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1. Introduction et problématique

La communauté d’apprentissage constitue un dispositif de développement professionnel qui permet aux enseignants de collaborer entre eux, tout en s’appropriant les contenus des réformes de façon tangible. Ce type de regroupement leur permet de construire un savoir individuel et collectif. Comme chercheurs engagés dans une démarche de recherche et d’accompagnement au niveau du développement professionnel des enseignants dans une communauté d’apprentissage, nous avons cherché à définir cette notion. En effet, la documentation scientifique présente un important flou conceptuel entourant ce concept. L’objectif de l’analyse présentée ici consiste donc à définir la communauté d’apprentissage considérée comme dispositif de développement professionnel des enseignants, grâce à l’analyse de contenu de huit ouvrages choisis sur le thème. De plus, l’analyse vise à fournir des repères sur les principales caractéristiques d’une communauté d’apprentissage. La production de savoir recherchée dans cette étude comporte deux volets : théorique et pragmatique. D’un point de vue théorique, la définition présentée vise à satisfaire notre quête de sens entourant la notion théorique de la communauté d’apprentissage. Dans une perspective pragmatique, la précision des caractéristiques du dispositif de la communauté d’apprentissage fournit aux enseignants, et à tous ceux qui les accompagnent, une meilleure connaissance des mécanismes pratiques pour mettre en oeuvre ce type de dispositif et soutenir la réussite scolaire.

Miser uniquement sur des réformes curriculaires en éducation s’avère insuffisant pour améliorer l’apprentissage des élèves. Plusieurs études révèlent qu’il est nécessaire de travailler avec les enseignants dans leur environnement et de les assister dans leur développement professionnel pour accroître l’apprentissage des élèves (Barth, 2002 ; Cooper, Peterson et Broad, 2003 ; Darling-Hammond, 1998 ; Fullan, 1999 ; Goldston et Shroyer, 2000). Dans le domaine de la formation continue, des auteurs reconnaissent le rôle central du contexte social et l’importance de l’ancrage du dispositif dans la tâche quotidienne des praticiens pour amener ceux-ci à effectuer des ajustements dans leurs pratiques pédagogiques (Erickson, 1991 ; Hofstein, Carmeli et Shore, 2004). Les enseignants doivent ainsi pouvoir bénéficier de multiples possibilités de se développer et d’ajuster leurs pratiques collectivement, dans le contexte réel de leur travail quotidien (job-embedded-learning) (Seidel Horn, 2003 ; Sparks, 1999). Ainsi, la communauté d’apprentissage se présente comme un dispositif de développement professionnel qui fonctionne grâce au partage collectif d’enseignants concernant leur pratique pédagogique (Cochran-Smith et Lytle, 1999a). Le développement professionnel qui s’insère dans ce dispositif se rattache à une construction sociale, intériorisée ensuite chez l’enseignant(e) (Vygotsky, 1978). Selon Darling-Hammond (1998), un développement pédagogique collectif entrepris par les enseignants, lorsqu’il est articulé à même leur tâche d’enseignement, permet de relier concrètement l’application du curriculum au processus d’évaluation réflexive et de lui donner vie. Selon l’auteure, l’engagement dans une démarche d’apprentissage constituerait ainsi un puissant facteur de motivation au changement. En ce sens, la création d’une communauté d’apprentissage destinée au développement professionnel serait une voie prometteuse pour favoriser les passages curriculaires chez les enseignants et accroître l’apprentissage chez les élèves (Sergiovanni, 1994). La communauté d’apprentissage, en tant que dispositif de développement professionnel, offrirait certaines avenues pour aider à approfondir et à adapter les pratiques pédagogiques aux changements proposés dans les réformes. Elle nécessite également la création d’un espace de collaboration au sein de l’école, afin que les acteurs puissent partager leurs réflexions et résoudre les problèmes liés à la pratique.

