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Vingt ans après sa mort, l’oeuvre de Pierre Bourdieu, l’un des intellectuels les plus cités au monde, stimule encore la pensée de celles et ceux qui s’intéressent à la formation des élites culturelles et à la fabrique des inégalités scolaires et sociales. À preuve, le Dictionnaire international Bourdieu, un ouvrage titanesque de près de 1 000 pages dans lequel les auteur⋅e⋅s proposent une introduction à la pensée du sociologue, à l’épistémologie et aux sciences sociales. L’objectif avoué de l’équipe de rédaction est d’approcher la pensée bourdieusienne sous un angle didactique en proposant à la fois une revue la plus systématique possible de l’oeuvre de Bourdieu et une discussion critique de celle-ci. À cette fin, les entrées mettent en relation les penseur⋅e⋅s, courants et éléments biographiques de la vie du sociologue afin d’amener un éclairage plus complet.
À visée holistique, le Dictionnaire international Bourdieu contient près de 603 entrées réparties au sein de dix catégories qui englobent non seulement l’oeuvre de Bourdieu (concept, courant, intellectuels et paradigmes, etc.), mais aussi les pays, régions et villes touchées par ses travaux et les évènements qui ont informé son oeuvre et jalonné sa carrière. Les entrées varient en longueur (d’une demi-page à quelques pages) et sont rédigées par des chercheur⋅e⋅s de différentes disciplines, de partout à travers le monde. Il est intéressant de relever que, parmi ces auteur⋅e⋅s, plusieurs ont eu l’occasion de travailler directement avec Bourdieu comme étudiant⋅e⋅s ou collègues. Ce dictionnaire se distingue d’autres ouvrages déjà publiés dans la même veine par son caractère actuel puisqu’il fait état des dernières parutions posthumes et puise notamment dans les derniers cours de Bourdieu au Collège de France (publiés en 2012) et d’autres écrits inachevés. Le dictionnaire s’ouvre sur une courte biographie de Pierre Bourdieu qui retrace sa carrière à travers le développement des principaux jalons de sa pensée sociologique. Sapiro présente ainsi Bourdieu comme un « miraculé » qui a, grâce à l’École, vécu une grande mobilité ascendante, alors qu’il ne se destinait pas nécessairement à une carrière d’intellectuel. La directrice illustre aussi comment Bourdieu était un « intellectuel global » qui s’est attaqué à des questions d’actualité, mais toujours dans le respect de son champ.
À nos yeux, le dictionnaire est d’un grand intérêt, d’abord pour les initié⋅e⋅s à la pensée de Bourdieu, mais aussi pour les néophytes. En effet, pour ces dernier⋅ère⋅s, s’intéresser à une oeuvre aussi importante et, fréquemment, hermétique peut s’avérer dantesque. Bien que toujours intéressant et offrant un regard singulier sur nos sociétés contemporaines, Bourdieu est un auteur complexe. C’est pourquoi le dictionnaire nous semble être un ouvrage particulièrement intéressant. En isolant les différents morceaux de la sociologie bourdieusienne, la⋅le profane sera mieux à même d’établir un premier contact avec des concepts ciblés. Le survol que propose chaque entrée permet de saisir, plus ou moins simplement, les tenants et aboutissants des grandes idées du maitre. Le dictionnaire dirige aussi les nouveaux·elles lecteur⋅rice⋅s vers les ouvrages et les idées les plus pertinentes afin d’approfondir leur compréhension des travaux du sociologue. Toutefois, il y a un risque de décontextualiser les différents concepts et d’oublier la proverbiale forêt qui se cache derrière l’arbre. Malgré tout, les auteur⋅e⋅s du dictionnaire font un effort pour lier les différentes entrées entre elles. Cela étant dit, les initié⋅e⋅s à la pensée de Bourdieu y trouvent aussi leur compte, car l’ouvrage se positionne comme un outil de travail permettant de se rafraichir la mémoire ou encore de guider l’approfondissement de ses connaissances.
À plusieurs égards, la pensée de Bourdieu semble incontournable pour réfléchir au rôle et à la place que l’École occupe dans les sociétés occidentales contemporaines. En ce sens, le dictionnaire est un excellent ouvrage de référence pour tout⋅e spécialiste de l’éducation qu’elle⋅il soit initié⋅e ou non à la réflexion du sociologue. Signalons notamment l’intérêt de certaines entrées : par exemple, celle sur l’illusio qui permet d’aborder l’étude du jeu et de son importance pour l’apprentissage ou encore celle sur l’Éducation qui jette un éclairage sur des enjeux toujours actuels de tout système éducatif comme la reproduction sociale que l’école entraine. D’autres entrées, comme celle sur la violence symbolique et le rôle de cette dernière dans la relation pédagogique est aussi une lecture essentielle pour tout⋅e chercheur⋅se qui s’intéresse à l’École. D’autres éléments théoriques complémentaires à ces théories comme l’habitus ou la théorie des champs permettent aussi de cadrer la réflexion que les lecteur⋅rice⋅s s’intéressent à l’étude d’un objet didactique et de sa relation avec les agent⋅e⋅s (un autre concept étudié par Bourdieu) ou encore à la relation maitre-élève.
Critiquer un ouvrage aussi ambitieux et, à première vue, aussi complet est difficile. On pourrait bien relever l’absence d’une table des matières regroupant les entrées par catégories ou simplement une mention permettant à la·au lecteur⋅rice de les départager aisément, mais ce n’est qu’une critique mineure. À l’égard du contenu, force est de constater que les auteur⋅e⋅s restent somme toute assez neutres, bien qu’on sente que le dictionnaire émerge d’un profond respect du sociologue et de son oeuvre. La perspective est critique, mais ne tente pas de remise en question de Bourdieu. Une section présentant les principaux débats autour de la pensée bourdieusienne aurait sans doute bonifié l’ouvrage en l’inscrivant dans une perspective plus large.
Enfin, le dictionnaire a aussi la qualité de proposer une perspective contemporaine du travail du sociologue alors que les auteur⋅e⋅s puisent directement dans les travaux les plus récents de ce dernier. Évidemment, il demeure ancré dans l’état actuel des connaissances et situé temporellement. Il semble donc inévitable qu’il puisse être bonifié au fil des nouvelles découvertes et analyses des travaux de Bourdieu.