Recensions

Testart, A. (2021). Principes de sociologie générale. Tome I. Rapports sociaux fondamentaux et formes de dépendances. CNRS Éditions[Record]

  • Frédéric Deschenaux

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  • Frédéric Deschenaux
    Université du Québec à Rimouski

Depuis les années 1960, la sociologie de l’éducation démontre l’influence du milieu social d’origine sur la réussite et les aspirations scolaires, encore prégnante de nos jours, en dépit de moult efforts de démocratisation et d’accessibilité. D’où l’intérêt pour des ouvrages à caractère théorique en sociologie, même s’ils ne touchent pas directement l’éducation. Ces outils théoriques peuvent aider à mieux comprendre ce que d’aucuns nomment la boite noire de la socialisation, ce qui ne semble pas futile puisqu’il s’agit d’une des trois missions de l’école québécoise, avec l’instruction et la qualification. Dans cet esprit, une nouvelle parution en sociologie générale pourrait présenter un certain intérêt. En effet, l’ouvrage posthume d’Alain Testart, anthropologue au Centre national de la recherche scientifique, dont le texte a été établi par Valérie Lécrivain et Marc Joly, donne accès aux fondements de ce qu’il nomme l’« architectonique d’une société », en définissant les rapports sociaux fondamentaux. Pour ce faire, il accorde une importance à la perspective juridique (formelle et informelle) qui régule les comportements sociaux et s’avère déterminante dans la compréhension des sociétés. Dans une perspective comparative, il analyse systématiquement des sociétés en relevant les contrastes entre elles, même quand elles ne semblent pourtant pas si comparables. « C’est en s’enfonçant dans le particulier que l’on trouve l’universel » (p. 12), écrit-il. Le livre s’articule en quatre parties. La première pose les bases de la caractérisation des rapports sociaux à partir d’une lecture critique de trois grands noms de la sociologie : Toqueville, Marx et Durkheim. La deuxième partie expose la construction des rapports sociaux fondamentaux à travers l’étude méticuleuse de trois types de sociétés : les Aborigènes d’Australie, la société féodale et la société moderne. Il explique « prendre des sociétés suffisamment différentes afin de ne pas risquer de construire une théorie purement locale » (p. 16). Dans la troisième partie, Testart étend son analyse à d’autres sociétés, notamment la Grèce antique, les « Amérindiens » et la Chine classique afin de vérifier sa conceptualisation, en s’attardant plus spécifiquement aux rapports sociaux qu’il analyse sous l’angle de la dépendance et de l’indépendance des protagonistes. Ce travail permet de décomposer les rapports sociaux en les rendant comparables malgré des époques, des modes de vie et des règles différenciés. La quatrième partie se veut une récapitulation des concepts abordés afin de consolider l’organisation et la cohérence des idées. Cet imposant pavé de 611 pages en impose par l’impressionnante érudition de l’auteur, un anthropologue touche-à-tout qui a travaillé autant sur les Aborigènes d’Australie, que sur l’esclavage, l’art et la religion. Son souci du détail nourrit des portraits minutieux et d’une grande rigueur des sociétés choisies. Il faut également saluer la clarté de son propos. Malgré son ambition très théorique, Testart écrit de manière claire et accessible, une qualité que ne partagent pas tous les sociologues, pour utiliser un euphémisme. Comme pour n’importe quelle production scientifique, on peut relever des éléments à discuter. D’abord, son souci du détail, identifié comme une qualité, devient un des défauts du livre, car on finit par se noyer dans les descriptions toutes plus détaillées les unes que les autres. La quatrième partie procure un répit, car la récapitulation qui s’y trouve s’avère salutaire pour saisir l’essence du propos de l’auteur. Paradoxalement, après une aussi imposante démonstration, le livre se termine par un chapitre qui énonce, en deux courtes pages, les deux premières lois de la sociologie selon Testart. La première loi se lit ainsi : « [t]oute société met en oeuvre au moins une forme de dépendance » (p. 575). Et la deuxième : « [t]oute société possède une dimension juridique, en ce qu’elle …