En Ontario et au Québec, des initiatives visent actuellement à introduire un tel dispositif en milieu scolaire, soit pour favoriser une meilleure articulation des réformes avec le développement professionnel des enseignants, soit pour introduire de nouvelles pratiques didactiques. En témoignent des études qui rendent compte d’initiatives dans ce domaine, tant du côté ontarien que québécois (Savoie-Zajc et Descamps-Bednarz, 2007 ; Savoie-Zajc et Dionne, 2006). Cependant, malgré l’intérêt porté à ce dispositif, très peu de recherches fournissent des balises conceptuelles, un éclairage sur les fondements, ou précisent des moyens à mettre en place pour la création d’une communauté d’apprentissage de développement professionnel. Dans leur article, Lenoir, Kalubi et Lenoir-Achdjian (2006) discutent des fondements de la communauté d’apprentissage et mettent en exergue les diverses influences sociologiques sous-jacentes à cette notion, prise plus globalement en éducation. Certaines influences associent la communauté d’apprentissage au courant d’école efficace ou à l’articulation d’une idéologie néolibéraliste dans le milieu scolaire. Dans notre étude, nous prenons une distance par rapport à cette notion d’efficacité ou de compétitivité, en abordant plutôt la communauté d’apprentissage sous son angle instrumental et développemental, le but étant de créer un dispositif concret pour aider les enseignants à réfléchir sur leurs pratiques, à enrichir leur répertoire et stimuler l’apprentissage chez les élèves. Pour soutenir cette idée de création d’un espace de collaboration et d’enrichissement entre enseignants à l’école, il apparaît pertinent de mieux définir une communauté d’apprentissage où les enseignants pourraient approfondir et diversifier leurs pratiques, dans le but ultime de rehausser l’apprentissage des élèves. À l’intérieur de la documentation scientifique, les résultats de recherches divergent quant aux assises conceptuelles de la communauté d’apprentissage appliquée au développement professionnel des enseignants. De plus, les définitions sont plurielles et les bases conceptuelles méritent d’être précisées davantage. Fournir un éclairage à la définition de la communauté d’apprentissage serait de nature à apporter plus de précisions sur les conditions et les processus à mettre en place dans la création d’une telle communauté. Il apparaît également utile d’identifier les principales caractéristiques pouvant guider le type d’accompagnement requis pour son maintien. C’est dans la perspective d’aider à clarifier ce flou conceptuel, à baliser l’implantation de ce dispositif de développement professionnel et à produire une définition englobante que la présente analyse de contenu a été effectuée sur le thème de la communauté d’apprentissage. Les principales caractéristiques couramment rattachées aux dispositifs de la communauté d’apprentissage seront identifiées avant que soient précisées les étapes ayant mené à l’analyse.

Tout d’abord, il importe que nous nous attardions aux fondements ou cadre conceptuel rattaché à la communauté d’apprentissage et que nous présentions le dispositif proprement dit. Puis, la méthodologie utilisée sera explicitée, suivie des tableaux-synthèses des résultats en fonction des trois dimensions conceptuelles de la communauté d’apprentissage. Dans la discussion, nous brosserons un tableau général des principaux résultats obtenus. Enfin, la communauté d’apprentissage comme dispositif de développement professionnel sera discutée en fonction des caractéristiques repérées.

2. Contexte théorique

Dans cette section, nous exposons le principal concept abordé dans la présente étude, la communauté d’apprentissage comme mode de développement professionnel des enseignants. Nous y discutons des caractéristiques de ce dispositif à l’intérieur duquel des enseignants peuvent co-construire leurs connaissances pour se développer professionnellement. Dans les études sur le développement professionnel des enseignants, les chercheurs insistent sur l’importance d’offrir aux praticiens de multiples occasions d’explorer et de prendre conscience de leurs propres conceptions, valeurs et pratiques, et de celles de leurs collègues, en ce qui a trait à l’enseignement et à l’apprentissage (Grimmett et Neufeld, 1994 ; Hargreaves et Fullan, 1992 ; Little, 1993 ; Little et McLaughlin, 1993). Ce regard réflexif porté sur soi, sur ses pratiques et sur celles des autres s’élabore essentiellement grâce à la collaboration qui se tisse à l’intérieur d’une communauté d’apprentissage ou d’un réseau d’enseignants (Lieberman, 1992). Ces espaces de collaboration permettraient aux participants de construire des significations et d’investiguer sur les façons de faire liées à leurs pratiques pédagogiques (Dionne, 2003). Rappelons que l’espace de collaboration est associé à une zone d’échanges et de dialogues, dans laquelle les enseignants s’affirment en toute liberté et égalité. C’est un espace où chaque collègue a sa place et son mot à dire. Cette zone d’expression permet le partage des expériences, l’échange de savoirs, de croyances et de valeurs (Dionne, 2003).

