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1. Introduction et problématique

Si l’on en juge par les nombreux dispositifs qui font l’objet de recherches, en particulier dans les 45 pays représentés par les participants qui communiquaient au symposium consacré à l’évaluation des effets de l’éducation artistique et culturelle, tenu à Paris, en 2007, la place de l’éducation artistique suscite depuis plusieurs années un intérêt mondial. En France, notamment depuis la loi sur les enseignements artistiques de 1988, renforcée par le Plan pour les arts et la culture de 2000, les enseignants, d’après les enquêtes qui se sont succédé durant cette période (entre autres : Chanteux, 1989 ; Londeix, 1989 ; Morin et Tardy, 1989), portent un jugement extrêmement favorable sur les activités artistiques et la place de l’art en éducation. D’après le rapport de l’inspection générale de l’Éducation nationale (1999), les discours sur les enseignements artistiques des lycéens, des collégiens, des parents, des professeurs et des chefs d’établissement présentent de prime abord une certaine homogénéité : les enseignements artistiques sont qualifiés de hautement souhaitables et porteurs de multiples bienfaits. Ce même rapport évoque une demande sociale d’activités artistiques, d’accès à la culture artistique, les arts étant perçus comme des facteurs d’équilibre, d’épanouissement et de développement de la personnalité. Ce groupe s’appuie, pour évoquer ce consensus d’opinion, sur différents textes existants, essentiellement sur des rapports de recherche de l’Institut national de recherche pédagogique (Boyer, Bounoure, Delclaux, 1986 ; Équipe de recherche articulation école / collège, 1987) et sur des rapports institutionnels (Bourg-Broc, 1987 ; Delorme, 1991).

Pour autant, ces mêmes enquêtes notent une forte distorsion entre cette faveur accordée à l’éducation artistique et les mises en oeuvre réelles : une contradiction apparaît entre le discours général sur les enseignements artistiques et les situations de mise en oeuvre dans l’institution scolaire. Tout le monde s’accorde à les reconnaître indispensables à la formation de la personne et s’entend sur leurs apports au cadre scolaire. Le consensus est également présent sur le peu d’heures qui leur sont consenties, c’est-à-dire à propos de la place concrète qui leur est faite dans la formation des élèves. Les enquêtes rappellent qu’au mieux, un élève reçoit 120 heures d’enseignement artistique au niveau du primaire et autant au collège (élèves de 12 à 14 ans). Bien loin des pourcentages élevés dans l’échelle des appréciations, les pratiques effectives restent minoritaires.

Au Québec, et plus largement au Canada, les universités ainsi que les associations universitaires accordent, depuis plusieurs années, une importance particulière à l’art et au développement de celui-ci (Chaire Unesco Arts et apprentissages, Kingston, Ontario ; l’Association d’art des universités du Canada). Parallèlement au choix étendu proposé par les programmes en arts dans les universités et aux acquisitions considérables d’oeuvres artistiques au sein même de celles-ci, de nombreux colloques, congrès et symposiums de recherche internationaux sont organisés régulièrement dans ce champ. Dans les deux dernières années, trois colloques portant sur ces questions ont été organisés dans le cadre des congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS).

Toutefois, nous ne pouvons ni nous en tenir à ce double constat ni l’analyser dans les seuls termes où les enquêtes le formulent. En rester à ce niveau d’analyse ne peut en effet conduire qu’à des interprétations de surface qui risquent de dissimuler les véritables enjeux politiques et éducatifs. Que dire d’autre en effet du plébiscite verbal des pratiques artistiques chez les enseignants, sinon qu’il témoigne de la grande réceptivité de ce monde enseignant, désormais, aux politiques éducatives en faveur de l’art et des valeurs qu’elles promeuvent ? C’est d’ailleurs l’une des difficultés que rencontre souvent le chercheur dans ce domaine lorsqu’il conduit des entretiens avec les enseignants : en France tout du moins, mais ailleurs tout autant, nombre des propos tenus par les enseignants viennent faire écho aux instructions officielles (Ruppin, 2004). Que dire de la distorsion entre l’opinion éducative et les pratiques effectives, sinon qu’elle procède de la distance souvent invoquée, en matière pédagogique, entre le dire et le faire ?

Il est clair toutefois que ces interprétations générales, toujours insuffisantes, ne peuvent ici nullement suffire. En effet, elles n’expliquent ni l’ampleur inhabituelle de l’écart entre l’appréciation favorable et la mise en oeuvre effective, ni l’ampleur tout aussi inhabituelle de l’appréciation en elle-même.

De notre point de vue, cette atypie doit être prise en compte comme un trait particulièrement significatif de la problématique et de la situation de l’éducation artistique dans l’école contemporaine. La considération de cette nuance particulière, rarement évoquée dans d’autres recherches, ainsi que notre exigence à ne pas en rester à des interprétations de surface, confère à notre étude une plus grande pertinence scientifique dans la prise en compte du réel, et plus précisément en situation artistique scolaire. Nous ne pouvons pas nous satisfaire simplement de l’idée d’une opinion enseignante plébiscitant l’art et ses valeurs éducatives, et communiant dans cette idée unanime.

Dans cette perspective, la recherche que nous avons entreprise pour tenter de comprendre les enjeux de l’entrée de l’art dans l’école d’aujourd’hui posait deux questions simples : Que disent, mais surtout que pensent vraiment les enseignants quand ils opinent en faveur de l’art à l’école ? Que font-ils réellement lorsqu’ils s’engagent dans les pratiques artistiques ? Ces deux questions, nous ne les dissocions pas, nous ne les opposons pas comme deux phases successives dans la mise en oeuvre de l’éducation artistique : ce sont deux interrogations que nous prenons ensemble, liées comme elles le sont dans la pratique pédagogique comme un tout.

Notre étude s’est centrée sur un dispositif pédagogique qui a marqué, entre 2000 et 2005, un important développement des pratiques artistiques dans l’école française, dispositif particulièrement favorable à l’engagement des enseignants : les classes à projet artistique et culturel. Ce dispositif possède la particularité d’établir un partenariat entre un artiste ou une structure culturelle et une classe, à raison d’une dizaine de séances sur une année scolaire. Mais cette étude, si nous voulions qu’elle soit autre chose que la reprise de nombreuses enquêtes dont nous percevions les limites dans leur principe même, ne pouvait être menée sans une reformulation appropriée de nos interrogations. C’est, nous le verrons, dans la théorie des cités et la justification, élaborée par Boltanski et Thévenot (1991), que nous avons trouvé les éléments théoriques nécessaires. Nous verrons comment cette théorie permet de ne pas s’enfermer dans l’opposition du dire et du faire.

Dans notre exposé, nous commencerons donc par décrire l’état des lieux de la recherche dans le domaine des dispositifs d’éducation artistique, tel que les enquêtes et les travaux existants permettent de l’établir. Comme nous l’avons indiqué, leurs limites nous conduiront, dans un second temps, à proposer une identification de notre problème inspirée de la théorie des cités et du thème de la justification. Elle nous permettra d’introduire, au coeur de l’apparent consensus dont l’art qui éduque est l’objet, la pluralité des mondes propre à notre temps. Nous verrons en effet que, au-delà du consensus et de l’accord quasi unanime sur les valeurs dont bénéficie l’éducation artistique, les pratiques pédagogiques effectives que les enseignants développent dans ce champ introduisent une pluralité de valeurs et de principes de justice. Nous nous efforcerons de montrer que ce développement théorique est un préalable absolument nécessaire à toute investigation opératoire dans notre champ. L’exposé de notre méthodologie en découlera. Enfin, nous présenterons et discuterons les résultats les plus saillants de notre étude.

