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1. Introduction

Une des orientations actuelles en milieu scolaire est d’instituer ou de renforcer la mise en oeuvre d’actions en éducation à la santé. Ces actions ont pour objectif de faciliter l’acquisition, par les élèves, d’aptitudes et de capacités à faire des choix judicieux pour leur santé et leur bien-être (Organisation mondiale de la Santé, 1986). Cet effort découle des préoccupations soulevées par les données épidémiologiques recueillies auprès des jeunes. Ces données montrent l’urgence d’agir sur les représentations des enfants et des adolescents afin de les aider à adopter de saines habitudes de vie. Le milieu scolaire est donc amené à contribuer substantiellement à la promotion de la santé en consolidant la place occupée par l’éducation à la santé à l’école.

L’éducation à la santé a fait l’objet de définitions aussi nombreuses que variées. Toutefois, deux tendances dominantes, apparemment opposées, émergent de ces définitions (Turcotte, Gaudreau et Otis, 2007). La première gravite autour de la notion de modification des comportements, où l’éducation à la santé est centrée sur l’apprentissage des comportements favorables à la prévention des risques existants pour la santé (Green et Kreuter, 1991). La deuxième tendance contraste avec la précédente, en délaissant la notion de modification de comportements pour s’orienter vers le développement d’un processus éducatif en matière de santé et de bien-être. Ce processus a pour but de favoriser l’acquisition des compétences nécessaires à la résolution des problèmes de santé et de bien-être (Mérini, Jourdan, Victor, Berger et de Peretti, 2004). Ces deux tendances influencent la nature de l’éducation à la santé présente en milieu scolaire ainsi que les interventions qui y sont menées.

Dans les deux dernières décennies, la transformation des curriculums a permis de consolider les modalités d’inclusion de l’éducation à la santé dans le cadre scolaire. Toutefois, de l’analyse des curriculums se dégagent une multitude d’approches pour inclure l’éducation à la santé. Comme le souligne Motta (1998), l’inclusion de l’éducation à la santé se présente sous plusieurs formes : une discipline unique, un domaine d’intervention, une thématique transversale ou en inclusion dans d’autres disciplines. Selon Manidi et Dafflon-Arvanitou (2000), la présence d’approches diversifiées est principalement reliée au fait que l’éducation à la santé relève de plusieurs disciplines ou domaines d’enseignement. Ainsi, les rapports entre l’éducation à la santé et le milieu scolaire sont très variables et montrent la difficulté d’identifier la niche la plus appropriée pour l’éducation à la santé (Ridge, Northfield, St Leger, Marshall, Sheehan et Maher, 2002).

Au Québec, la dernière réforme du programme de formation en enseignement préscolaire et primaire (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001) se traduit notamment par l’inclusion de l’éducation à la santé dans les programmes disciplinaires reliés à l’éducation physique et à la santé ainsi qu’à la science et à la technologie. Toutefois, l’enseignement en éducation à la santé n’est pas une exclusivité de ces deux programmes disciplinaires, puisqu’un domaine général de formation aborde également la santé et le bien-être (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). On retrouve donc une variété de modalités d’inclusion de l’éducation à la santé dans ce programme de formation.

Dans cet article, nous présentons une recherche sur les pratiques pédagogiques d’éducateurs physiques du primaire qui visait à cerner l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique. Il convient d’abord d’illustrer le contexte entourant ce phénomène, pour ensuite exposer le cadre d’analyse privilégié pour l’étude des pratiques pédagogiques en cause dans l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique. Suivront la démarche méthodologique et la présentation des résultats de cette recherche, qui seront par la suite discutés.

2. Problématique

Au Québec, l’éducation physique passe actuellement par une période de réorientation importante quant au rôle qu’elle doit jouer à l’école, notamment en matière de santé. Plus particulièrement, les défis soulevés par l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique nécessitent que l’on prenne en compte l’inclusion d’un champ de l’éducation dans un autre. Selon le nouveau programme québécois d’éducation physique et à la santé, l’Adoption d’un mode de vie sain et actif doit permettre à l’élève de s’engager dans une démarche visant l’amélioration de ses habitudes de vie au regard de sa santé et de son bien-être (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). La mise en oeuvre de cette compétence disciplinaire du programme de formation en éducation physique et à la santé s’effectue en fonction des quatre composantes sur lesquelles elle repose : 1) analyser les effets de certaines habitudes de vie sur sa santé et son bien-être ; 2) planifier une démarche visant à modifier certaines de ses habitudes de vie ; 3) s’engager dans une démarche visant à modifier certaines de ses habitudes de vie ; 4) établir le bilan de sa démarche. Ces composantes orientent le caractère de l’apprentissage visé par les nouveaux programmes ainsi que les pratiques pédagogiques escomptées. L’orientation privilégiée suppose une éducation à la santé médiatrice entre l’élève et son environnement afin d’accéder à une gestion appropriative de sa santé et de son bien-être. En somme, la mise en oeuvre de l’éducation à la santé est directement influencée par le contexte de réalisation de la compétence disciplinaire Adopter un mode de vie sain et actif. Ainsi, il convient de se demander comment les éducateurs physiques abordent l’enseignement en éducation à la santé, vu les nombreux changements apportés au programme de formation disciplinaire. Cette question constitue le point de départ de cette recherche.

