Recensions

Leroux, R. (2022). Les deux universités. Postmodernisme, néo-féminisme, wokisme et autres doctrines contre la science. Cerf[Record]

  • Francis Dupuis-Déri

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  • Francis Dupuis-Déri
    Université du Québec à Montréal

Professeur titulaire à l’Université d’Ottawa, décédé quelques mois après la sortie de son livre, le spécialiste de l’histoire de la sociologie Robert Leroux avait signé en 2003 dans Le Devoir une lettre ridiculisant les féministes et déplorant qu’il y ait des « instituts d’études des femmes […] dans à peu près chaque université du pays ». Il y affirmait aussi qu’un homme au postdoctorat ne devrait plus espérer devenir professeur « depuis 15 ou 20 ans », donc depuis les années 1980, à l’en croire. Or, 40 ans après, le Québec ne compte que six programmes d’études féministes dans ses 19 universités. Quant au corps professoral, il est composé d’hommes à 60 % et mon département a recruté 12 hommes, depuis 2000. On devait donc comprendre que la réalité empirique intéresse peu ce collègue. Son essai, discuté ici, est tout aussi déconnecté de la réalité. Le premier chapitre présente une thèse simpliste voulant que « deux universités » s’opposent sur les campus, celle de la science réaliste (le bien) dont se réclame l’auteur et celle du postmodernisme aux « fausses théories » (le mal) qu’il associe aux « néoféministes », aux Autochtones et aux « wokes ». Les autres chapitres s’attaquent à ces forces qui détruiraient l’université, tout comme l’« immigration de masse » (p. 197). Le premier chapitre est consacré à défendre une science fondée sur la « réalité empirique » (p. 23 et suiv.), même si l’auteur fonde pourtant sa démonstration sur des mythes, des appels à des figures d’autorité, des anecdotes mille fois remâchées et même des faussetés. Il déclare ainsi que « [d]ès le Moyen Âge, l’Université se consacre à la discussion des grands enjeux, à la libre discussion et à la connaissance théorique. Cette conception perdure jusqu’aux années 1960 » (p. 59). Sérieusement ? Il mobilise Max Weber (Le savant et le politique, évidemment), Raymond Boudon (pour ridiculiser Pierre Bourdieu), Julien Benda (pour son antisocialisme). Il se réfère aussi à des personnalités conservatrices de haut calibre comme Leo Strauss et Michael Oakshott, d’extrême droite comme Charles Maurras (p. 96) ou mondaines comme Jordan Peterson et Mathieu Bock-Côté, et se fie souvent à la revue Academic Questions, organe de la National Association of Scholars reconnue conservatrice par son président Peter Wood. Il est évidemment légitime et cohérent de mobiliser ces références pour défendre une conception conservatrice de l’Université, mais c’est plus gênant si on se prétend objectif et apolitique pour se distinguer d’un adversaire qui aurait le mauvais gout d’être subjectif et idéologiquement biaisé. Le second chapitre propose une histoire simpliste des universités en Occident depuis les années 1960 à aujourd’hui, structurée autour d’affirmations sans fondement empirique au sujet du corps professoral qui serait en majorité (comment le sait-on ?) engagé dans un travail d’endoctrinement militant du corps étudiant (p. 61-62, p. 73). Il laisse aussi entendre que les campus sont dominés par le relativisme culturel, le multiculturalisme et les « théories diversitaires » (p. 78 ; dixit le polémiste Mathieu Bock-Côté), des courants par nature opposés à la science et à la vérité (p. 79). Il s’en prend ensuite (chapitre trois) aux néologismes et aux sophismes, dont il est pourtant lui-même friand, puis aux « néoféministes » (chapitre quatre) qui n’ont de « néo » que le nom, puisqu’il s’acharne curieusement à critiquer pendant huit pages les articles du numéro spécial « Les femmes dans la sociologie » paru dans Sociologie et sociétés en… 1981. Il consacre ensuite une dizaine de pages à critiquer le travail de Pierre Bourdieu sur la « domination masculine » et conclut en affirmant que les « …