L’entrée du monde de l’art à l’école, la cohabitation entre deux mondes et leurs acteurs reposant sur des valeurs et des principes parfois forts éloignés, est une problématique délicate. Ce que disent, ce que pensent et ce que font les enseignants au sein d’un projet artistique et culturel constituent une question de recherche pour le moins complexe. Sans trop anticiper sur les éléments de cette discussion et ses interprétations, nous pouvons indiquer que le recours au cadre conceptuel de la théorie des cités et de la justification (Boltanski et Thévenot 1991) nous conduit à une lecture renouvelée du rôle que joue le recours à l’art et aux artistes dans l’école d’aujourd’hui.

2. Contexte théorique

2.1 État des lieux : enquêtes et travaux

Aucune étude universitaire publiée à ce jour n’a été réalisée sur les classes à projet artistique et culturel à l’école élémentaire française. Toutefois, nous pouvons recenser les recherches de Kerlan (2008) menées à l’école maternelle dans un dispositif plus intensif : celui de l’artiste en résidence ; l’étude de Chappuis, Kerlan et Lemonchois (2008), orientée vers les classes à projet artistique et culturel de collèges ; ainsi que l’étude de Lemonchois (2009), menée dans les classes à projet artistique et culturel de lycées professionnels. Les recherches concernant, par exemple, l’activité enseignante des professeurs d’arts plastiques, à visée formatrice ou didactique, ne relèvent pas du même domaine et ne sont pas recensées dans cet article. Sur le plan international, parmi les études québécoises en éducation artistique, nous pouvons signaler la thèse de Côté (2008) intitulée L’intégration de la dimension culturelle à l’école : du discours officiel à celui des acteurs, thèse qui porte sur la notion de l’intégration de l’art et de la culture aux apprentissages dans le contexte d’un programme culturel québécois, mais aussi les recherches sur la construction identitaire de l’élève en éducation artistique de Théberge (2010). Enfin, plusieurs événements ont eu lieu ces dernières années : les première et seconde Conférences mondiales sur l’éducation artistique à Lisbonne en 2006 et à Séoul en 2010, le symposium international sur l’évaluation des effets de l’éducation artistique et culturelle à Paris en 2007 et le symposium canadien international Arts and learning (2008) à Kingston. À la suite de cet état des lieux, nous pouvons affirmer qu’aucune étude n’aborde ce type de classe (dispositif spécifique des classes à projet artistique et culturel à l’école primaire) en s’intéressant aux discours et à leur portée dans ces pratiques.

2.2 Contexte de recherche

La classe à projet artistique et culturel est un dispositif artistique et culturel mettant en partenariat une classe avec un artiste ou une structure culturelle. Concrètement, après l’envoi du dossier complet de demande de classe à projet artistique et culturel au mois de mai à l’inspection académique, l’enseignant reçoit la réponse fin septembre. Le projet artistique et culturel débute ainsi vers le mois d’octobre ou de novembre, rythmé par une ou deux interventions mensuelles, sur la durée d’une année scolaire, soit jusqu’au mois de juin.

Doté d’un répertoire lexical différent, de références et de compétences éloignées de ceux de l’enseignant, l’artiste s’offre une incursion dans le monde de l’école, ou plus précisément, l’école invite depuis plusieurs années le talent créateur dans ses murs. Comment saisir alors la cohérence de l’entrée de l’art à l’école ? Comment s’opère la rencontre de ces deux mondes, comment tient le dispositif pédagogique issu de cette rencontre ? Pour tenter de répondre à ces questions, deux types d’analyse complémentaires doivent être conduites. La première de ces analyses porte sur les divers principes auxquels les acteurs du projet (enseignant, artiste, élèves) se réfèrent pour engager leur action et leur pratique. En effet, pour qu’un projet artistique et culturel fonctionne correctement, ces acteurs doivent trouver un équilibre entre les divers principes mobilisés. La seconde analyse porte sur les objets et les dispositifs, les méthodes et les équipements que les acteurs du projet requièrent ou construisent pour répondre aux objectifs qu’ils se sont fixés : sont-ils ajustés à leur projet ? Répondent-ils à leurs intentions ? Ce sont ces objets qui, par-delà la volatilité des accords et des compromis entre les acteurs, assurent une certaine stabilité à la situation artistique. Ainsi, on peut observer que chaque dispositif artistique qui s’inscrit dans un projet s’organise à partir d’une pluralité de principes qui se retrouvent dans la variété des consignes, contraintes ou argumentations. Pour essayer de comprendre comment une telle organisation est possible, nous avons établi au préalable un inventaire des logiques qui cohabitent au sein du discours définissant la politique artistique et culturelle, discours auquel les enseignants eux-mêmes se rapportent pour expliciter leurs projets et leurs pratiques. Au départ, le projet artistique et culturel est considéré par l’enseignant comme un moyen de développer chez l’enfant son expressivité, son identité, son imagination et sa créativité ; à un certain moment de son évolution, le projet sera plus particulièrement présenté comme un projet civique fédérateur dans sa classe (porteur de valeurs d’entraide, de respect, etc.) ; mais dans la phase finale, il arrive que la production finale devant le public et le souci du spectateur prennent le dessus, et que s’impose une logique d’entreprise de spectacle. Ces différentes logiques n’en doivent pas moins cohabiter avec une autre logique, d’ordre pédagogique, qui voit aussi dans le projet artistique un support pour les apprentissages fondamentaux (lecture, écriture, etc.). Ces interprétations et vues singulières du projet artistique peuvent se retrouver en confrontation et constituer autant de réseaux concurrents quand il s’agit d’expliciter les objectifs du projet et de raconter son histoire.

2.3 Objectif de recherche

Il n’est donc pas possible de considérer que le projet artistique préexiste comme une unité ; il se présente bien comme un lieu de pluralité, où se retrouvent toutes les différences qui demeurent actives au sein du consensus en faveur de l’éducation artistique. L’important est qu’en dépit de cette pluralité parfois contradictoire, ces projets fonctionnent : la question ne porte donc pas sur les raisons de cette pluralité des logiques et des valeurs éducatives, dont il y a tout lieu de penser qu’elle est propre à la cohabitation de la sphère scolaire et de l’univers artistique, mais sur la manière dont on passe de cette diversité des références qui animent les acteurs du projet à leur relative coordination dans l’action sur le terrain.

De façon plus précise, notre recherche se penche sur la manière dont l’enseignant, dans le contexte d’un dispositif artistique et culturel, va maintenir une pluralité des principes de justice et, parfois, une certaine forme scolaire pour consolider la mise en oeuvre de son projet en partenariat avec un artiste. Il s’agit ainsi de comprendre pourquoi l’art possède désormais une faveur éducative, non pas en dépit de la pluralité des mondes, mais bien en raison de celle-ci ; et plus précisément, de comprendre pourquoi le consensus n’est nullement obtenu par l’effacement de la pluralité des mondes et des principes de justice, mais au contraire par leur maintien. Ainsi, l’objectif de recherche est d’identifier l’interprétation et le décalage entre ce que l’enseignant a fait ou ce qui s’est passé et ce qu’il voulait faire, donc entre le dire, le penser et le faire.