2.1 Les pratiques pédagogiques d’éducateurs physiques

Cette question est d’autant plus légitime qu’elle est évoquée par certains travaux de recherche qui montrent un décalage important entre les pratiques pédagogiques réelles des éducateurs physiques et celles préconisées en éducation à la santé. Ainsi, les résultats de l’étude de Cogérino (1999) indiquent que les éducateurs physiques rencontrent d’importantes difficultés pour inclure l’éducation à la santé dans leurs pratiques d’enseignement quotidiennes. Cogérino, Marzin et Méchin (1998) soulignent que la promotion en matière de santé est, pour ainsi dire, absente des priorités des enseignants d’éducation physique français. Leurs pratiques d’enseignement correspondent à celles des éducateurs physiques américains et britanniques (Kimiecik et Lawson, 1996 ; Motta, 1998). Pour ces derniers, l’éducation à la santé se caractérise par une prévalence de la dimension physiologique de la santé au détriment de ses autres dimensions. Manidi et Dafflon-Arvanitou (2000) indiquent que le décalage entre les intentions et les mises en oeuvre relatives à une éducation à la santé en éducation physique serait le résultat de la confrontation à différents obstacles. Divers auteurs en ont signalé plusieurs : le manque de temps d’enseignement, le manque de préparation professionnelle lors de la formation initiale et durant les formations continues, le manque de ressources matérielles, les difficultés dans l’évaluation des apprentissages, la difficulté à établir un partenariat avec d’autres intervenants, l’empiètement du temps d’enseignement en éducation à la santé sur celui de l’éducation physique et un programme de formation imprécis et peu détaillé, entre autres (Beaudoin, Trudel et Mathias, 2006 ; Bizzonni-Prévieux, Grenier, Mérini, Jourdan et Otis, 2008 ; Manidi et Dafflon-Arvanitou, 2000 ; Michaud, 2002 ; Smith, Steckler, McCormick et McLeroy, 1995).

2.2 Les conceptions sous-jacentes à l’enseignement de l’éducation à la santé

Par ailleurs, au-delà de ces nombreux obstacles, il apparaît que la conception des éducateurs physiques à l’égard de l’éducation à la santé crée une distorsion quant à leur représentation de la légitimité disciplinaire (Cogérino et collab., 1998). Les points de vue des enseignants s’opposent quant aux contenus d’enseignement-apprentissage associés à l’objectif d’éducation à la santé dans les programmes d’éducation physique et quant aux conditions de mise en oeuvre de cet enseignement. Il s’avère déterminant de mieux connaître la conception des éducateurs physiques afin d’aider les éducateurs physiques (donc eux-mêmes) à structurer leur enseignement en éducation de la santé (Turcotte, Otis, et Gaudreau, 2008).

À la lumière de ces constats, l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique soulève donc de multiples interrogations quant à sa mise en oeuvre par des éducateurs physiques. C’est dans cette perspective que la présente recherche examine les pratiques pédagogiques d’éducateurs physiques, afin de mieux comprendre la mise en oeuvre de l’éducation à la santé dans le programme d’éducation physique et à la santé. Les objectifs de cette recherche étaient 1) d’identifier et de décrire les principales pratiques pédagogiques d’éducateurs physiques québécois du primaire lorsqu’ils interviennent en éducation à la santé ; et 2) de dégager les motifs invoqués par ces derniers dans le choix de ces pratiques.

3. Contexte théorique

Les travaux de recherche en lien avec l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique sont peu abondants, ce qui s’explique en grande partie par un intérêt relativement nouveau à l’égard de cet objet d’étude. Toutefois, deux études citées précédemment sont particulièrement pertinentes à ce sujet, et leurs aspects méthodologiques permettent de voir sous quels angles l’inclusion de l’éducation à la santé a été étudiée. Les modalités méthodologiques privilégiées dans ces deux études mettent en relief une tendance principale lorsqu’il est question de l’analyse des pratiques enseignantes. Dans cette tendance, le chercheur utilise uniquement le participant à la recherche en tant que médiateur de la connaissance de ses propres pratiques (Marcel, Olry, Rothier-Bautzer et Sonntag, 2002). Il a ainsi recours aux pratiques déclarées comme porte d’entrée sur la pratique enseignante à partir de : 1) l’identification des conceptions et des pratiques en présence chez les enseignants en éducation physique à partir de deux enquêtes par questionnaire (Cogérino 1999) ; 2) l’identification des perceptions en lien avec l’inclusion de l’éducation à la santé dans le programme d’éducation physique à partir d’entrevues semi-structurées (Michaud, 2002). Comme le mentionne Cogérino (1999), l’analyse des pratiques déclarées ne rend pas compte du curriculum réel, celui qui n’existe que dans l’interaction entre l’enseignant et sa classe.

Dans la présente recherche, les pratiques pédagogiques sont étudiées sous l’angle des pratiques déclarées et constatées (Marcel et collab., 2002), en plus de considérer les motifs invoqués par les enseignants dans le choix de ces pratiques. Pour cette recherche, la pratique pédagogique a été définie comme l’ensemble des actions (ce qui est dit et fait) des enseignants (Tupin, 2003) ainsi que les prises de décision qui se produisent avant, durant et après l’enseignement (Altet, 2002 ; Donney et Bru, 2002), sans oublier le milieu dans lequel s’actualise l’enseignement (Bressoux, Bru, Altet et Leconte-Lambert, 1999).

Le modèle de Dunkin et Biddle (1974) a permis de déterminer les éléments constitutifs du processus d’enseignement-apprentissage utiles pour l’analyse des pratiques pédagogiques. Ce modèle est constitué de quatre variables : 1) les variables de présage (les éléments liés à l’enseignant) ; 2) de contexte (les éléments liés aux élèves et au contexte d’enseignement) ; 3) de processus (processus d’interactions entre les comportements de l’enseignant et les comportements de l’élève) ; 4) de produit (les effets immédiats et à long terme sur l’élève). Les composantes de ce modèle ont servi à constituer les objets d’intérêt abordés par les instruments de cueillette de données. En effet, la table de spécifications de ces instruments comportait des variables identifiées dans ce modèle, mais excluait les variables de contexte et de processus se rapportant à l’élève ainsi que les variables de produit. En outre, la variable programme de Brunelle, Drouin, Godbout et Tousignant (1988) a été intégrée au modèle de Dunkin et Biddle afin de tenir compte de l’influence du nouveau curriculum québécois sur les pratiques enseignantes. Toutefois, le modèle n’est pas utilisé ici pour analyser le processus d’enseignement-apprentissage ; en effet, notre intérêt réside uniquement dans l’analyse des pratiques pédagogiques des éducateurs physiques. Par conséquent, pour l’analyse des pratiques pédagogiques, il n’est pas nécessaire de recourir à des modèles systémiques, interactifs ou écologiques, puisque celui de Dunkin et Biddle (1974) convient très bien pour mettre en relief les pratiques pédagogiques des éducateurs physiques.