Il existe une multitude de formes de développement professionnel destinées aux acteurs scolaires. Celles qui attirent notre attention sont les formes collectivement situées, puisqu’elles permettent de créer ces espaces de co-apprentissage. Ces formes collectivement situées constituent des modes de développement professionnel qui reposent sur un apprentissage socioconstructiviste basé sur les échanges interpersonnels (Dionne, 2003). Ce sont, par exemple, les groupes d’études, les groupes de recherche-action et les groupes de développement pédagogique (Dionne, 2003 ; Sparks et Loucks-Horsley, 1989). La communauté d’apprentissage fait partie de ces formes collectives et se rapproche du groupe de recherche-action ou de celui de développement pédagogique. Au coeur du processus de ces groupes, se construit un espace de collaboration entre professionnels dans le cadre d’un projet collectif. La collaboration professionnelle véritable entre enseignants existe là où s’exécutent de réels travaux conjoints imbriqués dans la pratique quotidienne de la classe (Little, 1990). Selon Gather Thurler (2000), le développement professionnel se produit grâce à l’émergence, au sein des écoles, de groupes d’enseignants-collaborateurs qui, après une première clarification de leurs croyances et de leurs pratiques pédagogiques, ressentent le besoin de se lancer dans un projet de type collaboratif. Ce travail conjoint est susceptible d’aboutir à un développement professionnel signifiant lorsqu’il débouche sur un partage pédagogique véritable avec un ou des collègues (Sparks et Loucks-Horley, 1989). L’attitude centrale pour garantir un minimum de résultats, la posture d’investigation qu’adopte l’enseignant(e) qui collabore, permet à ce dernier d’apporter les ajustements nécessaires à ses pratiques pédagogiques (Cochran-Smith et Lytle, 1999a).

Plusieurs études témoignent du processus évolutif de la communauté d’apprentissage où des acteurs provenant d’écoles et d’universités se sont associés dans une démarche de partenariat (Cochran-Smith et Lytle, 1993, 1998, 1999a, b ; Grimmett et Neufeld, 1994 ; Hargreaves et Fullan, 1992 ; Lytle et Fecho, 1991 ; Savoie-Zajc, Rochon et Ruel, 2005 ; Wells, 1993). Sur la scène canadienne, Savoie-Zajc et ses collaborateurs (2005) rapportent deux recherches-actions reposant sur des partenariats de recherche. Leurs résultats indiquent que les participants (en particulier et dans le cas qui nous concerne, les enseignants) ont tout avantage à adopter une posture d’investigation, qui transcende la position d’experts. L’ensemble de ces études met en évidence l’importance de démocratiser le travail en communauté et conçoit le projet conjoint que développent les acteurs, comme un savoir construit à partir de la pratique (knowledge of practice). Ces études sur la communauté d’apprentissage valorisent le savoir produit par les enseignants, en reconnaissant le rôle de ces derniers comme utilisateurs critiques des données de recherche et producteurs d’un savoir pratique (Cochran-Smith et Lytle, 1999a). Selon cette vision, les enseignants profiteraient davantage de l’utilisation des résultats des recherches en faisant de leur classe un centre d’investigation. Le regard critique qu’ils portent à ce savoir permet d’en dégager le sens, de le mettre en application et de le relier, à une échelle plus large, à la communauté éducative et scientifique. Dans cette perspective, le travail au sein d’une communauté d’apprentissage constitue un contexte de choix pour apprendre sur soi et ajuster ses pratiques pédagogiques, processus qui se situe au coeur du développement professionnel des praticiens et du rehaussement de l’apprentissage chez les élèves (Cochran-Smith et Lytle, 1999a).

Pour faire émerger une définition de la communauté d’apprentissage qui converge avec les principes d’un apprentissage collectivement situé et d’un développement professionnel signifiant chez les enseignants, nous avons effectué un travail d’analyse de contenu et de synthèse portant sur huit études choisies dans le domaine des communautés d’apprentissage. La méthodologie que nous avons retenue est présentée dans la section ci-dessous.

