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1. Introduction

Le paysage canadien est reconnu pour la diversité croissante de sa population et les microsociétés que constituent les écoles, particulièrement dans les grands centres tels que Toronto, Vancouver, Montréal ou Ottawa, sont à l’image de cette tendance. À un rythme plus lent, le corps professoral tend lui aussi vers cette diversification et les communautés francophones du pays accueillent de plus en plus d’enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration, provenant notamment du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, diplômé·e·s d’un programme de formation à l’enseignement du Canada ou formé·e·s à l’étranger, et ayant obtenu les équivalences dans l’une ou l’autre province ou l’un des territoires canadiens pour leur formation. Ce phénomène est aussi observé outre-Atlantique ; Bauer et Akkari (2016) ont en effet souligné que cette diversification du corps enseignant permet l’ancrage de modèles de réussite dans des rôles professionnels et d’autorité auprès des jeunes ayant des profils ethnoculturels ou socioculturels variés, comme aux yeux de la population générale. De plus, elle soutient la lutte contre les préjugés entretenus dans la société à propos des minorités ethnoculturelles. Des propos similaires sont aussi tenus par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (2016) qui déclare que : « [l]es enfants qui ont l’impression que leurs enseignants n’ont que peu de choses en commun avec eux ont tendance à moins s’investir dans leurs études » (s. p.). Plus que la diversité, la pluralité des cultures à l’échelle sociétale est également préconisée par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, afin de favoriser un vivre ensemble harmonieux, dynamique et cohérent.

Si les premières années dans la profession sont reconnues pour les difficultés qu’y rencontrent les enseignant·e·s débutant·e·s (Mukamurera, Martineau, Bouthiette et Ndoreraho, 2013) de nombreux obstacles se dressent également devant les enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration lors de leur recherche d’un poste de même qu’au moment d’entrer en fonction dans les écoles de leur province canadienne d’adoption (Block, 2012 ; Cho, 2010 ; Duchesne, 2017 ; Morrissette, Diédhiou et Charara, 2014 ; Mulatris et Skogen, 2012 ; Niyubahwe, Mukamurera et Jutras, 2014). Les difficultés associées à l’obtention d’un emploi d’enseignant·e menant à la permanence, à l’intégration à la culture de l’équipe enseignante d’une école, à la reconnaissance des diplômes et des compétences acquis à l’étranger et aux pratiques d’enseignement et de gestion de la classe ont, en effet, été recensées dans des écrits portant sur l’insertion professionnelle des enseignant·e·s immigrant·e·s (Niyubahwe, Mukamurera et Jutras, 2013). Une étude menée par le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (2014) a par ailleurs mis en lumière que le manque d’expérience dans l’enseignement en contexte canadien et l’offre de contrats ne relevant pas de leurs champs d’expertise constituent des freins majeurs à l’insertion de ces candidat·e·s. Les enseignant·e·s immigrant·e·s ayant acquis leurs qualifications à l’étranger qui ont participé à l’étude du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada ont également eu l’impression que les employeur·se·s leur préféraient les candidat·e·s formé·e·s dans la province où leur était offert le poste ou ailleurs au Canada, et qu’ils·elles seraient contraint·e·s plus longtemps que ces dernier·ère·s à faire de la suppléance avant l’obtention de l’emploi convoité.

Le contexte sociopolitique à l’intérieur duquel ces enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration tentent de trouver un emploi peut également générer d’autres obstacles, tels que l’application des politiques éducationnelles en matière d’équité qui prévalent dans la province (Schmidt et Block, 2010) et les pratiques discriminatoires envers les enseignant·e·s issu·e·s de minorités visibles basées sur la façon de s’habiller, l’accent, le fait d’appartenir visiblement à un groupe perçu comme « étranger », le statut d’immigration ou l’âge (Schmidt, 2010). Pour leur part, les études portant sur la transition à l’emploi vécue par des enseignant·e·s francophones issu·e·s de l’immigration sont peu nombreuses (Duchesne, 2008 ; Morrissette, Diédhiou et Charara, 2014 ; Mujawamariya, 2002 ; Mulatris et Skogen, 2012 ; Niyubahwe, Mukamurera et Jutras, 2014), qu’ils ·elles aient — ou non — été formé·e·s dans le domaine, qu’ils·elles aient — ou non — enseigné avant la migration ou qu’ils·elles appartiennent — ou non — à un groupe minoritaire visible ou à une population francophone majoritaire, tel qu’au Québec, ou minoritaire, comme c’est le cas dans les autres provinces et territoires canadiens.

À l’instar des autres communautés francophones en milieu minoritaire du pays, l’Ontario compte sur la venue des immigrant·e·s afin de maintenir la vitalité de son bassin démographique et d’en assurer la croissance. La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (2017) rappelle, à cet égard, qu’au dernier recensement : « […] l’Ontario comptait 584 505 personnes ayant le français comme première langue officielle parlée. Il s’agit de la plus forte population de langue française à l’extérieur du Québec. Près de 18 % des francophones de la province sont d’origine immigrante » (s. p.).

Pour les communautés francophones en contexte minoritaire, la langue française constitue plus qu’un outil de communication ; elle façonne leur culture et, avec la diversification de celle-ci en raison de l’augmentation de l’immigration internationale francophone, elle constitue le vecteur principal de la construction identitaire de ses membres (Richards, 2014 ; Violette, 2015). Dans ce même esprit, le ministère de l’Éducation de l’Ontario, dans son guide d’utilisation du Profil d’enseignement et de leadership élaboré à l’intention du personnel des écoles de langue française de l’Ontario (2011), stipule que : « [le personnel enseignant doit] donc connaître et rendre vivantes tout autant la culture francophone locale, régionale, provinciale et pancanadienne que celle des membres de communautés francophones qui proviennent de l’étranger » (p. 25). Pourtant, et en dépit des éléments de contextualisation mentionnés précédemment, aucune des stratégies proposées par le Ministère, à notre connaissance, ne porte sur l’embauche d’un personnel enseignant représentatif de cette diversité culturelle et ethnoculturelle. Malgré cette absence d’orientation politique en faveur de la diversification du corps enseignant, de nombreux·ses enseignante·s issu·e·s de l’immigration sont formé·e·s en Ontario français et sont de plus en plus présent·e·s dans les écoles, faisant alors face aux défis reliés à ce contexte très particulier, dont l’obligation d’assurer la médiation culturelle et la reproduction linguistique auprès de leurs élèves (Duchesne, 2018).