4. Méthodologie

L’approche de recherche privilégiée était fondée sur une logique qualitative / interprétative (Savoie-Zacj, 2004). Cette approche a été choisie parce qu’elle permet de caractériser les pratiques pédagogiques des éducateurs physiques et parce qu’elle favorise la compréhension des motifs invoqués dans le choix de ces pratiques. La démarche méthodologique repose sur l’étude de cas multiples (Yin, 2003) à double stratégie d’analyse, à savoir intrasujet et intersujet (Creswell, 2003). Ce type de démarche a permis de découvrir les convergences entre les différents cas à l’étude, tout en considérant les particularités propres à chacun des cas. Comme le soulignent Champagne, Brousselle, Hartz, Contandriopoulos et Denis (2009), l’étude de cas est une stratégie de recherche efficace lorsqu’il est question d’analyser l’implantation d’une intervention, ce qui est le cas dans la présente recherche.

4.1 Sujets

Un échantillonnage intentionnel des participants a été effectué afin de diversifier le profil des éducateurs physiques. À cet effet, nous avons retenu trois paramètres de diversification : 1) le genre ; 2) l’indice de milieu socio-économique de l’école ; 3) l’expérience d’enseignement. Ces paramètres ont été choisis parce qu’ils sont associés au profil des éducateurs physiques (genre et expérience d’enseignement) ou à celui des écoles (l’indice de milieu socio-économique). Ainsi, cet échantillon ne visait pas la représentativité d’un profil particulier, mais bien une diversité d’expériences illustrée par les profils correspondant à toutes les combinaisons possibles des trois paramètres. Cette diversité définit donc l’échantillon théorique de cette recherche (12 profils).

L’échantillon réel des cas finalement obtenus était composé de dix éducateurs physiques qui ont participé sur une base volontaire, six hommes et quatre femmes, âgés entre 24 et 51 ans. Sept des douze profils recherchés selon les paramètres de l’échantillonnage intentionnel se sont trouvés représentés par ces cas. Parmi ces dix éducateurs physiques, neuf sont détenteurs d’un baccalauréat en enseignement de l’éducation physique. L’année d’obtention du diplôme se situe entre 1976 et 2002. Un seul de ces neuf enseignants détient un baccalauréat en enseignement de l’éducation physique et à la santé. Enfin, un autre enseignant est détenteur d’un baccalauréat en enseignement des sciences au secondaire obtenu en 2002, et il n’a pas de formation spécifique en éducation physique.

4.2 Instrumentation

Chacun des participants devait répondre à un questionnaire, être filmé lors de l’enseignement en éducation à la santé et participer à une entrevue. Cependant, un enseignant n’a pas pu recevoir l’autorisation nécessaire pour procéder à l’enregistrement des séances d’enseignement et à la réalisation de l’entrevue. Ainsi, dix enseignants ont répondu au questionnaire, mais neuf ont participé à l’enregistrement de séances d’observation et à des entrevues.

4.2.1 Questionnaire

Les questions posées se rapportaient aux pratiques pédagogiques de l’année scolaire 2003-2004. Le questionnaire comprenait huit sections où les enseignants devaient répondre à des questions à l’aide d’échelles de réponses et de listes d’items nécessitant de cocher ou d’encercler une ou plusieurs cases, et fournir des réponses courtes à certaines questions ou des réponses à développement court à d’autres questions. La première version du questionnaire a été examinée selon une méthode par jugements en vue de procéder à sa validation au plan du contenu. Cette validation a été réalisée par trois spécialistes en éducation : un du domaine de l’éducation physique, un autre du domaine de l’éducation à la santé et un dernier du domaine de l’évaluation et de la méthodologie de la recherche. Ensuite, quatre intervenants en éducation physique ont répondu au questionnaire individuellement : un conseiller pédagogique en éducation physique, un superviseur universitaire de stages et deux éducateurs physiques du primaire. Par la suite, les modifications ont été effectuées avant de procéder à la cueillette de données.

4.2.2 Observation

La grille d’observation utilisée est à catégories prédéterminées, à l’exception de deux catégories (les savoirs essentiels ainsi que le matériel et les outils didactiques), pour lesquelles d’autres réponses pouvaient se greffer à celles identifiées au départ. Cette grille d’observation reposait sur une stratégie d’observation événementielle, c’est-à-dire que les épisodes étaient notés selon leur moment d’apparition au cours d’une séance.

La grille d’observation utilisée a permis d’identifier et de décrire les pratiques pédagogiques reliées à 13 catégories : 1) le type d’intervention, 2) la cible, 3) la relation avec les deux autres compétences disciplinaires (Agir et Interagir dans divers contextes de pratique d’activités physiques), 4) l’endroit de l’intervention, 5) les savoirs essentiels, 6) la collaboration, 7) le partenariat, 8) le choix des activités d’apprentissage, 9) le choix des contenus d’apprentissage, 10) le contrôle de la démarche d’apprentissage, 11) l’évaluation, 12) l’acteur pédagogique qui réalise l’évaluation et 13) le matériel ou les outils didactiques.

4.2.3 Entrevue

Le guide d’entrevue a été conçu de façon à mettre en relation les pratiques déclarées (questionnaire) et les pratiques constatées (observation) des enseignants. À cet effet, les réponses inscrites au questionnaire et les observations ont été utilisées dans la préparation des différentes questions qui y étaient directement reliées. De ce fait, les informations recueillies précisent les choix et la mise en place des pratiques pédagogiques en éducation à la santé de chacun des enseignants.

4.3 Déroulement

La collecte de données s’est échelonnée sur une période de quatre mois, de mars 2004 à juin 2004. Le questionnaire utilisé était de type auto-administré et il devait avoir été rempli avant l’observation des séances d’enseignement. Ce questionnaire a été remis personnellement à chacun des enseignants lors de la première rencontre de planification de la collecte de données, et les explications pour le remplir ont été données oralement à ce moment. Lors de cette première rencontre avec les enseignants, ceux-ci recevaient une description écrite des objectifs, des règles déontologiques, des risques et de leurs droits quant à la participation à chacune des trois phases de cueillette de données.