2.4 Fondements conceptuels

2.4.1 Le concept de justification

Pour révéler la pluralité de valeurs et de principes de justice contenus dans les discours et les situations composites formés par l’enseignant, l’artiste, et les élèves, nous avons sollicité un cadre complexe impliquant la théorie des cités et de la justification. Ce cadre a été développé par Boltanski et Thévenot (1991), puis adapté au cadre scolaire par Derouet (1992) pour mieux comprendre comment l’école elle-même s’inscrit dans plusieurs mondes.

Dans la théorie de la justification de Boltanski et Thévenot (1991), le classement de valeurs et de principes se retrouve également sous la dénomination de grandeurs, où tout acteur, afin de justifier son choix, mobilise une grandeur qu’il considère plus importante que d’autres. Nous partons du postulat que lorsque l’enseignant est amené à parler de son choix de pratique, il se justifie dans ses propos. Nous supposons que pour se justifier, il fait appel à des principes (épanouissement de l’enfant, développement de sa personnalité, travail collectif, développement de la créativité, ouverture sur le quartier, transversalité des compétences mobilisées) pour expliquer sa pratique à ses collègues ou à d’autres personnes. En effet, un projet artistique à l’école implique une multiplicité d’acteurs au sein de l’école (enseignants, artistes, politiques, pédagogues experts, parents) et, par conséquent, multiplie les justifications de l’enseignant face à ces divers acteurs, issus de mondes différents. Nous sommes bien ici en présence du concept de justification. Ce cadre théorique permet alors d’analyser les propos recueillis dans les études (discours, entretiens transcrits), pour mieux comprendre le choix artistique des acteurs.

2.4.2 Les notions de cité et d’objet

Dans De la justification : les économies de la grandeur, Boltanski et Thévenot (1991) considèrent les acteurs comme des êtres humains, mais dans certaines situations où prévalent par exemple des rapports de force, les personnes sont assimilées à des choses ou à des objets. C’est la relation entre ces états-personnes et ces états-choses qui forme une situation, comme la situation en projet éducatif artistique dans les écoles, où enseignants, élèves et artistes se rencontrent. Le cadre théorique de la justification des acteurs s’impose, dans notre recherche, pour la raison que toute personne se justifie dans son choix quand elle est amenée à en parler. Chacun de ces principes de justification est l’élément central d’une cité. Une cité est une logique de justification basée sur une conception du bien commun. Les modèles de cités (également appelés pôles de justification) suivants ont été définis par Boltanski et Thévenot (1991) : cité inspirée, cité marchande, cité civique, cité de l’opinion et cité industrielle. De plus, dans une autre recherche, Boltanski et Chiapello (1999) reviennent sur ces pôles, les complètent par une nouvelle cité, la cité par projet, et étayent leur réflexion au moyen de deux paradigmes : la critique sociale et la critique artiste. Cette dernière acception, en lien avec l’art, constitue le fondement de la sixième entité de justification. Parmi les six cités, quatre semblent, dans leur nature même, proche de la question de l’art : la cité inspirée, la cité domestique, la cité civique et la cité par projet. Regroupant trois mondes, les deux autres, la cité industrielle et la cité de l’opinion, en paraissent plus éloignées. C’est à partir de ce cadre que peuvent être dégagés les principes théoriques de justification des acteurs catégorisés dans plusieurs cités en fonction de leurs principes et de leurs références.

Dans cette partie, nous allons présenter plus en détails les pôles de justification pertinents à l’étude et leurs résonnances dans un projet artistique scolaire. Ce qui relève proprement de l’art s’inscrit, pour Boltanski et Thévenot, dans la cité inspirée. Toutefois, cette cité semble centrée sur des valeurs qui réduisent le champ esthétique (le prophète, l’avant-garde). La cité inspirée ne semble pas suffisamment définie pour pouvoir rendre compréhensible la question de l’éducation artistique. En effet, si l’art est entré à l’école, c’est avant tout avec une volonté démocratique et avec l’idée forte qu’aujourd’hui, l’art est une aptitude générale, commune. Ainsi, la conception démocratique que tout le monde peut se faire de l’art est, d’une part, absente de cette cité inspirée et, d’autre part, transversale à la cité civique. La cité inspirée relève plus d’un modèle romantique de l’art, alors que la réalité éducative et artistique actuelle correspondrait plutôt à un modèle démocratique.

Quant à la grandeur de la cité domestique, elle s’inscrit dans une chaîne hiérarchique : par exemple enseignant-élève. Mais lorsque l’artiste intervient, la notion d’égal à égal apparaît : l’enfant crée autant que l’artiste. Comme le dit précisément Kerlan (2008, p. 247) :

L’art vivant s’avère l’un des rares domaines où la dialectique de l’identité et de la différence, de l’égalité et de la distance entre l’enfant et l’adulte joue à plein : l’artiste y est à la fois le maître, au sens fort du terme, et l’égal, capable de s’intéresser au travail, aux propositions artistiques de l’enfant avec la considération qu’il accorderait aux travaux d’un confrère, au point quelquefois d’intégrer à son propre travail les modestes essais de l’élève.

Dans la cité domestique, la division des tâches est conçue sur le mode de l’entraide au sein de l’unité domestique. Il est à noter qu’on trouve une mobilisation domestique de l’art dans les discours des enseignants, ainsi que dans la politique éducative des arts en France. Le thème de l’épanouissement y est en effet omniprésent : grâce à l’art, répètent les enseignants et les textes officiels, les élèves seront mieux à l’école, plus épanouis. Concrètement, dans une classe traditionnelle, on retrouve les valeurs de la cité domestique par le respect de la hiérarchie entre la place de l’élève et celle du maître, ainsi que par des tâches répétitives (exercices). Or, dans une classe à projet artistique et culturel, l’adulte, l’artiste se place à l’égal de l’enfant, ils créent et conçoivent ensemble une création artistique originale. On n’est plus dans une logique d’application mais d’épanouissement.

La cité industrielle semble éloignée de la question de l’éducation artistique. Pour autant, elle est fortement présente dès lors qu’on se préoccupe du temps à respecter (emploi du temps précis), de tâches à se répartir (entre élèves par exemple pour augmenter l’efficacité d’une séance), de productivité d’une réalisation finale (la course en fin de projet pour présenter une production finale), etc.

Nous pourrions ainsi continuer avec la cité de l’opinion (où l’enseignant va se préoccuper de la présentation au public), ou la cité par projet (où sont créés des liens et échanges entre enseignant et artiste, avec d’autres acteurs du projet, par réseau, par Internet). Nous considérerons que certains discours ou éléments de discours en éducation artistique relèvent d’une ou plusieurs cités.

Une autre notion est ainsi dégagée, celle de l’objet. L’objet invoqué ou sollicité (fiche de préparation, sortie, représentation) va également nous permettre d’éclairer le propos de l’enseignant. Latour (1989) parle de délégation aux objets pour expliquer que les dispositions matérielles prises pour mettre en pratique un projet promettent une certaine durée dans le temps, mais sont aussi fortement porteuses de sens.