Une recherche-intervention menée auprès de 12 nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration, c’est-à-dire ayant moins de cinq années d’expérience dans un poste d’enseignant·e à temps complet au Canada, de quatre enseignant·e·s-mentors et de six membres de la direction d’école d’un conseil scolaire francophone de l’Ontario visait, dans un premier temps, à comprendre l’expérience d’insertion professionnelle vécue par ces nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration afin, dans un deuxième temps, de mettre en place des dispositifs d’accompagnement et d’encadrement répondant à leurs besoins. Lors du volet recherche de cette recherche-intervention, les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration, les enseignant·e·s-mentors et les directeur·rice·s d’école ont entre autres été consulté·e·s à propos des difficultés et des dynamiques qu’ils·elles considéraient comme propres au parcours d’intégration à la culture professionnelle des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration de leur conseil scolaire. L’analyse des témoignages recueillis fera l’objet du présent article.

2. Cadre conceptuel

Les fondements théoriques de cette recherche sont soutenus par les concepts d’intégration, d’acculturation et de culture enseignante.

2.1 L’intégration et l’acculturation

D’après Manço (2006), l’intégration psychosociale correspond à « l’état d’un sujet pouvant prétendre à une certaine cohésion psychologique et étant capable de participation sociale » (p. 12). Cette forme d’intégration se manifeste selon un triple processus : en premier lieu, en raison de ses fondements psychologiques, l’intégration psychosociale s’articule autour de la recherche de cohérence interne entre les valeurs, les normes sociales ou les caractéristiques culturelles communes ou antagonistes de l’individu à l’intérieur du système social qui l’accueille. En second lieu, les fondements sociologiques de l’intégration incitent la personne à une solidarisation des systèmes, c’est-à-dire en amorçant une négociation entre ses propres schèmes et les normes établies par le système social d’accueil. En troisième lieu, les fondements constructivistes de l’intégration psychosociale favorisent l’acculturation, soit le processus par lequel des individus appartenant à un groupe d’une culture donnée se transforment au contact d’un groupe appartenant à une autre culture (Berry, 1997). L’intégration psychosociale s’actualise à la fois par la transformation de l’individu, mais aussi, dans une mesure souvent moindre et différente, par la transformation du milieu qui l’accueille. Comme le souligne cependant Plivard (2014), le phénomène d’acculturation reconnait l’inégalité du pouvoir des acteur·rice·s concerné·e·s, puisqu’il « serait entaché d’ethnocentrisme. La forme occidentalisée de la culture y serait toujours privilégiée. Elle resterait le modèle dominant que le groupe dominé se doit d’adopter, de gré ou de force » (p. 129). C’est en effet ce que les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration qui ont participé à cette recherche, en posture minoritaire au sein du milieu d’accueil que représente l’école, ont possiblement ressenti, soit le besoin, voire l’obligation, de s’y assimiler afin d’obtenir et de garder leur emploi (Duchesne, 2017). L’acculturation, au plan psychologique, place l’individu devant un registre complexe de défis d’adaptation, requérant certaines formes de négociations et pouvant s’échelonner de la simple modification de son attitude au sentiment de vivre un choc acculturatif, jusqu’à la manifestation de signes de détresse psychologique (Berry, 1997).

L’insertion professionnelle en enseignement s’opérationnalise surtout autour de la recherche d’un poste régulier d’enseignant·e et de l’appropriation des pratiques professionnelles inhérentes à ce type d’emploi (Martineau et Mukamurera, 2012). L’insertion professionnelle est suivie d’une phase de stabilisation dans la profession puis de consolidation des compétences et de l’identité professionnelles acquises ou en voie d’acquisition. Au cours de cette période, l’enseignant·e s’affirme davantage auprès de ses collègues et il·elle expérimente diverses formes de liberté professionnelle (Huberman, 1989) ; cette période correspond à l’intégration dans la profession.

2.2 La culture enseignante

Vinsonneau (2002) rappelle qu’en situation d’interculturalité, le concept de culture est difficile à définir puisque « dans les situations de contacts entre groupes sociaux, le concept de culture peut être utilisé aussi bien comme un antécédent, un enjeu, une revendication, un produit… » (p. 14). Les travaux de Camilleri (1985) offrent cependant un certain éclairage sur le concept de culture en tant que produit de la création humaine et constituant :

l’ensemble plus ou moins lié des significations acquises les plus persistantes et les plus partagées que les membres d’un groupe, de par leur affiliation à ce groupe, sont amenés à distribuer de façon prévalente sur les stimuli provenant de leur environnement et d’eux-mêmes, induisant vis-à-vis de ces stimulus des attitudes, des représentations et des comportements communs valorisés, dont ils tendent à assurer la reproduction par des voies non génétiques

p. 13

Dès lors, la culture s’inscrit dans chaque individu qui, par le phénomène d’acculturation, contribuera à la construction et à l’évolution de l’identité des membres du (ou des) groupe(s) au(x)quel(s) il·elle appartient (Amin, 2012). C’est entre autres le cas du corps enseignant qui forme un système culturel plus ou moins défini selon les individus qui en font partie et les contextes professionnels où il prend place. Williams, Prestage et Bedward (2001) définissent la culture enseignante à partir des modes de collaboration qui s’opérationnalisent au sein d’une communauté d’enseignant·e·s et des possibilités de développement professionnel qui en découlent. Pour Hargreaves (1993), les dimensions collaboratives et collégiales sont à ce point valorisées dans la culture enseignante que les préférences pour le travail individuel manifestées par certain·e·s, voire solitaire, provoquent l’aversion.