Au total, 45 séances d’enseignement en éducation physique et à la santé (quatre séances pour deux enseignants, cinq séances pour cinq enseignants et six séances pour deux enseignants) ont été filmées durant l’année scolaire 2003-2004. Ces 45 séances d’enseignement concernent des classes régulières des trois cycles d’études à l’enseignement primaire (6 à 12 ans). La durée des séances variait de 35 à 75 minutes.

Deux caméras vidéo étaient en fonction durant l’observation des séances d’enseignement. La première a permis des prises de vue à partir d’un coin isolé et non utilisé du plateau d’enseignement, afin que l’enseignant et le plus grand nombre d’élèves possible apparaissent simultanément dans le champ de la caméra. Une seconde caméra, utilisée en plan rapproché, était destinée à l’enregistrement des comportements et du contenu oral de l’intervention de l’enseignant.

Enfin, les motifs invoqués par les participants dans le choix des pratiques pédagogiques en éducation à la santé ont été recueillis lors d’entrevues semi-dirigées qui duraient de 60 à 90 minutes ; celles-ci ont été réalisées dans le milieu de travail de l’enseignant, durant la semaine suivant la fin de l’enregistrement des séances d’enseignement. Les propos des éducateurs physiques ont été enregistrés sur des cassettes audio, puis transcrits intégralement afin de conserver l’ensemble des points de vue exprimés.

4.4 Méthodes d’analyse des données

Une stratégie d’analyse vidéoscopique en différé a permis le repérage des épisodes d’enseignement en éducation à la santé. Trois observateurs ont participé au repérage de ces épisodes en fonction de leur présence à l’intérieur des trois étapes d’une séance (Ouellet, 1997) : la préparation, la réalisation et l’intégration. Ces trois moments nous ont permis de fractionner les séquences d’enseignement dans le but de décrire le contenu de chacune d’entre elles. Ainsi, les épisodes d’enseignement en éducation à la santé indiqués à l’intérieur de chacun de ces moments répondent aux caractéristiques propres de chacun des trois moments d’une séance. Voici une description détaillée de ces trois moments :

  1. la préparation : moment du cours où l’on suscite la motivation de l’élève et où celui-ci entre en contact avec l’objet d’apprentissage, prend conscience des connaissances et des compétences qu’il possède pour s’engager dans la démarche

    Ouellet, 1997
  2. la réalisation : moment où l’élève explore, exploite, organise et structure l’objet d’apprentissage par sa participation à des tâches d’apprentissage dont la configuration peut varier selon le style d’enseignement emprunté

    Ouellet, 1997
  3. l’intégration : moment où l’on objective, à la fin de la séquence d’apprentissage, les connaissances acquises, ainsi que les stratégies cognitives et métacognitives mises en oeuvre pour les évaluer, les généraliser et les transférer dans d’autres situations

    Ouellet, 1997

De plus, une fragmentation intramoment a été réalisée afin d’isoler, à l’intérieur d’un même moment, l’ensemble des interventions effectuées par les enseignants en relation avec différents savoirs essentiels. Ainsi, lors d’un moment spécifique, il n’est pas rare que l’enseignant intervienne sur plusieurs savoirs essentiels dans un court laps de temps. Par cette fragmentation intramoment, plusieurs épisodes en relation avec différents savoirs essentiels ont été identifiés et analysés de façon indépendante.

Les trois observateurs avaient été formés pendant près de 20 heures à l’utilisation de la grille d’observation. Cette formation visait à les familiariser avec les différentes catégories de la grille d’observation et à les entraîner à l’utiliser. Durant l’analyse des données, 10 tests de fidélité ont été effectués et un taux d’accord de 83 % a été obtenu quant au repérage des épisodes d’enseignement. À cinq occasions, lors de ces 10 tests de fidélité, trois catégories de la grille d’observation ont obtenu des coefficients de fidélité en dessous de 85 %. À deux reprises, celui de la relation avec les deux autres compétences disciplinaires était de 50 % et 81 %. Également, à deux reprises, celui des savoirs essentiels était de 61 % et 82 % et enfin, à une occasion, celui du contrôle de la démarche d’apprentissage était de 78 %. Ces résultats montrent que les taux d’accords obtenus entre les trois observateurs sont suffisants pour valider les données recueillies à partir de l’observation vidéoscopique.

Les analyses des réponses fournies au questionnaire par les participants ainsi que celles réalisées à partir de l’identification des épisodes d’enseignement en éducation à la santé ont été effectuées à l’aide de statistiques descriptives (moyennes, écarts-types, pourcentages et fréquences).

Les données qualitatives recueillies lors des entrevues semi-dirigées ont été traitées selon une stratégie d’analyse mixte, à partir du processus d’analyse de contenu décrit par L’Écuyer (1987). Cependant, la démarche d’analyse a été adaptée dans le cadre de la présente recherche, étant donné que les éléments constitutifs des variables de processus du modèle de Dunkin et Biddle (1974) servaient de catégories de classification. Par conséquent, la stratégie d’analyse utilisée comporte quatre étapes au lieu de six : 1) lectures préliminaires des données et établissement de la liste des énoncés. La liste des énoncés correspond à l’identification des unités d’analyse, et peut se définir comme la plus petite unité de signification des propos recueillis auprès des participants. Les trois autres étapes sont les suivantes : 2) le regroupement des énoncés ; 3) l’identification des sous-catégories ; 4) la description des résultats.

4.5 Considérations éthiques

Préalablement à la cueillette de données, une autorisation écrite a été demandée aux commissions scolaires, aux éducateurs physiques ainsi qu’aux parents des élèves, afin de pouvoir réaliser les différentes étapes de cette recherche. En particulier, des stratégies d’évitement ont été mises en place pour ne pas filmer les élèves qui n’avaient pas reçu l’autorisation de participer à cette recherche. Également, les mesures nécessaires ont été prises pour que les résultats du projet soient traités de façon anonyme et à l’abri de toute information qui permettrait d’identifier l’enseignant, les élèves, l’école et la commission scolaire. À cet égard, seuls les membres de l’équipe de recherche ont eu accès aux données, et les noms de l’enseignant et de l’institution ont été remplacés par des pseudonymes de manière à protéger l’anonymat. De plus, dans l’utilisation de citations, les indices permettant d’identifier les enseignants, les commissions scolaires et les écoles ont été protégés.