3. Méthodologie

Étant donné que nous nous sommes engagés à divers niveaux dans des processus d’accompagnement et de recherche sur la communauté d’apprentissage, cette étude vise en premier lieu à éclairer notre démarche comme chercheurs dans ce domaine, pour ensuite mieux soutenir les enseignants auprès desquels nous sommes appelés à intervenir. Afin d’être en mesure de mieux accompagner les groupes concernés, il nous semble essentiel d’intégrer une définition opérationnelle à nos démarches convergentes. Vu l’absence de définition claire dans la documentation scientifique, nous croyons que les intervenants éducatifs pourront utiliser cette définition et l’intégrer à leurs propres démarches. Or, établir une définition claire de la communauté d’apprentissage à partir de la documentation scientifique actuelle ne constitue pas une mince tâche (Savoie-Zajc et Dionne, 2006). En effet, l’examen des ouvrages sur ce thème ne permet pas de dégager une définition satisfaisante du concept, puisque les paradigmes sous-jacents sont trop différents. C’est pourquoi nous avons décidé de procéder à une analyse de contenu de certains ouvrages choisis dans la documentation scientifique dans le but de formuler une définition englobante. L’étude de Schussler (2003), une étude critique de plusieurs recherches sur le thème de la communauté d’apprentissage, propose un construit théorique qui nous a servi de guide. Ce construit repose sur l’idée que la communauté d’apprentissage est plus qu’une bonne école. Selon Schussler (2003), dans une perspective holistique, la communauté d’apprentissage incorpore les dimensions cognitive, affective et idéologique. La dimension cognitive de la communauté d’apprentissage concerne l’apprentissage des acteurs qui s’engagent dans celle-ci. La dimension affective renvoie au fait que des relations interpersonnelles de qualité font partie intégrante de la communauté d’apprentissage. Cette dimension affective serait aussi un préalable à la dimension cognitive, puisque lorsque les personnes se sentent valorisées dans leur rôle d’apprenant, elles sont susceptibles d’apprendre davantage. En ce qui concerne la dimension idéologique, le construit de ce chercheur présuppose que les participants échangent sur leurs valeurs, leurs visions et qu’ils sont susceptibles de partager un objectif commun, en particulier leur projet conjoint. Cette dimension met aussi l’accent sur l’existence d’une cohésion dans l’école. Ainsi, avec son construit théorique tridimensionnel, Schussler (2003) propose une façon systémique de décrire ou d’envisager la communauté d’apprentissage. Cette lunette nous a servi à formuler une définition englobante du concept de communauté d’apprentissage. La description de la méthode d’analyse qui a guidé cette formulation suivra les précisions concernant le mode de sélection des ouvrages analysés, que nous abordons dans la prochaine section.

3.1 Mode de sélection des ouvrages

Afin d’élaborer une définition englobante, nous avons répertorié et revu 47 ouvrages portant sur le thème de la communauté d’apprentissage. Cette sélection a été effectuée à partir du portail de recherche Scholars Portal de la bibliothèque de l’Université d’Ottawa, qui donne accès à une vingtaine de bases de données pertinentes en éducation. Les ouvrages ont été sélectionnés en fonction de trois critères :

  1. arbitrage, dans le cas des articles ;

  2. ouvrage destiné aux acteurs en éducation ;

  3. accessibilité des livres, chapitres de livre et articles.

À partir de ce répertoire, quatre critères ont servi, dans une seconde phase, à ne retenir que les ouvrages portant plus spécifiquement sur la définition de la communauté d’apprentissage ou ses caractéristiques. Voici ces critères :

  1. auteur(s) cité(s) dans au moins un autre ouvrage sur le sujet ;

  2. présence d’une définition du concept principal ou, le cas échéant, présence d’une description des caractéristiques de la communauté d’apprentissage ;

  3. partie qui traite des fondements épistémologiques de la communauté d’apprentissage ;

  4. ouvrages produits après 1994.

Après cette deuxième étape de sélection, nous avons obtenu quinze documents. Pour chacun de ces ouvrages, nous avons élaboré une fiche analytique. Chaque fiche devait consigner, si elle était disponible, la définition de la communauté d’apprentissage selon l’auteur, ou en présenter les caractéristiques, comme la perception de la communauté d’apprentissage et les conditions de création et de maintien de celle-ci. De ces 15 documents, nous n’avons conservé que les ouvrages qui portaient plus spécifiquement sur les communautés d’apprentissage formées d’enseignants. Ainsi, huit ont servi à l’analyse plus fine visant l’élaboration d’une définition englobante de la communauté d’apprentissage. Nous avons identifié ces huit références en bibliographie à l’aide d’un astérisque.

3.2 Élaboration d’une grille d’analyse

Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous avons utilisé le construit théorique fourni par Schussler (2003) sur les dimensions de la communauté d’apprentissage, pour développer une grille d’analyse. Ce canevas sert bien l’objectif qui consiste à approfondir la compréhension de communautés d’enseignants créées pour favoriser le développement professionnel de ces derniers. La grille regroupe les principales dimensions associées au construit théorique de Schussler et s’appuie sur les conclusions de l’analyse de l’auteure. À l’aide de cette grille, nous avons ensuite procédé à l’analyse de contenu des ouvrages sélectionnés (L’Écuyer, 1988), pour repérer les unités de sens associés aux dimensions identifiées, selon une approche qualitative, dans le but d’en faire émerger le sens. La grille, qui est fermée, se structure en fonction des trois dimensions de la communauté d’apprentissage selon Schussler (2003) : cognitive, affective et idéologique (Tableau 1).