Ainsi, dans la foulée des écrits rapportés plus haut, il est légitime de penser que les enseignant·e·s s’identifient à une culture particulière, qui évolue en fonction de la mouvance des contextes et des individus en présence, et à laquelle le·la nouvel·le enseignant·e doit être socialisé·e afin de s’intégrer pleinement à sa nouvelle communauté professionnelle. Cette culture évolue à partir de normes et de valeurs communes présentant certaines nuances selon les individus (enseignant·e·s, directeur·rice·s, personnel de soutien, élèves, parents d’élèves, autres intervenant·e·s) et les contextes organisationnels (style de leadeurship, infrastructures, financement, etc.) qui la caractérisent. En guise d’illustration, la culture d’un groupe d’enseignant·e·s pourrait se manifester par l’importance que celui-ci accorde au respect des règlements de l’école par les élèves, par l’intérêt qu’il porte au travail en communauté d’apprentissage professionnelle ou par la valeur qu’il accorde aux activités sociales entre collègues afin d’entretenir des rapports relationnels collégiaux, même amicaux.

D’après Hargreaves (2001), les relations interpersonnelles entre les enseignant·e·s sont à la fois composées derapprochements et de distances. Par exemple, les amitiés personnelles qui se développent entre collègues contraignent ces dernier·ère·s à l’adoption d’une certaine réserve quant au questionnement ou à la critique des pratiques pédagogiques de l’autre. Pour sa part, le strict respect de l’espace personnel d’un·e collègue dans un contexte de relation surtout axée sur la tâche peut conduire au sentiment d’isolement émotionnel de celuicelle-ci. Par ailleurs, les enseignant·e·s font face, au cours de leur carrière, à une quantité importante de changements, dont certains peuvent être souhaités par les enseignant·e·s, ce qui est le cas des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration qui migrent au Canada et qui choisissent l’enseignement pour assurer leur intégration socioéconomique au pays. D’autres changements sont cependant imposés aux enseignant·e·s, comme les réformes scolaires ou leur affectation dans un niveau ou une école donnés (Hargreaves, 2004). En outre, l’arrivée au sein d’une équipe homogène d’enseignant·e·s (d’origine caucasienne, né·e·s au Canada), d’un·e nouveau·elle collègue appartenant à une communauté ethnoculturelle différente peut générer une gamme d’émotions chez les enseignant·e·s de l’équipe en question, allant jusqu’à provoquer une redéfinition de la culture enseignante en place. Les négociations découlant de ce processus peuvent ainsi générer des sentiments dediscrimination et de menaces, selon le niveau de sensibilité interculturelle des acteur·rice·s concerné·e·s, pouvant se manifester par de l’ethnocentrisme (tendance à privilégier les valeurs et les normes de son groupe d’appartenance) ou de l’ethnorelativisme (tendance à accepter les valeurs et les normes d’autrui, à les intégrer aux siennes, sans pour autant les remplacer) au regard d’une situation interculturelle donnée (Bennett, 1986).

Dès lors, cet article s’intéresse au processus d’acculturation qu’ont expérimenté de nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration afin de s’intégrer à la culture enseignante de l’école où ils·elles travaillent.

3. Méthodologie

Cette étude s’inscrit dans le paradigme constructiviste puisqu’elle vise une compréhension en profondeur d’un phénomène social du point de vue de ses principaux acteur·rice·s, de même qu’une intervention sur ce phénomène. La recherche-intervention répond à cette double intention de développer de nouvelles connaissances dans un domaine donné et d’appliquer ces connaissances afin de provoquer des changements de pratiques existantes (Paillé, 2007) ou la transformation de schèmes de référence (Cappelletti, 2010). Cette méthodologie a donc été privilégiée, dans un premier temps, pour mener une recherche exploratoire sur les défis de l’insertion professionnelle des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration dans un conseil scolaire francophone de l’Ontario pour éventuellement mettre en place, dans ce même conseil, des dispositifs d’accompagnement et d’encadrement répondant aux besoins particuliers de ce nouveau personnel enseignant. Cet article porte sur le premier volet de l’étude, soit la recherche exploratoire.

3.1 Considérations éthiques et recrutement des participants

Après avoir reçu les autorisations déontologiques de l’Université d’Ottawa et du conseil scolaire ciblé, des courriels ont été acheminés, par les services administratifs de ce dernier, au personnel enseignant et aux directions d’école afin de recruter des participant·e·s répondant aux critères d’échantillonnage suivants.

Des enseignant·e·s :

  • étant des immigrant·e·s de 1re génération (c’est-à-dire n’étant pas né·e·s au Canada) et ayant effectué leurs études élémentaires et secondaires dans un pays autre que le Canada ;

  • étant de nouveaux·elles enseignant·e·s au Canada (moins de cinq années d’expérience) et vivant leur première expérience d’insertion professionnelle en enseignement au Canada ;

  • étant titulaires d’un poste d’enseignant·e régulier·ère ou d’un contrat de suppléance à long terme dans le conseil scolaire.

Des enseignant·e·s-mentors :

  • étant actuellement jumelé·e·s ou ayant été jumelé·e·s (depuis cinq ans) à au moins un·e nouvel·elle enseignant·e issu·e de l’immigration.

Des membres de la direction des écoles :

  • ayant accueilli de nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration (depuis cinq ans) dans leur établissement.