5. Résultats

Nos résultats relèvent respectivement des fondements sur lesquels reposent le phénomène à l’étude (le pourquoi), des objets d’enseignement-apprentissage qui sont en cause (le quoi) et de l’intervention pédagogique à laquelle il donne lieu (le comment). Les résultats issus du pourquoi proviennent uniquement des entrevues réalisées avec les enseignants, alors que les résultats du quoi et du comment découlent de la mise en commun des données obtenues dans le questionnaire, lors des observations vidéoscopiques et lors de la réalisation des entrevues.

5.1 Le pourquoi

En fonction des propos recueillis lors des entrevues, il est possible de dégager quatre conceptions prédominantes de l’enseignement en éducation à la santé. Deux sont reliées aux savoir-faire et partagées par six enseignants, une autre combine les savoir-faire et les savoirs théoriques chez un enseignant, alors que la dernière repose uniquement sur les savoirs théoriques d’éducation à la santé et elle est partagée par trois enseignants. De ces quatre conceptions se dégagent, à leur tour, deux orientations pédagogiques prédominantes. La figure 1 présente ces quatre conceptions en fonction de quatre catégories d’analyse : le postulat de départ, la mise en application, l’effet recherché et la conséquence prévue. Les quatre conceptions convergent sur une même conséquence prévue, c’est-à-dire l’adoption, la transformation ou le maintien des habitudes de vie. En dehors de ce point commun, elles se distinguent les unes des autres par la manière dont elles parviennent à la finalité recherchée.

Figure 1

Conceptions émergentes de l’enseignement en éducation à la santé d’éducateurs physiques

Conceptions émergentes de l’enseignement en éducation à la santé d’éducateurs physiques

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Le postulat de départ associé à la première conception (enseignants 2, 3, 4 et 6) suppose qu’il est possible d’amener les élèves à intervenir directement sur leurs habitudes de vie à partir de l’enseignement des différents savoir-faire de l’éducation physique. Le savoir-faire vise l’édification d’attitudes et de valeurs de promotion de la santé grâce à la pratique de diverses activités physiques et grâce au développement des habiletés motrices. Ces enseignants considèrent que la pratique régulière d’activités physiques constitue l’élément de base de l’enseignement en éducation à la santé et que les autres savoirs sont complémentaires.

En éducation physique, le but est de leur donner de bonnes habitudes pour que les élèves puissent être en mesure d’en développer des bonnes afin d’être plus actifs. Puis, qu’ils soient capables de les développer maintenant pour pouvoir les maintenir en vieillissant. Donc, tout en tournant autour d’être actif.

Enseignant 2

La deuxième conception (enseignants 7 et 8) repose sur le même postulat de départ que celui de la première conception. Cependant, sa mise en application diffère, puisqu’elle dépend ici de la capacité des élèves à différencier les bonnes et les mauvaises habitudes de vie à partir de l’enseignement des différents savoir-faire et non de leur mise en action. Les deux enseignants qui partagent la deuxième conception mentionnent que la connaissance du corps humain est un préalable nécessaire à l’élève afin qu’il parvienne à différencier les bonnes habitudes de vie des mauvaises. Ainsi, ces deux enseignants croient que les élèves seraient en mesure d’exercer un meilleur contrôle sur leurs propres comportements relatifs à la santé, ce qui leur permettrait également de contrer l’influence de leur environnement social.

La troisième conception (enseignant 1) a comme postulat l’enseignement des savoirs théoriques d’éducation à la santé et des savoir-faire de l’éducation physique en lien avec l’éducation à la santé. Selon cette troisième conception, l’enseignement a pour but de permettre aux élèves de différencier les bonnes habitudes de vie des mauvaises, étant donné que la différenciation des habitudes de vie permettrait aux élèves d’accéder à une responsabilisation individuelle de leurs comportements relatifs à la santé.

Ce sont les habitudes de vie qu’on souhaite modifier, ce qu’on vise en tout cas. Puis ce qu’on souhaite aussi, c’est que l’enfant en arrive à se responsabiliser face à ses habitudes de vie. Ils doivent prendre conscience dans le fond des habitudes de vie, c’est quoi les bonnes habitudes, c’est quoi les mauvaises habitudes et qu’est-ce que moi je peux faire pour améliorer les miennes. C’est dans l’Agir et l’Interagir, ils doivent sentir qu’ils sont responsables de leur développement ainsi que de leur progression. Cependant, le volet santé est plus que cela. C’est quelque chose de plus théorique. L’aspect cognitif joue un rôle majeur dans la responsabilisation individuelle.

Enseignant 1

Enfin, selon la quatrième conception (enseignants 5, 9 et 10), un élève averti devrait être en mesure de prendre les décisions qui s’imposent afin d’avoir de bonnes habitudes de vie. Cette conception postule au départ qu’il faut recourir aux savoirs théoriques de l’éducation à la santé. L’enseignement repose donc sur la transmission de connaissances qui influenceraient positivement le processus décisionnel de l’élève et qui lui permettraient de se responsabiliser quant à ses comportements relatifs à la santé.

On leur permet d’avoir accès à un certain bagage de connaissances afin de les amener à comprendre certains aspects. La connaissance de ces concepts a pour but de les amener à faire un choix par rapport à leurs habitudes de vie pour pouvoir les modifier.