Tableau 1

Grille d’analyse élaborée à partir du construit théorique de Schussler (2003)

Grille d’analyse élaborée à partir du construit théorique de Schussler (2003)

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Globalement, ces dimensions se définissent de la façon suivante : la dimension cognitive réfère à l’idée du développement de connaissances, d’ouverture aux idées des autres, d’apprentissage par les pairs et de réciprocité. La dimension affective peut être dégagée des textes analysés chaque fois qu’il est question de créer un espace de confiance et de communication ouverte, ainsi que des liens de complicité et de soutien mutuel entre les acteurs. Enfin, la dimension idéologique correspond à l’engagement collectif des enseignants en vue de l’atteinte d’un but commun.

3.3 Processus d’analyse

La première étape du travail d’analyse a été de scruter les fiches analytiques associées aux huit documents retenus et d’y repérer les segments de définitions ou de caractéristiques en fonction des trois dimensions de la grille d’analyse, présentes pour tous les ouvrages sélectionnés. Ces segments ont d’abord été placés dans un tableau des données, avec le nom de l’auteur correspondant ; puis, ils ont été regroupés en fonction du sens pour former un ensemble. Par exemple, pour la dimension affective (Tableau 3), Bielaczyk et Collins (1999) évoquent un soutien mutuel pour la croissance de l’enseignant(e) (support the growth of individual…), et Harada (2002) mentionne l’importance du soutien émotionnel (a LC must foster … emotional support). Les deux extraits soulignent globalement l’importance, pour l’enseignant(e), de se sentir soutenu(e), et les deux segments sont associés à l’idée générale de soutien. Les segments convergeant vers un deuxième sens, comme le sens de partage (Tableau 3), permettent de former le deuxième ensemble. Le partage correspond à la deuxième idée générale qui se dégage de la dimension affective. La même procédure a été appliquée pour la dimension cognitive (Tableau 2) et la dimension idéologique (Tableau 4). L’ensemble des idées générales a été repris dans une définition englobante de la communauté d’apprentissage. Pour assurer la fiabilité, les résultats de l’analyse ont été validés par les co-auteurs de ce texte, en les associant et en les comparant avec les résultats préliminaires de recherches empiriques que les auteurs mènent actuellement sur les communautés d’apprentissage. Bien que l’objet de cet article ne soit pas de présenter ces études, la recherche de pertinence et de cohérence des grandes idées générales qui émergent de l’analyse, avec les caractéristiques des communautés d’apprentissage retrouvées sur le terrain, permet d’assurer une fiabilité et une qualité au jugement apporté. Ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, cet exercice vise en premier lieu à proposer une définition, dans le but de mieux accompagner le développement professionnel des acteurs scolaires impliqués au sein d’une communauté  d’apprentissage. Cette définition apportera, nous l’espérons, un appui aux chercheurs ou pédagogues engagés dans la mise en place de ce type de dispositif qu’est la communauté d’apprentissage. Dans la section suivante, nous exposons et discutons les résultats présentés dans les tableaux d’analyse en fonction des trois dimensions de la communauté d’apprentissage, et en traitant chacun des huit textes retenus aux fins de cette analyse.

4. Analyse des résultats

Comme nous les avons présentées au tableau 2 ci-dessous, les définitions analysées permettent de faire ressortir quatre idées principales pour la dimension cognitive.

Tableau 2

Analyse de la définition de la communauté d’apprentissage selon sa dimension cognitive

Analyse de la définition de la communauté d’apprentissage selon sa dimension cognitive

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La première idée principale correspond à la construction d’un savoir individuel, où l’enseignant(e) utilise la communauté d’apprentissage comme lieu de ressourcement et de perfectionnement (Harada, 2002 ; Hurd et Stein, 2004). À l’opposé, la deuxième idée principale qui ressort est l’association du pôle cognitif de la communauté d’apprentissage à la construction d’un savoir collectif. Bialeczyc et Collins (1999) définissent en effet la communauté d’apprentissage comme un lieu qui sert à développer une vision commune ou une connaissance collective des divers enjeux pédagogiques ou éducatifs. La troisième idée principale rejoint directement l’idée d’un renouvellement de la pratique : Martin-Kniep (2004) voit la communauté d’apprentissage comme un lieu de développement de la pratique pédagogique. Finalement, selon les ouvrages analysés, la quatrième idée principale relie la dimension cognitive de la communauté d’apprentissage à une construction de sens : les acteurs utilisent la communauté d’apprentissage pour construire du sens sur leur pratique et pour mettre des mots sur les projets qu’ils poursuivent, comme le spécifie Wells (1994) parmi les auteurs qui font ce lien. Cette signification rejoindrait les caractéristiques d’un apprentissage à la fois individuel et collectif.