Les volontaires étaient alors invité·e·s à contacter directement les membres de l’équipe de recherche par voie électronique ; un courriel de rappel a également été acheminé quelques semaines après le premier envoi. Ainsi, 12 enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration ayant récemment reçu l’autorisation d’enseigner en Ontario, quatre enseignant·e·s-mentors et six directeur·rices d’école se sont porté·e·s volontaires pour participer à un entretien individuel semi-dirigé d’une durée de 60 à 75 minutes. Nous espérions recruter un nombre plus élevé de participant·e·s, notamment en ce qui concerne les enseignant·e·s-mentors et les directeur·rice·s d’école, mais la contribution de ceux· celles-ci s’est avérée difficile à obtenir. Plusieurs raisons peuvent être à l’origine de ce faible taux de participation dans un conseil scolaire de grande envergure et embauchant un nombre important de nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration : des courriels d’invitation ayant été supprimés sans avoir été lus, n’ayant pas été reçus ou n’ayant pas suscité l’intérêt escompté par les candidat·e·s potentiel·elle·s, par exemple. Dans le cas des enseignant·e·s-mentors et des directeur·rice·s d’école, il y a fort à parier que la lourdeur des nombreuses tâches qui leur sont attribuées ait freiné un possible intérêt à contribuer à cette recherche.

3.2 Profil des participant·e·s nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration

Puisque l’intérêt principal de cet article porte sur l’expérience des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s, le profil démographique de ces dernier·ère·s est détaillé dans le tableau 1.

Tableau 1

Profil des participant·e·s nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration

Profil des participant·e·s nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration

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En somme, huit femmes et quatre hommes dont les âges variaient de 28 à 57 ans (m = 41) et vivant au Canada depuis une moyenne de 8,5 années se sont porté·e·s volontaires pour cette recherche. De ce nombre, six étaient originaires de l’Afrique subsaharienne, quatre du Maghreb et deux d’Europe. À l’emploi du conseil scolaire ciblé depuis en moyenne trois ans, la moitié de ces nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration enseignait à l’élémentaire et l’autre moitié au secteur secondaire. Puisque seulement quatre participant·e·s possédaient une expérience d’enseignement aux jeunes avant la migration, cela signifie que la majorité de ces nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration étaient nouveaux·elles au regard de cet ordre d’enseignement ; en outre, aucun d’entre eux·elles n’avait connu d’expérience à titre d’enseignant·e au Canada avant d’y effectuer leur programme de formation à l’enseignement. Enfin, une enseignante possédait 12 années d’expérience dans le conseil scolaire, mais 11 de celles-ci ont été consacrées à la suppléance occasionnelle dans plusieurs écoles et à de longues périodes sans enseigner. En raison du peu d’expérience qu’elle avait cumulé dans une fonction régulière d’enseignante, nous l’avons incluse dans l’échantillon.

3.3 Déroulement de la collecte et de l’analyse des données

Tou·te·s les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration, de même que tou·te·s les membres du groupe des enseignant·e·s-mentors et des directeur·rice·s d’école, ont été rencontré·e·s individuellement, à leur école d’affectation, pour un entretien de recherche d’une durée de 60 à 75 minutes. Chacun des trois protocoles d’entretien comportait quatre catégories de questions, soit les questions descriptives, analytiques, de positionnement et théoriques (Duchesne et Savoie-Zajc, 2005).

Les témoignages des participant·e·s ont été enregistrés sur bande audionumérique. Ils ont par la suite été transcrits intégralement et versés dans la base de données du logiciel d’analyse qualitative N’Vivo10. Dans un premier temps, une série de codes provisoires, associés aux questions de recherche et au cadre théorique de celle-ci, a été créée afin d’assurer la réduction des données de même que l’alignement du processus d’analyse avec les intentions poursuivies par l’étude. Le corpus de données a ensuite été codé à partir de ces codes provisoires et de codes émergeant en cours de processus. Le codage parallèle à l’aveugle d’entrevues provenant de tous les groupes de participant·e·s a été réalisé par les membres de l’équipe de recherche, permettant la révision des codes établis selon leur pertinence et leur exclusivité. Au final, nous avons regroupé les codes ainsi révisés en catégories conceptuelles favorisant l’interprétation du matériel examiné.

4. Présentation des résultats

Comme il l’a été précisé plus tôt, les enseignant·e·s appartenant à un même groupe (un département, une école, une communauté) développent une culture qui leur est propre et tout nouveau membre qui s’insère dans ce groupe sera appelé à y négocier sa place. En outre, puisque les relations entre enseignant·e·s s’articulent autour de manifestations émotionnelles particulières (Hargreaves, 2001), le·la nouveau·elle membre sera rapidement fixé·e quant à ces manifestations au sein de la culture de laquelle il·elle souhaite faire partie. Les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s ont déjà eu à vivre le processus d’acculturation à la culture canadienne, dans un sens général, lors de leur arrivée au pays. Certain·e·s d’entre eux·elles, se considérant comme bien adaptés·es à leur société d’adoption, ont ressenti une forme de choc acculturatif lorsqu’ils·elles ont fait face à la culture enseignante de leur nouvel environnement professionnel et qu’ils·elles ont dû mettre en place les mécanismes de négociation nécessaires à leur intégration au sein de ce groupe.

4.1 Un accueil pas toujours chaleureux

Quelques-un·e·s des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s ont exprimé s’être senti·e·s décontenancé·e·s lorsqu’ils·elles ont perçu une certaine froideur ou des manifestations d’indifférence de la part de plusieurs de leurs collègues enseignant·e·s né·e·s au Canada. Le simple fait de saluer ou de sourire à un·e collègue qui ne rend pas la politesse peut s’avérer déstabilisant pour le·la nouvel·le arrivant·e qui expérimente ce phénomène auquel il·elle n’est pas habituée, comme en témoigne Christiane (Burundi) : « Imaginez-vous, vous vivez et vous cohabitez avec d’autres personnes, mais vous sentez le premier sourire trois mois plus tard ». Camil (Algérie) renchérit : « Je dis, moi, bien sûr qu’une personne que je rencontre, je vais lui dire bonjour ; tu me le rends, tu ne me le rends pas ; 60 % du temps, ils ne me disent pas bonjour ». Christophe (Cameroun) reconnait cependant que l’accueil plutôt tiède qu’il a ressenti de la part de quelques collègues peut parfois être accompagné d’une certaine forme de compassion de leur part :

Mais c’est vrai aussi que j’ai vu le contraire en ce sens, j’ai vu des enseignants comme ça qui ne m’ont pas salué, mais qui, à un moment donné, quand j’étais dans une situation, ils sont intervenus tout naturellement, et à ce moment-là, tu te dis « Mais, c’est quand même lui que je salue souvent, il ne répond pas, comment est-ce qu’il peut, quand j’ai besoin de telle chose, m’aider autant ? » Donc à un moment donné, tu te dis : « Bon, c’est peut-être culturel, c’est comme ça qu’il est ».