Enseignant 10

5.2 Le quoi

Les objets d’enseignement-apprentissage dont il est question ici correspondent aux contenus qu’enseignent principalement des éducateurs physiques du primaire lorsqu’ils se trouvent à inclure l’éducation à la santé dans les cours d’éducation physique. Selon nos résultats, parmi l’ensemble des savoirs essentiels jugés indispensables dans le programme de formation québécois (ministère de l’Éducation du Québec, 2001), les enseignants en privilégient seulement quelques-uns : ceux qui sont en relation avec la pratique sécuritaire d’activités physiques, la condition physique ainsi que les structures et le fonctionnement du corps humain. Plus particulièrement, les observations effectuées en lien avec les savoirs prescrits (375/547) sont les suivantes : la pratique régulière d’activités physiques (25), la pratique sécuritaire d’activités physiques (154), la condition physique (98), l’hygiène corporelle (7), la relaxation (14), la gestion du stress (0), les effets de la sédentarité (0) et le fonctionnement du corps (77). Comme on peut le constater, certains savoirs essentiels sont rarement insérés dans le contenu d’enseignement réel : il s’agit de la pratique régulière de l’activité physique, de la relaxation, de l’hygiène corporelle, des effets de la sédentarité et de la gestion du stress.

Cependant, les savoirs essentiels enseignés par les éducateurs physiques qui ont participé à cette recherche sont plus nombreux et variés que ceux prescrits à l’intérieur du nouveau programme de formation. En effet, l’observation a permis d’en identifier sept (93/547) qui ne font pas partie du programme de formation au primaire, et à partir desquels les enseignants enseignent l’éducation à la santé : l’alimentation (32), les premiers soins (25), l’éthique sportive (20), l’exercice physique et le bien-être (11), le sommeil (3), les produits toxiques (1) et les drogues (1). L’alimentation a été relevée dans les observations de sept des neuf enseignants. L’alimentation est donc un savoir essentiel intégré à l’enseignement de la majorité des enseignants participants, alors que les autres savoirs ajoutés sont l’affaire de quelques-uns. De plus, certains enseignants combinent un ensemble de savoirs essentiels (79/547) afin d’intégrer un plus grand nombre d’éléments à la fois.

Il apparaît donc que les savoirs essentiels enseignés en éducation à la santé présentent certaines divergences avec ceux que l’on retrouve dans le programme québécois (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Ces divergences dans le choix des savoirs essentiels en éducation à la santé ont une conséquence sur les procédures utilisées par les éducateurs physiques pour sélectionner leur contenu d’enseignement. Parmi les éducateurs physiques participant à cette recherche, un seul mentionne se fier presque exclusivement au programme de formation dans le choix des savoirs essentiels ; les autres utilisent différents ouvrages dans le domaine ou se fient à leur gros bon sens. Il en résulte qu’une grande variété de savoirs reliés à l’éducation à la santé se trouvent inclus dans les cours d’éducation physique à l’école primaire.

Par ailleurs, les éducateurs physiques interprètent de façon variable les savoirs essentiels proposés dans le programme officiel d’éducation physique et à la santé. D’une part, la majorité des enseignants relient la pratique régulière d’activités physiques à l’importance de faire bouger les enfants à l’école ou à la maison. Ils interprètent cet objet d’enseignement-apprentissage comme un moyen pour l’élève de pratiquer un éventail d’activités physiques en dehors des cours d’éducation physique et à la santé, alors que dans le programme, cet objet est en lien avec les différents types de bienfaits (physiologiques, psychologiques et sociaux) qu’il apporte sur les plans de la santé et du bien-être. D’autre part, nos résultats indiquent que la pratique sécuritaire d’activités physiques est un savoir essentiel, rarement rattaché à la santé comme à sa promotion, par les éducateurs physiques. En fait, ce savoir essentiel vise principalement à rendre sécuritaire le déroulement des activités d’enseignement-apprentissage.

Les résultats montrent également une diversité importante du répertoire des contenus d’enseignement ainsi qu’une grande variation entre les enseignants quant à l’utilisation des contenus. De plus, la répartition des contenus d’enseignement à travers les trois cycles d’études du primaire est rarement associée à la séquence proposée dans le programme de formation. La mise en oeuvre des savoirs essentiels est donc éclatée : elle prend de multiples directions en fonction de l’approche d’enseignement privilégiée par chacun des enseignants.

5.3 Le comment

Les résultats de cette section renseignent sur la manière dont s’opérationnalise l’enseignement de l’éducation à la santé. L’analyse a en effet permis de mettre en relief les procédures d’inclusion de l’enseignement de l’éducation à la santé dans le cours d’éducation physique, les formules pédagogiques employées dans ce cas, les composantes de la compétence disciplinaire Adopter un mode de vie sain et actif, le matériel et les outils didactiques utilisés, les modalités d’évaluation des apprentissages ainsi que les collaborations avec des partenaires.

Trois procédures générales d’inclusion de l’enseignement en éducation à la santé en éducation physique se dégagent de ces résultats : 1) par projet-école (dans deux cas) ; 2) dans les cours d’éducation physique (dans sept cas) ; 3) dispensée dans les cours axés sur des connaissances théoriques en classe (dans un cas). L’enseignement en éducation à la santé reposerait ainsi sur la mise en place de diverses activités d’apprentissage à l’intérieur des cours d’éducation physique et à la santé.

Les formules pédagogiques utilisées le plus fréquemment par les enseignants en éducation physique dans la mise en oeuvre des objets d’enseignement-apprentissage en éducation à la santé sont la démonstration, les activités à intensité modérée ou élevée, les capsules-santé (courtes sessions d’informations présentées aux élèves) et les activités thématiques. La majorité des enseignants utilisent les formules pédagogiques de façon indépendante les unes des autres. Ainsi, rares sont les exemples où plusieurs formules pédagogiques sont reliées entre elles dans un but précis. Le choix de ces formules pédagogiques montre la prédominance de l’approche directive de la part des enseignants avec, en contrepartie, un usage restreint d’autres formules pédagogiques qui permettraient aux élèves de contrôler davantage la démarche.

