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Le concept d’interdisciplinarité, et les problématiques qui y sont rattachées, constituent une dimension non négligeable des textes et des discours visant à réformer aujourd’hui les curricula des élèves, comme ceux régissant la formation professionnelle des enseignants, tant en Amérique du Nord qu’en Europe. De nombreux écrits, en effet, encouragent aujourd’hui les enseignants à développer des pratiques interdisciplinaires dans les classes. D’autres textes en appellent à l’ardente obligation de concevoir également les dispositifs de formation des maîtres dans une perspective interdisciplinaire. Il est possible ici d’avancer au moins une hypothèse qui peut expliquer cet intérêt pour l’interdisciplinarité, celle du parti pris des décideurs des politiques éducatives de chercher à donner sens aux savoirs transmis aux élèves. Dans cette perspective, l’interdisciplinarité se présente donc avant tout comme un moyen d’atteindre un premier objectif, celui de l’intégration des savoirs. Cette intégration des savoirs doit permettre la promotion du savoir directement utile, fonctionnel et utilisable pour répondre à des questions et à des problèmes sociaux contemporains (Lenoir et Sachot, p. 55). À l’instar de Klein (1985), Lenoir et Sachot montrent comment l’interdisciplinarité est perçue comme un moyen didactique et pédagogique visant cette intégration des savoirs au service d’une conception fonctionnaliste du savoir à apprendre. Cependant, l’interdisciplinarité répond aussi à un autre enjeu : celui de la recherche de l’unité du savoir. Pour Lenoir et Sachot, par l’interdisciplinarité, il s’agirait de rechercher soit une structuration cohérente et solidement articulée hiérarchiquement entre les différentes disciplines constitutives de la science, soit une superscience marquée par la tentation d’un holisme et soutenue par des préoccupations fondamentales d’ordre philosophiques (idem, p. 55). L’ouvrage proposé par Yves Lenoir et Maurice Sachot traite de la problématique interdisciplinaire sous ces deux dimensions.
Il est organisé en deux grandes parties : dans la première partie, on questionne l’interdisciplinarité en privilégiant une mise en rapport entre les différentes disciplines enseignées au primaire, les didactiques qui leur sont constitutives et les principales justifications qui expliquent l’essor de l’interdisciplinarité comme approche didactico-pédagogique à privilégier dans la pratique de classe et pour laquelle il convient de préparer les futurs enseignants du primaire. Dans la seconde partie, les auteurs s’attardent plus particulièrement sur quelques concepts et modèles présents dans les actuelles réformes éducatives et de quelles manières ces concepts et ces modèles sont identifiés, perçus et reçus par les enseignants. Pour les deux directeurs de l’ouvrage, le point de départ de la réflexion qui a présidé à la rédaction du présent livre est bien la problématique didactique. Autrement dit : Quelle logique convient-il de privilégier pour la formation didactique des futurs enseignants du primaire ? (Lenoir et Sachot, p. 5). Est-ce la logique disciplinaire ou la logique interdisciplinaire ? Outre une présentation très nourrie des fondements épistémologiques de l’interdisciplinarité (Lenoir et Laforest, 53-89), la grande qualité de l’ouvrage réside principalement dans sa capacité à poser la question de l’interdisciplinarité autour des grands enjeux contemporains de la didactique. Dans cette perspective, on pourra noter le passionnant chapitre consacré à l’enseignement de l’histoire-géographie en France (Audigier, 35-52), comme celui traitant de la didactique des sciences humaines (Lebrun et Lenoir, 133-165). Car l’interdisciplinarité nous offre l’occasion de poser ou de reposer les principales questions constitutives du champ didactique : celle du rapport des élèves et des enseignants au savoir, et de leur rapport aux disciplines scolaires (Lebrun et Baribeau, 241-259) ainsi que celle de l’articulation nécessaire et souhaitable entre enseignement et apprentissage. L’interdisciplinarité, trop souvent réduite à une forme de gestion de classe, voire à une modalité pédagogique, doit conduire au contraire l’enseignant à faire de l’acte d’apprendre la pierre angulaire de la conception et de la mise en oeuvre de son intervention éducative. Construire une séquence d’enseignement dans une perspective interdisciplinaire, c’est avant tout poser la double question des savoirs et des apprentissages. C’est pourquoi la problématique interdisciplinaire nous encourage à découvrir ou à redécouvrir toute la place que doit occuper la réflexion didactique dans la formation à l’enseignement (Larose et Hasni, 227-240). Questionner l’interdisciplinarité, c’est enfin et surtout une judicieuse occasion de préciser le réseau conceptuel porteur des récentes réformes éducatives, que celles-ci concernent les élèves ou les enseignants. Qu’entend-on par didactique, par pédagogie, par compétence, par intégration des savoirs et des apprentissages ? Comment rendre accessible ce vocabulaire scientifique dont l’appropriation et la compréhension sont indispensables à qui veut s’inscrire dans une perspective professionnalisante de l’enseignement ? Comment mieux établir une plus grande synergie entre formation à l’enseignement, recherche en éducation et pratique enseignante ? N’est-ce pas là tout l’enjeu et le défi que doivent relever aujourd’hui les sciences de l’éducation, discipline qui s’est, elle aussi, construite et développée dans une perspective interdisciplinaire ?