Les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s n’ont pas toujours été en mesure de décoder les significations de ces comportements qui, selon eux·elles, différaient de ce à quoi ils·elles s’attendaient.

4.2 Se rassurer entre nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration

Selon les perceptions de certain·e·s répondant·e·s, il peut alors être rassurant de chercher la sécurité auprès des collègues dont les comportements sont plus familiers, soit d’autres nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration dont les codes culturels se rapprochent davantage des leurs. D’après Carmelle (Algérie), il s’agit cependant d’un couteau à deux tranchants :

C’est clair que je suis très chanceuse de travailler avec une éducatrice qui est de la même origine que moi. L’envers de la médaille, c’est qu’on est en cocon fermé. C’est super, car on se comprend, on se regarde et on se comprend, mais ça limite […] par rapport à nos interactions avec les autres.

Chantal (Cameroun), pour sa part, déplore ce repli sur soi qu’elle a observé chez certain·e·s nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration : « Quand on arrive dans un milieu et qu’on a l’impression qu’il y a des clans, les immigrés sont entre eux, je trouve que ce n’est pas une belle image, non, non ». Une directrice d’école (D1) a par ailleurs témoigné de l’impact qu’un comportement particulier produisait sur les membres de son équipe, soit le fait de discuter en langue arabe entre collègues : « […] c’est une problématique que j’ai actuellement dans mon école ; j’ai des enseignants qui viennent me dire : “On se sent exclus parce que les [collègues nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration] ne parlent pas le français” ». À ce propos, un autre directeur (D2) explique :

Les Canadiens de souche se sentent envahis parfois et ils se sentent peut-être menacés parfois. […] il y a une compréhension que la personne qui arrive au pays doit saisir, c’est que les conversations de corridor, les faire dans une autre langue, ça peut blesser les [collègues natifs].

Les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s semblaient conscient·e·s de l’importance d’aller vers les natif·ve·s afin de démontrer leur désir de faire partie de l’équipe ; devant le manque d’ouverture parfois ressenti, ils·elles ont alors trouvé un certain réconfort auprès de leurs autres collègues nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration, au risque de vivre ou d’accentuer une situation d’exclusion.

4.3 Les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration perçu·e·s comme une menace

Par ailleurs, les écoles sont reconnues comme des milieux de collaboration (Williams, Prestage et Bedward, 2001) où les nouveauxelles enseignant·e·s, notamment en Ontario, sont soutenu·e·s par leurs collègues plus expérimenté·e·s qui partagent leur matériel pédagogique ou qui prodiguent moult conseils (Gagnon, 2017). Cependant, Cédric (Cameroun) a observé des pratiques de collaboration différentes envers les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration :

Disons les choses comme elles sont : j’ai vu, quand j’ai été dans mon poste de spécialiste, certaines collègues qui m’ont carrément tourné le dos. Pourquoi ? Je ne sais pas. C’est pas que je n’allais pas vers elles, mais tu demandes la moindre question et : « Oh, c’est dans le curriculum ». Ben, je sais qu’il y a le curriculum ! « Oh tu sais, moi des trucs comme ça, je cherche sur Internet ». Mais j’ai vu aussi ces mêmes personnes prendre sous le bras certains [nouveaux collègues natifs].

Le désarroi partagé par ces nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration trouve écho dans les propos d’une enseignante-mentor (EM1) qui exprime, elle aussi, avoir observé un malaise chez certain·e·s enseignant·e·s à accueillir ou à entrer en relation avec le·la collègue provenant de l’immigration :

Ils ne savent pas trop comment l’accueillir, comment l’approcher, lui parler. […] J’ai remarqué qu’il y a une grosse phase d’observation et de jugement. Ça je le sais et je l’ai vu. […] Y’en a qui venaient me voir, quand je remplaçais la direction, et ils venaient se plaindre : « je l’entends enseigner ; j’entends ses élèves, il ne fait rien… » Ils critiquaient plus sa façon de faire que de dire : « Ben je vais aller l’aider, lui montrer quoi faire ».

Plus que de l’hésitation à apporter son aide, cette autre enseignante-mentor (EM2) a constaté que pour certain·e·s enseignant·e·s natif·ve·s, l’embauche des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration constituait une forme de menace professionnelle et culturelle :

C’est parfois juste des commentaires là… […] Ils disent : « ils nous piquent nos jobs ». […] « Déjà, en milieu minoritaire, si en plus y a beaucoup de gens qui viennent d’ailleurs qui sont dans nos écoles, on se sent encore plus minoritaires […] ». La crainte de l’étranger. On ne comprend pas l’autre.

Ainsi, les réticences de certain·e·s enseignant·e·s natif·ve·s à inclure le·la nouvel·le enseignant·e issu·e de l’immigration peuvent prendre des proportions importantes dans la dynamique socioprofessionnelle d’une école, comme l’ont rapporté ces dernier·ère·s participant·e·s.

4.4 Des rapports interpersonnels jugés discriminatoires

Selon Camil (Algérie), des obstacles d’ordre racial existent et nuisent l’embauche d’une catégorie de nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration : « Les Noirs, c’est beaucoup plus pire. Eux, je peux le voir, ils sont mal acceptés, je ne sais pas pourquoi ». Ce constat est également appuyé par les propos de Christophe (Cameroun) :

[…] lorsque tu débarques dans un milieu comme ceci, comme quand tu dois intégrer un groupe d’enseignants, en tant que Noir, ce n’est pas évident non plus, parce qu’il y a aussi des collègues qui n’acceptent pas facilement d’avoir des collègues noirs ; il faut le dire, c’est une réalité.