En considérant le degré de contrôle exercé par les enseignants dans l’opérationnalisation de l’enseignement en éducation à la santé, il n’est guère étonnant de constater la quasi-absence des quatre composantes de la compétence disciplinaire Adopter un mode de vie sain et actif dans les résultats analysés. Ces composantes doivent permettre à l’élève de mettre en place une démarche personnalisée pour favoriser la transformation d’une habitude de vie. Ce type de démarche nécessite l’utilisation de formules pédagogiques à l’intérieur desquelles l’élève est aux commandes de son apprentissage. Parmi les quatre composantes, celles amenant les élèves à Analyser les effets de certaines habitudes de vie sur sa santé et son bien-être ainsi qu’à S’engager dans une démarche visant à modifier certaines de ses habitudes de vie, sont les plus fréquemment mises en oeuvre par les enseignants. La mise en action de ces deux composantes est le résultat d’activités d’apprentissage organisées par les enseignants à l’intérieur desquelles les élèves devaient réaliser une analyse de leur condition physique, de leur alimentation et de leur posture, ainsi que s’engager à pratiquer des activités physiques lors de journées d’activités spéciales à l’école, participer à des activités physiques durant l’heure du dîner, pratiquer des activités physiques en dehors des heures d’école et enseigner des thématiques provenant de l’éducation à la santé à d’autres élèves.

Les enseignants ont recours à une variété de matériel ou d’outils didactiques dans l’enseignement en éducation à la santé. Le matériel d’éducation physique, des affiches, le Guide alimentaire canadien, un cahier d’accompagnement de l’élève et des feuilles permettant de comptabiliser des résultats constituent le matériel et les outils didactiques utilisés par la majorité des enseignants impliqués. Dans la plupart des cas, les enseignants font surtout usage de matériel et d’outils didactiques créés par d’autres intervenants. Par ailleurs, le choix et le développement du matériel ou des outils didactiques s’appuient davantage sur la concordance avec les activités enseignées plutôt que sur le niveau d’apprentissage recherché.

Selon l’évaluation des apprentissages réalisée par les enseignants en éducation à la santé, celle-ci repose principalement sur une évaluation à court terme et ne sert presque uniquement qu’à l’enseignant. Les choix des conduites reliées à la démarche d’évaluation des apprentissages en éducation à la santé révèlent une évaluation centrée sur les résultats et non sur le processus, même si certains enseignants essaient de mettre en oeuvre de nouvelles pratiques d’évaluation en lien avec les éléments du programme de formation (Ministère de l’Éducation du Québec, 2001). Les principaux objets d’évaluation sont les suivants : la condition physique, l’alimentation et le port du costume d’éducation physique. Le choix de certains objets d’évaluation des apprentissages remet en cause le sens donné par les enseignants à la compétence disciplinaire Adopter un mode de vie sain et actif. De plus, les éléments propres à l’évaluation des apprentissages du nouveau programme de formation, à savoir les critères d’évaluation et les attentes de fin de cycle, sont absents des pratiques pédagogiques étudiées dans cette recherche. Il y a là un écart entre les pratiques d’évaluation des enseignants et celles qui sont préconisées en éducation à la santé.

Enfin, l’enseignement en éducation à la santé est rarement réalisé en collaboration avec d’autres intervenants. Lorsqu’une collaboration est établie, elle relève plus de l’entraide entre intervenants que d’une action concertée pour l’apprentissage. Pourtant, il semble que les enseignants soient au courant de plusieurs projets ou activités d’apprentissage en lien avec l’éducation à la santé qui se déroulent dans leur milieu scolaire. Cette situation indique une absence de partenariat, pour l’enseignement en éducation à la santé, entre les éducateurs physiques et d’autres intervenants des milieux scolaire et communautaire. Ainsi, l’enseignement en éducation à la santé réalisé par des enseignants en éducation physique et à la santé est circonscrit aux apprentissages disciplinaires.

6. Discussion des résultats

La question à laquelle cette recherche visait à répondre est la suivante : Comment l’éducation à la santé est-elle incluse en éducation physique par l’entremise des pratiques pédagogiques des éducateurs physiques du primaire ? D’abord, force a été de constater que les fondements éducatifs, les objets d’enseignement-apprentissage et les interventions pédagogiques relatifs à l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique diffèrent, par leur nature, de ceux de l’éducation à la santé. En effet, un écart important est perceptible entre les pratiques pédagogiques préconisées pour l’enseignement en éducation à la santé et celles utilisées par les enseignants en éducation physique. Les pratiques pédagogiques identifiées grâce à cette recherche sont majoritairement transposées en éducation à la santé en provenance de l’éducation physique. Ainsi, l’enseignement dispensé en éducation à la santé par les éducateurs physiques du primaire engagés dans cette recherche est rarement articulé à des pratiques abordant les valeurs, les attitudes et les responsabilités individuelles (Green, Tones et Manderscheid, 1995). Les résultats mettent ainsi en évidence le faible degré d’interdisciplinarité dans la jonction entre l’éducation à la santé et l’éducation physique.

En particulier, les deux orientations pédagogiques prédominantes diffèrent largement de celle privilégiée dans le nouveau programme de formation de l’école québécoise, qui repose sur une perspective de gestion appropriative de sa santé et de son bien-être. La première de ces deux orientations montre que l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique repose sur la mise en action de savoir-faire reliés aux actions motrices. Elle dénote une conception de l’enseignement en éducation à la santé intimement liée et empruntée à celle de l’enseignement en éducation physique, laissant supposer que c’est cette dernière qui prévaut. Cela va dans le sens des constatations de Cogérino et de ses collaboratrices (1998). Lorsque ces chercheuses ont relié les résistances des enseignants à l’égard de l’enseignement de l’éducation à la santé à la représentation qu’ils se construisent de la légitimité de leur discipline (éducation physique), elles ont aussi conclu que l’identité professionnelle des enseignants influence directement le niveau d’interconnexion de ces deux champs de l’éducation ; l’inclusion de l’éducation à la santé bouleverserait l’identité professionnelle construite par les enseignants d’éducation physique.

