Recensions

Gautier, C. et Zancarini-Fournel, M. (2022). De la défense des savoirs critiques. Quand le pouvoir s’en prend à l’autonomie de la recherche. La Découverte[Record]

  • Samir Saul

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  • Samir Saul
    Université de Montréal

Le titre dit bien le propos de ce livre : un plaidoyer pour la liberté de la recherche et les « nouvelles approches académiques ». Parallèlement, son objet consiste à restaurer la confiance dans les savoirs produits par la recherche. Fruit d’une collaboration entre un professeur de philosophie et une professeure d’histoire, il s’agit d’un essai à la défense des sciences sociales. Bien qu’insérés dans les débats, combats et polémiques français, les thèmes traités ont un caractère général et se retrouvent ailleurs. La démarche procède en quatre étapes/chapitres intitulés Situations, Autonomies, Valeurs, et Questions brulantes de notre temps. Les deux premiers constituent des efforts de contextualisation qui situent les deux préoccupations des auteurs : le problème de la neutralité de la recherche et des savoirs en sciences sociales, et les controverses entourant l’avènement des studies, programmes universitaires portant sur des thématiques telles que le féminisme, le genre, les sexualités, la race, l’ethnicité, le postcolonialisme, le « décolonial » et l’intersectionnalité, soit les sujets auxquels carburent la tendance woke et la « culture de l’annulation ». Le chapitre premier sur les Situations décrit la succession des moments clés de la conjoncture sociale et politique depuis 1980 afin de mettre en lumière la relation entre les évènements majeurs nationaux et internationaux, les engagements d’intellectuels et d’universitaires, et les attaques contre les sciences sociales. Quatre moments forts sont choisis. En 1989, on assiste au triomphe du néolibéralisme – à la « fin de l’histoire » – et au bicentenaire de la Révolution française, mais aussi à la première « affaire du foulard islamique ». L’année 1995 est celle des mobilisations sociales en France. Le moment 2001-2005 est marqué par des attentats à l’échelle mondiale, la réactivation de la question de l’immigration, les usages politiques de l’histoire et les « lois mémorielles » par lesquelles l’État légifère sur l’interprétation du passé. Enfin, le moment 2012-2021 est émaillé d’un cycle d’attentats en France, des tensions autour de l’islamophobie et de la laïcité, de la campagne gouvernementale contre l’« américanisation » des universités françaises par le biais des studies, mais aussi des mouvements contre la réforme des retraites et les manifestations des Gilets jaunes. Le deuxième chapitre concernant les Autonomies se concentre sur l’université et son statut dans l’histoire de ses rapports à la société et au pouvoir. L’accent est mis sur les engagements intellectuels impliquant la redéfinition et la contestation de valeurs, ainsi que la place et la fonction des savoirs et de leur production. Les auteurs remontent à l’affaire Dreyfus de la fin du 19e siècle et la défense des valeurs républicaines. Un deuxième moment survient en mai 1968 avec la restructuration démocratique et non hiérarchique de l’université. Un troisième et dernier moment recouvre la période de 1998 à 2020, durant laquelle une gestion néolibérale est imposée à l’université. Sont tentées des réformes dans une logique managériale (externalisation et privatisation des fonctions, suppression de postes, précarisation, contractualisation) et la mise au pas de la recherche (diminution des budgets, précarité des statuts des chercheurs, embauches à durée limitée sur projet). L’« autonomie » institutionnelle voulue par les pouvoirs publics signifie en réalité une édulcoration de l’autonomie et l’arrimage de l’université au marché, tandis que l’exigence de « neutralité » et d’« impartialité » vise à imposer aux universitaires une vision prédéterminée de la « science ». Les auteurs rendent compte des mouvements de résistance à ces politiques. Le troisième chapitre aborde les oppositions relatives aux Valeurs. Les universitaires sont réprouvés par des dirigeants politiques, des médias et des « gardiens du temple » qui leur reprochent d’abandonner la « neutralité axiologique » …