Un directeur d’école (D2), conscient de cette difficulté qu’éprouvent plusieurs des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration appartenant à une minorité visible à trouver un poste régulier, déplore qu’on lui attribue des pratiques d’embauche discriminatoires selon un critère racial, alors qu’il se dit conscient du besoin d’enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration dans les écoles. Pour lui, la compétence du·de la candidat·e est le seul critère qui prévaut lors de l’octroi d’un poste :

[…] le seul critère de base, c’est la compétence. On se fout complètement de la couleur de la peau. Je travaillais d’ailleurs dans un milieu multiculturel ; ça fait 25 ans que je suis dans les écoles et la majorité, c’est des enfants noirs ; je ne peux pas imaginer qu’un [directeur] raciste travaillerait dans ces conditions-là.

Pour Christophe (Cameroun), les difficultés que rencontrent les enseignant·e·s noir·e·s à obtenir des postes réguliers d’enseignant·e·s semblent se répercuter des élèves puisque, dans ce conseil scolaire, les postes de suppléant·e·s sont essentiellement occupés par ces enseignante·s : « [Les élèves] sont moins respectueux et ils ont tendance à assimiler l’enseignant noir à un suppléant, tout simplement parce qu’à chaque fois que leur enseignant est absent, habituellement, c’est un suppléant qui est là, mais qui est noir ».

D’autres participant·e·s ont parlé de la difficulté que pouvaient poser les rapports de genre et intergénérationnels en situation d’accompagnement du·de la nouvel·le enseignant·e issu·e de l’immigration par un·e mentor ou de supervision par la direction d’école. Ainsi, d’après cette enseignante-mentor (EM1) :

Il y avait un monsieur [nouvel enseignant issu de l’immigration] d’une cinquantaine d’années qui [avait pour mentor] une enseignante que ça faisait seulement quatre ans [qu’elle enseignait]… Le rapport était étrange. […] C’est pas la même chose qu’ici. Les hommes, c’est très fiers, hein ? Alors, être mentoré par une petite cocotte de 20 ans, là…

Cette autre enseignante-mentor (EM2) ajoute : « Je ne veux pas généraliser, mais j’ai senti une certaine réticence de la part des hommes issus de l’immigration contrairement aux femmes. À recevoir des conseils… Moins d’ouverture, plus réfractaires aux suggestions ». Ce directeur d’école (D2), pour sa part, observe : « J’ai tendance à trouver que les hommes magrébins sont des hommes moins flexibles, plus directifs dans leurs relations avec les femmes, puis même les relations avec la direction sont plus tendues […] ».

Les difficultés ressenties par des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration à s’intégrer au sein de leur nouvelle équipe de travail sont expliquées de diverses façons par ces dernier·ère·s. Les différences ethnoculturelles plus ou moins marquées par la couleur de la peau, la religion ou les rapports de genre, par exemple, peuvent engendrer un malaise chez les enseignant·e·s natif·ve·s ayant connu peu d’expériences antérieures avec des personnes provenant de l’immigration. Comme nous l’avons vu, l’homogénéité du corps enseignant de certaines écoles semble avoir été plus difficile à pénétrer pour quelques-un·e·s des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s.

4.5 Les expériences positives d’insertion dans l’équipe

Plusieurs nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration ont cependant vécu des expériences d’accueil et de collaboration d’une grande richesse avec leurs collègues natif·ve·s. Chantal (Cameroun), Cynthia (Maroc), Corinne (Pologne) et Clara (Cameroun) ont exprimé avoir des collègues disponibles et n’avoir eu aucune difficulté à recevoir l’aide et les manifestations d’encouragement souhaitées. Pour Claude (Cameroun), le soutien des collègues a constitué le fer de lance qui lui a permis de surmonter les difficultés liées à sa tâche :

Ils étaient bien fiers de m’avoir parmi eux et puis ils me soutenaient sans relâche. […] c’est même ça qui m’a donné la force de m’accrocher et puis de me dire : « Même si tu as des défis difficiles à relever, tu as du monde qui te soutient ; tu as la direction, tu as les collègues qui t’appuient ».

Comme Claude vient de le souligner, la direction de l’école joue un rôle important dans l’intégration professionnelle des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration, puisque comme il le sera exposé dans la section portant sur la discussion, l’attitude que celle-ci adoptera à leur endroit devant les membres de l’équipe influencera l’attitude que ces dernier·ère·s adopteront à leur tour.

4.6 Les rapports mitigés avec la direction d’école

Dans l’ensemble, les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s ont vécu des expériences positives dans leurs relations avec leur direction d’école. Des défis peuvent tout de même se présenter au·à la nouvel·le enseignant·e issu·e de l’immigration peu familier·ère avec les rapports qu’entretiennent généralement les enseignant·e·s canadien·ne·s natifve·s avec les personnes faisant figure d’autorité organisationnelle.

Pour Christiane (Burundi), le premier défi à relever consistait à regarder les membres de sa direction d’école dans les yeux puisque, selon elle : « […] chez nous, une femme ne vous regarde pas dans les yeux ! » Chloé (Algérie), pour sa part, a raconté avoir d’abord choisi de garder le silence à propos des difficultés qu’elle vivait dans son travail, jusqu’à en ressentir une grande lourdeur ; elle a exprimé avoir été surprise de trouver une oreille compatissante auprès de sa directrice d’école qui lui a fourni un soutien appréciable dans sa recherche de solutions. Corinne (Pologne) témoigne, elle aussi, du rôle joué par la directrice adjointe de son école dans le développement de ses compétences et de son assurance :

Je ne me sentais pas à la hauteur au niveau de la gestion de classe. Ça m’a pris du temps. Je n’étais pas sûre de moi, je me questionnais beaucoup, mais grâce à l’appui de la direction adjointe, tout s’est équilibré à un moment donné.