2.4.3 La notion de construction de situation, la notion de forme scolaire et celle de tension

Après avoir ci-dessus développé le concept de justification, la notion de cité et celle d’objet, trois autres notions sont également à exposer : la notion de construction de situation, la notion de forme scolaire et celle de tension. La construction d’une situation (pédagogique, par exemple), qui par la suite est en mesure de tenir ou d’éclater, a été analysée par Derouet (1992). Il fait notamment référence à la notion de compromis entre les mondes (Boltanski, Thévenot, 1991). Cette situation peut tenir simplement parce qu’un élément maintient un certain ordre, une certaine forme (par exemple une fiche de préparation de séance), qui évite à la situation de s’éparpiller. Cela fait référence à la notion de forme scolaire, élaborée par Vincent (1980) et détaillée par Lemonchois (2009) dans un contexte scolaire artistique. Les projets artistiques offrent un desserrement de la forme scolaire (Chappuis, et al., 2008). Le dispositif fait sortir de l’école au sens propre et au sens figuré : en impliquant des sorties et en modifiant le contexte d’apprentissage. La durée des apprentissages n’est plus découpée selon les grilles horaires de l’établissement. Ils se déroulent dans plusieurs cours et sur une longue durée. Le travail de création s’effectue sur différents modes temporels : la profondeur de l’instant (Bachelard, 1992), la lenteur pour apprendre à s’attarder (Kerlan, 2008) et un travail dans la durée, un travail de gestation (Lemonchois, 2003). Les modifications dans l’espace et la durée de l’école permettent aux élèves d’entrer dans une démarche de création complexe qui peut enclencher un processus de développement personnel (Lemonchois, 2009). Enfin, nous considérons la tension pouvant exister entre des valeurs revendiquées par l’enseignant et celles revendiquées par l’artiste comme un état qui menace la relation partenariale et qui peut précéder la situation de conflit (Simmel, 1995). La complexité du dispositif artistique et culturel alliant deux mondes distincts induit, dans une certaine mesure, une multiplication des identités partielles (l’artiste prenant en quelque sorte la place de l’enseignant et l’enseignant encadrant le groupe classe). Comme l’enseignant et l’artiste relèvent d’organisations et d’institutions différentes, ils vont se trouver tiraillés entre plusieurs valeurs et principes de fonctionnement et d’identification possibles qui peuvent parfois créer des tensions au sein du partenariat. Cette notion nous sera utile dans l’interprétation des données.

Lorsque le monde de l’art fait irruption dans la sphère de l’école, sous la forme d’une intervention extérieure, dans une salle polyvalente, en bousculant l’emploi du temps qui s’adapte tant bien que mal et en introduisant des objets qui ne sont pas forcément ceux du quotidien de l’écolier, certaines situations peuvent se révéler compliquées à gérer (chahut) chaque fois que des élèves sont sortis de leur cadre habituel. Les bougés (c’est à dire les glissements d’une valeur ou d’un principe à un autre), les transformations, la distribution des rôles entre l’artiste, l’enseignant et les élèves sont les principaux rouages généralement omis ou négligés dans les études communes.

Après avoir explicité les éléments contenus dans notre cadre conceptuel (alliant à la fois le concept de justification, la notion de cité, la notion de construction de situation, la notion de forme scolaire et celle de tension), nous allons présenter notre méthodologie.

3. Méthodologie

Notre étude se penche sur le montage composite que forme une séance dans le cadre d’un projet artistique et culturel, d’une durée d’un an, avec l’intervention d’un artiste, afin de discerner ce qui le fait tenir : un principe supérieur commun qui fait accord entre tous les partenaires.

Une personne ne possède pas de manière permanente une seule logique pour conduire son action (Derouet, 1992). La même personne peut se référer à des valeurs et à des principes différents en fonction des situations : en face de l’artiste, en face des parents, en face des collègues, lors de l’écriture du projet qui sera ensuite validé par l’inspection, etc. Ces valeurs et principes peuvent être dégagés en analysant le discours et les actions des enseignants, qui rapportent une vision de leur monde et des situations dans lesquelles ils évoluent. Le récit ainsi recueilli est considéré comme une mise en ordre du monde ayant un sens pour l’acteur interrogé. Nous interrogeons ce récit de l’extérieur dans une position compréhensive, en introduisant par exemple dans l’entretien des éléments que l’enseignant interrogé occulte (l’origine du projet, l’investissement des acteurs du projet), en lui demandant sur quels éléments objectifs de la réalité il s’appuie (allégeance aux programmes officiels…), ou en introduisant dans le questionnement les liens qu’il entretient avec les intérêts d’une position (motivation). On sait qu’il n’est pas facile de connaître ce qui est familier, c’est-à-dire les conventions si évidentes que personne n’en parle parce que tout le monde les connaît. Notre travail se situe dans un objectif de clarification des pratiques réelles mises en oeuvre par l’enseignant, afin de comprendre ce qu’il fait concrètement en séance en présence de l’artiste. Ainsi, nous nous situons plutôt dans une approche révélant le faire enseignant (actions, comportements, interactions).

3.1 Participants

L’étude concerne sept classes différentes réparties sur des arrondissements de Lyon et des villes environnantes périurbaines. Chaque classe possède son enseignant et son partenaire artistique, donc sept enseignants, qui ont, pour la plupart, une affinité personnelle avec l’art (expérience musicale propre ou familiale). Au total, nous avons observé trois projets en musique (musiciens, compositeurs), deux projets en danse (chorégraphe), un projet en arts visuels (plasticienne), et un projet en théâtre patrimoine (compagnie de théâtre de marionnettes lyonnaises). Ces artistes ont été sélectionnés d’après leur dossier déposé à l’inspection académique de Lyon et ont réussi un entretien de présentation de leurs motivations, de leurs expériences et de leurs compétences artistiques et culturelles. Les cas à l’étude sont au nombre de sept, mais la longueur de cet article ne nous permet pas de les décrire ni de les analyser tous. Nous nous proposons ici de faire émerger les traits forts des analyses des projets les plus révélateurs : un projet de musique avec un percussionniste, un projet de musique avec des musiciens de l’Auditorium et un projet de danse contemporaine.

3.2 Position épistémologique et instrument de saisie des données

Dans cette étude, nous avons observé des pratiques d’enseignement en classe et interprété des discours. Nous nous plaçons dans une situation de compréhension de la situation contextualisée (danse, musique à l’école) transférable à d’autres situations (d’autres cas artistiques à l’école), d’où la dimension explicative n’est pas évincée. Notre cadre conceptuel peut être décontextualisé et adapté à d’autres contextes si besoin (politique, sociologique). On ne peut généraliser les cas ou les résultats ; toutefois, une certaine transférabilité des résultats (Van der Maren, 1996) sous la forme de lignes directrices et de points communs revient régulièrement en fonction des cas étudiés.

Notre démarche souscrit à une posture épistémologique interprétative. La recherche interprétative appelle fondamentalement des outils qualitatifs. Notre stratégie de recherche renvoie la conscience à l’objet qui la détermine et tente d’interpréter et de comprendre ce qui se passe en classe lors de l’intervention d’un artiste. Dans cette perspective, les instruments de saisie et d’analyse des données choisies sont qualitatifs (Robert et Bouillaguet, 1997), et comprennent des observations (non participantes) de classe (Arborio et Fournier, 1999) ainsi que des entretiens semi-dirigés (Blanchet et Gotman, 1992) avec des enseignants, afin de recueillir leurs attentes envers le projet, les élèves et l’artiste, leurs visées et objectifs pédagogiques et comportementaux, ainsi que leur mise en ordre de la situation observée.

