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Les enseignements de la fiction : le titre, volontairement ambigu, renvoie aussi bien à la façon dont est enseignée la fiction qu’à ce que la fiction peut nous enseigner. Un tel programme double, proposé par les cahiers Modernités, devient ainsi l’occasion d’une rencontre entre chercheurs en didactique et en littérature, lesquels entendent déplacer l’objet des débats relatifs à la fiction. Si, depuis plus de trente ans, des théoriciens d’horizons divers tentent d’en définir la nature intrinsèque, l’enjeu se situe plutôt ici du côté de ses effets sur le lecteur et, plus particulièrement, sur l’élève. Le pouvoir édifiant de la fiction se trouve largement négligé, sinon sous-estimé, dans le champ critique. Thomas Pavel et Jean-Marie Schaeffer, dont se réclament la majorité des auteurs de l’ouvrage, ont cependant montré qu’elle participe à l’apprentissage cognitif et moral du lecteur. Celui-ci, confronté à des situations que le monde empirique ne permet pas nécessairement de vivre de manière aussi intense ou intime, expérimente une autre manière de comprendre le monde ; c’est là une leçon ludique qu’il peut transposer dans son rapport à l’autre et à son environnement.
Il s’agit bien d’une leçon, car l’ambition première de la quinzaine de chercheurs est de fournir au champ de l’enseignement matière à penser la fiction (p. 8), à une époque où les cours de littérature se multiplient, sans que ceux qui en ont la charge disposent pour autant des compétences adéquates. Entreprise louable ; force est toutefois d’admettre que quelques textes, articulés davantage autour de la fiction que de sa pédagogie, apparaîtront plus hermétiques au lectorat visé. S’ils proposent un bagage théorique appréciable, qui trouvera écho chez toute personne intéressée à décortiquer sa relation à la fiction, il n’est pas certain qu’ils seront utiles sur le terrain. D’autant que les corpus retenus – le roman-feuilleton, la biographie imaginaire, l’oeuvre de Mérimée, notamment – illustrent moins la façon dont rayonne la fiction que certaines fictions particulières. Certes, la diversité des objets permet de rassembler une variété de types fictionnels, de l’iconique au dramatique, en passant par la littérature de jeunesse et le jeu vidéo. Cependant, on pourra se demander s’il est effectivement possible que les différentes formes donnent lieu à une même conclusion : que la fiction, parce qu’elle n’est pas régie par les contraintes d’un réel limité à l’objectivité, se présente comme un univers plus plaisant et plus enrichissant, livrant discrètement un savoir à la fois littéraire et identitaire. La question aurait mérité qu’on s’y arrête en fin de parcours, ne serait-ce que pour permettre le dialogue entre les textes, au-delà des rubriques qui les encadrent (Pouvoirs de la fiction, Fabriques de la fiction, Lecteurs de fiction).
Il reste que, pour tout aficionado de la littérature, cette valorisation du plaisir formateur de la fiction sera accueillie avec réconfort. À l’heure où la pertinence des arts est remise en question, de tels discours en leur faveur convainquent de l’importance de leur enseignement et de leur présence au quotidien. Tout se passe comme si, en somme, la fiction était enseignée parce qu’elle avait quelque chose à nous enseigner.