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Plusieurs expériences surprenantes et méconnues privilégient le livre comme outil d’intervention auprès de populations en grande vulnérabilité, qu’il s’agisse de situations de conflit armé, d’exclusion sociale ou de crise économique. Alors que l’on pourrait s’attendre à ce que les interventions menées auprès de ces personnes visent avant tout à combler leurs besoins de base, nourriture, abri, vêtements, ce livre présente des initiatives pour le moins inhabituelles. À travers l’analyse de ces dispositifs, l’auteure montre comment la littérature, la poésie, les contes peuvent devenir autant de moyens de faire face à l’adversité.
Dans le cadre de ces expériences, le livre n’est surtout pas un objet d’exclusion réservé à une élite, mais il devient plutôt un détour par lequel les participants parviennent à apporter du sens à leur vie. La rencontre avec des textes, des auteurs, permet à ces gens de devenir les narrateurs de leur propre histoire. L’auteure fait ressortir des traits communs qui relient ces expériences. Notamment, on apprend que la qualité de l’accueil réservé à l’autre est le point de départ incontournable. Également, ces interventions misent sur des lieux collectifs où chacun a un rôle à jouer et exerce un pouvoir tant dans le choix des textes que dans le partage des interprétations. Par ailleurs, un profond respect de tous est omniprésent et l’écoute de l’autre s’avère indissociable de la découverte de textes. Ce respect englobe la culture d’appartenance de chacun, puisque souvent les participants sont des personnes qui ont vécu un exil. Même si les dispositifs peuvent paraître simples à prime abord, les personnes responsables de ces diverses interventions ont un rôle délicat à jouer auprès des participants. Parfois, une partie de leur travail consiste à lire les textes à des participants qui ont toujours été tenus loin de l’écrit. Ils doivent aussi observer les réactions des participants, s’adapter à eux, choisir les textes en conséquence. Pour une large part, la démarche de ces médiateurs est intuitive et fondée sur l’expérience ainsi que sur une démarche réflexive et de partage entre eux.
Dans ce livre, Michèle Petit se livre à une analyse en profondeur de ces interventions qui rejoignent une grande diversité de gens. Résolument passionnée par ce sujet, elle livre une réflexion appuyée sur une longue expérience. Elle étaye son propos de nombreuses citations provenant d’auteurs qui commentent certaines de ces expériences, mais aussi d’autres sources provenant de domaines aussi variés que la psychanalyse, la littérature et les arts. Bien qu’une telle approche puisse témoigner de l’existence d’une préoccupation partagée pour le grand pouvoir de la lecture, certains reprocheront à ce livre de ne pas offrir une description explicite de ces expériences qui piquent la curiosité, qui déconcertent par leur simplicité apparente, mais aussi pour tout le potentiel qu’elles recèlent. Avec générosité, l’auteure nous fait partager le fruit de son analyse. Toutefois, le portrait de ces expériences demeure plutôt impressionniste, et le lecteur n’a pas toujours les informations nécessaires pour s’en faire une idée précise. Ce livre constitue une invitation convaincante à créer des occasions de partage de cette richesse collective, dont même les personnes en situation difficile peuvent profiter.