La place de chaque acteur, ses actions en amont, pendant et après la séance, révèlent le rôle réel de l’individu dans le projet. Il existe parfois un grand décalage entre ce que l’enseignant annonce dans le premier entretien, ou en amont de la séance, et les rôles qu’il est amené à jouer ou à déléguer concrètement in situ. Ce sont là des éléments importants que l’on se doit de pointer.

Les indicateurs utilisés (changement, modification, place de l’acteur, action, intervention et objet) découlent des concepts et des notions mobilisées dans cette recherche : notion de construction de situation (distribution des rôles, répartition des interventions, consignes organisant le travail, réunions, courriels), de procédure de stabilisation de situation (convergence sur le travail de l’élève), d’objets (fiche de préparation, outils, supports, production finale) en lien avec la forme scolaire.

3.3 Déroulement : organisation de l’étude et dimensions du questionnement

3.3.1 Planification de l’étude et consentement des enseignants

Pour chaque projet, deux entretiens ont été planifiés ainsi qu’une observation de séance entre le mois de novembre et de mai. L’observation de séance peut toutefois s’avérer peu parlante, et le compromis ou le principe supérieur commun peuvent ne pas toujours être saisis ; c’est pourquoi l’observation a été doublée d’entretiens (menés avant et après l’observation) où l’enseignant explicite clairement ses principes et présente une vision ordonnée de la situation (à venir et passée). L’observation sert alors à évaluer les points d’appui de ce récit : le respect de l’organisation prévue, la permanence du domaine de justification, les changements, les bougés. Nous allons détailler ces trois temps ci-après. Les sept enseignants ont été contactés par téléphone, ont donné leur consentement à cette recherche universitaire et ont fixé le moment du premier entretien dans leur école après les cours. Chacun des sept artistes a accepté notre présence au début de la séance observée.

3.3.2 Entretien préparatoire

Sept entretiens menés en début de projet ont été réalisés (un par projet), puis sept autres en cours de projet, pour un total de quatorze entretiens pour sept classes. Les entretiens ont eu lieu après l’école, dans la salle de classe avec l’enseignant, à l’aide d’un guide d’entrevue, et ont tous été enregistrés au dictaphone puis transcrits sur ordinateur. Afin de savoir quels éléments et ressources sont mobilisés par l’enseignant et comment ils sont agencés, il est nécessaire d’avoir une connaissance du contexte et en particulier un entretien avec l’enseignant avant la séance à observer. Lors de cet entretien approfondi (de trente minutes à une heure) avec le professeur des écoles, nous lui avons demandé ses objectifs et ses attentes quant au projet. Le but de l’entretien est d’abord de cerner le principe supérieur commun de son projet. Quelle est son interprétation des programmes ? Qu’est-ce qu’il écarte ? Qu’est-ce qu’il met en valeur ? Quel jugement a-t-il sur la classe qui va être observée ? Quels compromis construit-il entre les programmes, ses goûts, ses compétences et celles des élèves, les ressources culturelles, etc. ? Il faut ensuite décoder tous les implicites qui expliquent ses choix (sa formation, ses références, etc.) pour l’interroger sur sa stratégie d’enseignement.

3.3.3 Mise en place du projet : entretien et observation de séance au coeur du projet

Ce premier entretien a été doublé quelques semaines plus tard d’un second entretien avec les mêmes enseignants dans leur avancée de projet, c’est-à-dire en cours d’année, afin de voir si les attentes ont changé, si elles ont été modifiées et comment les enseignants agençaient les diverses données pour tenter de construire un projet cohérent. Ces entretiens ont pu révéler à la fois la présence très forte de la culture critique chez l’enseignant et parfois une insuffisance de ressources pour opérationnaliser ces intentions.

Chaque projet artistique et culturel étudié dans cette recherche est singulier et porteur de particularités et d’effets que nous développerons dans la partie Résultats.

Pour chacun des sept projets, une observation de séance (d’une heure environ) a été menée, pour un total de sept observations. Plus précisément, l’observation a été réalisée vers le milieu de trois projets et vers la fin des quatre autres projets. Ces observations ont eu lieu soit en atelier d’arts visuels, soit au gymnase pour la danse, soit en salle de musique. Les conditions d’observation étaient rassurantes pour les enseignants, nous avions une place assise dans chaque salle et nous pouvions nous déplacer pour regarder les groupes et l’artiste, le tout en effectuant une prise de notes, sur feuille à l’aide d’une grille d’observation.

L’observation a porté sur le travail de mobilisation de l’enseignant dans une situation où l’artiste intervient auprès des élèves. Sur quels éléments s’appuie-t-il ? Quels éléments laisse-t-il de côté ? Nous nous sommes donc intéressée à la pertinence du montage réalisé entre les intentions, les savoirs et les objets choisis comme point d’appui, ainsi qu’aux conciliations et autres compromis. Dans chaque situation, nous avons observé le dispositif spatial et temporel, les personnes, le principe de justice (le principe de référence aux cités) qui sous-tend son fonctionnement et donc, les règles qui régissent ce fonctionnement, la hiérarchie entre les personnes et les objets, etc. Nous avons été attentive à la question de la gestion de l’heure de la séance par d’éventuels réajustements par rapport aux intentions que l’enseignant avait exprimées le cas échéant, avant de participer à la séance.

3.3.4 Troisième entretien

Sept retours sur séance sous la forme d’un dernier entretien donnant le récit de la situation ont été réalisés. Il y aurait une grande naïveté épistémologique à penser que ce que nous avons vu à partir de notre point de vue d’observatrice soit plus vrai que ce qu’en ont vu les acteurs. Nous avons donc, le plus tôt possible après la séquence observée, recueilli le point de vue de l’enseignant sous la forme d’un entretien assez peu directif où nous lui avons laissé le soin de construire les enchaînements qui expliquent pourquoi la situation tenait. Le premier but est donc simplement d’obtenir un récit du monde, ce qu’en pense l’enseignant. Le but de cet entretien est de reprendre plus ou moins le schéma de l’entretien qui a précédé le cours, en lui demandant à chaque fois s’il pense avoir atteint ses objectifs, quels obstacles il a rencontrés, comment il a réajusté la situation, etc.

Dans cette étude, nous ne nous sommes pas penchée sur les idées que les enseignants se font du rôle de l’art à l’école, mais sur ce que les enseignants attendent de leur projet en situation réelle avant, pendant et après une séance. Les enseignants interviewés ont été interrogés non pas sur leurs représentations, leurs idées, leur philosophie éducative, mais au plus près des processus de stabilisation des situations et de la délégation aux objets, dans une situation précise : au sein même de leur projet. L’entretien n’a pas de portée métaréflexive, axée sur les idées des enseignants à propos de l’éducation artistique à l’école, cela n’en est pas l’objet. Nous les interrogeons au plus près de leur action concrète : sur leur projection de la séance à venir, les objets qui seront mobilisés, etc. Là où, selon le discours officiel, l’art entrerait à l’école pour desserrer la forme scolaire (Vincent, 1994) (c’est-à-dire pour épanouir et enrichir l’enfant dans sa réflexion et dans son sens critique). Lorsqu’on le voit à l’oeuvre, sa mise en oeuvre concrète au sein de l’école s’avère bien plus complexe.

