Recensions

Bronner, G. (2021). Apocalypse cognitive. Presses universitaires de France[Record]

  • Florent Michelot

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  • Florent Michelot
    Université de Moncton

Auteur prolifique, Gérald Bronner (Université de Paris) s’évertue, depuis une vingtaine d’années, à discuter des phénomènes informationnels qui caractérisent le monde contemporain et à en décrypter les impacts sociaux. De L’Empire des croyances (2012) à Déchéance de rationalité (2019) en passant par La démocratie des crédules (2013), le sociologue entend exposer les conséquences sociales de cette cacophonie d’informations dont on mésestimerait la croissance exponentielle. Son dernier essai, Apocalypse cognitive, s’inscrit dans le droit fil des précédents. À défaut de révolutionner l’étude de la question, l’ouvrage parait dans une période d’« infodémie » liée à la COVID-19 et pourrait contribuer à en expliquer certains ressorts (au risque de les alimenter aussi, diront certains). Bronner rappelle donc que 90 % de l’information aujourd’hui accessible dans le monde aurait été produite au cours des deux seules dernières années. Or, nous constatons chaque jour que cette massification n’a pas conduit à ce que les « hommes [soient] libérés par la science », comme le prédisait Jacques Perrin, prix Nobel de physique de 1926. En effet, si notre espèce ne semble jamais avoir eu autant de « temps de cerveau disponible » à consacrer à autre chose qu’à sa survie, le voeu d’une Humanité profitant de ce nouveau temps de loisirs pour développer des connaissances a fait long feu. Dans le vacarme ambiant, notre attention serait détournée par toutes sortes de distractions : ce phénomène serait le prolongement de ce que l’on nomme l’« effet cocktail », cette aptitude que nous avons à capter des informations d’une conversation tierce, malgré le brouhaha ambiant, alors que nous sommes nous-mêmes engagé⋅e⋅s dans une discussion. Dans ce « marché cognitif » (p. 13) dérégulé où des cours de physique quantique côtoient des conflits entre des personnalités publiques ou des vidéos d’animaux, Bronner explique par quel mécanisme telle ou telle proposition réussira à se frayer un chemin pour se saisir de notre attention et profiter de notre disponibilité mentale. Notre cerveau étant porté à accorder davantage d’attention à certaines informations (sexualité, peur, conflictualité, indignation, etc.), celles-ci se trouvent « avantagées » sur le marché cognitif et éditorialisent notre monde. Ce faisant, ce que l’auteur désigne comme notre « spontanéité mentale » (p. 345) n’a pas à être sacralisée en la présentant comme forcément juste. La dualité cartésienne entre raison et passion, déjà évoquée dans le Phèdre de Platon, est donc revisitée à l’aune des travaux contemporains. Nous aurions tort d’imputer les travers de cette spontanéité mentale aux seuls contextes sociaux, car l’auteur prend en fait le parti d’une anthropologie non naïve de notre espèce et invalide l’image pseudorousseauiste de l’humain, fondamentalement bon, mais perverti (ce que l’auteur appelle « l’homme dénaturé »). Partant de ce constat, amplement illustré, Bronner livre un plaidoyer pour « se doter des moyens sociaux pour optimiser le trésor attentionnel » et créer les conditions de notre « déclaration d’indépendance mentale » (p. 350), sans pour autant se montrer puritain, poser un jugement moral contre l’oisiveté ou jouer au redresseur de torts. En établissant que nous avons une propension certaine à la démagogie cognitive (propension dont se complairaient au demeurant les néopopulismes) et un attrait évident pour le négatif, cette inclinaison n’est alors plus irrésistible. L’auteur admet que l’on ne saurait rivaliser avec « les plaisirs cognitifs instantanés » (p. 340), mais il prend néanmmoins la défense d’une pensée analytique et critique inscrite dans un temps plus long, mais qui s’avère plus exigeante et couteuse. Non sans quelques touches d’humour, l’essayiste assume un parti pris littéraire sombre, que le titre de l’ouvrage traduit d’ailleurs fort bien. Car, d’apocalypse (au sens contemporain d’une calamité), il …