À l’autre pôle de cette orientation pédagogique centrée sur les savoir-faire, l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique repose sur l’acquisition, par les élèves, de différents savoirs théoriques en lien avec plusieurs thématiques de l’éducation à la santé. Cette orientation pédagogique axée sur les savoirs théoriques contraste donc avec celle présentée précédemment : elle n’est pas conforme aux tendances usuelles (observées dans cette recherche) reliées à l’identité professionnelle des enseignants en éducation physique. Elle correspond au modèle informationnel (Parcel, Kelder et Basen-Engquist, 2000) qui suppose que, si les élèves comprennent les conséquences négatives reliées à certains comportements nuisibles, ils n’adopteront pas ces derniers. Cette orientation pédagogique va à l’encontre des avis de plusieurs auteurs (Mérini et collab., 2004 ; Parcel et collab., 2000) qui rappellent que la seule transmission d’informations demeure insuffisante pour produire une modification des comportements ou des conduites individuelles.

À première vue, ces deux orientations pédagogiques semblent plutôt éloignées d’une éducation à la santé qui favorise le développement de l’autonomie et de la responsabilisation individuelle en matière de santé et de bien-être (Turcotte et collab, 2008). En effet, il est légitime de questionner la possibilité, pour les élèves, d’adopter un mode de vie sain et actif à partir d’une éducation à la santé axée sur les savoir-faire ou sur les savoirs théoriques. En ce sens, les enjeux reliés à l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique suscitent plusieurs interrogations quant à la perception des éducateurs physiques de leur rôle d’intervenant dans une perspective élargie de promotion de la santé en milieu scolaire.

Ces deux orientations pédagogiques ont une incidence directe sur le choix des objets d’enseignement-apprentissage et les interventions pédagogiques susceptibles de favoriser leur mise en oeuvre. En particulier, la première orientation, axée sur la mise en action de savoir-faire, joue un rôle prépondérant dans l’enseignement en éducation à la santé, puisqu’elle correspond à la tendance adoptée dans la majorité des cas étudiés dans cette recherche. Ainsi, les résultats obtenus vont dans le même sens que ceux d’autres chercheurs, tels Cogérino et ses collaboratrices (1998), qui soutiennent que l’éducation à la santé, comme la pratiquent les éducateurs physiques en France, se caractérise par une prévalence de la santé physiologique au détriment de ses autres dimensions. Ainsi, les objets d’enseignement-apprentissage inhérents à l’intervention pédagogique en éducation à la santé au primaire sont directement influencés par ceux issus de l’éducation physique. En fonction de ses objets d’enseignement-apprentissage, l’éducation à la santé qui se trouve incluse en éducation physique risque fort d’emprunter une démarche de développement de la santé et du bien-être centrée principalement sur le corps en action et soutenue par divers types d’activités physiques. Dans cette optique, l’éducation à la santé s’emmêle avec les pratiques de maintien de la condition physique.

Ce type d’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique est similaire à ce que l’on retrouve dans les écrits de recherche scientifique. En effet, certains travaux font état d’une propension chez les éducateurs physiques à considérer l’amélioration de la condition physique comme un des objectifs majeurs de l’éducation à la santé (Harris, 1997 ; Kimiecik et Lawson, 1996 ; Manidi et Dafflon-Arvanitou, 2000 ; Michaud, 2002). Selon Klein (1997), dans certains programmes d’éducation physique, l’éducation à la santé n’occupe qu’une position instrumentale. En ce sens, l’inclusion de l’éducation à la santé à l’éducation physique sans égard à leur interconnexion ne peut que poser des difficultés dans la mise en oeuvre, par les éducateurs physiques, de l’enseignement en éducation à la santé, ce que les résultats de notre recherche confirment.

7. Conclusion

Pour terminer, il faut en déduire que l’inclusion de l’éducation à la santé dans le programme d’éducation physique ne conduit pas automatiquement à un remaniement et à une transformation réelle des pratiques pédagogiques. En fait, il semble que cette inclusion consiste à transposer certaines pratiques pédagogiques de l’éducation physique en éducation à la santé. Par conséquent, la jonction entre les pratiques pédagogiques du champ de l’éducation à la santé à celles du champ de l’éducation physique en est encore à une étape de familiarisation. Il s’ensuit donc un faible degré d’interconnexion entre ces deux champs de l’éducation, ce qui constitue un élément majeur dans la compréhension et l’explicitation des difficultés que pose l’enseignement en éducation à la santé chez les éducateurs physiques. Le décloisonnement des pratiques pédagogiques des enseignants en éducation physique et à la santé par rapport aux pratiques traditionnelles reliées à cette discipline scolaire devrait donc être une priorité, afin de faciliter le processus d’inclusion. Ce décloisonnement ne peut s’effectuer sans clarifier les fondements sur lesquels a reposé jusqu’à maintenant l’identité professionnelle des éducateurs physiques. Ainsi pourra-t-on contrer un obstacle important pour une traduction intelligible de la mission d’éducation à la santé en éducation physique.

Les données recueillies dans la présente recherche constituent une ressource de premier ordre lorsqu’il est question de la place occupée par l’éducation à la santé en milieu scolaire. En particulier, le portrait des pratiques pédagogiques que nous avons tracé permet de mieux comprendre le processus d’inclusion disciplinaire de l’éducation à la santé en éducation physique. Ce portrait des pratiques pédagogiques reste cependant partiel et influencé par la démarche méthodologique utilisée qui ne tenait pas compte, entre autres, des comportements des élèves dans le processus d’enseignement-apprentissage. D’autres recherches s’avèrent nécessaires, car l’inclusion de l’éducation à la santé en éducation physique est en constante évolution, vu sa récente inclusion dans les programmes de formation en éducation physique. Plusieurs questions restent à résoudre. Par exemple, comment aborder l’éducation à la santé en éducation physique autrement que par les assises théoriques éducationnelles propres à l’enseignement en éducation physique ? Il devient donc indispensable de préciser et de clarifier le niveau d’interdisciplinarité plausible entre les deux champs disciplinaires afin d’identifier les points d’ancrage d’une éducation à la santé véritablement incluse en éducation physique. Cette clarification permettrait également d’établir les besoins véritables reliés à une éducation à la santé en milieu scolaire et au rôle dévolu à l’éducation physique dans la mise en oeuvre d’une approche de santé globale en milieu scolaire.