3.4 Modalités d’analyse des données

Les notions de situation, ses aspects, mais aussi la place de chaque acteur et les effets de ces projets artistiques se retrouvent dans notre grille d’analyse. Cette dernière, utilisée pour cette étude, se présente ainsi :

3.4.1 La remise en cause des situations, les bougés, les déplacements entre le début et la fin du projet

Les rouages du projet sont alors mis au jour et apportent une vision plus claire du fonctionnement. L’enseignant peut être amené à changer parfois les directives, le nombre de séances. Nous avons donc comparé les données du début du projet à celles de la fin du projet, sur la base des trois entretiens, en posant clairement la question à l’enseignant lors du 2e entretien.

3.4.2 Distribution des rôles : les enjeux identitaires, l’identité enseignante en jeu

Notre analyse porte sur le repérage de la place de chacun dans les entretiens (ce qui est dit) puis de voir s’il y a des rôles différents qui n’avaient pas été annoncés, en comparant pour chaque projet les grilles de lecture des entrevues et de l’observation de situation. Les rôles dits puis ceux faits sont ainsi mis en corrélation afin de confirmer une adéquation ou de dévoiler d’éventuels paradoxes.

Les rôles et interventions observés en séance mettent en relief la question de la distribution. Y a-t-il une fiche ou une consigne qui a organisé le travail (un courriel, un appel téléphonique) ? La mise en forme idéale est ici celle du tableau de service ou de répartitions des rôles où chacun se repère dans sa tâche et son créneau horaire.

3.4.3 Les effets de la classe à projet artistique et culturel

Les enseignants peuvent être amenés à parler de leurs attentes et objectifs, mais surtout de leur évolution en cours d’année. Cette évolution conduit à prendre acte de certains effets non attendus, ou encore d’objectifs à revoir à la baisse, en raison de contretemps ou d’une surestimation de la classe.

Nous avons conçu cette grille, guidée par le souci de retenir un certain nombre de points en lien avec les procédures de stabilisation et la construction des situations : modifications dans le projet, distribution des rôles entre les acteurs, effets de la classe à projet artistique et culturel perceptibles tout au long du projet. En effet, le monde de la justification est un monde de déplacement, c’est-à-dire que le concept de justification s’inscrit dans une logique de déplacement d’une cité à une autre dans l’argumentation.

La situation se construit dans une interaction. Il est nécessaire que, dans cette interaction, les individus se mettent d’accord sur leur présence dans cette situation, et expriment pourquoi ils sont là, l’un et l’autre. Quelles sont alors les valeurs de références à l’aune desquelles ils vont se comesurer ? La construction de situation est le pouvoir du professeur. Il possède un pouvoir de préaménagement de la situation ou de préconstruction de la situation. Nous nous sommes donc appuyées sur ce que l’enseignant dit, « comment il voit la situation », sur ce qui est réellement pratiqué dans le dispositif artistique, sur les éventuels réajustement réalisés au cours du projet, ainsi que sur le recul de l’enseignant sur les situations construites.

3.5 Considérations éthiques

Nous pouvons souligner le nécessaire respect de tous les acteurs impliqués dans la recherche sur le plan de leur dignité et de leur intégrité, de leur anonymat et de leur confidentialité. L’anonymat a été garanti en changeant les initiales des acteurs et les données ont été conservées uniquement sur un ordinateur personnel. Le consentement de chaque enseignant et artiste a été obtenu pour l’ensemble des étapes constituant l’étude. Enfin, en ce qui concerne la transmission des résultats de l’étude, le lien internet de notre thèse en ligne a été envoyé à tous les acteurs du projet.

4. Résultats

4.1 Résultats et leur interprétation : les effets de l’art à l’école

4.1.1 Les effets : bougés et transformations

Un premier résultat dégagé de cette étude est la confirmation de cette mouvance, voire de cette transformation des projets artistiques tout au long de leur mise en place. Les bougés et les transformations se retrouvent au niveau du cadre spatio-temporel, des visées, des objectifs modifiés, de la redistribution des tâches, mais aussi dans l’opinion des acteurs du projet qui change au fur et à mesure de l’avancée de celui-ci, ou lorsque les acteurs se retrouvent confrontés à la situation concrète.

Notre étude révèle que les effets d’un projet d’éducation à l’art et à la culture en partenariat avec un artiste relèvent de l’utilisation d’un espace différent de celui de la classe, ce qui augmente la curiosité des enfants, et d’une programmation temporelle spécifique bousculant l’emploi du temps de la classe. Ce déséquilibre dans le quotidien de l’enseignant a pour effet de stimuler sa réflexion, de dynamiser son organisation, mais il peut être parfois anxiogène. L’enseignant ne sait pas vers où il part dès le début. Il attend vraiment de voir avec le musicien ce qu’ils vont faire (projet musique percussions). En effet, à plusieurs reprises, nous avons rencontré des enseignants perplexes et non rassurés de voir que le compositeur ou la chorégraphe, par exemple, arrivaient en classe sans savoir ce que la séance allait donner à l’avance. L’enseignant était alors confronté à un fonctionnement pédagogique qui accordait de l’importance à l’action en elle-même et non à son aboutissement, au résultat formel, spécifique au monde scolaire. Si c’était la première année que cet enseignant faisait ce projet, il était inquiet ; précisémen,t il était soucieux parce que, à quatre mois de la fin de l’année scolaire, rien n’avait été mis en place du côté de la production. Seuls quelques essais avaient été réalisés. D’après ses souvenirs, cet enseignant et ses élèves n’étaient pas beaucoup plus avancés trois ou quatre ans auparavant. Mais pour celui-ci, le projet lui semblait tout de même plus dirigé, plus construit. Au fur et à mesure de la discussion, l’enseignant annonçait qu’il faisait confiance aux musiciens, aux élèves et pensait qu’il n’y aurait pas de problème (projet musique percussions).

Un autre enseignant se faisait du souci et a proposé à la danseuse de rajouter des séances, car il se préoccupait du public lors de la représentation. L’enseignant en a parlé à plusieurs reprises avec les conseillers pédagogiques, et ces derniers sont venus les voir également. L’enseignant souligne que c’est un projet où les classes sont bien préparées et il souhaite que sa classe soit préparée, qu’elle propose un spectacle de qualité pour les spectateurs (projet danse). Un élément frappant en commun avec la plupart des projets étudiés est la montée en puissance progressive du souci de l’objet terminal, de sa forme achevée (le spectacle, la représentation), où l’enseignant devient une sorte d’entrepreneur, d’aide à la mise en scène ou à la réalisation du spectacle. L’enseignant délègue à l’artiste son pouvoir jusqu’aux trois-quarts du projet, telle une carte blanche au monde de l’art, pour le reprendre ensuite et tenir les rênes afin d’offrir un résultat abouti, présentable au public relevant du monde scolaire.