Les rapports de soutien et de confiance entre directeur·rice·s d’école et enseignant·e·s, comme ils sont vécus dans de nombreuses écoles du Canada, ont été fortement appréciés par les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s, peu accoutumé·e·s à entretenir des relations décontractées avec leurs supérieur·e·s hiérarchiques.

5. Discussion

Les différent·e·s acteur·rice·s du milieu scolaire qui ont contribué, par leurs témoignages, à cette recherche, ont mis en lumière quelques-uns des défis rencontrés par les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration d’un conseil scolaire donné lors de leur intégration à la culture enseignante dans les écoles de langue française en Ontario. Le changement dans les cultures enseignantes se produit, entre autres, à travers des manifestations émotionnelles qui agissent à leur tour sur le processus de changement, de façon momentanée ou durable (Hargreaves, 2004). Dès lors, l’arrivée d’un·e nouvel·le enseignant·e dans une école, en raison des bouleversements que sa contribution à l’équipe et à l’école peut générer, peut donner lieu à la négociation de la culture en place ; il y aura acculturation, lorsque le·la nouvel·le enseignant·e et les membres de l’équipe réguleront leurs attitudes et leurs comportements de part et d’autre afin de faciliter l’inclusion du·de la nouveau·elle venu·e (Berry, 1997).

5.1 Rapprochement et distance

L’arrivée des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration dans leur école d’affectation a été marquée par des manifestations de rapprochement et de distance de la part des membres de l’équipe enseignante (Hargreaves, 2001). Dès les premiers jours, des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration ont observé ce qu’ils·elles estimaient être un manque de chaleur de la part de certain·e·s de leurs collègues qui évitaient de les saluer. Par ailleurs, comme l’écrit Jacob (2011) : « [l]a rencontre de l’autre peut donner lieu à des manifestations d’ignorance, par exemple détourner le regard, se sentir gêné, ne pas répondre à une salutation ; pourtant, la découverte de l’autre n’est pas toujours compliquée » (p. 225). Cette situation d’accueil, aussi anodine puisse-t-elle paraitre, illustre combien les gestes propres à une culture individuelle ou organisationnelle peuvent générer des interprétations différentes selon les personnes. Les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration qui ne sont pas en mesure d’expliquer un tel phénomène peuvent alors être porté·e·s à penser que ce dernier se rapporte à eux·elles ou à leur différence, jusqu’à ce qu’ils·elles réalisent qu’il s’agit plutôt d’un code qu’ils·elles doivent interpréter et auquel ils·elles devront s’accoutumer afin d’obtenir la légitimité (Mulatris et Skogen, 2012) ainsi que l’acceptation (Deters, 2006) au sein de la culture enseignante qui faciliteront leur intégration au groupe.

5.2 Discrimination et menace

Quelques-un·e·s des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration qui ont contribué à l’étude ont perçu des différences dans le traitement qu’ils·elles ont reçu en comparaison du soutien offert à leurs collègues canadienne·s natif·ve·s. Qu’il s’agisse de l’attribution des contrats d’enseignement ou du soutien pédagogique prodigué, certain·e·s ont ressenti une forme plus ou moins marquée de discrimination, notamment en ce qui concerne la situation des enseignant·e·s noir·e·s par rapport à celle réservée aux autres nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration. Ces observations ne semblent pas être uniques au monde de l’enseignement ; déjà, en 2004, Statistiques Canada observait qu’en matière d’emploi,

[l]es Noirs, plus particulièrement ceux nés au Canada, étaient proportionnellement un peu moins nombreux à être occupés. De plus, ils avaient des revenus d’emploi moindre et un taux de chômage supérieur à l’ensemble des personnes de 25 à 54 ans.

s.p.

Plus récemment, un rapport de 2012 du même organisme précisait que les nouveaux·elles arrivant·e·s en provenance du continent africain (sans distinction de ses peuples ou de ses régions) éprouvaient, plus que tout autre groupe, de la difficulté à s’insérer sur le marché du travail canadien :

[l]es immigrants nés en Afrique, qui constituent près de 10 % de la population active d’immigrants âgés de 25 à 54 ans […] affichaient [en 2011] le taux d’emploi le plus faible et le taux de chômage le plus élevé comparativement aux immigrants nés dans d’autres régions, soit 70,1 % et 12,6 %, respectivement

p. 23

Bien que cette plus faible présence sur le marché du travail des ressortissant·e·s africain·e·s puisse en partie s’expliquer par la migration de réfugié·e·s qui ne possèdent pas toujours, à leur arrivée, la maitrise de la langue, le niveau de scolarité ou le réseau familial facilitant leur installation, leur taux de chômage demeure significativement plus élevé que celui des réfugié·e·s des autres régions du monde. Par ailleurs, comme le rappelle Poiret (2011), les stéréotypes sont tenaces et, dans le cas des personnes désignées par la catégorie « Noir·e·s », les stigmates associés, entre autres, à l’esclavagisme et aux colonisations continuent, même aujourd’hui, à assujettir les peuples originaires d’Afrique subsaharienne à un rang inférieur à celui de la catégorie « Blanc·he·s ». Jacob (2011) souligne, par ailleurs, que l’étranger·ère, par son univers inconnu, fascine et fait peur à la fois. Un nombre croissant d’enseignant·e·s natif·ve·s côtoient, dans les écoles de langue française de l’Ontario, cet·te inconnu·e que représente le·la nouvel·le enseignant·e issu·e de l’immigration et certain·e·s d’entre eux·elles le·la considèrent possiblement comme une menace à leur culture et à leur identité franco-ontarienne. Comme l’a souligné l’un des participant·e·s lors des entrevues, les enseignant·e·s né·e·s en Ontario français qui sont de moins en moins nombreux dans les écoles où ils·elles travaillent peuvent percevoir une menace à leur identité. Le repli vers ceux·celles qui appartiennent au même groupe peut alors rassurer l’enseignant·e natif·ve tout comme le·la nouvel·le enseignant·e issue de l’immigration qui cherche la sécurité au contact de ses compatriotes (Vandeyar, Vandeyar et Elufisan, 2014).

