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Ouvrage collectif publié sous la direction de Barré-De Miniac et Lété, L'illettrisme constitue un instrument d'introduction et de référence indispensable à quiconque veut aborder le champ de l'alphabétisation. Mais nous évoquons l'alphabétisation alors que le titre renvoie plutôt à l'illettrisme. Cependant, il faut savoir qu'on fait face à un domaine en émergence, dans les pays industrialisés du moins, tant dans les pratiques que dans la recherche. La terminologie, comme les concepts qui la sous-tendent, n'est pas encore arrêtée. Alors que le Québec et la Belgique ont opté pour le terme «alphabétisation», la France se démarque avec le concept d'«illettrisme». Sur le territoire de l'Hexagone, l'«illettrisme» ne fait pourtant pas l'unanimité. Le grand intérêt de la publication est de faire le point sur les grandes composantes de l'illettrisme ou de l'alphabétisation en s'appuyant sur l'état de la recherche et des pratiques. De plus, les responsables de l'ouvrage ont nettement favorisé l'expression de points de vue diversifiés.
La première des trois parties du volume présente des textes qui analysent et éclairent les débats terminologiques et conceptuels autour des notions en cause. Elle propose une réflexion critique sur la définition de l'illettrisme et sur sa mesure. À l'image de l'ensemble de l'ouvrage, elle fait appel à des praticiens et à des chercheurs en tentant d'appréhender chaque question d'un point de vue interdisciplinaire et complémentaire. Il est rafraîchissant d'y constater qu'une partie du débat sur l'illettrisme a été considéré par les chercheurs qui n'ont pas apprécié que la réalité en cause ait été d'abord mise à jour par des praticiens, par l'État et par les médias sans avoir été préalablement appréhendée ou «découverte» par la recherche...
La deuxième partie porte sur la prévention de l'illettrisme chez les enfants, à l'école et autour de l'école. Divers auteurs y proposent des analyses et des pistes d'action qui s'inspirent de cadres théoriques différents ou divergents, mais qui portent sur des objets ciblés: l'intervention précoce, le rôle de la famille, les mathématiques, l'évaluation diagnostique, etc. Alors que plusieurs textes s'inscrivent dans une perspective didactique, d'autres s'en écartent. C'est le cas du texte remarquable de Jean Biarnès, qui explore, à partir de deux cas, la construction du rapport à l'écrit et sa relation intime avec la construction de l'identité.
Quant à la troisième partie, la plus importante, elle porte sur les stratégies de formation des adultes illettrés. Si elle est moins pédagogique ou andragogique qu'on pourrait s'y attendre, elle reflète néanmoins la diversité des modes de prise en charge de ces publics en France – situation qui contraste avec l'univocité didactique qui caractérise le domaine chez les francophones d'Amérique.
Cette publication ne tombe pas dans le travers de trop d'ouvrages collectifs qui se réduisent souvent à l'addition de textes disparates. Les trois grands axes sont assez bien délimités et les diverses contributions permettent d'approfondir les questions traitées. Outre une introduction et une conclusion pertinentes, chaque section débute par une présentation opérant une certain défrichage des textes qui vont suivre. On aurait toutefois souhaité que l'effort d'intégration s'applique également au système de renvois et de références des différents auteurs.
L'«illettrisme» est une appellation féconde et contradictoire. Le terme peut aussi être perçu comme une façon ethnocentriste de conceptualiser un domaine d'intervention et de recherche qui se développe dans les autres sociétés francophones industrialisées et dans le monde anglo-saxon. Aussi, l'absence de référence aux études francophones hors de l'Hexagone et le nombre limité de références aux études anglo-saxonnes (à l'exception de quelques auteurs) dégagent-ils, à l'occasion, une impression de suffisance. Même l'étude pénétrante de Catherine Stercq, autrice belge publiée chez le même éditeur, est ignorée. Le débat se fait entre Français; il n'en est pas moins passionnant.