4.1.2 Identité et place des acteurs : de l’artiste, de l’enseignant, de l’élève

L’enseignant définit souvent sa fonction comme celle d’un coordonnateur de projet. Il va assurer le suivi du projet de semaine en semaine, il est le coordonnateur d’un projet, celui qui en assure la continuité. L’enseignant va coordonner le projet, et puis le faire vivre entre les moments (projet danse) ; il se pose la question de la temporalisation du projet. L’artiste intervient ponctuellement lors de quelques séances, alors que l’enseignant est présent tout le temps. L’enseignant est le garant de l’espace et du temps, caractéristique de la forme scolaire, et il insiste à nouveau sur le rôle de coordination. Certains enseignants se posent parfois en tant que gendarmes. Comme l’enseignant assure l’encadrement et la police, il a un rôle qu’il qualifie d’ingrat. Il pense qu’il est là pour remotiver sans cesse, pour encadrer, gronder si nécessaire, motiver les élèves. De toute évidence, l’enseignant pense que, dans ce type de projet, il n’a pas le rôle premier. Il doit veiller à ce que les rapports avec les autres, les contacts en société, ainsi que toutes les règles de politesse soient respectées ; il rappelle les règles de déplacement, les règles du quotidien quand ils sortent de la classe (projet musique Auditorium).

Quand l’enseignant parle de la fonction de l’artiste chorégraphe qui apporte ses compétences techniques, c’est en ces termes qu’il s’exprime : c’est une artiste qui a l’habitude de travailler dans les classes à Projet artistique et culturel (projet danse). Il lui donne un statut qui n’est plus celui d’artiste, mais celui d’une sorte de professionnelle des classes à Projet artistique et culturel. Par exemple, c’est elle qui va élaborer une consigne, la fiche de préparation d’une activité, et qui va soumettre son travail par courriel à l’enseignant. Dans le cadre de ce projet danse, l’artiste chorégraphe prend clairement la place de l’enseignant. On note une situation triangulaire entre l’artiste, l’enseignant et les élèves, tout au long de l’évolution du projet.

L’enseignant porte un regard différent sur des élèves qui, d’habitude introvertis, participent et se révèlent créatifs et imaginatifs, ou encore il apprécie la grande attention de ces élèves travaillant avec l’artiste : les enfants se mobilisent, s’investissent, se dépassent et révèlent ainsi leur personnalité face à et dans la pratique artistique. On peut noter l’anecdote d’une petite fille ayant oublié son texte solo lors de la représentation musicale : cette petite fille n’a pas été déstabilisée, elle a fait comme une professionnelle, elle a improvisé ; d’après l’enseignant, la prestation était exceptionnelle (projet musique Auditorium). À la question Comment allez-vous vous y prendre ?, l’enseignant construit une sorte de scénario pédagogique : il commence par l’étape où il faudra poser les consignes, puis diviser le groupe en deux. L’artiste et l’enseignant seront présents tous les deux auprès du groupe, des préoccupations qui apparaissent au sujet des spectateurs et des danseurs (projet danse). Entre le scénario pédagogique projeté et puis ce qui se passe vraiment et les rôles effectifs, voire dans ce que l’enseignant dit après la séance, certains points ont changé : on passe de valeurs centrées sur la cité inspirée (créativité, développement), à des valeurs scolaires de gestion humaine (concentration, attention), de production et d’efficacité (production écrite, répétitions, préparation de séance par l’artiste et non par l’enseignant).

Toujours pour ce projet danse, l’enseignant s’était projeté dans une séance de recherche active de sonorités, de figures où les élèves devaient être actifs, autonomes, et plongés dans la créativité. Mais il s’est trouvé relégué, une fois en situation concrète, dans un simple rôle d’assistant, voire dans une fonction de guidage très directif, induisant les réponses des élèves afin d’éviter de perdre trop de temps. On est passé du registre du monde de l’inspiration concernant le dire enseignant (son discours) au registre du monde domestique et surtout industriel (efficacité) concernant le faire enseignant (la mise en oeuvre concrète).

4.1.3 Les effets d’un dispositif artistique en classe

L’enseignant aborde la manière de mettre en oeuvre le projet et sa manière d’envisager la collaboration avec l’artiste. L’enseignant a remarqué que l’artiste arrivait à proposer des consignes (projet danse). C’est une chose un peu étonnante, car un artiste n’est pas là pour poser des consignes ! L’artiste s’est plié très clairement à la forme scolaire. Lors de la formation des enseignants certifiés en arts plastiques, on leur conseille de formuler une ou des contraintes plastiques de médium, de support, de temps. La consigne est une notion propre au domaine scolaire et n’appartient nullement au vocabulaire esthétique. L’artiste fonctionne avec des contraintes matérielles, plastiques, spatiales par exemple, éventuellement avec une phrase d’impulsion ou une affirmation. La consigne à suivre instruit de façon précise les élèves sur ce qui est à faire, elle anticipe en quelque sorte la tâche, elle place l’élève en position d’exécutant ; la consigne est donc du côté de l’application. Alors que la contrainte propre au champ esthétique possède un caractère stimulant, elle va permettre de problématiser la tâche. La prise en compte de la contrainte peut se faire dans des réponses hétérogènes et nous rappelle que si la production artistique est ouverte, elle n’est pas pour autant indéterminée. La contrainte ouvre au questionnement en présentant, par exemple, aux élèves un obstacle à surmonter, un objectif à atteindre. Tout au long de leur production, elle les stimule dans leur recherche de solutions et rend leurs choix signifiants.

4.2 Discussion des résultats

Les résultats des projets présentés dans cet article sont issus d’une étude comportant sept cas singuliers. Les exemples exposés dans cette partie proviennent de trois projets, choisis pour leurs particularités de lisibilité illustrant de manière appropriée les résultats : un projet musique Auditorium, un projet musique Percussions et un projet Danse contemporaine.

Aujourd’hui, l’art à l’école, selon ce qu’en révèlent les entretiens, sert aussi, et de façon insistante, aux enseignants, à faire tenir la classe – les attentes formulées relèvent plus du registre du monde domestique, civique et industriel : écoute, concentration, respect, investissement, que du domaine de l’inspiration : créativité, imagination, épanouissement –, à faire tenir l’école – par le retour de valeurs en perte de vitesse : coopération, respect ; autrement dit, à renforcer ou, du moins, à rénover, à réparer la forme scolaire. Kerlan (2007) fait référence à un monde scolaire, saisi par les arts, mais tout de même régi par la cité civique. Ainsi, l’on peut considérer le consensus éducatif en faveur de l’art comme un compromis au sein des biens éducatifs désormais pluriels, une façon de faire tenir ensemble ce que ne peut plus tenir assemblé une forme scolaire en voie d’éclatement.

La rédaction d’un projet est en lien avec la paix des objets dans la mesure où elle constitue un dispositif de stabilisation. Il y a un caractère indiscutable de l’objet ; un texte est un support d’interprétation permanent. Les individus croient se mettre d’accord en rédigeant un projet puis, dès qu’ils se mettent à travailler, ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas mis les mêmes choses sous les mêmes mots. Le texte est alors effectivement le support d’un accord, mais aussi le support d’un nombre considérable de désaccords possibles.

Or certains de ces objets, de ces outils, ou de ces procédures, relèvent plutôt de dispositifs de stabilisation de situation. C’est pourquoi, pour éviter de s’enfermer dans une classification trop exiguë pour notre étude de cas, il nous a paru plus approprié de faire appel à la notion de situation en elle-même, et à ses différents aspects : sa construction, sa stabilisation, ses objets.