Dans le tableau 3, présenté ci-dessous, deux grandes composantes se dégagent à propos de la dimension affective : le partage et le soutien. Cette convergence des significations issue de notre analyse de contenu laisse percevoir une plus grande unanimité des ouvrages analysés quant au rôle affectif de la communauté d’apprentissage.

Tableau 3

Analyse de la définition de la communauté d’apprentissage selon sa dimension affective

Analyse de la définition de la communauté d’apprentissage selon sa dimension affective

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La première composante qui émerge de notre analyse est celle du partage. L’enseignant profite de la communauté d’apprentissage pour partager la connaissance qu’il a de sa classe et de sa pratique ; il dialogue, il échange sur sa vision et sur ce qu’il fait, comme le mentionnent, entre autres, Gilbert et Driscoll (2002). La seconde composante qui en ressort témoigne de l’importance du soutien offert au praticien qui s’engage dans la communauté d’apprentissage. Elle se présente comme un lieu où chaque membre se sentira soutenu, valorisé, respecté dans ses façons de faire et dans ses idées. Comme l’exprime Harada (2002), les membres de la communauté d’apprentissage coopèrent, et cette coopération engendre un sentiment de soutien mutuel et de respect entre collègues.

Enfin, en plus des dimensions cognitive et affective, il faut en mentionner une dernière : la dimension idéologique. Nous abordons ce point dans le tableau 4, d’où ressortent trois grandes idées principales.

Tableau 4

Analyse de la définition de la communauté d’apprentissage selon sa dimension idéologique

Analyse de la définition de la communauté d’apprentissage selon sa dimension idéologique

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Tout d’abord, la dimension idéologique renvoie à une ouverture de la communauté d’apprentissage à la communauté éducative. Les enseignants se montrent ouverts aux résultats des recherches en éducation ou à toute autre information qui les concerne, et à ce que ces outils peuvent leur apporter dans leur pratique (entre autres, Nichols et Tobin, 2000). La seconde idée principale concerne la vision des enseignants comme producteurs de savoirs. Par exemple, Cochran-Smith et Lytle (1999a, b) disent miser sur cette posture de co-construction des savoirs dans la communauté pour favoriser l’émancipation des membres de la communauté d’apprentissage et leur redonner du pouvoir sur leur pratique. La troisième idée principale concerne l’harmonisation des valeurs pédagogiques entre les enseignants (voir notamment Hurd et Stein, 2004) qui vise à accroître la cohésion dans l’école par le biais de la communauté d’apprentissage.

5. Discussion

Cette section nous permet de brosser un tableau général des principaux résultats issus de l’analyse. Ensuite, nous discuterons de la communauté d’apprentissage en tant que dispositif de développement professionnel et nous explorerons ses diverses potentialités.

Les tableaux précédents présentent les diverses composantes de la communauté d’apprentissage en fonction de la grille d’analyse basée sur les trois dimensions retenues : les dimensions cognitive, affective et idéologique. Ces composantes ne sont pas mutuellement exclusives. Il ressort de notre analyse une vision plus claire des potentialités qu’offre une communauté d’apprentissage associée au développement professionnel chez l’enseignant(e), et une meilleure compréhension de la façon dont elle s’articule globalement. En effet, l’analyse permet de fournir une vision ouverte et englobante de la communauté d’apprentissage, et d’en préciser la richesse conceptuelle. Ainsi, c’est la dimension cognitive de la communauté d’apprentissage qui présente la plus grande variabilité : une certaine hétérogénéité de points de vue s’en dégage. Pour certains auteurs, la communauté d’apprentissage sert à la construction de connaissances personnelles, alors que pour d’autres, ces connaissances sont construites au profit du groupe. Le rôle de la communauté d’apprentissage est aussi perçu comme clairement orienté vers l’amélioration des pratiques. Enfin, la communauté d’apprentissage sert aussi à satisfaire une quête de sens, surtout lorsque les membres viennent y chercher des solutions à leurs problèmes de pratique. Cette quête de sens rejoint simultanément la construction d’un savoir individuel et collectif. Dans les ouvrages analysés, la dimension affective de la communauté d’apprentissage est associée à une signification liée soit au partage soit au soutien. Ces fonctions sont mutuellement englobantes : pour se sentir libre de partager son savoir pratique comme on le vit en salle de classe, il faut se sentir soutenu et respecté dans son action pédagogique et vice-versa. Quant à la dimension idéologique, les fonctions qui ressortent de la communauté d’apprentissage sont l’ouverture des enseignants à la connaissance scientifique, une prédisposition à adopter une posture de producteurs de savoirs et aussi un désir d’harmoniser les valeurs pour assurer une meilleure cohésion dans l’école, grâce à une vision commune. En effectuant une synthèse de l’ensemble de ces significations, il nous est possible d’arriver à la définition suivante :

