Pendant 60 ans, les idées de Piaget sur l’éducation avaient été ignorées, particulièrement par le public auquel elles étaient destinées : le monde de l’éducation. L’objectif avoué de cet ouvrage est de retracer l’impact de l’oeuvre de Piaget sur la pensée éducative moderne qui « découle de sa vision du monde et de sa conception de l’homme et de la société » (p. 33). Constantin Xypas cherche à démontrer comment l’homme et son oeuvre, en psychologie génétique et en épistémologie, se sont bel et bien trouvés au coeur de l’évolution de la pensée éducative au XXe siècle. Comme point de départ, Xypas se réfère au texte de Piaget de 1918 « La biologie et la guerre » où on peut appréhender déjà le « projet de vie de Piaget ». Ce projet se dessine autour de trois buts bien précis : développer une théorie de l’évolution basée, non pas sur la lutte pour la survie entre les individus mais sur la coopération ; trouver une base biologique à l’explication de l’intelligence ; et en prenant la coopération comme mécanisme central, construire une assise scientifique à la morale (p. 36-37). Contrairement à la vision limitative de Piaget comme cognitiviste pur, adoptée par ses détracteurs, nous voyons ici le portrait d’un chercheur ambitieux qui se donne comme objet de comprendre l’homme dans sa totalité : intellectuelle, sociale et morale. Xypas dépeint Piaget comme un chercheur autodidacte en psychologie, qui avait reçu une formation formelle en biologie et en zoologie. Bien qu’il ait été bien accueilli dans les cercles académiques pour ses ouvrages sur les mollusques du Lac de Neuchâtel, Piaget a dû défendre farouchement ses idées sur la psychologie et le développement moral dans les mêmes cercles académiques très réfractaires aux idées « révolutionnaires ». En prenant appui sur les théories de l’évolution de la science de Kuhn, Feyerabend et Feuer, Xypas cherche à démontrer l’originalité et le côté rebelle de Piaget. Le modèle de Feuer, qui voit l’évolution de la science comme le produit de conflits entre générations, est celui qui semble correspondre le plus au parcours de Piaget. Xypas insiste sur le fait que, malgré les apparences, Piaget en a toujours fait à sa guise contrevenant parfois à l’avis de ses supérieurs. Par exemple, dans ses théories du développement moral de l’enfant, il exprime une critique voilée mais sévère envers l’école. Xypas souligne que cette critique discrète porte sur les valeurs fondamentales véhiculées par l’école et n’avait pas comme intention avouée de remettre en question l’ordre établi. Par contre, cette circonspection à l’égard de l’école peut expliquer pourquoi les idées de Piaget sur l’éducation ont été si longtemps ignorées. Xypas présente une oeuvre passionnée qui se lit aisément, même lorsqu’il s’agit de passages complexes à propos du développement moral de l’individu. Cependant, un tel livre se prête difficilement à une catégorisation dans la mesure où, pour valider l’apport de Piaget à la pensée éducative, l’auteur emprunte deux voies : la biographie d’un penseur extraordinaire du XXe siècle et une recension critique de ses idées scientifiques. Peut-être à cause des dimensions trop ambitieuses de ce projet, le lecteur reste sur sa faim d’une part, en ce qui concerne la vie et le profil de ce chercheur et d’autre part, une discussion approfondie et éclairée de ses idées révolutionnaires sur l’éducation.
Xypas, C. (2001). L’autre Piaget : cheminement intellectuel d’un éducateur d’humanité. Paris : L’Harmattan.[Record]
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Nicolas Fernandez
Université de Sherbrooke