est né aux États-Unis à travers un contexte de réformes visant à responsabiliser les établissements scolaires vis-à-vis des apprentissages de leurs élèves, mesurés à l’aide de tests standardisés. Dans ce contexte, le concept de CAP s’est progressivement diffusé auprès des responsables politiques et des praticien⋅ne⋅s (Louis et coll., 2010) comme une façon de traduire la capacité des établissements scolaires à évoluer vers un fonctionnement en organisation apprenante (Hargreaves, 2007). On a ensuite assisté, à partir de la fin des années 2010, à sa diffusion dans d’autres pays. C’est le cas de la Chine, où le concept résonne avec les actions du gouvernement qui travaille à faciliter les réformes éducatives par l’institutionnalisation de « groupes de recherche enseignant⋅e⋅s » (Wang, 2015). Au pays de Galles, Harris et Jones (2010) mentionnent que l’implantation de CAP s’ancre dans une réforme visant à améliorer l’efficacité des écoles par l’utilisation des résultats de la recherche. En Australie, l’état subventionne la création de CAP en vue d’aller au-delà des formes conventionnelles de développement professionnel des enseignant⋅e⋅s (Hudson et coll., 2013). À Singapour, on observe une diffusion du concept qui s’ancre dans l’objectif du gouvernement de généraliser la transformation des écoles en CAP à la suite d’une première expérimentation (Salleh, 2016). Cette « vague » de diffusion a conduit Vanblaere et Devos (2016b) à parler d’un « élan considérable » du concept impulsé par une tendance globale caractérisable par une volonté de restructurer les établissements scolaires en organisations apprenantes (Kools et Stoll, 2016).

Cependant, notre revue de la littérature révèle que cet élan ne s’accompagne pas pour autant d’une clarification conceptuelle. En effet, 39 des 109 articles de notre revue (35 %) ne fournissent pas de définition du concept de CAP tandis que les 70 restants le définissent de manière très variée (23 définitions différentes recensées) en le confondant souvent avec d’autres concepts comme les communautés de pratiques, les communautés d’apprentissage ou encore, les communautés professionnelles. On observe aussi une diversité d’approches théoriques se rapportant au concept de CAP ainsi qu’une grande variété de dimensions mobilisées pour le caractériser. Ainsi, cet état de fait corrobore l’assertion de plusieurs travaux évoquant des fondations théoriques instables du concept de CAP (Dogan et Adams, 2018 ; Lomos et coll., 2011 ; Watson, 2014) induisant que le domaine des CAP est toujours traversé par ce que Toole et Louis (2002) qualifient de « défi conceptuel ». À la lumière de cela, nous proposons, à travers notre revue de la littérature, une définition du concept de CAP entendu comme « une organisation à l’initiative de l’administration scolaire établie dans l’objectif d’améliorer la réussite des élèves par le développement professionnel de ses membres, dans laquelle l’administration scolaire partage son pouvoir décisionnaire et favorise la participation des membres à des activités collaboratives les amenant à partager et à étudier d’un point de vue critique leurs pratiques pédagogiques de manière réflexive et continue ». Cette proposition de définition repose sur quatre caractéristiques fortes des CAP identifiées à travers notre revue de la littérature. La première correspond à l’objectif des CAP qui établit un lien entre l’amélioration de la réussite des élèves et le développement professionnel des enseignant⋅e⋅s de l’établissement. La seconde se rapporte à leur mode d’implantation, une organisation à l’initiative de l’administration scolaire à qui il incombe de créer la CAP puis de la maintenir dans le temps en investissant son rôle dans la dimension pédagogique d’un établissement et en agissant comme promotrice du changement. La troisième tient dans le mode de gouvernance des CAP qui se caractérise par un leadeurship partagé dans lequel l’administration scolaire partage son pouvoir décisionnaire avec les membres afin de les mobiliser et de les responsabiliser autour des objectifs établis. Enfin, la dernière caractéristique correspond au mode de fonctionnement d’une CAP caractérisé par la participation des membres à des activités collaboratives permettant de stimuler leur réflexivité, l’échange de leurs expériences, leurs apprentissages, la remise en question de leurs habitudes de travail ainsi que leur capacité à innover. Ces activités peuvent progressivement se structurer en une culture collaborative au sein d’un établissement ou d’un réseau d’établissements au bénéfice de l’apprentissage des élèves.

La définition que nous proposons peut servir d’appui à l’identification de perspectives de recherches dans un contexte français marqué par une tendance lourde à rapprocher les décisions en matière d’éducation des acteur⋅rice⋅s locaux⋅les. Cette tendance s’exprime notamment à travers une volonté de réassurer l’autonomie des établissements scolaires en renforçant le rôle pédagogique des responsables et le « pouvoir d’agir » des équipes éducatives dans l’élaboration de leurs projets. Le huitième engagement issu du récent Grenelle de l’éducation est intitulé « Donner plus d’autonomie aux équipes des collèges et lycées pour développer leurs projets » et est appuyé par le constat basé sur la recherche et les exemples internationaux selon lequel la réussite des élèves s’accroit considérablement dès lors qu’il existe un projet d’école ou d’établissement fondé sur un collectif pédagogique uni autour d’objectifs partagés. Lors de son déplacement en septembre 2021 à Marseille, le président Emmanuel Macron a confirmé cette tendance en annonçant une expérimentation dans 50 écoles permettant aux directeur⋅rice⋅s de choisir leurs enseignant⋅e⋅s afin de lutter contre l’usure des équipes pédagogiques dans les quartiers difficiles. Ces évolutions sont susceptibles d’ouvrir la voie à un mode d’organisation des établissements scolaires sous forme de CAP. Une première « ligne » de recherche consisterait à étudier le type d’organisation qui émergera de ces réformes éducatives conférant une autonomie grandissante aux établissements scolaires afin de décrire leur fonctionnement. De ces premières investigations pourraient ressortir des dimensions caractéristiques qu’il conviendrait de pouvoir identifier à travers d’autres études. Cette seconde « ligne » de recherche permettrait d’évoluer vers une modélisation du fonctionnement autonome d’un établissement scolaire en général et d’une organisation en CAP en particulier. Des études d’impact sur l’amélioration des résultats des élèves et le développement professionnel des enseignant⋅e⋅s pourraient suivre. Cette littérature pourrait enfin être mobilisée pour ouvrir une troisième « ligne » de recherche consacrée à des études sur l’accompagnement des établissements scolaires dans le développement d’une organisation en CAP basée sur les résultats de la recherche et, en particulier, des recherches participatives. En définitive, le concept de CAP ouvre des perspectives de recherches inédites qui concordent avec les évolutions récentes du système éducatif français. Les chercheur⋅se⋅s qui investiront ce domaine de recherche devront cependant s’armer de toute la vigilance à laquelle les invitent les auteur⋅e⋅s des études recensées dans notre revue de la littérature.

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Florian Bertrand
Étudiant au doctorat, Université de Bourgogne-Franche-Comté

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Denis Pasco
Professeur, Université de Bourgogne-Franche-Comté

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Christophe Reffay
Maitre de conférences, Université de Franche-Comté