La communauté d’apprentissage se définit comme un dispositif qui, dans sa dimension cognitive, vise le développement de la pratique pédagogique, l’acquisition d’un savoir individuel et collectif et la quête de sens. Dans sa dimension affective, la communauté d’apprentissage encourage l’enseignant(e) au partage de savoirs et au soutien entre collègues. Enfin, dans sa dimension idéologique, la communauté d’apprentissage sert à l’émancipation des enseignants, par l’utilisation des recherches, en reconnaissant leur rôle dans la production de ces recherches, et elle vise ultimement à créer une cohésion et une vision commune dans l’école.

De notre point de vue, cette définition est englobante, en ce sens qu’elle précise l’ensemble des composantes présentes dans une communauté d’apprentissage pour assurer son fonctionnement optimal. La définition englobante qui émerge de notre analyse rejoint la notion de développement professionnel. Ce dernier peut se décrire comme toute forme d’apprentissage professionnel qui sert à l’enseignant pour modifier les situations dans lesquelles il évolue dans son travail quotidien. Adaptée de Wells (1993), cette définition du développement professionnel renvoie explicitement à l’apprentissage individuel et aussi à la possibilité qu’a le praticien d’agir sur son milieu professionnel. Elle rejoint les composantes cognitives et idéologiques comme dans la communauté d’apprentissage, sans toutefois aborder la dimension affective. Par conséquent, la définition de la communauté d’apprentissage rejoint celle du développement professionnel dans ses composantes cognitives et idéologiques, mais elle s’en distingue par la présence de sa dimension affective.

Dans sa définition même, une communauté d’apprentissage procure aux enseignants un environnement conjuguant espace de partage et de soutien, puisqu’elle devient un lieu où les praticiens se sentent appuyés dans les apprentissages qu’ils souhaitent réaliser pour ajuster leurs pratiques. Voilà pourquoi nous pensons que la principale contribution de notre analyse est la mise en évidence de la dimension affective de la communauté d’apprentissage. Le partage pédagogique étant valorisé, c’est le savoir produit par l’enseignant(e) qui se trouve du même coup reconnu. Comme lieu de soutien, la communauté d’apprentissage permet aux éducateurs de se sentir valorisés dans la mesure où ils peuvent témoigner de leur expertise auprès de leurs collègues et d’une personne-ressource, souvent représentée par un chercheur universitaire. Ainsi, un dispositif qui ne procure pas aux enseignants le soutien, le respect et le partage escomptés, risque de devenir contre-productif. La dimension affective de la communauté d’apprentissage, c’est-à-dire la façon dont seront définis les objectifs de partage et de soutien, ou la façon dont seront mises en place les stratégies d’accompagnement, doit être soigneusement planifiée et faire l’objet d’une évaluation constante. En fonction de ces conditions, nous formulons l’hypothèse que la communauté d’apprentissage pourrait cibler spécifiquement l’adoption et le développement d’une posture réflexive et d’investigation chez l’enseignant(e), pour que la dimension de partage et de soutien puisse mieux s’arrimer à la dimension cognitive. En favorisant le recours à cette réflexivité, la communauté d’apprentissage peut s’assurer de promouvoir l’approfondissement des idées et le réinvestissement dans la pratique, tout en tenant compte de l’aspect humain qui en relève pour favoriser des interactions épanouissantes (Joyce et Showers, 2002).

Les résultats de l’analyse indiquent que la communauté d’apprentissage vise à favoriser un développement professionnel continu qui s’appuie sur la construction sociale des savoirs. Le présent article et l’analyse des résultats s’appuient sur un postulat principal : l’individu apprend avec les autres et ce co-apprentissage est, par la suite, intériorisé à travers un processus de négociation de sens (negotiation of meaning). Les études qui s’inscrivent dans le courant socioconstructiviste mettent en évidence le principe d’un co-apprentissage ou d’un apprentissage par les pairs (Vygotsky, 1978). Le développement professionnel y est conçu comme un processus reposant essentiellement sur une construction sociale, qui part d’un investissement et d’un engagement collectifs, pour influencer la pratique et la vision individuelles (Chang et Wells, 1995 ; Wells, 1993). La communauté d’apprentissage contribue, de ce fait, à cette construction sociale, et aussi à la construction de savoirs individuels.

