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C’est par une réflexion sur les ontologies de référence que Lucas soutient que l’éducation est actuellement aux prises avec une crise des valeurs. Son ouvrage, construit autour d’un mouvement dialectique entre modernisme et postmodernisme, comprend une introduction, cinq chapitres (divisés en deux parties – « Valeurs de la raison » ; « Valeurs de la matière ») et une conclusion, très brève. Selon Lucas, en instituant la raison comme une faculté naturelle permettant à chacun de se rendre libre par la connaissance, le modernisme pose les bases d’une égalité et d’une liberté théorique ou potentielle pour tous. En revanche, puisque le postmodernisme fonde l’égalité et la liberté non pas sur une capacité naturelle à actualiser – comme c’est le cas de l’usage de la raison –, mais bien sur des facultés naturelles spontanées, celui-ci conduirait à l’égalitarisme, au libertarisme, au subjectivisme et au relativisme absolu, récusant du coup toute forme de rationalité et d’autorité.
Sous l’angle pédagogique, cet exercice dialectique conduit l’auteur à poser que le modernisme vise le développement de la raison par une transmission de connaissances objectives. Bien qu’il considère essentielle cette relation de transmission, il émet tout de même des réserves sur la domination du parangon scientifique, puisqu’il pave la voie à une matérialisation des connaissances et à une conception encyclopédique de l’acte d’apprendre. Lucas se livre cependant à une véritable diatribe à propos des valeurs pédagogiques postmodernes. Selon lui, cette ontologie dissout la rationalité de l’objet, ce qui prive la relation éducative de référents objectifs, et par là, de l’autorité essentielle à la transmission. Lucas qualifie ce modèle de pédocentrique et soutient qu’il abandonne l’enfant à ses propres désirs ainsi qu’à ce qui lui apparaît spontanément. Centrée davantage sur la communication que sur la compréhension, l’éducation postmoderne prend, aux yeux de Lucas, les allures d’un parc d’attraction.
Le style clair de l’auteur et l’attention portée à la question des ontologies de référence en éducation sont les principales qualités de l’ouvrage. Cependant, quoique nécessaire, l’ontologie n’est pas suffisante : elle doit aussi être liée à une épistémologie et à une psychologie de l’éducation, ce qui est entièrement ignoré par Lucas. De plus, le recours à une logique dichotomique entre objectivité et subjectivité le conduit à négliger les notions fondamentales d’objectivation et de viabilité, qui sont pourtant au coeur de l’épistémologie constructiviste. Ainsi, il confond malhabilement subjectivisme, relativisme et constructivisme. Cette approche binaire, combinée à une critique acerbe du postmodernisme – fondée essentiellement sur une analyse théorique –, aboutit à des lieux communs peu justifiés qui non seulement ne conduisent pas à identifier des voies autres (ce qu’aurait apprécié le lecteur), mais fait également complètement abstraction de la réalité de la classe. En proportion, les questions éducatives demeurent secondaires, conduisant du coup l’auteur à les traiter de manière par trop expéditive. En témoigne sa techno-diatribe qui néglige totalement les apports pédagogiques des technologies de l’information et de la communication. En somme, l’argumentaire présenté par Lucas comprend nombre de faux dilemmes et de « pentes glissantes » qui ont malheureusement peu à voir avec une démarche heuristique.