Il nous paraît légitime de nous intéresser aux procédures de stabilisation, surtout dans des enseignements un peu risqués comme les enseignements artistiques, où les enseignants ont besoin de stabilisation. Pour illustrer notre propos, prenons un exemple singulier, celui du projet musique Auditorium, où les choses, interventions et actions sont bien intégrées par la classe et l’enseignante, mais où, malgré tout, la situation est déstabilisée, et l’enseignante désappointée : par exemple, lorsque les parents prévus pour le covoiturage devant amener les enfants à la générale ne sont pas venus et qu’il faut organiser en urgence le transport des enfants afin de ne pas être en retard, l’enseignante gère la situation et se met en position de chauffeur des enfants en effectuant plusieurs allers-retours à la salle de spectacle, aidée par un autre parent qui dispose d’une voiture. À plusieurs reprises, le principe d’efficacité se retrouve présent. Pour le projet Danse, l’enseignant paraît faire passer la cité civique au second plan – il ne s’agit plus d’efficacité dans les apprentissages qui sont la mission de l’école – au profit de la cité de l’opinion : le jugement final sera celui des spectateurs. Ainsi, il lui faut ajouter des séances pour donner à voir quelque chose de plus présentable au public. Les valeurs et principes relevant de mondes distincts semblent se dévoiler de manière plus intense en fin de projet. Certaines valeurs et cités sont accentuées. Par la contrainte du temps qui est compté, les valeurs se bousculent, s’inversent, voire sont propulsées en priorité (efficacité, opinion) devant celles annoncées en début de projet (épanouissement, créativité).

L’artiste pourrait être considéré comme un révélateur ou un stimulateur des compétences cachées ou non utilisées des enfants (une plus grande autonomie, une estime de soi augmentée…), mais aussi de leur savoir (élargissement de ses connaissances culturelles). Ce révélateur peut passer par une étape que l’enfant doit affronter et surmonter. L’enseignant rapporte que les élèves sont gênés par tout ce qui leur est demandé (consigne orale, contrainte spatio-temporelle) et par le regard des autres : ils ont honte de chanter, de tomber. D’après l’enseignant, ils sont honteux de s’exécuter, c’est pour eux une façon de se mettre en danger (projet musique Auditorium). D’après Ducler (1993), inspecteur d’académie et inspecteur pédagogique régional, la contrainte est mouvante, modulable et modulée. La contrainte implique une relation fluide à l’ensemble du dispositif. Si la consigne est incontournable, comme un ordre, la contrainte est interprétable. L’une est à respecter, l’autre est à travailler. C’est particulièrement vrai en art. La rencontre sensible épaulée par l’artiste propose à l’enseignant une alternative féconde, qui permet de développer de multiples possibilités éducatives. L’artiste et son univers bouleversent les idées préconçues des élèves. Les normes initiales sont déconstruites et augmentent ainsi le potentiel des élèves qui se mettent à manipuler, à construire avec du matériel non commun à l’école, et à réfléchir sur des problématiques ou à des contraintes plastiques propres au monde de l’art, que seul cet univers peut apporter au sein de l’école. Nous sommes toutefois face à une entité quelque peu paradoxale. En effet, en situation, l’art assouplit, voire efface la forme scolaire dans son rapport au temps et aux contraintes stimulant la créativité. Les résultats des études menées par Chappuis et al. (2008), Kerlan (2008) et Lemonchois (2009) s’accordent et soulignent non pas une modification de la forme scolaire car le modèle dominant reste déterminant, mais plutôt une réparation de celle-ci : l’art pour refonder l’école et non pour fuir l’école ; pour relier le principe de plaisir au principe de réalité (Chappuis et al., 2008). Le dispositif éducatif avec un partenariat artistique encadré et géré par l’enseignant se révèle, dans notre étude, un moyen de restaurer mais aussi de renforcer la forme scolaire (règles de vie accentuées et rappelées quotidiennement, encadrement des élèves plus précis, production de textes et disciplines fondamentales intensifiées).

Comme les résultats s’inscrivent dans une recherche visant à comprendre et à expliciter les attentes et les actions de l’enseignant, en ce sens on ne peut trouver ni une visée formatrice à destination des professionnels de l’éducation, ni un approfondissement du discours de l’artiste, puisque seul l’enseignant a été interrogé. Ce sera là une piste possible pour une étude future. Il serait en effet instructif de se tourner vers le point de vue de l’artiste.

L’intérêt et la portée de cette recherche dans le domaine de l’éducation artistique, de l’étude et de l’évaluation de ses effets, résident dans sa problématisation, appuyée sur une forte élaboration théorique. La mobilisation du cadre conceptuel articulé aux données concrètes propose une conception dynamique du travail de Boltanski et Thévenot (1991), dans la mise à l’épreuve des objets et des principes de justice. Cette approche se démarque ainsi de celle des autres travaux, statiques, classificatoires et généralistes. On peut citer les travaux où se succèdent essentiellement des listes de questions et des pourcentages de réponses à ces questions (Upitis, Smithrim, Patteson et Meban, 2001) 1) qui aboutissent, par exemple, à des corrélations entre genre et variables de pratiques artistiques ; 2) qui fournissent un compte rendu descriptif de la pratique en salle par l’emploi d’une méthode quantitative (Power et Klopper, 2011) ; ou encore 3) des résultats forts peu en lien avec un cadre conceptuel exigeant (Nevanen, Juvonen et Ruismäki, 2012).

5. Conclusion

Nous sommes partie des situations artistiques et culturelles en classe avec enseignant et artiste ainsi que de la parole des enseignants sur leurs pratiques pour étudier une question particulière, celle de la place de l’art à l’école entre le dire et le faire. La méthodologie adoptée pour approfondir ces situations artistiques s’est centrée sur des observations de situations et des entretiens de professeurs des écoles en amont et en aval des séances menées avec un intervenant artistique. L’un des apports de cette recherche est de montrer comment les pratiques artistiques et culturelles contribuent, dans le cas d’une école qui s’interroge, à retrouver un certain équilibre. Notre étude aura d’abord permis de révéler les tensions à l’oeuvre entre les mondes qui cohabitent dans un projet artistique et culturel. La théorie de la justification permet de comprendre la relation nécessaire entre l’hétérogénéité des principes de justification et la nécessité, pour la vie sociale, de construire des montages composites et des compromis pour s’efforcer de concilier ce qui est en tension. Après avoir travaillé de la sorte, on prend conscience de la différence existant entre le discours, qui, lui, semble renvoyer à certaines cités (inspirée, par projet), et des situations qui, elles-mêmes, sont stabilisées parce que l’art le permet. En effet, l’art permet ces compromis, ces montages composites. Ainsi, la sollicitation de l’art à l’école, le recours à celui-ci, ne se justifie pas par la puissance créatrice de la cité inspirée, mais par la mobilisation du seul domaine pouvant accueillir, dans des compromis vivants, la pluralité des mondes, la diversité des valeurs : le domaine de l’art. Il serait tout de même pertinent d’approfondir la recherche engagée par des entretiens d’artistes qui pourraient peut-être révéler d’autres aspects.

Notre prochaine étude s’orientera du côté de la rencontre entre deux mondes, celui de l’art et celui de l’école, afin d’en comprendre les dysfonctionnements et la manière qu’ont les acteurs du projet à raconter les distorsions au sein d’un projet artistique. Cette étude qualitative fera l’objet d’entretiens semi-directifs auprès d’artistes et d’enseignants du primaire.