6. Conclusion

Cet article visait à montrer la pertinence de créer une communauté d’apprentissage en milieu scolaire, comme dispositif de développement professionnel, pour assister les enseignants dans leur volonté d’ajuster leurs pratiques pédagogiques (Dufour, 2003). Évidemment, d’autres modalités de développement professionnel peuvent satisfaire certains milieux plus que d’autres, et en ce sens la communauté d’apprentissage ne doit par être perçue comme une panacée (Hargreaves, 2003). Dans la perspective d’aider les intervenants intéressés à s’engager dans cette voie de développement professionnel, la définition issue de l’analyse apporte un éclairage sur les trois dimensions à considérer dans la planification et l’implantation d’une communauté d’apprentissage en milieu scolaire, les dimensions affective, cognitive et idéologique (Schussler, 2003). Les dimensions idéologique et cognitive se traduisent par le désir de transformer les pratiques et une certaine ouverture à l’idée d’apprendre des collègues. La dimension affective correspond au partage et au climat de respect et de soutien qui peut régner dans le groupe (Schussler, 2003). Selon l’analyse effectuée, elle serait déterminante dans le succès de la démarche à l’intérieur d’une communauté d’apprentissage. Il s’agit là de la principale contribution de cette analyse qui distingue la communauté d’apprentissage, par la présence de sa dimension affective, par rapport aux autres dispositifs de développement professionnel qui mettent plutôt l’accent sur la dimension cognitive. En assurant le soutien et le respect des personnes, en offrant des possibilités de partage professionnel et d’expression du leadership pédagogique, le dispositif de la communauté d’apprentissage assure un succès à la démarche auprès de chaque enseignant(e) et pour l’ensemble du groupe (Orellana, 2005 ; Sergiovanni, 1994). En négligeant la dimension affective, il y a un risque qu’un processus contre-productif s’installe et nuise ainsi au développement du praticien, en suscitant chez ce dernier une attitude réfractaire envers un type de dispositif de la communauté d’apprentissage. En milieu scolaire, cette communauté a tout avantage à être conçue comme un véritable espace de collaboration, et à permettre le soutien mutuel des acteurs qui prennent part à la dynamique collaborative (Cochran-Smith et Lytle, 1999a). Puisque le partage et le soutien sont essentiels à la dimension affective, l’accompagnement de la communauté d’apprentissage par une personne-ressource pourra être garant de la durabilité du processus collaboratif, en apportant le soin nécessaire à la dimension affective (Lafortune et Deaudelin, 2001 ; Savoie-Zajc et collab., 2005).

À la suite de cette étude, nous croyons, à l’instar de Schussler (2003), que la communauté d’apprentissage devrait être étudiée empiriquement dans différents contextes scolaires au Canada : école élémentaire comparativement à secondaire, école destinée à des élèves en difficulté, école ayant des programmes spéciaux, en fonction de disciplines scolaires diverses, etc. Ces études serviraient à cerner les conditions de mise en place et d’accompagnement de ce dispositif en tenant compte des objectifs spécifiques que ce dernier sous-tend, mais aussi à documenter le développement professionnel des enseignants qui s’y réalise en fonction des contextes étudiés. Même avec l’apport théorique d’une définition englobante que procure cette analyse, ou la compréhension pragmatique qu’apporte la prise en compte des dimensions essentielles de la communauté d’apprentissage, l’évolution d’un tel dispositif demeure, somme toute, un processus fortement influencé par le contexte. Ce contexte teinte l’accompagnement des enseignants dans leur développement professionnel, celui-ci se produisant dans une démarche essentiellement idiosyncrasique. La communauté d’apprentissage prend une couleur et une saveur particulières en fonction des acteurs qui y participent, de la culture scolaire dans laquelle elle baigne, mais aussi en fonction des objets d’étude ou des projets qui orientent sa démarche. Les limites de cette étude se trouvent dans cette prépondérance contextuelle liée aux communautés d’apprentissage. Elles se trouvent aussi dans le modeste nombre d’écrits retenus pour servir de matériau de base à la présente analyse. Malgré ces limites, cette recherche apporte une meilleure connaissance du dispositif de la communauté d’apprentissage pour le développement professionnel, ce qui témoigne de sa richesse et montre sa pertinence dans le domaine de la formation continue (Cochran-Smith et Lytle, 1999a, 1999b ; Wells, 1993).