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Le titre ne dit pas tout et semble un peu rébarbatif ; alors quelques précisions s’imposent d’emblée. L’expression boiteuse « ils aiment pas le français » est symptomatique de l’inconfort, du manque de maitrise, voire de l’aversion de plusieurs étudiants suisses germanophones devant apprendre le français comme deuxième ou troisième langue pour devenir enseignants au primaire, tandis que la PHBern désigne en fait la Haute école pédagogique de Berne, soit l’équivalent suisse d’une école de formation des maitres pour de futurs enseignants du primaire. En Suisse, le parcours des futurs enseignants comprend plusieurs passages obligés, et certains des étudiants non francophones devront non seulement enseigner le français, mais ils devront d’abord faire leurs preuves en effectuant un stage de mobilité linguistique, autrement dit : une immersion obligatoire en milieu francophone. Plusieurs aspirants considèrent cette étape comme une épreuve exigeante et parfois comme un pensum.
Adapté de sa thèse de doctorat soutenue (sous un titre similaire) à l’Université de Fribourg en 2014, ce livre de la didacticienne Jésabel Robin touche en fait plusieurs domaines qui ne sont pas annoncés dans le titre (didactique des langues et du français, sociologie de l’éducation, études sur le bilinguisme et le plurilinguisme) et réévalue plus largement la place de la langue et de la culture françaises en Europe. Ce mélange de perspectives est une des forces de ce livre dont certaines portions sont éminemment transdisciplinaires, c’est-à-dire axées sur un concept élaboré plutôt que sur un cadre disciplinaire restreint.
Après un chapitre d’ouverture substantiel sur les raisons du choix du sujet et de la problématique – admirablement bien ficelée – suivie d’une mise en contexte (autour de la Suisse alémanique), nous entrons dans le vif du sujet. La troisième partie fonde le cadre théorique sur le concept durkheimien des représentations collectives, puis sur les représentations sociales selon la conceptualisation plus dynamique – mais aussi plus proche de la psychologie sociale – préconisée par Serge Moscovici, pour ensuite aborder le concept des représentations mentales, proposé par le sociologue Pierre Bourdieu au début des années 1980. La conceptualisation est centrée sur la reconstruction, la réinterprétation et les récits d’expériences dans la formation des enseignants : « la reconstruction narrative de l’expérience est une reconstruction identitaire » (Robin, 2015, p. 149).
Peut-être la plus forte, la quatrième partie présente le cadre méthodologique de cette recherche, optant pour des entretiens semi-directifs et une analyse basée sur la théorie ancrée (grounded theory) à la Barney Glaser et Anselm Strauss, pour qui les avancées théoriques devraient résulter des résultats obtenus par les observations. D’ailleurs, même si la bibliographie se réfère uniquement à l’édition étatsunienne, l’ouvrage classique de Glaser et Strauss a été traduit en français aux éditions Armand Colin par Marc-Henry Soulet et Kerralie Oeuvray en 2010 : La découverte de la théorie ancrée. Stratégies pour la recherche qualitative.
La cinquième partie met en évidence ce qui s’avère être des stratégies d’évitement pour certains enseignants suisses non francophones voulant échapper à une partie de leur tâche : de savoir enseigner le français. Les prétextes invoqués par les futurs enseignants, principalement germanophones, pour éviter d’avoir à travailler en français, sont nombreux et pourront sembler familiers à bien des universitaires canadiens qui pourront transposer ce problème et reconnaitre une réalité enracinée depuis toujours au Canada. Le constat est amer et incontestable : le français est de plus en plus dénigré chez beaucoup d’enseignants en Suisse. Selon les témoignages recueillis par Robin (2015), le français serait devenu « la langue qu’il est “normal” de ne pas aimer » (p. 510) ; il y a « là un processus de banalisation de la résistance envers le français » (p. 513). Néanmoins, quelques étudiants ont su trouver ou forger des stratégies motivantes (comme l’ÉLBE : Éveil aux langues et l’outil pédagogique Mille feuilles) afin de surmonter leurs faiblesses dans leur apprentissage de cette langue seconde.
On peut affirmer que cet ouvrage est indispensable pour les bibliothèques universitaires. On ne peut que se réjouir de la parution de ce livre substantiel, non pas dans une version adaptée et réduite comme c’est si souvent le cas avec des thèses publiées, mais avec ses indispensables parties théoriques et méthodologiques, si difficiles à concevoir et à élaborer pour tant de doctorants. Malgré son sujet d’une pertinence incontestable, ce livre est exemplaire du point de vue méthodologique, et l’articulation théorique proposée ici pourrait inspirer et guider bien des thésards, peu importe leur domaine de spécialisation. L’échantillonnage restreint ne réduit aucunement la validité des résultats obtenus. L’ouvrage ne contient pas d’index, mais la bibliographie finale est généreuse et ne se limite pas à des références dans une seule langue. Certaines des quatorze annexes reproduisent les questionnaires utilisés avec le verbatim de certains des répondants.
En guise de prolongement logique, Jésabel Robin vient de faire paraitre en 2022, aux éditions Peter Lang, en codirection avec Martina Zimmermann, un ouvrage collectif intitulé La didactique des langues dans la formation initiale des enseignant⋅e⋅s en Suisse : quelles postures scientifiques face aux pratiques de terrain ?