Une autre menace évoquée par une enseignante-mentor et un directeur d’école se rapporte à la différence d’attitude entre les hommes et les femmes nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration, les premiers étant considérés comme moins flexibles, moins ouverts et plus directifs dans leurs rapports interpersonnels que les secondes. Il semble important de préciser que les deux participant·e·s qui ont exprimé ces propos oeuvrent au secteur élémentaire ; celui-ci constitue un milieu de travail en majorité féminin puisque, comme le rappelle Statistique Canada (2016), la proportion des femmes y est de 84 %, alors qu’il se situe à 59 % pour l’enseignement secondaire. Cette forte féminisation à l’école élémentaire influence la culture enseignante que l’on y rencontre et, du même coup, les codes relationnels qui y sont bien ou mal perçus. La menace ici associée au caractère masculin du nouvel enseignant issu de l’immigration (Delcroix, 2009 ; Wood, 2012) s’ajoute à celle de son statut d’inconnu (Jacob, 2011). Ainsi, il est permis de penser que plus grandes sont la quantité et l’intensité des différences perçues par les natif·ve·s, plus fortes seront les négociations qui permettront l’inclusion du nouvel enseignant issu de l’immigration dans le groupe.

5.3 Le rôle de la direction d’école dans le processus d’acculturation

Comme nous l’avons compris lors de l’examen des témoignages des participant·e·s à cette recherche, des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration, des enseignante·s-mentors et des directeur·rice·s d’école ont fait état de certaines négociations ayant pris place afin d’assurer l’intégration professionnelle des nouveaux·elles enseignant·e·s issus·es de l’immigration dans les écoles et au sein de la culture enseignante. Les propos rapportés nous ont aussi permis de penser que des nouveaux enseignants issus de l’immigration de genre masculin, les Noirs en particulier, pouvaient vivre des difficultés plus grandes lors de leur intégration. Certains des témoignages que nous avons recueillis ont toutefois fait état de relations à la fois positives et constructives avec leurs collègues enseignant·e·s ou avec leur direction d’école. Ils ont souligné avoir reçu, de leur part, le coup de pouce dont ils avaient besoin pour se sentir à la fois rassurés face à leurs compétences et inclus à part entière dans l’équipe de travail.

La direction de l’école a un rôle crucial à jouer afin de favoriser une acculturation équitable parmi les membres nouveaux·elles et ancien·ne·s de l’équipe enseignante puisque, en tant que responsable du personnel de son établissement, celle-ci peut fournir la médiation nécessaire à ce processus. Si le·la nouvel·le enseignant·e· issu·e· de l’immigration a besoin de connaitre et de comprendre la culture enseignante en place pour y réguler ses attitudes et ses comportements, les enseignant·e·s qui l’accueillent dans leur école doivent, eux·elles aussi, connaitre et comprendre ce·tte nouveau·elle collègue afin de réguler leurs propres interventions aux besoins particuliers de celui·celle-ci. À propos du mentorat interculturel, Gagnon et Duchesne (2018) soulignent par ailleurs l’importance d’un jumelage approprié entre mentor et nouvel·le enseignant·e issu·e de l’immigration mentoré·e, de celui·celle-ci par l’ensemble des collègues, du rôle de la communication dans les rapports professionnels et du temps qu’il faut libérer afin de bien soutenir le·la nouvel·le enseignant·e issu·e de l’immigration en insertion professionnelle. En somme, les directeur·rice·s d’école détiennent le pouvoir d’influence qui permettra à leur équipe d’enseignant·e·s de cheminer vers un ethnorelativisme de plus en plus marqué, favorisant une meilleure intégration sociale et professionnelle du·de la nouvel·le enseignant·e issu·e de l’immigration, mais aussi, ultimement, pour le bien-être des élèves, issu·e·s ou non de la diversité ethnoculturelle. Qui plus est, leur fonction de leadeur du milieu scolaire ontarien les exhorte à donner l’exemple en « posant des gestes conformes aux valeurs fondamentales et aux pratiques souhaitées de l’école » (Institut du leadership en éducation, 2013, p. 12). Même si les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration que nous avons rencontré·e·s ont affirmé s’être attendu·e·s, comme le souligne Plivard (2014), à devoir effectuer la majorité des négociations nécessaires au processus d’acculturation, il relève de la responsabilité de l’équipe enseignante qui les reçoit, comme de la direction de l’école, de leur accorder une place et de leur offrir l’accueil, le soutien et la sécurité qui sont nécessaires à une intégration optimale à la profession.

6. Conclusion

Les migrations internationales requièrent, de la part de celui·celle qui en fait l’expérience, une quantité importante de négociations culturelles, afin de s’intégrer à sa société d’adoption. À plus petite échelle, il·elle devra aussi négocier sa place dans son nouvel environnement professionnel, comme l’ont fait les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration qui ont contribué à cette étude. La culture enseignante comporte ses propres codes selon les individus qui en font partie et les contextes dans lesquels elle se développe. Les façons d’entrer en relation entre collègues ou avec la direction d’école doivent être comprises et adoptées par les nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration s’ils·elles souhaitent s’intégrer à cette culture professionnelle à la fois étrangère et complexe. Cette étude a mis au jour certaines des négociations qui ont été nécessaires à l’intégration des nouveaux·elles enseignant·e·s issu·e·s de l’immigration au sein de la culture enseignante des écoles d’un conseil scolaire de l’Ontario français. Des négociations parfois difficiles, mais également riches et constructives, ont teinté les divers processus d’acculturation qui ont pris place. De futures recherches, entre autres en ce qui concerne l’intégration des hommes appartenant à une minorité visible au corps enseignant, permettraient de mieux comprendre les éléments de problématique relevés lors de l’analyse des résultats.